Provenance : Lien
DARLING, FRANK, architecte, né le 17 février 1850 dans le canton de Scarborough, Haut-Canada, fils de William Stewart Darling, ministre de l’Église d’Angleterre, et de Jane Parsons ; décédé célibataire le 19 mai 1923 à Toronto.
Fils aîné du rector de Scarborough puis de l’église Holy Trinity à Toronto, Frank Darling étudia à l’Upper Canada College de Toronto et à la Trinity College School Weston (Toronto). En 1866, après avoir été un moment caissier dans une banque, il entama son apprentissage au cabinet des architectes Thomas Gundry et Henry Langley*. À la fin de 1869 ou au début de 1870, il quitta Toronto pour Londres, où il aurait pour maître l’un des plus grands architectes de l’époque, George Edmund Street. Avant son retour en 1873, il passa aussi une courte période à travailler avec Arthur William Blomfield. Ce séjour en Grande-Bretagne eut sur lui une influence déterminante. De Street, il apprit que les principes de l’architecture gothique pouvaient servir de base à l’architecture moderne. Au contact de trois élèves de Street – Richard Norman Shaw, William Eden Nesfield et Philip Speakman Webb –, il vit comment on pouvait adapter habilement des formes anciennes aux exigences de la vie contemporaine.
Darling se lança dans la pratique privée à Toronto en 1873 en s’associant à Henry Macdougall. Ses premières commandes venaient des anglicans de la ville et comprenaient entre autres les églises St Matthias (1873–1874), St Thomas (1874) et St Luke (1881) de même que la salle d’assemblée (1877) et la chapelle (1884) du Trinity College. Pour ces ouvrages, Darling utilisa surtout de la brique et opta pour une manière proche de celle de Street, Shaw et Nesfield. D’autres réalisations montrent sa constance dans l’expérimentation artistique : le Home for Incurables, construit de 1879 à 1881, est un exercice d’éclectisme à la manière de Shaw et le Victoria Hospital for Sick Children (1889) révèle l’influence de l’Américain Henry Hobson Richardson.
En 1880, Darling, alors associé à Samuel George Curry (natif de Port Hope), avait présenté, au concours tenu en prévision de la construction du nouvel Hôtel du Parlement de l’Ontario, un plan modelé sur celui que Street avait fait pour le palais de justice à Londres. Bien qu’il se soit classé premier, des reports d’échéances et des tractations de coulisse empêchèrent l’exécution de son projet [V. Kivas Tully*]. Néanmoins, le concours le fit connaître et lui donna en 1885 la chance de réaliser quelque chose de nouveau : une succursale de la Banque de Montréal à Toronto. Le terrain obtusangle, situé à l’intersection des rues Front et Yonge, présentait des difficultés. Darling se tira d’affaire de façon magistrale en exécutant un essai dans le mode classique, en vogue depuis peu : derrière une façade en pierre soigneusement ornementée, un imposant hall surmonté d’un dôme en verre [V. Joseph McCausland*]. Élégante et fonctionnelle, la banque accrut la notoriété de Darling. Elle annonçait la faveur dont l’architecture publique à caractère monumental jouirait partout en Amérique du Nord dans les premières décennies du xxe siècle.
Après 1885, le Toronto Club (1888) et l’agrandissement du Trinity College s’ajoutèrent au Victoria Hospital dans le carnet de commandes de Darling. En 1892, l’architecte prit comme associé l’un de ses collaborateurs sur le chantier de l’hôpital, John Andrew Pearson* ; formé en Grande-Bretagne, celui-ci travaillerait avec lui jusqu’à la fin de sa carrière. La période la plus féconde de Darling commença en 1898, soit l’année où la Banque canadienne de commerce fit appel à ses services pour concevoir des succursales à Winnipeg et à Toronto. À l’instar de ses concurrentes, la Banque de commerce voyait dans l’architecture un moyen efficace de promouvoir son image. Darling dessinerait des dizaines de succursales pour la Banque de commerce ainsi que pour la Banque métropolitaine, la Sterling Bank, la Dominion Bank, la Banque Union et la Banque de la Nouvelle-Écosse. La plupart des édifices de la Banque de commerce avaient des façades en pierre et en brique. D’une allure imposante, ils s’inscrivaient dans un style classique : baroque anglais ou École des beaux-arts. Ils comprenaient aussi bien d’imposantes structures avec colonnes gigantesques et entablements massifs en pierre – c’était le cas des succursales de Montréal (1903–1908), de Vancouver (1906–1908) et de Winnipeg (1910–1912) – que de jolis pavillons adaptés aux besoins de petites localités et de quartiers urbains. Un charme particulier se dégageait de la série de succursales à charpente de bois préfabriquée qui furent installées dans des localités pionnières de tout l’Ouest. Ces bâtiments furent produits, expédiés et érigés par la British Columbia Mills, Timber and Trading Company [V. John Hendry*]. Ses travaux pour la Banque de commerce apportèrent à Darling la réussite du point de vue social et financier et lui permirent d’avoir des protecteurs, surtout au sein d’un petit cercle d’hommes d’affaires torontois. Outre George Albertus Cox* et Byron Edmund Walker, tous deux présidents de la Banque de commerce, ce groupe comprenait un ami d’enfance de Darling, Edmund Boyd Osler, président de la Dominion Bank, de même que Joseph Wesley Flavelle*, producteur de viandes préparées, pour qui il dessina une maison à Queen’s Park (1901–1902). Dans la même période, Darling remplit d’autres commandes importantes : la salle d’assemblée de la University of Toronto (1904–1907), le Musée royal de l’Ontario (1909–1914), le Toronto General Hospital (1909–1913), la Winnipeg Grain and Produce Exchange (1909–1910), de nouveaux édifices pour la Dalhousie University à Halifax (1912–1915) et le siège social de la Compagnie canadienne d’assurance sur la vie, de Montréal, dite du Soleil (1916–1918).
De par son ampleur, cette production eut un impact énorme sur le paysage urbain du Canada. En un temps où bon nombre d’hommes d’affaires préféraient confier leurs commandes prestigieuses à des architectes américains, l’architecture bancaire de Darling se distinguait par son équilibre entre les tendances anglaises et nord-américaines. Dans bien des cas, il adapta son langage typiquement classique à des conditions particulières ; ainsi, il multiplia les motifs romans sur le campus de la University of Toronto. Grâce à l’attention qu’il portait à la conception, à sa maîtrise artistique et à ses critères élevés d’exécution, il gagna l’admiration de ses pairs. Il devint membre de l’Académie royale des arts du Canada en 1886, président de l’Ontario Association of Architects en 1895 et administrateur de la Toronto Guild of Civic Art en 1907. Darling affirmait détester les querelles entre collègues mais, en tant que président, il participa aux pressions exercées (sans succès) par l’Ontario Association of Architects en vue d’obtenir l’enregistrement obligatoire, formalité qui ne faisait pas l’unanimité parmi les architectes. Sa popularité ne déclina cependant pas ; au contraire, il était de plus en plus réputé pour ses réalisations audacieuses. Nommé en 1913 à la commission de planification fédérale pour Ottawa et Hull, il reçut deux ans plus tard la médaille d’or du Royal Institute of British Architects (il était le seul architecte canadien à recevoir cette distinction) ainsi que des doctorats honorifiques de la University of Toronto en 1916 et de la Dalhousie University en 1922. Ses clients aussi le tenaient en haute estime. À la Dalhousie University, pour laquelle il continuait de travailler – il réalisa notamment le Shirreff Hall, construit en 1920–1921 [V. Jennie Grahl Hunter Shirreff] –, il se montrait, selon Peter Busby Waite, historien de l’université, « ingénieux, conciliant, attentif aux conditions locales et, surtout, prêt à écouter les suggestions ». Un de ses amis intimes, l’architecte C. Barry Cleveland, soutenait qu’il défendait des « [procédés] absolument honnêtes en affaires ».
En Darling s’alliaient un charme discret et des goûts raffinés. Un biographe a dit de lui : « Il avait la tolérance de qui a bon caractère et savait à l’occasion lancer une expression mordante. Piètre conteur mais bon auditeur, il était à la fois sympathique et spirituel, surtout quand on le poussait à exercer ses talents de critique d’architecture. » Sa collection d’eaux-fortes et autres gravures était riche en portraits du xviie siècle français. Dans sa bibliothèque d’architecture, les modernistes et paysagistes du xxe siècle étaient aussi bien représentés que des auteurs plus anciens, adeptes d’un retour aux sources. Il jouait au golf avec passion et appartenait à divers clubs. En politique, il était conservateur. Célibataire endurci, il montra une loyauté indéfectible à sa famille et à ses amis. Sa mère, veuve, vécut avec lui dans ses dernières années (elle mourut en 1909). Il portait un intérêt particulier à ses neveux et nièces. Lui qui regrettait beaucoup de ne savoir parler ni le français ni l’allemand légua par testament une somme destinée à pourvoir à l’instruction d’un petit-neveu, particulièrement dans les « langues modernes ». Estimée à plus de 183 000 $, sa succession irait en grande partie à des membres de sa famille, à ses domestiques et à son chauffeur, ainsi qu’à John Andrew Pearson. En outre, son testament pourvoyait au logement et aux besoins financiers d’une vieille connaissance de Scarborough et de sa fille, qui était séparée. Affligé d’une piètre santé depuis huit mois (il souffrait de problèmes cardiaques), Darling mourut en mai 1923 dans sa maison du 11, chemin Walmer. Il fut inhumé dans le lot familial au cimetière St John de Norway (Toronto).
Frank Darling avait fui la controverse et n’avait guère écrit. Ce furent d’autres personnes qui vantèrent son œuvre architecturale. Le critique et professeur Percy Erskine Nobbs* y voyait une confirmation de sa propre conviction selon laquelle l’architecture canadienne ne pouvait trouver son originalité qu’en puisant à la fois dans la culture architecturale de la Grande-Bretagne et dans celle des États-Unis, et en portant une attention soutenue aux besoins locaux. Telle avait été la méthode de Darling. À une époque où l’architecture était en pleine effervescence, il manifesta une aptitude exceptionnelle à combiner en un tout unifié (sans copier) des idées, matériaux et techniques venus de Londres, de New York et de Chicago. Certains de ses édifices, par exemple la Banque de la Nouvelle-Écosse à Winnipeg (1907–1908), présentent une hybridité qui témoigne de la complexité des tendances à l’œuvre dans la vie intellectuelle et culturelle du Canada dans la période antérieure à la Première Guerre mondiale. Marqués par un traditionalisme progressiste, un mélange de références et un équilibre entre le nouveau et l’ancien, les nouveaux édifices du Parlement d’Ottawa (1916–1927), conçus par Pearson et Jean-Omer Marchand*, reflètent l’énorme influence de Darling et de ses collaborateurs. En adaptant le goût du jour aux vœux de sa clientèle, Darling contribua à l’indépendance de l’architecture canadienne et ouvrit la voie aux architectes – John MacIntosh Lyle*, entre autres – qui dans les années 1920 exploreraient des thèmes canadiens de manière créatrice.
L’allocution de Frank Darling à titre de président de l’Ontario Association of Architects figure dans Canadian Architect and Builder (Toronto), 9 (1896), nº 2 : 17–19.
AO, RG 22-305, nº 47775 ; RG 80-8-0-910, nº 4200.— BAC, RG 31, C1, 1901, Toronto, Ward 4, div. 2 : 7 (mfm aux AO).— Univ. of Waterloo Library, Doris Lewis Rare Book Room (Waterloo, Ontario), William Dendy, « Frank Darling, 1880–1923, Canadian architect » (texte dactylographié avec gravures, 1979).— Globe, 21–22 mai 1923.— E. [R.] Arthur, Toronto, no mean city ([Toronto], 1964 ; 3e éd., rév. par S. A. Otto, 1986).— James Borcoman et al., l’Or et la Pierre (catalogue d’exposition, Centre canadien d’architecture, Montréal, 1990).— Canadian annual rev., 1913 : 333 ; 1916 : 797 ; 1921 : 241.— Kelly Crossman, Architecture in transition : from art to practice, 1885–1906 (Kingston, Ontario, et Montréal, 1987).— William Dendy, Lost Toronto (Toronto, 1978).— William Dendy et al., Toronto observed : its architecture, patrons, and history (Toronto, 1986).— M. E. et Merilyn McKelvey, Toronto, carved in stone (Toronto, 1984).— G. E. Mills et D. W. Holdsworth, « The B.C. Mills prefabricated system : the emergence of ready-made buildings in western Canada », Lieux historiques canadiens : cahiers d’archéologie et d’histoire (Ottawa), nº 14 (1975) : 127–169.— Musée des beaux-arts du Canada, Art canadien, C. C. Hill et al., édit. (2 vol., Ottawa, 1988–1994), 1 : 254.— Geoffrey Simmins, Ontario Association of Architects : a centennial history, 1889–1989 (Toronto, 1989).— David Spector, « The buildings of the Winnipeg-based Union and Northern Crown banks : a glimpse into early twentieth century corporate architecture », Manitoba Hist. (Winnipeg), nº 21 (printemps 1991) : 25–31.— Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell).— Toronto Region Architectural Conservancy, Terra cotta – artful deceivers (Toronto, 1990).— P. B. Waite, The lives of Dalhousie University (2 vol., Montréal et Kingston, 1994–1998), 1.
Kelly Crossman, « DARLING, FRANK », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 16 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/darling_frank_15F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/darling_frank_15F.html |
Auteur de l'article: | Kelly Crossman |
Titre de l'article: | DARLING, FRANK |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 16 nov. 2024 |