Titre original :  Office of Lieutenant Governor: Lieutenant Governors gallery

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SMITH, CHARLES DOUGLASS, administrateur colonial, né vers 1761 en Angleterre, fils aîné de John Smith et de Mary Wilkinson ; en 1790, il épousa Frances Woodcock, et ils eurent au moins quatre fils et quatre filles ; décédé le 19 février 1855 à Dawlish, Angleterre.

Charles Douglass Smith naquit dans une famille pauvre et quelque peu excentrique. Son père, capitaine dans l’armée britannique, avait été l’aide de camp de lord George Sackville. Après que celui-ci fut cassé de son grade en 1759 pour avoir présumément désobéi aux ordres, John Smith quitta l’armée par dégoût et passa presque tout le reste de sa vie dans une réclusion quasi totale à Douvres, dans un abri à bateaux « longtemps connu sous le nom de folie de Smith ». En 1760, il épousa Mary Wilkinson, fille d’un riche marchand londonien, mais elle fut déshéritée pour s’être mariée sans le consentement de son père. Plus tard, les époux se séparèrent et se disputèrent la garde de leurs trois fils. Aucun des trois ne reçut tellement d’éducation, même s’ils furent confiés pendant un certain temps à un précepteur, à Tonbridge, puis placés à Bath, dans un pensionnat d’où leur père les retira peu après, contre la volonté de leur mère. Comme le capitaine Smith occupait à la maison royale un poste mineur, celui d’huissier du palais, il put obtenir des brevets d’officier pour ses fils. Le plus jeune, John Spencer Smith, s’enrôla dans l’armée et connut plus tard un succès relatif comme diplomate. William Sidney Smith entra dans la marine royale au début de son adolescence, se couvrit de gloire en participant à la défaite de Napoléon à Saint-Jean-d’Acre en 1799 et fut promu vice-amiral de l’escadre bleue en 1810. Député à la chambre des Communes de 1802 à 1806, il se fit beaucoup d’amis dans l’aristocratie, eut peut-être une aventure avec la princesse de Galles, Caroline Amelia Elizabeth, et était reconnu pour son « excentricité aussi attirante qu’originale ». Charles Douglass Smith, lui, eut une carrière moins brillante. Il entra dans le 1st Horse comme cornette le 5 octobre 1776, puis passa au 22nd Light Dragoons comme lieutenant le 15 décembre 1779. Apparemment, comme il le raconta plus tard, il servit un temps dans les Treize Colonies et fut promu capitaine le 20 novembre 1782, mais il fut mis à la demi-solde quand son régiment fut licencié, l’année suivante. Il reprit le service actif dans le 32nd Light Dragoons le 1er octobre 1795 et fut muté au 21st Light Dragoons le 20 avril 1796, mais il fut de nouveau mis à la demi-solde en 1798. Il avait été promu major le 1er mars 1794 et lieutenant-colonel le 1er janvier 1798.

Condamné à vivre dans une obscurité bien méritée et probablement à cacher sa pauvreté sous les apparences, Smith fut sauvé par l’influence que son frère William Sidney avait auprès de lord Bathurst, secrétaire d’État à la Guerre et aux Colonies. Nommé récemment, Bathurst cherchait en 1812 « un officier actif et efficace » pour remplacer Joseph Frederick Wallet DesBarres* comme lieutenant-gouverneur de l’Île-du-Prince-Édouard. En s’associant à James Bardin Palmer*, qui avait formé le groupe politique connu sous le nom de Loyal Electors, DesBarres s’était attiré l’hostilité du juge en chef Cæsar Colclough* et de la puissante faction menée par Charles Stewart* et Thomas Desbrisay*. Il avait aussi éveillé des craintes au sein du lobby des propriétaires en Grande-Bretagne, pour qui les Loyal Electors étaient un dangereux mouvement radical. Afin d’apaiser ces craintes, et influencé par les représentations de certains habitants de l’île, Bathurst démit DesBarres et Palmer de leurs fonctions, muta Colclough à Terre-Neuve et nomma Smith lieutenant-gouverneur de la colonie, le 4 août 1812.

Après une traversée de l’Atlantique « des plus orageuses », qui dura du 9 novembre au 29 décembre, Smith passa l’hiver à Halifax et attendit tout le printemps que la marine lui offre un transport convenable jusqu’à l’île. Le 24 juillet 1813, il prit enfin la tête du gouvernement, succédant à William Townshend*, qui administrait la colonie depuis le départ de DesBarres, le 5 octobre 1812, et qui prédit que Smith trouverait « une population paisible, rangée et [...] bien satisfaite ». Comme Smith craignait les intentions des Américains et qu’il était déjà convaincu qu’il serait « exposé aux tentatives d’un ennemi habile, actif et entreprenant », il ne « se risqua à convoquer l’Assemblée générale » qu’en novembre 1813, après beaucoup d’hésitation.

Smith demanda à l’Assemblée d’adopter de nouvelles lois et surtout de réviser la loi qui régissait la milice. Comme elle ne se rendit pas à ses demandes, il la prorogea le 13 janvier 1814 en déclarant qu’elle était menée par « une ligue de conjurés d’une espèce très dangereuse appelée « le Club » [...] dont M. Palmer [avait été] et demeur[ait...] le principal instigateur ». Alléguant que la garnison de l’île, qu’il tentait vainement de placer sous son commandement, était trop réduite pour maintenir l’ordre, Smith essaya en 1814 et 1815 de réorganiser la milice, « tout à fait indisciplinée ». On contesta cependant son droit à réviser les règlements de celle-ci et, le 2 novembre 1815, au cours d’un défilé, certaines unités de la milice refusèrent d’obéir à ses ordres : il réagit alors violemment. Il ordonna à l’officier George Wright* de punir ses troupes pour insubordination ; Wright démissionna au lieu d’obtempérer, et Smith tenta de lui enlever son siège au Conseil de l’Île-du-Prince-Édouard. Smith voulut aussi démettre le nouveau juge en chef, Thomas Tremlett*, parce qu’il avait refusé de « faire son devoir » en réprimant le désordre. En outre, quand le capitaine Charles Barrington, à qui Smith avait ordonné de « préparer ses munitions », refusa d’utiliser les troupes régulières contre la milice, Smith le fit arrêter. Les efforts de Smith produisirent des effets contraires à ceux qu’il avait escomptés. En 1816, Barrington fut libéré, et sir John Coape Sherbrooke*, commandant des troupes de la région de l’Atlantique, ne laissa à la garnison de l’île, qui était alors une compagnie, que 22 hommes, parce que Smith avait tendance à « intervenir sans nécessité auprès des troupes ». Cette décision ne fit qu’accroître les peurs de Smith. Il obligea la milice à monter la garde en permanence, hiver comme été, à l’extérieur du quartier des officiers, qu’il avait réquisitionné à son arrivée pour en faire sa résidence officielle. Il réclama aussi à plusieurs reprises, sans succès, que des troupes plus nombreuses le protègent contre des menaces qui n’existaient apparemment que dans son esprit.

Au début, la paranoïa de Smith se concentra sur Palmer, qu’il tenait pour responsable de l’opposition à ses réformes concernant la milice, et sur les membres du « club diabolique » de Palmer, qu’il soupçonnait d’être de mèche avec les éléments perturbateurs d’Irlande. Le 27 février 1816, Smith nomma le procureur général William Johnston* au conseil et, en novembre, avec son aide, il fit rayer Palmer de la liste des attorneys après un procès tout à fait irrégulier devant la Cour de la chancellerie, que Smith, en tant que chancelier, présidait. Palmer partit pour Londres afin de réclamer sa réintégration. Pendant son absence, le 8 juillet 1817, Smith convoqua de nouveau l’Assemblée qu’il avait prorogée près de quatre ans auparavant. Le 14 août, il la prorogea encore en déclarant : « nous nous sommes quittés en bons termes ». Toutefois, son refus de sanctionner la loi de finances adoptée par la Chambre basse parce qu’elle aurait imposé des droits de 2,5 p. cent sur les importations britanniques fut critiqué par l’Assemblée qui se réunit en novembre 1818, après les élections générales de septembre. Smith refusa d’accepter la réponse au discours du trône ; l’Assemblée exigea ensuite que le juge en chef Tremlett et le shérif soient démis de leurs fonctions pour avoir poursuivi ceux qui n’avaient pas payé leurs redevances foncières, et Smith dépêcha alors son gendre, John Edward Carmichael*, afin qu’il contraigne la chambre à ajourner ses travaux. C’était le 15 décembre et, ce soir-là, un des fils de Smith, Henry Bowyer Smith, fracassa une vitre de l’édifice du Parlement, peut-être avec ses poings ou avec des balles de neige. Deux jours après que l’Assemblée se fut réunie de nouveau, le 5 janvier 1819, Henry fut emprisonné sous le coup d’un mandat du président, Angus MacAulay*. Smith prorogea l’Assemblée le lendemain après-midi, libérant ainsi son fils.

Smith perdit encore des appuis en destituant le conseiller William Johnston au début de 1819. Il s’était retourné contre lui en mai de l’année précédente après que Palmer fut revenu dans la colonie avec des preuves qui montraient que Johnston avait détourné des fonds appartenant aux propriétaires dont il était le représentant. Par la même occasion, Smith démit aussi du conseil l’adjudant général de la milice, John Frederick Holland*, un des seuls conseillers à qui il avait manifesté jusque-là quelque confiance. Ces deux hommes, déclara Smith, étaient au cœur d’un nouveau complot qui se servait de la « franc-maçonnerie [...] pour camoufler de secrètes manœuvres politiques ».

En juin 1820, Smith convoqua des élections générales. La nouvelle Assemblée se réunit le 25 juillet 1820 et prépara une réponse au discours du trône dans laquelle elle critiquait les actions arbitraires de Smith, de sorte que celui-ci la prorogea le 10 août en proclamant : « maintenant, aucune nécessité ne commande de convoquer l’Assemblée générale pour des années ». Il n’avait pas tout à fait tort. Grâce à la rentabilité de diverses lois qui garantissaient depuis de nombreuses années des revenus au gouvernement, le Trésor provincial avait un surplus qui augmentait de façon soutenue. Smith aurait pu affecter ces fonds à des travaux publics, mais il préférait recourir aux corvées. En laissant les surplus s’accumuler dans le Trésor, il contribua à créer une pénurie de numéraire dans l’île. De plus, en refusant de réunir l’Assemblée, il empêchait l’adoption de lois essentielles. Mais il justifiait son refus en affirmant qu’on ne pouvait faire confiance à l’Assemblée, attendu qu’« un club d’une nature secrète et très malhonnête, [celui] des Loyal Electors, [...] revi[vait] depuis peu sous le masque de la franc-maçonnerie ».

Même si la conspiration des francs-maçons n’était qu’un produit de l’imagination de Smith, il réussit, par ses agissements, à se mettre à dos presque tous les groupes d’intérêt importants de l’île. Inévitablement, l’opposition fut dirigée par ceux dont les motifs étaient rien moins que purs. William Johnston ne s’allia aux opposants de Smith que par intérêt et John Stewart*, qui perdit son poste de receveur général des redevances en 1816 pour cause d’absentéisme, joua à son retour dans l’île un rôle déterminant dans l’organisation de la résistance à Smith. L’hostilité de Stewart se comprend, puisque Smith avait promis de « mettre fin » au pouvoir des familles Stewart et Desbrisay qui, selon ses propres termes, s’étaient « emparé de presque tous les postes relevant de la couronne dans la colonie et, pendant de longues années, les [avaient] occupés à divers moments ».

Même si l’on peut comprendre que Smith ait voulu détruire le monopole d’une poignée de familles qui avaient largement bénéficié de leurs postes, il reste que, dans les faits, il dispensa ses faveurs à un groupe tout aussi sélect. Méfiant à l’égard des Irlandais, des Écossais, des habitants d’origine américaine, de tous les catholiques et de presque tous les protestants, il favorisait des immigrants récemment débarqués d’Angleterre, des membres de l’Église d’Angleterre et des officiers à la retraite, comme lui. À la fin de son mandat, le conseil de l’île était devenu, selon ses critiques, un corps « sans poids ni influence ». En outre, tout en condamnant le népotisme pratiqué par d’autres, il s’y adonnait lui-même : « il a peut-être prié pour écarter la tentation, vu qu’il se présente comme un homme très religieux, déclara un de ses critiques, mais il n’a pas été délivré du mal ». En 1816, il avait tenté en vain de nommer son fils Henry receveur des douanes et, en 1817, de lui assurer les postes d’intendant du commerce maritime et de grand prévôt. Quand Thomas Heath Haviland* fut nommé à ces postes et qu’il demanda un congé, Smith le força à prendre Henry, qui n’avait pas encore 19 ans, comme adjoint. Le gendre de Smith, John Edward Carmichael, devint receveur général intérimaire des redevances, secrétaire colonial, registraire et greffier du conseil. Un autre de ses gendres, Ambrose Lane, fut nommé greffier et maître de la Cour de la chancellerie, et obtint un siège au conseil. John Spencer Smith occupa le poste de percepteur des impôts et George Sidney Smith servit de secrétaire particulier à son père. Vers la fin de sa carrière à l’Île-du-Prince-Édouard, Smith devint un reclus, entouré de sa famille et d’une poignée d’adulateurs.

Lorsque Smith s’aventurait en public, la liste de ses ennemis avait tendance à s’allonger. Il était arrogant, emporté et vindicatif. Il avait les mêmes préjugés que les autres gentlemen anglais de la campagne à son époque, mais à un degré extrême. Déplorant « la méprisable dégénérescence d’esprit et de manières qui stigmatis[ait] les tribus yankees », il refusait toute concession de terre à quiconque avait été soumis à « l’effet avilissant de ces régions de rhum et de friponnerie ». Pour lui, les Highlanders d’Écosse avaient « si peu d’application, de sobriété et de connaissances agricoles que l’on ne vo[yait] vraiment pas comment ils avaient pu se rapprocher d’une quelconque prospérité ». Quant aux catholiques et aux « sectaires », il se plaignait de leur influence dans l’île. Lorsque les catholiques réclamèrent les mêmes droits que leurs coreligionnaires du Bas-Canada, Smith refusa d’acheminer leur pétition jusqu’à Londres. De plus, il était déterminé à appliquer les lois qui empêchaient les ministres n’appartenant pas à l’Église d’Angleterre de célébrer des mariages. Il réservait pour cette dernière les meilleures terres disponibles, même quand elles se trouvaient au milieu d’établissements catholiques et presbytériens. Apparemment, Smith souhaitait sincèrement faire progresser les intérêts de l’Église d’Angleterre, mais il réussit à s’aliéner le ministre résidant de Charlottetown, Theophilus Desbrisay*, et se disputa avec le missionnaire envoyé à Georgetown par la Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts. Même parmi ses alliés naturels, il était peu aimé.

Les efforts maladroits que, Smith déploya pour régler la question des terres à l’Île-du-Prince-Édouard déclenchèrent une série d’événements qui aboutirent à son rappel. Dans une certaine mesure, on doit reconnaître que ses intentions étaient bonnes. Il se rendait compte que le développement de la colonie avait été retardé parce que les propriétaires qui avaient acquis de vastes terres au moment du découpage de l’île, en 1767, n’avaient pas respecté leurs engagements initiaux en matière de peuplement, et il était déterminé à les y forcer. Au début de 1818, il entama des poursuites contre les propriétaires des lots 55 et 15, tous deux très peu peuplés, et il se préparait à faire de même pour le lot 52 quand lord Bathurst lui ordonna d’abandonner. Pressé par le lobby des propriétaires en Grande-Bretagne, Bathurst annonça en mai 1818 que les clauses originales des concessions, qui exigeaient que les terres soient colonisées par des protestants étrangers, ne seraient pas appliquées et que les propriétaires auraient dix ans pour établir sur leurs domaines le nombre requis de locataires. Si Bathurst s’en était tenu à cette décision, le problème des propriétaires absentéistes aurait été simplifié de beaucoup, sans être complètement résolu, et Smith eut un certain mérite en servant de catalyseur. Toutefois, on ne saurait en faire le précurseur d’une réforme foncière visant à avantager des locataires opprimés. Il croyait au régime des propriétaires et était convaincu que les locataires avaient besoin de « l’aiguillon du loyer pour être industrieux ». « Le défaut de payer les loyers en général, le bas prix des spiritueux et le coût élevé de la main-d’œuvre sont trois causes primordiales du retard de la colonie », soulignait-il. C’est pourquoi il proposa que des soldats viennent s’établir dans l’île pour travailler à un salaire fixe, ce qui aurait réduit le coût de la main-d’œuvre. À l’origine, Smith souhaitait transformer les locataires du lot 55 en locataires de la couronne et non leur donner, à eux ou à leurs héritiers, les terres en franche tenure. Cependant, Bathurst décida que quiconque occupait une terre depuis 15 ans pouvait recevoir une concession, à la seule condition d’acquitter ses redevances ; ainsi, il établit un important précédent dont les réformistes fonciers d’une époque ultérieure allaient s’inspirer [V. William Cooper*]. Par cette décision, Bathurst rendit peut-être Smith plus populaire qu’il ne le méritait auprès des locataires.

Par ailleurs, à cause de sa détermination à percevoir les redevances, Smith perdit toute la popularité qu’avait pu lui valoir son programme d’escheat. En un sens, cette opération de perception était souhaitable parce que, comme le maintenait Smith, elle forçait les propriétaires à rentabiliser leurs domaines, donc à les peupler. Mais le fardeau des redevances pesait aussi sur les locataires qui, souvent, en vertu de leur bail, étaient tenus de les payer. En fait, les petits propriétaires qui avaient des capitaux limités et les locataires qui n’en avaient à peu près pas étaient les victimes les plus immédiates de ce fardeau. La vaste opposition aux redevances, commune dans toute l’Amérique du Nord britannique, avait aussi un autre motif :les sommes recueillies allaient à la couronne, et l’Assemblée n’avait aucun droit de regard sur elles. Même si Smith soutenait que ces revenus devaient être affectés à des dépenses utiles aux colonies, il prévoyait s’en servir notamment pour augmenter son salaire et construire une résidence convenable pour le lieutenant-gouverneur, deux choses pour lesquelles, il le savait, l’Assemblée ne voterait jamais de crédits. En fait, Smith tenait à toucher les redevances, en partie parce qu’elles accroîtraient les fonds à la disposition du gouvernement, de sorte qu’il pourrait montrer aux députés « combien il [était] facile de se passer d’eux ».

Smith eut toutefois du mal à appliquer sa politique en raison de l’absence du receveur général des redevances, John Stewart, et du silence de Bathurst. En 1816, il avait nommé Carmichael receveur général intérimaire ; de son côté, Bathurst avait déclaré que les redevances devaient être perçues, à l’exception cependant des arriérés antérieurs à 1816, et qu’un nouveau tarif serait fixé. Pendant près de deux ans, Smith attendit en vain de nouvelles instructions et, au début de 1818, il ordonna à Carmichael de commencer à percevoir les redevances en appliquant l’ancien tarif. Cette décision indigna les propriétaires absentéistes et contribua au mécontentement manifesté par l’Assemblée à la session de novembre. En apprenant les mesures que Smith avait prises, Bathurst exprima « de la surprise et du regret », mais annonça aussi l’instauration du nouveau tarif. Aucun autre effort ne fut fait pour percevoir les redevances jusqu’à ce que, en juin 1822, Carmichael publie un avis demandant le paiement de tous les arriérés en juillet. L’avis ne fut pas suivi et, en décembre, il en publia un autre dans lequel il exigeait les paiements au plus tard le 14 janvier 1823. N’ayant pas obtenu plus de succès, il entama sur-le-champ des poursuites judiciaires contre deux propriétaires résidents, Donald McDonald et John Stewart. Les nombreux locataires des cantons de l’est du comté de Kings, dont beaucoup étaient des Highlanders de langue gaélique, apprirent ensuite que leurs biens seraient saisis s’ils ne payaient pas rapidement leurs redevances. Plusieurs d’entre eux parcoururent de 50 à 70 milles pour se rendre à Charlottetown « avec des charges de blé et d’autres produits du genre » qu’ils durent vendre à bas prix à Carmichael et à ses adjoints. Un homme, raconte-t-on, « dut se départir des mitaines de laine peignée qu’il avait portées pendant son voyage » pour avoir de l’argent. S’il faut en croire les déclarations faites plus tard sous serment, Carmichael et ses adjoints traitèrent les Highlanders avec peu de respect et encore moins de compassion. En février 1823, la Cour suprême se prononça en faveur de Carmichael contre les petits propriétaires de quelque 40 000 acres dans le comté de Kings et, selon John Stewart, « les fils et les gendres [de Smith...] étaient comme d’habitude les principaux acheteurs ». Cette accusation doit être considérée avec un certain scepticisme, mais il y a tout lieu de croire que Carmichael et ses adjoints bénéficièrent largement de la diligence avec laquelle ils s’étaient acquittés de leurs fonctions.

Ces événements donnèrent lieu à une série d’assemblées publiques en mars 1823 ; des comités, dont un comprenait John Stewart, Paul Mabey* et John MacGregor, démis de ses fonctions de shérif en chef par Smith pour avoir convoqué les assemblées, furent formés pour préparer des pétitions à partir des résolutions adoptées dans chaque comté pour le rappel de Smith. Ces pétitions circulèrent dans toute l’île et, en septembre et octobre suivants, les résolutions furent publiées avec des documents connexes dans le Prince Edward Island Register par le rédacteur en chef, James Douglas Haszard*. Comme la liste des plaintes contenait une accusation selon laquelle Smith et Ambrose Lane avaient abusé de leurs fonctions à la Cour de la chancellerie en imposant des frais exorbitants, Smith décida qu’il était temps d’agir avec « modération et fermeté », et d’accuser ces « quelques factieux » d’outrage au tribunal. Haszard comparut en cour le 14 octobre et nomma les sept membres du comité du comté de Queens ; Smith lança ensuite des mandats d’arrêt contre eux. Stewart s’enfuit à Londres en emportant les pétitions, mais les autres se rendirent et, défendus par Charles Binns*, ils comparurent devant la Cour de la chancellerie à la fin du mois. Smith présida le procès et, comme il fallait s’y attendre, jugea que les accusés étaient coupables. Toutefois, la foule qui entourait le palais de justice était d’une humeur si menaçante que Smith suspendit l’audience le 30 octobre, jusqu’au moment où il pourrait appliquer le jugement, et libéra les prisonniers. Il se retira dans le quartier des officiers et envoya en secret un de ses fils à Halifax pour demander, en vain, à sir James Kempt, commandant des troupes de la région de l’Atlantique, d’envoyer des renforts ; dans sa lettre à Kempt, il précisait que son fils reviendrait « pour partager le sort auquel [étaient] exposés ceux qu’il a[vait] laissés derrière lui ».

En fait, le sort de Smith allait se décider à Londres et non dans la colonie. Bathurst était naturellement prédisposé à soutenir Smith et, pendant un temps, il continua de le faire. Quand Smith annonça qu’il suspendait William Johnston comme procureur général parce qu’il ne l’avait pas appuyé durant le procès, Bathurst approuva sa décision. Cependant, il appuya avec moins d’enthousiasme la nomination subséquente de Palmer, qui avait représenté Lane au procès et vers qui Smith s’était tourné en désespoir de cause. En mars 1824, James Stephen, le conseiller juridique du ministère des Colonies, après avoir étudié attentivement tous les documents disponibles à Londres, déposa un volumineux rapport qui établissait que la mauvaise conduite de Smith était suffisamment prouvée pour justifier son rappel. Ce fut ce rapport, et non l’influence de Stewart au ministère des Colonies ni celle des propriétaires absentéistes, qui convainquit Bathurst de la nécessité d’agir. De mauvais gré, il demanda à Smith de démissionner en lui promettant que, s’il pouvait réfuter les accusations portées contre lui, il recevrait une pension annuelle de £500. Le successeur de Smith, John Ready*, prit la tête du gouvernement le 21 octobre 1824 ; Smith, parti le 12 novembre, arriva à Londres en décembre. Il passa l’année 1825 à tenter de se réhabiliter et, en janvier 1826, Stephen rédigea un rapport étonnamment ambigu dans lequel il déclarait ceci : « les accusations de corruption, d’oppression et d’insolence [ont été] rejetées de manière satisfaisante mais, dans l’exercice de ses fonctions, il s’est rendu coupable d’indolence ainsi que d’une foi implicite et imprudente dans les diverses personnes de sa famille à qui il a donné des postes de confiance. Il est manifeste aussi qu’il était très pauvre, très parcimonieux, ou les deux, et conséquemment très impopulaire. » Smith apprit que sa pension lui serait versée à même les revenus provenant des redevances perçues à l’Île-du-Prince-Édouard mais, comme les sommes recueillies pendant les deux années suivantes furent maigres, il se trouva dans une situation très pénible et assaillit le ministère des Colonies de lettres dans lesquelles il réclamait sa pension. En 1829, sir William Sidney Smith vint de nouveau à la rescousse de son frère, et le gouvernement accepta d’inclure la pension de Smith dans les crédits votés chaque année par le Parlement britannique pour administrer l’Île-du-Prince-Édouard. Heureusement pour Smith, le gouvernement du duc de Wellington put réaliser cette promesse en 1830, avant que les whigs ne prennent le pouvoir. Jusqu’à sa mort, survenue dans sa maison du Devon en 1855, Smith continua donc de recevoir sa pension de £500 de la Trésorerie britannique. Fait significatif, au début des années 1850, pendant la période de transition qui précéda l’instauration d’un gouvernement responsable dans l’île, quand on demanda à la colonie d’assumer les diverses dépenses imputées auparavant au Parlement britannique [V. George Coles*], la seule dépense que le secrétaire d’État aux Colonies, lord Grey, ne demanda pas au gouvernement de l’île de prendre en charge fut la pension de Smith.

Dans The government of Prince Edward Island, Frank MacKinnon a qualifié Charles Douglass Smith de « pire gouverneur de l’histoire de la province ». Les premiers gouverneurs de l’Île-du-Prince-Édouard ont commis volontairement tant d’injustices qu’il est difficile de déterminer si Smith mérite cette distinction. Il est certain qu’il était moins ouvertement corrompu que certains de ses prédécesseurs, et ses efforts pour résoudre la question des terres et percevoir les redevances semblent avoir été motivés, en partie du moins, par des intentions honorables plutôt que par le désir d’acquérir des terres à peu de frais. Nombre des critiques dirigées contre lui étaient excessives et inspirées par l’intérêt personnel. Néanmoins, il abusa de son autorité, et, en 1823, faillit provoquer dans l’île une rébellion ouverte par la manière dont il mena les poursuites à la Cour de la chancellerie. Le zèle excessif dont il fit preuve en essayant de trouver du travail aux nombreux membres de sa famille est peut-être excusable, puisque cette attitude était caractéristique de son époque. Mais il est évident qu’il surveillait peu ses proches et que ceux-ci ne se gênaient guère pour tirer de leurs fonctions autant d’avantages que la loi le leur permettait. En mai 1824, le juge Brenton Halliburton, dépêché pour examiner les plaintes adressées contre la Cour de la chancellerie, rédigea un rapport dans lequel il condamnait Ambrose Lane pour avoir dérogé à l’esprit sinon à la lettre de la loi, en imposant des frais excessifs. Comme Smith bénéficiait du même tarif, il avait autant abusé de son autorité que Lane. En fait, Smith gouverna l’île comme si elle avait été un grand domaine rural dont les habitants auraient été ses locataires. Ses réalisations furent négligeables. Il s’attaqua à la question foncière, mais avec une maladresse telle qu’il donna aux propriétaires des raisons supplémentaires de prétendre que le mauvais gouvernement de l’île les dispensait de respecter leurs engagements et qu’il retarda peut-être une réforme plus substantielle du régime de propriété foncière. En méprisant la chambre d’Assemblée, il l’encouragea à exiger le même droit de regard sur les revenus publics que les Assemblées du continent et, pendant la crise de 1823, il amena probablement sur la scène politique des forces populaires qui avaient auparavant été calmes. Mais telles n’étaient pas ses intentions, et il est difficile de ne pas conclure que c’était un homme à l’intelligence et aux compétences limitées, et qu’il n’aurait jamais dû être nommé lieutenant-gouverneur. Peut-être les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard peuvent-ils tirer quelque consolation du fait que, pendant près de 30 ans, la Trésorerie britannique dut payer cette erreur de jugement.

Phillip Buckner

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Phillip Buckner, « SMITH, CHARLES DOUGLASS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/smith_charles_douglass_8F.html.

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Auteur de l'article:    Phillip Buckner
Titre de l'article:    SMITH, CHARLES DOUGLASS
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
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