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BAKER, JOHN (baptisé John Gray), esclave noir, ouvrier et soldat, né au début des années 1780 dans la province de Québec, fils de Dorinda (Dorine) ; décédé le 17 janvier 1871 à Cornwall, Ontario, et inhumé dans cette ville au cimetière de l’église anglicane Trinity.
John Baker naquit avec le statut d’esclave au début des années 1780, un jour de Noël, dans la province de Québec. Le nom de famille Gray, qui figure sur son acte de baptême de 1786, était celui de son propriétaire. Il était le fils d’une esclave noire, Dorinda, et d’un homme blanc dont on ignore l’identité. (Dans ses vieux jours, John se rappellerait seulement que son père « était un Hollandais ».) Lorsque John était très jeune, sa mère épousa un colon allemand, Jacob Baker, et John en vint à adopter le nom de famille de son beau-père.
Conformément à la loi et à la pratique régissant l’esclavage, les enfants des femmes noires asservies héritaient du statut de leur mère. John, sa mère et son frère aîné, Simon, étaient les esclaves du major James Gray et de sa femme, Elizabeth. À la suite du déclenchement de la guerre d’Indépendance américaine en 1775, le major Gray, qui combattit avec le King’s Royal Regiment de New York [V. sir John Johnson*], s’installa dans la province de Québec avec sa famille. Comme beaucoup d’autres loyalistes qui migrèrent vers le nord, les Gray emmenèrent avec eux des Noirs qu’ils avaient asservis dans les Treize Colonies.
En 1792, le major Gray fut nommé lieutenant du comté de Stormont, à l’extrémité est de la province du Haut-Canada créée depuis peu. Les Gray résidaient à New Johnstown (Cornwall) dans une propriété de 1 200 acres, où ils tenaient Dorinda et ses enfants en esclavage. À la mort du major Gray en 1795, les esclaves de ce dernier devinrent la propriété de son seul fils, Robert Isaac Dey Gray*, premier solliciteur général du Haut-Canada. Celui-ci finirait par garder en esclavage non seulement Dorinda, John et Simon, mais aussi les six enfants que Dorinda eut avec Jacob Baker.
Dès son plus jeune âge, John, en tant qu’esclave, dut vraisemblablement effectuer des corvées, comme nourrir les animaux et ramasser du bois de chauffage. Il aida certainement sa mère et leur propriétaire Elizabeth Gray à aller chercher et préparer les aliments, nettoyer la résidence, récolter les fruits et les légumes du potager, filer la laine, fabriquer les chandelles, coudre les vêtements et les couvertures, et couper le bois. Une fois plus âgés, John et Simon travaillèrent aussi en tant que serviteurs personnels du major Gray et de son fils, Robert.
Le major Gray punissait durement John et Simon. John en témoignerait ainsi : « Il était strict et sévère ; il nous obligeait à porter des chemises et des vestes en peau de cerf et nous donnait souvent des coups de fouet. À ces moments-là, il retirait ma veste et le fouet à lanières de cuir brut volait très vite autour de mes épaules. » Les deux frères, considérés d’un point de vue juridique comme la propriété de Gray plutôt que les enfants de leur mère, n’avaient aucun recours contre les violences physiques qu’ils subissaient.
John et Simon partirent avec le solliciteur général Gray quand il s’installa à York (Toronto), nouvelle capitale, quelque temps après l’approbation de sa nomination au sein du gouvernement colonial en mai 1795. John accomplissait alors de nombreuses tâches pour son maître : il s’occupait notamment du nettoyage, de la lessive, de la préparation de son bain et de son rasage. Il entretenait aussi les chevaux de Gray, veillant à ce qu’ils soient bien soignés et nourris. À titre d’assistant personnel de Gray, John l’accompagnait dans ses voyages d’affaires pour transporter ses bagages et l’aider de toutes les manières possibles. Avant de quitter York, John avait exercé ces mêmes fonctions pour le neveu d’Elizabeth Gray, Jacob Farrand, qui l’avait sans doute emprunté à cette fin.
Dans la nuit du 7 au 8 octobre 1804, le solliciteur général Gray et Simon se noyèrent quand la goélette Speedy coula avec tous ses occupants lors d’une tempête sur le lac Ontario. Dans son testament, Gray avait ordonné de libérer de l’esclavage Dorinda et ses enfants. John reçut 200 acres de terre (le lot 17 de la deuxième concession du canton de Whitby) et £50. Dorinda se vit léguer un fonds en fiducie de £1 200. Simon, s’il avait survécu, aurait reçu 200 acres de terre (le lot 11 de la première concession du canton de Whitby), un don de £50, des vêtements et une montre en argent. Des années plus tard, John déclarerait : « Nous avons reçu une partie de l’argent qu’il nous a légué, mais pas beaucoup. »
John Baker était devenu un homme libre. Sur cette période de sa vie, il raconterait : « Il y avait une vingtaine de maisons à Toronto à l’époque. Je suis allé chez le juge Powel [probablement la résidence de William Dummer Powell*] et j’y suis resté pendant six mois. » Baker s’enrôla ensuite dans le New Brunswick Fencibles de l’armée britannique [V. sir Martin Hunter*], qui recrutait à York, et partit au Nouveau-Brunswick pour s’entraîner et commencer son service. Ce régiment, connu à partir de 1810 sous le nom de 104th (New Brunswick) Regiment of Foot, comptait une unité de pionniers entièrement composée de soldats noirs, au nombre de dix environ. Ces hommes effectuaient divers travaux de construction spécialisés, comme le défrichage et la construction de routes, l’édification de ponts, ainsi que la réparation de tranchées et de fortifications.
Lorsque la guerre de 1812 éclata, on sollicita le 104th (New Brunswick) Regiment of Foot pour contribuer à la défense du Haut-Canada. Au cours de l’hiver de 1812–1813, le soldat Baker et son régiment réalisèrent un difficile voyage de 52 jours et 700 milles par voie terrestre, de Fredericton à Kingston, dans le Haut-Canada, pour aider à défendre le fleuve Saint-Laurent contre les attaques américaines. Ce fut un hiver rude avec d’abondantes chutes de neige. Plusieurs témoignages rapportèrent que les hommes souffrirent terriblement durant le périple. Le 19 mai 1813, l’unité mena un raid contre Sackets Harbor, dans l’État de New York, afin d’affaiblir la flotte de la marine américaine qui y était stationnée. Après avoir tenu garnison à Kingston pendant 14 mois, plusieurs unités du 104th (New Brunswick) Regiment of Foot, dont celle de Baker, se rendirent à la frontière du Niagara, où elles prirent part à la bataille de Lundy’s Lane [V. sir Gordon Drummond*] le 15 juillet, et au siège du fort Erie en août et en septembre.
Baker fut blessé au combat – on ne sait pas si cela se produisit à Sackets Harbor ou à Lundy’s Lane –, mais il se rétablit et resta en service actif. Après la fin de la guerre de 1812 en Amérique du Nord, il partit outre-mer avec un autre régiment de l’armée britannique et participa à la bataille de Waterloo (Belgique) le 18 juin 1815. De nombreuses années plus tard, il affirmerait : « J’ai vu Napoléon. C’était un petit bonhomme trapu ; il galopait à grande vitesse et sautait par-dessus les fossés. » Baker aimait servir dans l’armée. En 1868, alors assez âgé, il fit la réflexion suivante : « Si j’étais jeune et souple, je serais toujours dans l’armée ».
Après sa démobilisation, Baker retourna à Cornwall et retrouva sa mère, son beau-père, ses demi-sœurs Lovina, Margaret, Jane, Bridget Glennie et Elizabeth ainsi que son demi-frère Jacob. À un certain moment, Baker épousa une prénommée Hannah. Il travailla comme ouvrier non qualifié, effectuant entre autres divers petits travaux pour le propriétaire d’une entreprise locale. « Pendant les quelques dernières années de sa vie, on le voyait quotidiennement boiter jusqu’au magasin de feu P. E. Adams, sur la rue Pitt, et une fois arrivé, il s’assoyait dans un coin particulier du magasin, où, dit-on, le plancher était usé à l’endroit où ses pieds reposaient », écrivit l’auteur Jacob Farrand Pringle. Dans ses vieux jours, Baker s’adonna à la sculpture sur bois comme passe-temps. Il dut attendre 1861 pour finalement recevoir sa pension de guerre, puis il obtint du gouvernement britannique un shilling sterling par jour jusqu’à sa mort.
En 1867, Baker remplit son devoir civique en témoignant dans l’affaire Morris c. Henderson, entendue par la Cour d’assises d’Ottawa. On lui demanda d’attester que deux personnes concernées par le procès étaient mortes plusieurs années auparavant. L’Ottawa Times, qui couvrit sa comparution, le décrivit alors comme étant « peut-être le dernier esclave canadien toujours en vie » et aborda ses expériences comme esclave et comme soldat pendant la guerre de 1812. L’année suivante, Baker accorda une entrevue à l’avocat torontois James Cleland Hamilton, dans le cadre d’un article du Telegraph de Toronto publié le 15 décembre 1869. Le vétéran y dévoilait des détails sur sa vie, notamment sa naissance dans la province de Québec, la généalogie de sa famille, son travail forcé pour les Gray et les punitions qu’ils lui avaient infligées, la mort de Simon et du solliciteur général Gray, son affranchissement et son service militaire. Cet entretien constitue l’un des deux seuls récits de première main connus de personnes noires réduites en esclavage pendant leur enfance dans le Haut-Canada. (L’autre est celui de Sophia Burthen (Pooley), esclave de Joseph Brant [Thayendanegea*] et sa femme Catharine [Ohtowaˀkéhson*]).
Après une longue vie, John Baker s’éteignit le 17 janvier 1871 et fut inhumé au cimetière de l’église anglicane Trinity, à Cornwall. D’esclave à homme libre, de serviteur à soldat et de vétéran à aîné de sa communauté, il eut un parcours personnel qui se distingue de celui des autres Noirs réduits en esclavage dans le Haut-Canada.
Arch. Of Ontario (Toronto), F 978 (Church records coll.), Williamstown – St Andrew’s Presbyterian Church, Reg. of baptisms and marriages, 1779–1810, John Gray, 8 mai 1786 (accessible à heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_c3030, image 343) ; RG 22-155-0-696 (Gray, Robert I. D., estate file, 19 mars 1804 ; accessible à www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3Q9M-CSDM-JQJM-P?cat=218510&i=222).— Bibliothèque et Arch. Canada (Ottawa), R233-30-3, vol. 49–157, Canada Ouest (Ontario), dist. Stormont (comté) (36), sous-dist. Cornwall (350) : 53.— Freeholder (Cornwall, Ontario), 11 nov. 1851.— Ottawa Times, 2 mai 1867.— Toronto Telegraph, 15 déc. 1869.— Patrick Campbell, Travels in the interior inhabited part of North America in the years 1791 and 1792 […] (Édimbourg, 1793).— J. C. Hamilton, « The African in Canada », American Assoc. for the Advancement of Science, Proc. (Philadelphia), 38 (1890) : 364–370 ; « The Maroons of Jamaica and Nova Scotia », Canadian Instit., Proc. (Toronto), nouv. sér., 7 (1890) : 260–269 ; Osgoode Hall : reminiscences of the bench and bar (Toronto, 1904).— Natasha Henry-Dixon, « One too many : the enslavement of Black people in Upper Canada, 1760–1834 » (thèse de ph.d., York Univ., Toronto, 2023).— J. F. Pringle, Lunenburgh or the old Eastern District, its settlement and early progress, with personal recollections of the town of Cornwall, from 1824 […] (Cornwall, 1890 ; réimpr. Belleville, Ontario, 1972).— « Mapping the march of the 104th (New Brunswick) Regiment of Foot », préparé par W. E. Campbell pour la St John River Soc. (Saint John, 2011 ; exemplaire au DCB).— Merry hearts make light days : the War of 1812 journal of Lieutenant John Le Couteur, 104th Foot, D. E. Graves, édit. (Ottawa, 1993).— W. A. Squires, The 104th Regiment of Foot (the New Brunswick Regiment), 1803–1817 (Fredericton, 1962).— J. L. Summers et René Chartrand, « The 104th (New Brunswick) Regiment of Foot, 1803–1817 », dans Military uniforms in Canada, 1665–1970 (Ottawa, 1981), 63–64.
Natasha Henry-Dixon, « BAKER, JOHN (baptisé John Gray) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 25 mars 2025, https://www.biographi.ca/fr/bio/baker_john_10F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/baker_john_10F.html |
Auteur de l'article: | Natasha Henry-Dixon |
Titre de l'article: | BAKER, JOHN (baptisé John Gray) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la révision: | 2025 |
Date de consultation: | 25 mars 2025 |