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HALE, HORATIO EMMONS, philologue, ethnologue, auteur et homme d’affaires, né le 3 mai 1817 à Newport, New Hampshire, fils de David Hale, avocat, et de Sarah Josepha Buell ; en 1854, il épousa à Jersey City, New Jersey, Margaret Pugh, du canton de Goderich, Haut-Canada, et ils eurent deux fils et une fille ; décédé le 28 décembre 1896 à Clinton, Ontario.
Horatio Emmons Hale était le fils d’une journaliste et rédactrice en chef réputée pour sa défense des droits des femmes. La famille Hale comptait plusieurs avocats, et lui-même allait embrasser cette profession. Après la mort subite de son mari en 1822, Sarah Hale assura la subsistance de ses cinq enfants en écrivant et, fidèle à la tradition de la Nouvelle-Angleterre, elle leur donna une solide formation. Horatio, qui avait manifesté un intérêt précoce pour les Indiens et du talent pour les langues, fut admis à l’âge de 16 ans au Harvard College, en langues et littérature orientales.
En avril de sa première année au collège, il étudia une langue inconnue des érudits, à un jet de pierre de la cour de Harvard : ce devait être son premier travail sur le terrain. Il enregistra le vocabulaire d’un dialecte algique du Maine en rencontrant des autochtones qui hivernaient dans le voisinage de Cambridge. Puis, en suivant l’orthographe du philologue John Pickering, il intégra cette langue à un tableau comparatif des dialectes algiques connus et conclut qu’il s’agissait d’un dérivé du micmac. Dans une imprimerie des environs, il fit lui-même la composition du livre qui faisait état de ses découvertes, Remarks on the language of the St. John’s or Wlastukweek Indians, with a Penobscot vocabulary, paru à Boston en 1834, et il en tira 50 exemplaires qu’il distribua à des amis.
Cette première publication attira l’attention des linguistes, si bien qu’après avoir obtenu son diplôme en 1837 Hale fut nommé philologue de l’expédition américaine d’exploration qui se rendait dans le Pacifique sous le commandement du capitaine Charles Wilkes. Pendant ce mémorable voyage, qui dura de 1838 à 1842, Hale nota le vocabulaire et esquissa la grammaire de plusieurs dialectes océaniens. Dans la dernière année de l’expédition, il débarqua sur le territoire de l’Oregon afin de dresser le portrait de la diversité ethnique et linguistique des peuples autochtones qui vivaient sur la côte ouest, de la Californie à la Colombie-Britannique. Son travail lui valut l’admiration d’américanistes comme Abraham Alfonse Albert Gallatin et, par la suite, Franz Boas*, qui écrirait en 1897 : « Son génie pour la recherche linguistique ne s’est manifesté nulle part avec autant d’évidence que dans sa remarquable étude des langues complexes du nord-ouest de l’Amérique. »
De retour à Philadelphie où habitait sa mère, Hale, qui touchait encore un salaire du gouvernement, s’empressa de mettre de l’ordre dans ses notes et entreprit la rédaction de son rapport sur l’expédition. Il termina son manuscrit avant ses collègues puis, laissant à sa mère le soin d’en corriger les épreuves, s’embarqua (probablement en 1843) pour l’Europe, où il voyagea jusqu’en 1853. Son document, intitulé Ethnography and philology, parut à Philadelphie en 1846, soit avant les autres rapports scientifiques de l’expédition et deux ans après le récit en cinq volumes de Wilkes. Les 300 exemplaires de cette monographie de près de 700 pages furent bientôt épuisés. Elle récolta immédiatement les louanges de savants des États-Unis et d’Europe, dont les Américains Asa Gray et Daniel Garrison Brinton, et Max Müller d’Oxford.
Hale ne rechercha ni n’obtint de haute fonction universitaire ; il se tourna plutôt vers l’étude du droit. Suivant le mouvement qui menait ses contemporains vers l’ouest, il s’installa à Chicago et, en 1855, on l’admit au barreau de l’Illinois. Entre-temps, il avait épousé une Canadienne, Margaret Pugh. En 1856, le couple s’établit sur les terres que la famille Pugh possédait près du village de Clinton, dans le Haut-Canada. Hale devint régisseur du domaine de son beau-père, William Pugh. Comme il croyait que ce travail lui « prendrait peu de temps », il avait laissé la plus grande partie de sa bibliothèque à Philadelphie. Mais Clinton, érigé en municipalité en 1858, prit de l’expansion et gagna peu à peu sur les terres de la famille Pugh. Hale avait désormais trop à faire pour s’en aller ou regagner Philadelphie. Il transforma le domaine en une entreprise de translation de propriétés et y fit tracer des rues auxquelles, fidèle à ses inclinations, il donna des noms d’écrivains : Addison, Cowper, Milton et Newton. Une florissante raffinerie de sel s’ouvrit à un mille à l’est de la municipalité. En 1875, Hale convainquit la London, Huron and Bruce Railway Company de prolonger sa ligne de chemin de fer jusqu’à Clinton. Comme il passait le plus clair de son temps à rédiger des actes de cession, à agir en qualité d’exécuteur testamentaire et à jouer le rôle d’agent d’assurances, on croit qu’il ne pratiqua pas le droit à titre d’avocat dans le Haut-Canada. Plus tard, un ancien greffier du comté allait le décrire comme un « homme d’une taille inférieure à la moyenne [qui] portait une perruque, se comportait toujours en gentleman [...] et versait des dons à l’église anglicane St Paul, qu’il fréquentait rarement ». Le citoyen moyen de Clinton aurait été stupéfié d’apprendre que la municipalité abritait un savant de réputation internationale.
La contribution de Hale à la vie municipale ne fut pas négligeable. À titre de président du conseil scolaire local, il fit ouvrir une high school pour garçons et filles et obtint des subventions provinciales pour l’enseignement secondaire. Il participa en outre à la fondation d’un institut d’artisans dont il fut président. Ces initiatives reflètent les prises de position de sa mère en faveur de l’accès des femmes à l’instruction supérieure.
La rencontre de locuteurs iroquois à Brantford, près de Clinton, et la découverte de sources huronnes-wyandotes à Amherstburg ravivèrent la passion de Hale pour la linguistique et l’ethnologie ; il avait alors 50 ans. On peut supposer que c’est John Fraser, qu’il avait connu à Clinton et qui allait devenir l’un des grands chefs de la nation des Agniers, qui lui fit connaître les paradigmes des verbes iroquois et lui parla de la lutte que les Six-Nations menaient pour conserver leur gouvernement confédératif. Après la Révolution américaine, les chefs avaient rallumé le feu du conseil à la rivière Grand (Ontario) [V. Thayendanegea*], où les rites de la vieille ligue refleurissaient. À l’époque de Hale, la réserve des Six-Nations comptait environ 3 000 habitants, dont des locuteurs de langues huronnes-iroquoises, une communauté de Loups, de la famille algique, et plusieurs locuteurs du tutelo, langue dont l’affiliation était alors inconnue.
Aidé par le chef George Henry Martin Johnson*, Hale travailla pendant dix ans (de 1867 à 1877), avec un comité de chefs, sur l’histoire des Six-Nations, sur les ceintures de wampum qui, par procédé mnémonique, servaient de base à leur tradition orale ainsi que sur la structure et les rites de la ligue. Au cours d’une mémorable rencontre tenue en septembre 1871, ils lui expliquèrent l’origine et les traditions de leur ligue en « lisant » les ceintures de wampum qui avaient été apportées à la rivière Grand. Ensuite, ils s’assirent pour une photographie dont Hale envoya des reproductions à plusieurs érudits. Il fit aussi photographier les ceintures et demanda à un artiste de faire des dessins en vue d’une grammaire du symbolisme du wampum. Comme la moitié des ceintures étaient demeurées chez les Iroquois de l’état de New York, il se rendit à Onondaga (près de Syracuse) à deux reprises, en 1875 et en 1880, afin de confirmer ses découvertes.
Parmi les nombreuses contributions de Hale à son domaine, contributions qui, écrira Boas en 1897, « se class[aient] parmi les meilleurs travaux réalisés en Amérique », il faut mentionner deux importantes découvertes faites à la réserve des Six-Nations. En 1870, Hale fit appel à Nikonha, dernier Tutelo de pure race, et recueillit auprès de lui le vocabulaire d’une langue parlée en Virginie avant que les vestiges des tribus tutelos et saponis ne s’enfuient et ne se joignent aux Six-Nations au milieu du xviiie siècle. Il démontra que le tutelo était relié à la famille linguistique siouse et fit état de sa découverte en décembre 1879 à l’assemblée de l’American Philosophical Society, dont on l’avait élu membre en 1872.
Dans la même communication, Hale parla des versions agnière et onontaguée du Livre des rites iroquois [V. John Johnson*] qu’il avait découvertes en septembre 1879. Ce livre rassemblait les textes rituels employés au cours de la cérémonie de condoléances, où l’on pleurait le chef décédé et l’on installait son successeur dans ses fonctions. Hale attribuait au chef David of Schoharie la paternité de la version canienga (agnière), écrite dans une orthographe mise au point par des missionnaires anglicans au xviiie siècle, et estimait qu’elle datait de 1745 environ. À partir des copies qui subsistaient, Hale entreprit de traduire le texte et de le préparer aux fins d’édition, en collaboration avec des informateurs et des interprètes agniers et onontagués. En revenant de son deuxième voyage à Onondaga, en 1880, il s’arrêta à Rochester, dans l’état de New York, pour rendre visite à l’anthropologue Lewis Henry Morgan. Depuis 1869, les deux érudits correspondaient sur des questions iroquoises et rédigeaient des documents sur des sujets d’intérêt mutuel. Comme leur relation de longue date se transformait en amitié, ils parlèrent de wampum, s’entendirent sur la date de la création de la ligue iroquoise, comparèrent des listes de ses fondateurs et relurent les manuscrits qui formaient le Livre des rites iroquois. L’année suivante, Hale donna un exposé sur ce livre à l’assemblée de l’American Association for the Advancement of Science. En 1883, son édition et sa traduction, accompagnées de notes, d’un glossaire et d’une longue étude d’introduction, parurent sous le titre The Iroquois book of rites. La publication de ce « Veda iroquois », comme l’appelait Hale, suscita à l’époque des commentaires favorables et inspira beaucoup de recherches par la suite. Cependant, Hale n’assista à un conseil de condoléances qu’après la parution de son ouvrage. En s’appuyant sur ses observations, il corrigea le déroulement de la cérémonie dans un document qui parut en 1895 dans les Mémoires de la Société royale du Canada.
À partir de ses études linguistiques sur la famille huronne-iroquoise, Hale conclut que l’agnier était la langue la plus ancienne des Cinq-Nations d’abord regroupées au sein de la ligue, que le buron était encore plus proche du proto-iroquoien que l’agnier, et que le vocabulaire laurentien noté par Jacques Cartier* était aussi affilié à cette famille linguistique. À l’aide de la technique des mutations phonétiques, mise au point pendant ses recherches en Océanie, il démontra que le cherokee était une langue huronne-iroquoise, reconstitua les mouvements des tribus et, dans une étude des sons intermédiaires de l’agnier, fut bien près d’énoncer une théorie des phonèmes. En 1886, dans une étude sur les idiolectes enfantins, il avança l’une des théories les plus sensées sur l’origine et la diversité des langues. Anticipant sur la glottochronologie moderne, il soulignait avec raison que la langue permettait de reconstituer l’histoire avec plus de sûreté que les théories et pratiques d’alors qui appartenaient à la biologie humaine. En 1891, dans un document intitulé « Language as a test of mental capacity », il dissipa les préjugés de ses contemporains sur le caractère primitif des langues indiennes en démontrant que les locuteurs des langues autochtones d’Amérique avaient un grand pouvoir de classification.
Même si l’ethnologie de Horatio Emmons Hale reflétait la mentalité du début du xixe siècle, dans les dix dernières années de sa vie il contribua de manière importante au mouvement qui délaissa la philologie en faveur de l’anthropologie scientifique. L’historien Douglas Cole soutient qu’il « est la plus grande figure de l’anthropologie canadienne » dans la période antérieure à Edward Sapir. Il fut secrétaire puis maître de recherche du comité que la British Association for the Advancement of Science établit à Montréal en 1884 « dans le but de faire des recherches et de publier des rapports sur les [...] tribus du nord-ouest du [...] Canada ». En qualité de maître de recherche, il écrivit ou révisa sept rapports, rédigea une « circulaire d’enquête » et planifia des travaux. Grâce à ce comité, dont faisaient également partie George Mercer Dawson* et sir Daniel Wilson, Franz Boas fit une longue carrière de chercheur sur la côte nord-ouest. Même si Hale n’obtint jamais de doctorat, ses collègues des sociétés savantes reconnurent son apport à la science. Élu vice-président de la section H de l’American Association for the Advancement of Science en 1886, membre de la Société royale du Canada en 1889 et président de l’American Folk-Lore Society en 1893, il fut choisi, pour l’année 1897, vice-président de la section d’anthropologie de la British Association for the Advancement of Science, mais déclina cet honneur pour des raisons de santé. À sa mort, survenue en décembre 1896, les Indiens de la réserve des Six-Nations tinrent une cérémonie de deuil. On l’inhuma à Clinton après un service à l’église St Paul, où l’on poserait une plaque commémorative en son honneur en 1963. Malheureusement pour les érudits qui vinrent après lui, ses manuscrits et notes de recherche furent détruits au cours de l’incendie qui ravagea son bureau de Clinton.
Les ouvrages publiés de Horatio Emmons Hale comprennent : « Hale’s Indians of north-west America, and vocabularies of North America », édité avec une introd. (xiii-clxxxviii) d’[Abraham Alfonse] Albert Gallatin, dans l’American Ethnological Soc., Trans. (New York), 2 (1848) : 1–130 ; « Indian migrations, as evidenced by language », American Antiquarian and Oriental Journal (Chicago), 5 (1883) : 110–124 ; « The Tutelo tribe and language », American Philosophical Soc., Proc. (Philadelphie), 21 (1883) : 1–45 ; « On some doubtful or intermediate articulations : an experiment in phonetics », Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, Journal (Londres), 14 (1885) : 233–243 ; « The origin of languages, and the antiquity of speaking man [...] », American Assoc. for the Advancement of Science, Proc. (Cambridge, Mass.), 35 (1886) : 1–47 ; « Language as a test of mental capacity », SRC Mémoires, 1er sér., 9 (1891), sect.
Une bibliographie des 30 travaux de Hale figure dans SRC Mémoires, 1re sér., 12 (1894), proc. : 44–46, et une liste de 41 textes accompagne un article nécrologique rédigé par A. F. Chamberlain dans le Journal of American Folk-Lore (Boston), 10 (1897) : 60–66. Le livre de Hale, Ethnography and philology (1846) a été réimprimé à Ridgewood, N.J., en 1968, et une seconde édition de The Iroquois Book of Rites, avec une introd. de William N. Fenton (vii–xxvii), a paru à Toronto en 1963.
American Philosophical Soc. Library (Philadelphie), W. N. Fenton papers, R. H. Coats à Fenton, 11 juill. 1945. — Smithsonian Institution, Bureau of Ethnology (Washington), J. W. Powell papers, Hale à Powell, 14 mai 1881. — Univ. of Rochester Library (Rochester, N.Y.), L. H. Morgan papers, corr. de H. E. Hale, 1869–1880. — American Anthropologist (Washington), 10 (1897) : 25–27 (hommage nécrologique par D. G. Brinton). — Month (New York), 1 (1897) : 262–263 (hommage posthume par Franz Boas). — « Sketch of Horatio Hale », Appletons’ Popular Science Monthly (New York), 51 (mai–oct. 1897) : 401–410. — Charles Wilkes, Narrative of the United States Exploring Expedition ; during the years 1838, 1839, 1840, 1841, 1842 (5 vol. et un atlas, Philadelphie, 1844). — Clinton New Era (Clinton, Ontario), 1er janv. 1897. — Huron News-Record (Clinton), 6 janv. 1897. — DAB. — R. S. Hale, Genealogy of descendants of Thomas Hale of Walton, England, and of Newbury, Mass. [...], G. R. Howell, édit. (Albany, N.Y., 1889). — Memorials of the class of 1837 of Harvard University, prepared for the fiftieth anniversary of their graduation, Henry Williams, édit. (Boston, 1887). — William Stanton, The great United States Exploring Expedition of 1838–1842 (Berkeley, Calif., 1975). — Douglas Cole, « The origins of Canadian anthropology, 1850–1910 », Rev. d’études canadiennes, 8 (1973), no 1 : 33–45. — J. W. Gruber, « Horatio Hale and the development of American anthropology », American Philosophical Soc., Proc., 111 (1967) : 5–37.
William N. Fenton, « HALE, HORATIO EMMONS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hale_horatio_emmons_12F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/hale_horatio_emmons_12F.html |
Auteur de l'article: | William N. Fenton |
Titre de l'article: | HALE, HORATIO EMMONS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |