BROOKE, JOHN, ministre de l’Église d’Angleterre, né vers 1709, probablement dans le Norfolk, Angleterre, décédé le 21 janvier 1789 à Colney, dans le Norfolk.

On ne sait rien de certain sur l’enfance et les études de John Brooke. Ordonné prêtre le 17 juin 1733, il devint, entre 1733 et 1746, rector ou curare perpétuel de cinq paroisses à Norwich, Angleterre, et dans les environs ; il devait les conserver, sauf une, jusqu’à sa mort. En 1756, il épousa Frances Moore, déjà bien connue comme écrivain. Ils eurent un fils et, probablement, une fille. Nommé aumônier intérimaire dans l’armée britannique en février 1757, il débarqua en Amérique du Nord au cours de la même année. Aumônier adjoint du 22e d’infanterie pendant un an et aumônier de la garnison de Louisbourg, île du Cap-Breton, du mois d’août 1758 à juillet 1760, il partit ensuite pour Québec. En décembre, le gouverneur Murray, un ami de 20 ans, le nomma officieusement aumônier de la garnison et ministre de la ville, desservie jusque-là par Jean-Michel Houdin*. Il reçut sa commission officielle d’aumônier de la garnison le 28 octobre 1761, à une époque où il était en outre aumônier des Royal Americans (60e d’infanterie). En août 1761, quelque 100 fonctionnaires et marchands de Québec avaient adressé une requête à la Society for the Propagation of the Gospel, demandant la nomination de Brooke à titre de missionnaire de la société à Québec et celle d’un adjoint francophone.

Lorsque Brooke devint ministre – à titre officieux de la ville, les offices religieux de l’Église d’Angleterre, qui avaient eu lieu du mois de septembre 1759 à l’été de 1760 dans la chapelle des ursulines, furent célébrés dans l’église des récollets, après la messe des catholiques. Ni le ministre ni les catholiques n’étaient satisfaits de cet arrangement ; en fait, Brooke le considérait comme humiliant pour la religion d’État. Par ailleurs, assumant son rôle social en tant que ministre, Brooke prôna l’établissement d’écoles protestantes et l’introduction de la vaccination contre la petite vérole. En janvier 1764, le vérificateur général absentéiste Robert Cholmondeley le choisit pour être son adjoint à Québec. En octobre, Murray fit rapport à Londres de la présence à Québec de 144 chefs de famille protestants, fidèles de l’Église d’Angleterre ou dissidents ; le mois suivant, environ 80 personnes réitérèrent la requête de 1761 à la Society, for the Propagation of the Gospel. Officiellement, Murray appuya cette requête, mais, en fait, il commença de critiquer Brooke. À la Society for the Propagation of the Gospel, il exprimait ses regrets que Brooke n’entendît pas le français. À Cholmondeley, il se plaignit que Brooke « ne pût retenir sa langue et qu’il se mêlât perpétuellement de choses qui ne le regardaient pas [...] ; Brookes, certes, était un honnête homme et un homme de talent, il était très bien renseigné aussi, et quand il n’était pas sous le coup de la passion, c’était un fort agréable compagnon, [mais] sa vive imagination lui faisait [...] souvent oublier le costume qu’il portait ».

Murray espérait que Brooke, en tant qu’aumônier de la garnison et ministre officieux de la ville, jouerait un rôle pacificateur et détendrait les relations entre civils et militaires dans la colonie [V. Thomas Walker et Pierre Du Calvet], mais son naturel intrigant et irritable et ses bonnes relations avec les marchands – les critiques les plus persistants de tout ce qui était militaire – provoquèrent suffisamment la garnison pour réduire la portée de son rôle comme aumônier. Le fait qu’il témoigna en faveur du marchand George Allsopp* parut particulièrement vexant ; ce dernier, arrêté pour ne pas avoir porté de lanterne après la nuit tombée, comme l’exigeait la loi, poursuivait pour brutalité les deux soldats qui avaient procédé à son arrestation. Murray lui-même était probablement des plus choqués par l’amitié de Brooke pour Allsopp, ce bruyant adversaire politique du gouverneur. En juillet 1765, en tout cas, au comte de Hillsborough, secrétaire d’État des Colonies américaines, Murray présentait Brooke comme membre d’un clan qui cherchait à le faire remplacer ; cette cabale était formée surtout de commerçants qui, au contraire du gouverneur, plus patient, cherchaient à obtenir rapidement l’anglicisation et la protestantisation de la colonie, de façon à faciliter son intégration à la vie politique et économique de l’Empire britannique.

En juillet 1766, Murray fut remplacé par Guy Carleton*, d’abord enclin à sympathiser avec les marchands. Brooke se lia d’amitié avec le nouveau lieutenant-gouverneur et avec son procureur général, le huguenot Francis Maseres*. Au début, Maseres vit en Brooke « un compagnon agréable et très raisonnable », mais, peu après, il écrivit que, bien que bon ministre, Brooke était « d’un caractère plutôt emporté, qui le poussait de-ci de-là à tenir des propos inconsidérés ». Adam Mabane, membre du French party, lequel s’opposait aux aspirations des marchands, se montra passablement plus critique que Maseres sur le comportement de Brooke en tant que ministre : « L’Église est [...] mise au service de la bonne cause, se plaignit-il, Brookes dans ses sermons fait l’éloge du lieutenant-gouverneur et du juge en chef [William Hey] (qui, à propos, sont toujours présents). » Carleton et Maseres suivirent bientôt des voies divergentes : le premier en vint à comprendre la nécessité de la ligne de conduite conciliante adoptée par Murray à l’égard de l’Église catholique, pendant que Maseres, fortement anticatholique, s’alliait avec les marchands. Brooke fut pris entre deux feux quand, à l’été de 1767, un curé récollet, Leger-Jean-Baptiste-Noël Veyssière, converti au protestantisme, se présenta à l’aumônier de la garnison pour abjurer officiellement, faisant ainsi le premier pas vers le ministère au sein de l’Église d’Angleterre. Maseres accorda son appui à Veyssière, mais Carleton ne voulut pas de ce converti comme ministre dans la colonie. Maseres rompit toute relation avec Brooke quand il apprit que, « par basse et sotte flatterie pour le général Carleton », l’aumônier avait refusé de recevoir l’abjuration de Veyssière, alors que, avant d’être au courant des craintes de Carleton, « il désirait, et c’était son intention, voir ce converti faire office de ministre ».

Si Brooke avait temporairement suscité des ennuis à Veyssière, c’est cependant son propre avenir qui se présentait sous le jour le plus sombre. Les deux requêtes visant à obtenir la nomination de Brooke comme missionnaire, à Québec, de la Society for the Propagation of the Gospel restèrent sans effet, la société alléguant une insuffisance de fonds. Brooke poursuivit son ministère officieux jusqu’en 1768, faisant même l’aller et retour entre Québec et Montréal pendant six mois, en 1766, avant l’arrivée de David Chabrand Delisle en qualité d’aumônier protestant de Montréal. En juillet 1768, il mit à l’encan son ménage, dont certaines pièces indiquent que lui et son épouse, venue le rejoindre en 1763, avaient vécu confortablement ; leur demeure, une maison qui avait abrité la mission des jésuites à Sillery, au lieu appelé Mount Pleasant leur avait été sous-louée par le beau-père de George Allsopp, le marchand John Taylor Bondfield. En août 1768, les Brooke partaient pour l’Angleterre, une couple de mois après l’arrivée de David-François De Montmollin*, l’adjoint francophone que demandaient depuis 1761 les protestants de Québec.

Carleton saisit l’occasion du départ de Brooke pour lui remettre une lettre dans laquelle le lieutenant-gouverneur expliquait sa politique, en matière ecclésiastique, à Richard Terrick, évêque de Londres et responsable de l’Église dans les colonies. Brooke devait personnellement donner à l’évêque « de très amples renseignements sur l’état de la religion en ce pays ». Carleton recommandait l’aumônier à Terrick et exprimait ses regrets que, après avoir desservi les protestants de Québec pendant huit ans, sans rémunération, Brooke se trouvât maintenant « dépossédé ». Toutefois, en dépit de son absence, Brooke toucha jusqu’à sa mort le plein salaire d’aumônier de la garnison de Québec.

On sait peu de chose de Brooke après son retour en Angleterre, bien qu’il paraisse avoir réintégré ses fonctions dans le Norfolk. En 1785, son épouse et lui rencontreront George Allsopp, à Londres, par affaires. En 1769, un an après leur retour, Frances Moore publia à Londres The history of Emily Montague [...], roman épistolaire dont l’intrigue se passe en grande partie au Canada. Émile Castonguay suppose que John Brooke avait, de fait, écrit les lettres de l’un des personnages du roman, sir William Fermor. La dédicace que l’auteur fit de son livre à Carleton, protecteur de son mari, de même que la vocation de ce dernier et son expérience plus longue de la colonie peuvent permettre de croire raisonnablement que, à tout le moins, John apporta une contribution importante aux commentaires sur les questions religieuses et politiques, et sur le caractère des Canadiens, qui prédominent dans les lettres de Fermor.

John Brooke mourut à Colney, le 21 janvier 1789. Les huit années qu’il passa à Québec ne laissèrent pas d’empreintes durables, et il est maintenant presque complètement oublié. Il représente, cependant, ce groupe de ministres, tous aumôniers, qui servirent de bouche-trous pendant que l’Église d’Angleterre réfléchissait sur la meilleure attitude pastorale à adopter pour approcher une population presque entièrement francophone et catholique, sur laquelle était venue se greffer une bande minuscule et rétive de marchands, de fonctionnaires et de soldats britanniques ou protestants français, appartenant à des confessions diverses. Bien que la fébrilité de son propre tempérament, fort peu clérical, et les critiques exercées en bonne place par Murray eussent sans doute porté atteinte aux chances de Brooke de rester au Canada, ce fut le jugement de l’Église d’Angleterre à l’effet qu’un clergé francophone serait plus apte à servir sa cause qui, au bout du compte, fut responsable du départ de Brooke et d’autres aumôniers britanniques.

James H. Lambert

APC, MG 23, A4, 14, p.26 ; 16, pp.106, 117s. ; GIII, 1, 2, pp.45s., 182, 184s., 226s. ; 3, p.243 ; RG 1, L3L, 48, pp.24 733–24 737 ; RG 68, 93, pp.8s., 12–24 ; 190, p.57.— AUQ, Journal, 2, avril–mai, août–sept. 1767 ; Livre des entrées et sorties des pensionnaires, 1766.— Lambeth Palace Library (Londres), Fulham papers, I, ff.108–112, 165–167.— Norfolk and Norwich Record Office (Norwich, Angl.), VSC/8 Bk.20 ; VSC/9.— PRO, CO 42/25, ff.195s.— QDA, 82 (D-1), 1er sept. 1761, [1er nov. 1764].— USPG, C/CAN/Que., I, 29 août, 1er sept. 1761, 1er nov. 1764 ; Journal of SPG, 15, pp.164s. ; 16, pp.280–282 (copies aux APC).— Gentleman’s Magazine, 1789, 90. Maseres, Maseres letters (Wallace), 25, 46, 57, 80. [Frances (Moore) Brooke], The history of Emily Montague by the author of Lady Julia Mandeville, introd. par L. J. Burpee (2e éd., Ottawa, 1931).— La Gazette de Québec, 9 avril 1765, 22 sept. 1766, 7, 14 juill. 1768.— Alumni Cantabrigienses [...], John et J. A. Venn, compil. (10 vol. en 2 parties, Cambridge, Angl., 1922–1954), 1re partie, I : 226. Kelley, Church and states papers, ANQ Rapport, 1948–1949, 301–316. André Bernier, Le Vieux-Sillery ([Québec], 1977), 21s.— Bernard Dufebvre [Émile Castonguay], Cinq femmes et nous (Québec, 1950), 30. H. C. Stuart, The Church of England in Canada, 1759–1793 ; from the conquest to the establishment of the see of Quebec (Montréal, 1893), 8s., 12, 16–20, 25. C. S. Blue, Canada’s first novelist, Canadian Magazine (Toronto), LVIII (1921–1922) : 3–12. A. H. Young, Lord Dorchester and the Church of England, CHA Report, 1926, 60–65.

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James H. Lambert, « BROOKE, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/brooke_john_4F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
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