WORRELL, CHARLES, avocat, homme d’affaires, juge de paix, fonctionnaire, officier de milice et homme politique, né vers 1770, probablement à la Barbade, troisième fils de Jonathan Worrell et peut-être de sa seconde femme, prénommée Catherine ; décédé célibataire le 6 janvier 1858 à Londres.

Charles Worrell naquit dans une riche famille de propriétaires fonciers de la Barbade, qui était allée s’établir en Angleterre dès 1800 et qui habitait Juniper Hall, à Mickleham, dans le Surrey. Il reçut une formation d’avocat et pratiqua quelque temps à la Lincoln’s Inn. Sa carrière tourna court, dans la première décennie du xixe siècle, après que son père eut entrepris de distribuer des terres à ses fils de son vivant. Worrell père décida que le gros des propriétés familiales à la Barbade irait à ses deux fils aînés, William Bryant et Jonathan. Quant à Charles et au cinquième fils, Edward (le quatrième avait embrassé la carrière des armes), il commença en 1803 à leur acheter des terres à l’Île-du-Prince-Édouard. Espérant imiter la réussite du père à la Barbade, Edward et surtout Charles se lancèrent graduellement en affaires à l’Île-du-Prince-Édouard.

En 1803, Worrell père fit l’acquisition du lot 41. Cette transaction marqua la première étape de l’établissement d’une immense propriété. L’année suivante, le père et ses deux fils achetèrent 17 000 acres du lot 39 et le tiers du lot 40 (d’une superficie approximative de 20 000 acres chacun). Charles et Edward s’installèrent alors dans l’île et entreprirent la construction sur le lot 40 de la Morell House, qui devint le centre de leurs activités. En 1804, Plowden Presland, propriétaire absentéiste, confia à Charles, en tant que son représentant, l’administration du lot 42. En 1813, Edward acheta pour lui-même 10 000 acres des lots 38 et 39. Quand Worrell père mourut en 1814, les deux frères fondèrent la C. and E. Worrell et transférèrent £3 286 à la succession de leur père afin d’éteindre tous les droits des autres membres de la famille sur la propriété située dans l’île. Charles hérita également d’une petite partie de la plantation Sedgepond située à la Barbade, mais il ne semble pas s’y être intéressé et il la vendit à Edward en 1841.

Charles s’inscrivit en 1810 comme barrister à la Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard, mais il ne pratiqua que pour régler ses achats de terrains et diriger ses affaires commerciales. Il était tellement pris par l’expansion continue de sa propriété foncière que cela allait presque jusqu’à l’obsession. En 1824, il acheta de Presland 10 000 acres du lot 42 et acquit l’autre moitié en 1839. En 1834, il se porta acquéreur des droits sur le lot 43 et, en 1841, il le purgea de son hypothèque. En 1840, il fit son dernier achat important, soit les 10 000 acres du lot 66, plus petit. Edward était retourné en Angleterre en 1830 et avait vendu sa part dans l’association à Charles, en 1836. À son apogée en 1843, la propriété de Worrell se composait des lots 39, 41, 42, 43, 66 et de larges portions des lots 38 et 40, ce qui représentait plus de 100 000 acres.

Les terres de Worrell formaient une seule étendue autour de la baie St Peters, dans le comté de Kings. St Peters avait été le foyer de la colonisation française dans l’île avant la Conquête et avait attiré les colons britanniques, au tournant du siècle, parce que plus de 2 000 acres y avaient été défrichées. Pour un propriétaire, cela voulait dire qu’avec peu ou pas d’efforts il pouvait attirer les colons désireux d’éviter les premières étapes difficiles du défrichage. En conséquence, pour une bonne partie des colons qui s’établirent dans ce secteur la première fois, c’était en fait leur deuxième expérience. Il y avait parmi eux des Highlanders qui s’étaient déplacés vers l’est, après avoir quitté les terres non défrichées des lots 34, 35 et 36 où ils s’étaient installés à l’origine. Malheureusement, les perspectives à long terme n’étaient pas des plus brillantes pour cette communauté de la rive nord. L’inéluctable réalité, c’était que les lots que Worrell avait rassemblés étaient pour la plupart peu propices à l’agriculture. Au cours du siècle, alors que le reste de l’île se peuplait, le nombre d’habitants sur le territoire de Worrell et la superficie des terres cultivées demeurèrent les mêmes. En 1803, la population des lots sur lesquels Worrell allait par la suite avoir la mainmise, se situait juste en dessous de 2 000 personnes et, en 1833, juste au-dessus de 2 000. La superficie des cultures passa de 5 226 à 6 030 acres, et l’importance de la communauté par rapport au reste de l’île déclina.

La détermination de Worrell à acquérir des lots persista malgré la pauvreté des terres de la région. Il ne fit aucun effort soutenu pour attirer de nouveaux colons, bien qu’en 1805 il se soit joint à William Townshend* et à John Cambridge* pour présenter au lieutenant-gouverneur, Joseph Frederick Wallet DesBarres*, un mémoire dans lequel ils décrivaient leurs efforts et ceux d’autres propriétaires, dont John MacDonald* of Glenaladale et lord Selkirk [Douglas*], pour coloniser leurs lots et augmenter la prospérité de l’île. En décidant de fixer ses loyers à 2 shillings (cours d’Angleterre) par acre sur des lots couvrant en moyenne 50 acres seulement, pour des baux d’une durée de 40 ans, alors que la moyenne des loyers de l’île était de un shilling par acre sur des lots de 100 acres pour des baux d’une durée beaucoup plus longue, Worrell découragea davantage les colons à s’établir et se fit une réputation d’administrateur foncier excentrique. Dans les années 1820, les voyageurs notèrent comme seuls signes d’amélioration la Morell House et les bâtiments de la ferme adjacente. Néanmoins, Worrell obtint quelques succès. En tant que résident plutôt que propriétaire absentéiste, il se prit d’un intérêt passionné pour l’administration de sa propriété. Il réduisit l’importance de ses loyers en acceptant de bonne grâce de ses locataires leur travail ou leurs produits (des pommes de terre surtout), ou les deux à la fois, en guise de paiement. Sa surveillance constante élimina presque totalement les squatters et la coupe libre du bois, problèmes qui tourmentaient les autres propriétaires. Les quatre chantiers navals, les cinq scieries et le moulin à carder situés sur ses terres lui permettaient d’exploiter des ressources autres qu’agricoles et d’offrir de l’emploi à de nombreux locataires. Ces entreprises ne pouvaient cependant pas compenser le fait que ses terres étaient fondamentalement peu propices à l’agriculture. À l’époque où Worrell quitta l’île, il avait dilapidé ses richesses, ce qui le laissait, selon Edward Whelan*, « dans une situation guère supérieure à celle de ses plus pauvres locataires ».

Worrell occupait une position sociale et politique anormale dans l’île : n’étant ni propriétaire absentéiste, ni membre de l’élite de Charlottetown, il régnait sur son propre fief de la rive nord de l’île. Les liens familiaux et matrimoniaux étaient essentiels aux relations sociales, et le célibat de Worrell l’isola encore davantage de ses voisins et de ses pairs. Des visiteurs notèrent qu’il était « plutôt timide et hésitant ». Étant donné la taille de sa propriété, il ne pouvait faire autrement que d’accepter de devenir juge de paix (1806), shérif en chef (1808) ou encore lieutenant-colonel dans la milice locale, mais il n’aimait pas de tels empiétements sur son temps et ne mit pas à profit les occasions que ces postes offraient pour fréquenter les autres notables de l’île. Et bien qu’il ait siégé comme député de la circonscription de Kings à la chambre d’Assemblée en 1812–1813 et de 1818 à 1820 (ses représentants rassemblaient ses locataires et les escortaient, bannières en tête et au son des cornemuses, jusqu’aux bureaux de vote), il ne s’attacha jamais d’une façon permanente à une faction politique quelconque. Il fut membre de la prétendue « cabale » qui provoqua la destitution du lieutenant-gouverneur DesBarres et conspirateur dans le mouvement qui amena la révocation du lieutenant-gouverneur Charles Douglass Smith. Il fut motivé dans les deux cas par le souci tout personnel de protéger la propriété des impôts élevés ou de l’escheat.

Nommé au Conseil de l’Île-du-Prince-Édouard en 1825, Worrell en devint président cette année-là. Il prit sa retraite en 1836, puis fut nommé à nouveau au Conseil législatif trois ans plus tard, après la restructuration des conseils par le lieutenant-gouverneur, sir Charles Augustus FitzRoy. Pendant toute cette période, Worrell ne fut pas un conseiller actif ni de premier plan. Il s’intéressait seulement aux questions qui concernaient directement les propriétaires, l’escheat étant la plus évidente, et qui touchaient à des problèmes vitaux comme la fixation de l’impôt foncier et les lois pour la construction des routes. Worrell semble avoir principalement utilisé ses fonctions pour être au courant des tendances de la politique provinciale afin de transmettre l’information aux autres propriétaires résidant à Londres. C’est Londres que Worrell considérait comme le centre véritable des prises de décision politiques sur les questions de propriété, une façon de voir qui, bien que correcte, l’éloignait de l’élite de Charlottetown, désireuse d’accroître son pouvoir.

Au moment même où ses achats de terrains avaient atteint leur point culminant, Worrell commença à penser à se retirer en Angleterre. Il était alors septuagénaire et montrait, selon certains, des signes de sénilité. Il démissionna de la milice en 1840 et du Conseil législatif trois ans plus tard. En 1844, il entreprit de vendre ses terres mais, malheureusement, y trouva moins d’intérêt qu’il n’avait espéré. Deux ans plus tard, il annonça que sa propriété était à vendre en bloc, mais il ne reçut aucune offre acceptable. Les acheteurs hésitaient probablement à cause des difficultés que Worrell avait à toucher les loyers de ses 400 familles de locataires. Fatigué et déçu, il remit ses affaires entre les mains d’un conseil d’administration, dirigé par Theophilus DesBrisay, et partit pour l’Angleterre en 1848. Le conseil le servit mal, et Worrell dut attendre encore six ans avant que sa propriété ne soit finalement vendue. Par une transaction équivalant à une escroquerie, William Henry Pope* acheta la propriété en 1854 pour £14 000, puis la vendit au gouvernement de l’île plus tard la même année pour £24 100. Ainsi Worrell connut tard dans sa vie les problèmes auxquels se heurtaient souvent les propriétaires absentéistes qui faisaient confiance à leurs représentants sur place. Le retard de la vente, la mauvaise gestion de la propriété dans l’intervalle et la corruption probable des membres du conseil d’administration signifient que durant ses dernières années à Londres Worrell fut riche en propriétés mais pauvre en liquidités.

Le domaine de Charles Worrell devait garder toutefois une signification symbolique, car son acquisition par le gouvernement fit époque dans l’évolution de la question foncière à l’Île-du-Prince-Édouard. Ce fut le premier d’une série d’achats qu’effectua le gouvernement dans l’intention de transférer les titres de propriété des grands propriétaires aux petits fermiers à bail [V. sir Samuel Cunard*]. Cependant, l’importance de ce domaine en tant que tel ne doit pas éclipser la forte personnalité de Worrell, rare exemple d’un grand propriétaire résident.

M. Brook Taylor

Arch. privées, J. C. Brandow (New York), [N. T. W. Carrington], « The journal of Nathaniel T. W. Carrington : a Barbados planter’s visit to Nova Scotia, Prince Edward Island, Boston, New York, Long Island, Philadelphia and New Brunswick in 1837 », J. C. Brandow, édit. (copie dactylographiée ; photocopie aux PAPEI).— PAPEI, Acc. 2316/1–2 ; 2849/128–129 ; RG 1, Commission books, 13 oct. 1806, 2 mai 1808, 1er févr. 1814 ; RG 5, Journals, 1825–1826 ; RG 6, Supreme Court, barristers roll, 1er mars 1810 ; RG 15, Crown lands, leases, nos 136, 180 ; RG 16, Land registry records, conveyance reg., particulièrement liber 12 : fo 241 ; liber 23 : fo 447 ; liber 50 : fo 11.— PRO, CO 226/25 : 11–13 ; 226/26 : 11, 152 ; 226/27 : 82–88 ; 226/29 : 70–71, 115 ; 226/37 : 109–110 ; 226/39 : 98–114, 129 ; 226/46 : 108 ; 226/53 : 13–14 ; 226/60 : 552 ; 226/88 : 248–269, 446–465.— Î.-P.-É., House of Assembly, Journal, 1812–1813, 1818–1820, 1841 ; Legislative Council, Journal, 1827–1836, 1839–1844.— John MacGregor, Historical and descriptive sketches of the Maritime colonies of British America (Londres, 1828 ; réimpr., East Ardsley, Angl., et New York, 1968), 11.— John Stewart, An account of Prince Edward Island, in the Gulph of St. Lawrence, North America [...] (Londres, 1806 ; réimpr., [East Ardsley et New York], 1967), 213–214, 217, 220–222.— Examiner (Charlottetown), 31 juill. 1848, 15 mai 1865.— Islander, 5 févr. 1858.— Prince Edward Island Gazette, 14 oct. 1818.— Prince Edward Island Register, 20 janv. 1825, 19 juin 1827, 19 août, 2 sept. 1828, 6, 27 avril, 15 juin, 3 août 1830.— Royal Gazette (Charlottetown), 3 avril, 16 oct. 1832, 9 avril, 21 mai, 13 août, 26 nov. 1833, 18 mars 1834, 3 févr. 1835, 19 janv., 28 juin 1836, 12 mars 1839, 8, 22 sept. 1840, 8 juin, 21 déc. 1841, 26 avril 1842, 7 févr. 1843, 30 juin 1846.— Weekly Recorder of Prince Edward Island (Charlottetown), 31 août 1811, 4 mai 1812.— Canada’s smallest prov. (Bolger), 77.— A. H. Clark, Three centuries and the Island : a historical geography of settlement and agriculture in Prince Edward Island, Canada (Toronto, 1959), 49, 58, 60–61, 70–71, 75, 84–86, 101.— A. B. Warburton, Ahistory of Prince Edward Island from its discovery in 1534 until the departure of Lieutenant-Governor Ready in A.D. 1831 (Saint-Jean, N.-B., 1923), 310.— [E. M. Shilstone], « The Worrell family in Barbados », Barbados Museum and Hist. Soc., Journal (Bridgetown), 29 (1961–1962) : 8–23.

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M. Brook Taylor, « WORRELL, CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/worrell_charles_8F.html.

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Auteur de l'article:    M. Brook Taylor
Titre de l'article:    WORRELL, CHARLES
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
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