NICOLLET DE BELLEBORNE, JEAN, interprète et commis de la Compagnie des Cent-Associés, agent de liaison entre les Français et les Premières Nations, explorateur, né vers 1598, probablement à Cherbourg (Normandie), de Thomas Nicollet, messager postal ordinaire du roi entre Cherbourg et Paris, et de Marie de Lamer, noyé près de Sillery en 1642.

L’arrivée au Canada de Nicollet, au service de la Compagnie des Marchands de Rouen et de Saint-Malo, reste difficile à dater. L’année 1618 apparaît probable. Toutefois, un acte de vente, peut-être passé en France en 1619 et dont certains passages importants sont illisibles en raison de son état de conservation, peut laisser croire que Nicollet n’aurait pas atteint le Canada avant cette année-là. Comme Marsolet et Brûlé, on le destinait à vivre parmi les Premières Nations alliées afin qu’il apprît leurs langues et leurs coutumes, et explorât les régions qu’ils habitaient. On ne sait rien de son éducation ni de son tempérament, sauf cette remarque du père Vimont, en 1643 : « son humeur & sa memoire excellente firent esperer quelque chose de bon de luy ».

Champlain, lors de ses explorations, était entré en relations avec les Algonquins de l’Outaouais (Ottawa) supérieur. On présume que, désireux de consolider une alliance à peine ébauchée, c’est lui qui chargea Nicollet, l’année de son arrivée, de se rendre hiverner à l’île aux Allumettes. Cet endroit était le centre de ralliement de la grande famille algonquine commandée par Tessouat (mort en 1636). L’île était située en un lieu stratégique sur l’Outaouais, la route des fourrures. Il importait, dans l’intérêt du commerce, que les nations qui vivaient sur les bords de l’Outaouais fussent amies des Français. Nicollet resta deux ans à l’île aux Allumettes, s’acquittant fort bien de sa mission. Il apprit le huron et l’algonquin, vécut la vie précaire des Premières Nations, s’initia à leurs coutumes et explora la région. Les Algonquins ne tardèrent pas à le considérer comme l’un des leurs. Ils le firent capitaine, lui permirent d’assister à leurs conseils et l’emmenèrent même chez les Iroquois négocier un traité de paix.

Nicollet revint à Québec en 1620. Il rendit compte de sa mission et en reçut une nouvelle : entrer en rapport avec les Népissingues qui vivaient sur les bords du lac du même nom. Ces derniers occupaient chaque année une place plus importante dans le commerce des fourrures, se posant en intermédiaires entre les Français et les nations de l’Ouest et de la baie d’Hudson. Nicollet devait consolider leur alliance avec les Français et veiller à ce que leurs fourrures ne prennent pas la route de l’Hudson.

Nicollet se rendit chez les Népissingues. Neuf années durant, il allait vivre parmi eux. Il avait sa cabane à part et un magasin. Le jour, il commerçait avec les membres des différentes nations qui se rendaient sur les bords du lac des Népissingues (Nipissing) et les interrogeait sur leur pays ; le soir, il notait par écrit ce qu’il avait recueilli. Ces mémoires de Nicollet, malheureusement perdus aujourd’hui, nous sont parvenus indirectement par les Relations des jésuites. Le père Paul Le Jeune, qui a pu les consulter, s’en inspira pour décrire les mœurs des Premières Nations de cette région.

Lors de la prise de Québec par les Anglais en 1629 [V. Samuel de Champlain ; sir David Kirke], Nicollet, fidèle à la France, se réfugia probablement au pays des Hurons et chez les Népissingues. Il contrecarra tous les plans des Anglais pour amener les Premières Nations à commercer avec eux.

Nicollet parut le 20 juin 1633 à Sainte-Croix, où il rencontra Champlain. Il demanda la permission de s’établir à Trois-Rivières à titre de commis de la Compagnie des Cent-Associés. On accéda volontiers à son désir. Cependant, avant d’assumer ses nouvelles fonctions, il fut prié, sans doute par Champlain, d’entreprendre un voyage d’exploration et de pacification chez les Ounipigons, appelés aussi, selon les Relations de 1640, « gens de mer » ou « Puans » (en raison de la traduction du « mot Algonquin ouinipeg [qui] signifie eau puante »). Une alliance entre les Gens de Mer et les Hollandais de l’Hudson était à craindre. Il fallait rétablir la paix au plus tôt. Nicollet devait en profiter aussi pour vérifier les renseignements qu’il avait recueillis concernant la mer de Chine qui, selon les Premières Nations, était à proximité. Aussi Nicollet se munit-il, avant son départ, d’une robe de damas de Chine, toute parsemée de fleurs et d’oiseaux multicolores. Sans pouvoir dater précisément ce voyage, on sait que, le 3 juillet 1634, il conclut un accord de service avec Du Plessis-Bochart, de la Compagnie des Cent-Associés, et qu’il retournerait dans la colonie en 1635.

Nicollet suivit la route traditionnelle de l’Outaouais, bifurqua à l’île aux Allumettes en direction du lac des Népissingues, puis descendit la rivière des Français pour atteindre le lac des Hurons. Chemin faisant, il recruta une escorte de sept Hurons. La suite du trajet demeure imprécise. Pendant longtemps, les historiens crurent que Nicollet se dirigea vers Michillimakinac, pénétra dans le lac Michigan et atteignit la baie des Puants. Depuis les travaux de Marcel Trudel*, on pense plutôt qu’il remonta vers le saut Sainte-Marie, qu’il franchit pour s’engager dans le lac Supérieur, dont il longea la rive nord jusqu’au pays des Gens de Mer. Revêtu de sa robe de damas, il sema un moment l’épouvante parmi les Gens de Mer, qui le prirent pour un dieu et le surnommèrent, selon les Relations de 1643, le « Manitouiriniou, c’est à dire [...] l’homme merveilleux ». Il réunit 4 000 ou 5 000 hommes, groupant les différentes nations de l’endroit qui, dans la fumée des calumets, conclurent la paix. Nicollet avait atteint le premier objectif de son voyage. Malheureusement, il n’avait pas trouvé la mer de Chine, bien qu’il fût le Français, selon les Relations de 1640, « qui a[vait] le plus avant penetré dedans ces pays si esloignés ».

De retour en 1635, Nicollet s’installa à Trois-Rivières, en qualité de commis de la Compagnie des Cent-Associés. Il accepta, le 15 août, un nouvel accord de service, cette fois avec Champlain. Le 23 mai 1637, son beau-frère Olivier Letardif et lui reçurent une concession de 160 arpents de bois située dans ce qui deviendrait la châtellenie de Coulonge, à Québec [V. Louis d’Ailleboust de Coulonge et d’Argentenay]. De plus, selon une carte de Jean Bourdon datée de 1641, Nicollet possédait une concession sur la côte de Beaupré avec Letardif et Guillaume Couillard. Nicollet épousa à Québec, vers le 7 octobre 1637, Marguerite, fille de Couillard et de Guillemette Hébert, qui lui donna un garçon (mort peu après sa naissance) et une fille. Cette dernière, prénommée Marguerite, devint la femme de Jean-Baptiste Legardeur* de Repentigny, futur membre du Conseil souverain. Jusqu’à sa mort, Nicollet apparaît comme une figure dominante du bourg de Trois-Rivières. Les services signalés qu’il a rendus à la colonie, ainsi que sa connaissance des langues et des coutumes des Premières Nations, lui valurent le respect de tous.

Les Relations font souvent l’éloge de sa conduite exemplaire : à l’encontre de la plupart des coureurs de bois de son temps, Nicollet aurait toujours vécu suivant les principes de sa religion. Pourtant, il eut vers 1628 une fille naturelle née probablement d’une Népissingue. Le Jeune écrivit, dans ses Relations de 1636, que Nicollet « a souvent hyverné [chez les Népissingues], & ne s’en est retiré, que pour mettre son salut en asseurance dans l’usage des Sacremens ». Sa plus grande joie, dans les moments de loisirs que lui laissaient ses fonctions, était de servir d’interprète aux missionnaires et d’enseigner la religion aux Premières Nations.

Nicollet mourut prématurément en 1642. Il remplaçait temporairement le commis général de la compagnie, son beau-frère Letardif, quand on lui demanda de se rendre au plus tôt à Trois-Rivières pour délivrer un prisonnier socoquiois que des Algonquins s’apprêtaient à torturer. La chaloupe qui le transportait vers Trois-Rivières fut renversée par un fort coup de vent, près de Sillery. Ne sachant pas nager, il se noya. On célébra ses funérailles à Québec le 29 octobre.

Jean Hamelin, avec la collaboration de Jacques Gagnon

ASQ, Documents Faribault, 7 ; Registre A, 560s. (porte la signature de Nicollet).— Champlain, Œuvres (Laverdière), V, VI.— JR (Thwaites), VIII : 247, 257, 267, 295s. ; XXIII, 274–282 ; passim.— C. W. Butterfield, History of the discovery of the north-west by John Nicolet in 1634, with a sketch of his life (Cincinnati, 1881).— Godbout, Les Pionniers de la région trifluvienne.— Auguste Gosselin, Jean Nicolet et le Canada de son temps (Québec, 1905).— Lionel Groulx, Notre grande aventure : lempire français en Amérique du Nord (1535–1760) (Montréal et Paris, [1958]).— Gérard Hébert, Jean Nicolet, le premier Blanc à résider au lac Nipissing (La Société historique du Nouvel-Ontario, Documents historiques, XIII, Sudbury, 1947), 8–24.— Henri Jouan, Jean Nicolet (de Cherbourg), interprète-voyageur au Canada, 1618–1642, RC, XXII (1886) : 67–83.— Benjamin Sulte, Jean Nicolet, Journal de lInstruction publique, XVII (1873) : 166s. ; XVIII (1874) : 28–32 ; Jean Nicolet et la Découverte du Wisconsin, 1634, RC, VI (1910) : 148–155, 331–342, 409–420 ; Le Nom de Nicolet, BRH, VII (1901) : 21–23 ; Notes on Jean Nicolet (Wisconsin Hist. Soc. Coll., VIII, Madison, 1879), 188–194.

Bibliographie de la version modifiée :
Bibliothèque et Arch. Canada (Ottawa), R6286-0-8.– Bibliothèque et Arch. nationales du Québec, Centre d’arch. de Québec, CE301-S1, 7 oct. 1637, 29 oct. 1642, 9 juill. 1656 ; CN301-S131, 22 oct. 1637 ; CN301-S263, 18 oct. 1643 ; P600, S4, SS2, D720 ; P1000, S3, D1517 ; Centre d’arch. de la Mauricie et du Centre-du-Québec (Trois-Rivières, Québec), CE401-S48, décembre 1640.– A[lexandre] Alix, Histoire de Jean Nicolet de Hainneville : interprète et explorateur au Canada (1618–1642) (Saint-Lô, France, 1908).– D. H. Fischer, le Rêve de Champlain, Daniel Poliquin, trad. ([Montréal], 2011).– Jacques Gagnon, « Jean Nicollet vu par Jean Hamelin et révisé par Marcel Trudel », Histoire Québec (Montréal), 22 (2016–2017), no 4 : 27–30 ; « Note de recherche : Jean Nicollet au lac Michigan, histoire d’une erreur historique », RHAF, 50 (1996–1997) : 95–101 ; « Note de recherche : les Nipissiriniens depuis Jean Nicollet », Recherches amérindiennes au Québec (Montréal), 45 (2015), no 1 : 75–79.– JR (Thwaites).– Monumenta Novæ Franciæ, Lucien Campeau, édit. (9 vol., Rome et Québec, 1967–1987 ; Rome et Montréal, 1989–2003), 2 (Établissement à Québec (1616–1634)) ; 4 (les Grandes Épreuves (1638–1640)).– Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle-France (6 tomes en 7 vol., Montréal, 1955–1999), vol. 3 (la Seigneurie des Cent-Associés, 1627–1663), tome 2 (la Société, 1983) ; « Jean Nicollet dans le lac Supérieur et non dans le lac Michigan », RHAF, 34 (1980–1981) : 183–196 ; le Terrier du Saint-Laurent en 1663 (Ottawa, 1973).– Denis Vaugeois, « le Vrai Rêve de Champlain », Cap-aux-Diamants (Québec), no 134 (été 2018) : 15–20.

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Jean Hamelin, avec la collaboration de Jacques Gagnon, « NICOLLET DE BELLEBORNE, JEAN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/nicollet_de_belleborne_jean_1F.html.

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Auteur de l'article:    Jean Hamelin, avec la collaboration de Jacques Gagnon
Titre de l'article:    NICOLLET DE BELLEBORNE, JEAN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    2022
Date de consultation:    2 déc. 2024