Terre-Neuve
La tradition réformiste de Terre-Neuve apparut avec le besoin d’un gouvernement représentatif, que la Grande-Bretagne lui accorda en 1832 et qui prit forme dans une société souvent divisée selon la classe, la religion et la région, sans parler de la politique. Dans les années 1830, William Carson, médecin et homme politique écossais, fut, avec Patrick Morris, le réformiste le plus influent :
[Carson] ne supportait aucune atteinte à l’autorité parlementaire et défendait avec acharnement les droits et privilèges de la chambre contre les empiétements réels ou supposés du conseil, du gouverneur, du ministère des Colonies et des particuliers. Même s’il s’intéressait par exemple à l’éducation, à la voirie ou à la réforme municipale, ces questions ne le préoccupaient pas autant que le respect pointilleux de la constitution.
Peter Brown était un marchand irlandais prospère d’un village de pêcheurs qui contesta souvent le leadership de Carson. Même s’ils étaient d’accord sur le principe des prérogatives de l’Assemblée, Brown et Carson divergeaient d’opinion sur le pouvoir relatif de St John’s et des petits villages de pêcheurs :
Les divisions partisanes qui séparaient les députés apparurent seulement après l’élection complémentaire que William Carson avait remportée en décembre 1833. À ce moment, Pack, Brown et Power se retrouvèrent au sein d’un groupe clairsemé de réformistes qui comprenait aussi Carson et un autre député de St John’s, John Kent*. Il existait entre ces hommes une alliance mitigée : ils s’opposaient à ce qu’ils considéraient comme des violations des droits civils et des applications inconstitutionnelles du pouvoir exécutif, et se souciaient d’affirmer l’autorité de la chambre. Dans l’ensemble, à l’occasion des débats sur ces questions, Brown appuyait Carson. Ainsi, en février 1835, il approuva les efforts que celui-ci avait déployés, en vain, pour qu’un comité spécial de la chambre enquête sur l’administration de la justice – dans le but de nuire au juge en chef Henry John Boulton*. Brown prononça à cette occasion un discours prudent et modéré. Il ne semble pas que Carson l’ait dominé, même pendant la période de 1834 à 1836. En fait, lorsqu’il fut question de fonder un collège classique, d’imposer des taxes ou d’augmenter le nombre de députés, Brown fut peut-être son adversaire le plus tenace. Il craignait ce qu’il appelait l’« influence prépondérante » de St John’s sur l’Assemblée et estimait que plusieurs des mesures qu’appuyait Carson oubliaient les intérêts des petits villages de pêcheurs. Le projet de collège classique, cheval de bataille de Carson, l’irritait au plus haut point car, comme il le disait avec dédain, on allait ainsi « apprendre les langues savantes aux opulents, dans la ville la plus riche de l’île, alors même que l’on refus[ait] une école anglaise publique aux pauvres gens des petits villages de pêcheurs ». Au fil des ans, ses discours allaient mettre de plus en plus l’accent sur la négligence avec laquelle on traitait les villages de pêcheurs.
Comme dans d’autres colonies, les journalistes jouèrent un rôle crucial dans les débats politiques et le façonnage de l’opinion publique. À titre de défenseur des réformes, Robert John Parsons fut inlassable et intransigeant. Il s’opposa à la fusion du Conseil législatif et de la Chambre d’assemblée en 1842, en grande partie parce que la nouvelle entité « ne mettait pas en application le principe du gouvernement responsable » :
Polémiste, partisan passionné et parfois politicien opportuniste, Parsons se distingua pendant les années les plus tourmentées de l’histoire politique de Terre-Neuve. Dès son entrée en politique, il consacra tous ses talents à procurer aux Terre-Neuviens le droit d’administrer librement leurs propres affaires. Deux principes guidèrent sa vie : le « grand principe radical » du gouvernement responsable et le statut particulier des Terre-Neuviens autochtones. Dans la mesure où le clergé catholique soutint le principe du gouvernement responsable, Parsons l’appuya ; dans la mesure où il représenta une menace pour les Terre-Neuviens de naissance, il le combattit. Lorsque la classe marchande s’opposa au gouvernement responsable, il la combattit ; lorsqu’elle représenta les Terre-Neuviens de naissance, il l’appuya.
De plus, et ce fut là sa grande contribution, Parsons publia un journal passionnant qui refléta la personnalité de son rédacteur en chef. Parsons vécut en effet selon l’énoncé des principes gouvernant le programme du journal qui apparaissait dans la cartouche de titre : « Ce journal défendra les droits du peuple, aucunement intimidé par des influences ou corrompu par l’appât du gain. La vérité patriotique y énoncera les principes glorieux, garante de la religion, de la liberté et de la loi. »
Pour en apprendre davantage sur la politique réformiste à Terre-Neuve, nous vous invitons à consulter les biographies qui suivent.