L’intégration de Rupert’s Land dans la Confédération canadienne devint l’un des défis les plus importants du gouvernement du dominion [V. Les relations avec les peuples autochtones et métis].
Nombre de gens de la région, dont des Métis, des autochtones et des colons blancs, furent exclus des négociations sur l’intégration du territoire dans le Canada et craignirent que leurs droits ne soient pas respectés. Un conflit éclata d’abord entre des Métis et des équipes d’arpentage de l’Ontario, qui arrivèrent d’abord à Upper Fort Garry (Winnipeg) en 1868 [V. Simon James Dawson ; Charles Mair ; John Allan Snow]. Sir John Alexander Macdonald choisit William McDougall comme premier lieutenant-gouverneur de ce qui serait connu sous le nom de Territoires du Nord-Ouest ; cette décision fut également controversée :
McDougall envisageait sa mission d’une façon simple : il allait « mettre en marche la nouvelle machine » qui libérerait d’immenses terres et leurs habitants du sombre « servage » qu’avait été le règne de la Hudson’s Bay Company. Pour lui, il n’était pas question d’accorder un pouvoir politique quelconque aux nouveaux territoires avant qu’il y ait là « une population canadienne à demeure sur laquelle s’appuyer » […] Il n’est donc pas étonnant que, en 1869, les Métis et d’autres habitants des territoires aient résisté à l’équipe d’arpenteurs qui, sous la direction de John Stoughton Dennis*, ancien condisciple de McDougall, redivisa les lots selon un plan quadrillé, au mépris des divisions traditionnelles [V. Louis Riel*].
William Mactavish, dernier gouverneur d’Assiniboia et de Rupert’s Land, attribua les tensions à quelques « démagogues intrigants » présents sur le territoire, tel le docteur John Christian Schultz, et à l’incompétence du gouvernement canadien :
[En 1869, Mactavish] critiquait le gouvernement pour son refus de consulter les habitants de Rupert’s Land au sujet du transfert et sa tentative apparente de faire valoir son autorité avant que le transfert ait eu lieu. Il soupçonnait William McDougall*, nommé lieutenant-gouverneur de Rupert’s Land par le gouvernement fédéral, d’encourager, avec le consentement du gouvernement canadien, le désordre politique de façon à précipiter la chute du gouvernement de la Hudson’s Bay Company et d’affaiblir la position de cette dernière dans ses efforts pour obtenir la somme de £300 000 en échange de son territoire. Bien que le premier ministre du Canada, John Alexander Macdonald*, prétendît que Mactavish n’avait « jamais donné à entendre qu’il eût même soupçonné l’existence d’un sujet de mécontentement », Mactavish en avait certainement informé ses supérieurs de Londres ; quand il s’arrêta à Ottawa à son retour de Londres, en avril 1869, il eut de même l’occasion d’avertir le gouvernement canadien des difficultés, si toutefois Macdonald avait été disposé à lui porter attention.
Macdonald, cependant, blâma la Hudson’s Bay Company, qui avait auparavant administré la région, de ne pas avoir expliqué aux habitants que leurs droits seraient préservés. Dans une lettre à Cartier datée de 1869, Macdonald fit la remarque suivante :
« Tout ce que ces pauvres gens savent [...], c’est que le Canada a acheté le pays [...] et qu’on nous les refile comme un troupeau de moutons ; et on leur dit qu’ils perdent leurs terres [...] Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner qu’ils soient insatisfaits et qu’ils montrent leur mécontentement. »
Louis Riel, chef métis à la Rivière-Rouge, protesta contre les travaux d’arpentage :
À la fin d’août 1869, du haut des marches de la cathédrale de Saint-Boniface, Riel déclara que l’arpentage constituait une menace. Le 11 octobre, un groupe de Métis dont il faisait partie arrêta les travaux […]
Le 25 octobre, Riel fut sommé de paraître devant le Conseil d’Assiniboia pour expliquer ses gestes. Il déclara que le Comité national allait empêcher McDougall ou tout autre gouverneur d’entrer dans la colonie, à moins que l’union avec le Canada ne fût fondée sur des négociations avec les Métis et avec la population en général.
Riel, d’autres Métis et un certain nombre de colons anglophones remplacèrent le conseil par un gouvernement provisoire le 8 décembre.
En février, des membres du « parti canadien », qui avaient essayé de capturer Riel et ses alliés, se rendirent aux forces métisses. Parmi eux se trouvait Thomas Scott, agitateur orangiste de l’Ontario, qui exprima son mépris envers les gardes métis et le gouvernement provisoire à plusieurs reprises.
Si la plupart des habitants de la Rivière-Rouge étaient d’accord, quoique sans enthousiasme, pour que Riel et le gouvernement provisoire négocient avec Ottawa l’entrée de la colonie dans la Confédération, l’autorité de Riel reposait en fin de compte sur l’appui permanent des Métis armés […] Ignorer le défi de Scott pouvait paraître une faiblesse. Les Métis étaient de plus en plus d’opinion que Scott devait être puni. Le soir du 3 mars, une cour martiale métisse, tribunal d’exception souvent sollicité dans les Prairies, se réunit ; elle comprenait Ambroise-Dydime* et Jean-Baptiste Lépine*, André Nault* et Elzéar Goulet. Scott fut jugé pour insubordination. À la majorité, la cour martiale le condamna et demanda la peine de mort. Le lendemain, Scott fut abattu par un peloton de tireurs métis.
La crise fut cependant résolue, malgré l’exécution de Scott [V. Donald Alexander Smith]. On inséra un certain nombre de requêtes de Riel dans l’Acte du Manitoba en mai 1870. Pourtant, quand le gouvernement fédéral raffermit sa mainmise sur les territoires et déploya à la Rivière-Rouge une expédition militaire commandée par le colonel Garnet Joseph Wolseley, Riel craignit pour sa sécurité et s’enfuit aux États-Unis :
Informé, le 24 août, que les soldats se proposaient de le lyncher, Riel quitta Upper Fort Garry quelques heures avant leur arrivée. Avec O’Donoghue et quelques compagnons, il traversa la rivière Rouge et se présenta au palais épiscopal de Taché à Saint-Boniface. Il déclara à l’évêque que celui-ci avait été trompé ; « n’importe ce qui arrivera maintenant, ajouta-t-il cependant, les droits des métis sont assurés par le Bill de Manitoba ; c’est ce que j’ai voulu – Ma mission est finie ».
Le biographe de Riel donne l’explication suivante quant au rôle de Macdonald dans la crise :
Macdonald reconnut plus tard que, dans les circonstances, les gens de la colonie avaient été obligés de former un gouvernement pour protéger leur vie et leurs biens. Cependant, l’esprit obscurci par l’alcool ou préoccupé par des problèmes politiques urgents au Canada, il ne prit pas tout à fait conscience, à cette époque, de la situation qui existait dans la colonie, et il semble en général que les événements laissèrent les Canadiens indifférents.
Avec l’entrée en vigueur de l’Acte du Manitoba, une petite partie de Rupert’s Land entourant la colonie de la Rivière-Rouge devint le Manitoba, cinquième province du Canada. Le reste de Rupert’s Land forma les Territoires du Nord-Ouest.
Pour en savoir davantage sur les troubles de 1869−1870 à la Rivière-Rouge, veuillez consulter notre ensemble thématique sur la Rivière-Rouge et les biographies suivantes.