DRURY, CHARLES ALFRED, fermier, homme politique et fonctionnaire, né en 1844 près de Barrie, Haut-Canada, fils de Richard Drury et d’Elizabeth Bishop ; le 12 avril 1877, il épousa à Barrie Mary Ann Elizabeth Varley (décédée en 1878), et ils eurent un fils, Ernest Charles*, puis le 15 mai 1889, dans le canton de Vespra, Ontario, Isabella Brownlee, et de ce second mariage naquirent trois filles ; décédé le 12 janvier 1905 à Barrie et inhumé à Crown Hill, Ontario.

Le grand-père de Charles Alfred Drury, Joseph Drury, accompagné des ses fils Richard et Thomas, quitta le Warwickshire, en Angleterre, et s’installa dans le Haut-Canada en 1819. Il s’aménagea une ferme dans la partie du comté de Simcoe qui devint le canton d’Oro. Quelques années plus tard, ses fils cultivaient des terres adjacentes dans la petite localité agricole voisine de Barrie qui allait s’appeler Crown Hill. Tout en s’employant à transformer leurs fermes pionnières en de jolis coins d’Arcadie, ils s’engagèrent dans les affaires locales, inaugurant ainsi, dans la famille, une tradition de participation à la chose publique.

Les Drury avaient aussi à leur arc une autre corde solide : l’instruction. Richard, qui n’en manquait pas, soutenait que, dans chacune des fermes de la province, il devait y avoir un « homme instruit derrière les manches de la charrue ». Il fonda la première école de Crown Hill et veilla à ce que son fils Charles Alfred – un de ses 10 enfants, sinon plus – la fréquente. Ensuite, avant de l’assister dans l’exploitation de la ferme familiale, Charles Alfred alla à la grammar school du district, que tenait le docteur Frederick Gore à Barrie. Nul doute que les encouragements paternels portèrent fruit. Inlassablement, de 1877 à 1889, en tant que président du conseil municipal d’Oro, Charles Alfred rechercha et obtint un siège au comité scolaire du conseil du comté de Simcoe. Réputé orateur percutant (quand on le poussait, il martelait ses arguments à coups de poing sur la table), Drury n’y allait pas par quatre chemins quand il parlait de la nécessité, pour toutes les classes de la société, d’acquérir une formation générale : « L’instruction sert à un homme même quand il creuse un fossé. »

Naturellement, Drury soutenait l’Agricultural and Arts Association of Ontario, forum organisé en 1868 pour remplacer la Chambre d’agriculture du Haut-Canada. Il accéda au conseil de cet organisme en 1878 et en fut nommé président en 1882. De plus, il travaillait au comité de direction de la Grange fédérale et suivait de près les progrès de l’Ontario School of Agriculture and Experimental Farm, fondée à Guelph en 1874 [V. William Johnston*]. En même temps, il faisait la promotion du travail accompli par le réseau des Farmers’ Institutes et était membre du conseil d’administration de la Fruit Growers’ Association of Ontario, organisme qui témoignait que le secteur agricole de la province, en ces dernières décennies du xixe siècle, connaissait une diversification poussée.

Bien que Drury ait paru être le type même du fermier ontarien, ses auditeurs devinaient souvent, à cause de son léger accent, que sa famille venait du Warwickshire. Jamais il n’oublia la contribution que les immigrants de la mère patrie, tels son grand-père et son père, avaient apportée à l’agriculture pionnière ni la façon dont ces colons avaient donné à la campagne ontarienne une permanence, une stabilité bien anglaises. Ce thème figurerait d’ailleurs souvent dans les discours de son propre fils, qui allait devenir premier ministre de la province après la victoire électorale des Fermiers unis de l’Ontario en 1919. Pour Charles Alfred Drury, la stabilité sociale, le bon ordre de la communauté passaient par la tempérance, et c’était l’une des causes qu’il défendait avec passion. Il y tenait tant qu’il rompit avec l’anglicanisme de sa famille pour embrasser le méthodisme, qui mettait de l’avant la régénérescence sociale. Par ses valeurs et ses intérêts, par ses antécédents, son instruction et sa relative aisance financière, Drury représentait une classe de petits propriétaires terriens progressistes que l’on jugeait supérieurs aux simples fermiers, opinion qui laisse entendre que le milieu agricole n’était pas tout à fait aussi monolithique que beaucoup le prétendent.

Réformiste, Drury critiquait le protectionnisme de la Politique nationale des conservateurs et la conduite censément scandaleuse de leur chef, sir John Alexander Macdonald*. Aux élections fédérales de juin 1882, il se porta candidat dans Simcoe North, mais fut battu par D’Alton McCarthy*, ancien avocat de Barrie. Il revint vite à la charge en se présentant à l’élection partielle provinciale qui se tint dans Simcoe East en octobre. Après son entrée à l’Assemblée législative, ses adversaires lui firent le compliment de dire qu’il avait mérité sa victoire parce qu’il ne se contentait jamais d’être le porte-parole des hautes instances de son parti. En cette occasion, et de nouveau à sa réélection en 1883, on aurait pu croire que son rang dans la collectivité et le respect qu’il inspirait à tous parce qu’il défendait les intérêts du comté de Simcoe le plaçaient au-dessus de la mêlée. Pourtant, il perdit son siège en 1885. Il remporta tout de même aisément le scrutin complémentaire qui eut lieu plus tard pendant l’année et gagna à nouveau aux élections générales de 1886.

Moins de deux ans après, le fait d’être de plus en plus en évidence eut pour Drury un résultat bénéfique. Le 1er mai 1888, le premier ministre Oliver Mowat le nomma ministre de l’Agriculture ; ce nouveau portefeuille remplaçait le poste (non ministériel) de commissaire de l’agriculture. Convaincus que l’agriculture avait droit à une place plus importante au cabinet – après tout, la population rurale de la province était environ trois fois plus nombreuse que la population urbaine –, les militants du secteur agricole réclamaient depuis longtemps la création d’un département. Les conservateurs, eux, dénoncèrent avec force la nomination d’un ministre, n’y voyant qu’une manœuvre coûteuse dont Mowat espérait tirer des avantages politiques. Un journal important, le Farmer’s Advocate and Home Magazine, de London, n’avait que faire de leur avis : il déclara que Drury méritait le poste, étant donné son engagement en faveur de l’agriculture, le jugement dont il faisait preuve à l’Assemblée et le talent avec lequel il participait aux débats parlementaires.

Modestement, Drury voulait, en tant que ministre, pratiquer sur une plus grande échelle les méthodes de travail qu’il avait employées jusque-là : dans toute la mesure du possible, il irait rencontrer les fermiers aux foires agricoles et aux réunions des Farmers’ Institutes et, quand viendrait le moment d’arrêter une politique, il ferait appel à l’assistance de la presse agricole et des meilleurs hommes du milieu rural., Entre autres choses, il recommanda des réformes en vue d’améliorer et de faire connaître le collège d’agriculture et la ferme de Guelph après qu’une visite ministérielle en 1888 eut révélé leur piètre état. Par suite de ses recommandations, on institua un programme de licence ès sciences en agriculture.

Même si Drury paraissait appuyer sans réserve la professionnalisation du secteur agricole, il n’était pas toujours disposé à accepter l’ordre nouveau. Ainsi, lorsque des vétérinaires qualifiés réclamèrent que son département pénalise les guérisseurs, il refusa en faisant valoir que, parfois, ces amateurs avaient plus de succès dans le traitement du bétail que les plaignants [V. Andrew Smith]. Cependant, il suivait de près les changements qui se produisaient sur la scène rurale et encourageait vivement les fermiers à faire preuve d’un esprit novateur en cultivant de la luzerne et d’autres plantes potentiellement rentables. L’industrie laitière, qui commençait alors à prendre de l’expansion, lui semblait devoir faire une plus grande place à l’expérimentation. En outre, il préconisait une plus forte représentation des agriculteurs aux manifestations d’outre-mer, par exemple la Colonial and Indian Exhibition qui se tint à Londres en 1886. Selon lui, les producteurs ontariens auraient ainsi l’occasion de mieux faire connaître leurs succès et de mieux affronter la concurrence internationale, qui se faisait de plus en plus vive.

La défaite de Charles Alfred Drury aux élections générales de juin 1890 mit brusquement fin à sa carrière de ministre. Même si, dans certains cercles de l’opposition, on lui reconnaissait encore le mérite de ne pas suivre servilement la ligne de son parti, le Northern Advance, de Barrie, avait critiqué en mai son rendement au Parlement ; de plus, il soutenait que ses liens avec Mowat, au sujet de qui couraient des rumeurs de corruption, avaient « terni le lustre » de sa réputation et éloigné bon nombre de ses partisans. Cette déclaration se révéla juste : Drury étant jugé impopulaire, aucun député libéral n’était prêt à se désister pour lui permettre de se représenter. De toute façon, semble-t-il, il lorgnait déjà le poste de shérif du comté de Simcoe, et certains observateurs croyaient que Mowat le lui donnerait, ne fût-ce que comme prix de consolation. En fait, ce fut un fidèle du parti, à qui on l’avait promis, qui eut le poste en 1890, et Drury dut attendre jusqu’au 22 juin 1894 pour l’obtenir. Ce serait son dernier poste public. Il cessa d’exercer ses fonctions à Barrie seulement quelques jours avant de sombrer dans un coma diabétique et de mourir, au début de 1905.

Charles M. Johnston

Des renseignements relatifs à la famille sont tirés des documents en possession des membres de la famille Drury, de Barrie, en Ontario.  [c. m. j.]

AO, F 7, MU 955 ; RG 22, Ser. 315, no 5123 ; RG 80-5, nos 1877-009965, 1889-011310.— Simcoe County Arch. (Minesing, Ontario), Grace Chappell, entrevues avec E. C. Drury, 1965 ; Commission appointing Charles Drury minister of agriculture of the province of Ontario, 1er mai 1888.— Farmer’s Advocate and Home Magazine, avril 1887, juill., déc. 1888, avril 1889.— Globe, 13 janv. 1905 : 8.— Northern Advance (Barrie), 19 avril 1877, 25 mai, 26 oct. 1882, 14 mai 1890, 19 janv. 1905.— Canadian album (Cochrane et Hopkins), 4.— CPG, 1889.— E. C. Drury, Farmer premier : memoirs of the Honourable E. C. Drury (Toronto et Montréal, 1966).— A. F. Hunter, A history of Simcoe County (2 vol., Barrie, 1909 ; réimpr., 2 vol. en 1, 1948), 2.— C. M. Johnston, E. C. Drury : agrarian idealist (Toronto, 1986) ; « A motley crowd » : diversity in the Ontario countryside in the early twentieth century », Canadian papers in rural history, D. H. Akenson, édit. (8 vol. parus, Gananoque, Ontario, 1978–  ), 7 : 237–256.— M. J. MacLeod, « Agriculture and politics in Ontario since 1867 » (thèse de ph.d., London School of Economics and Political Science, Londres, 1962).— Ontario, Chief Election Officer, Hist. of electoral districts (1960) ; Dept. of Agriculture, Annual report (Toronto), 1888–1889 ; Statutes, 1888, c.8.— A. M. Ross, The college on the hill : a history of the Ontario Agricultural College, 1874–1974 (Vancouver, 1974).

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Charles M. Johnston, « DRURY, CHARLES ALFRED », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/drury_charles_alfred_13F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
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