Nommé juge en chef de la Nouvelle-Écosse en 1789, Thomas Andrew Lumisden Strange (1756–1841) arriva dans la colonie en plein conflit entre la chambre d’Assemblée et le conseil. Grâce à sa diplomatie, il contribua grandement à résoudre les tensions, et son énergie et son apport à l’éducation locale lui valurent des éloges. Il usa de son influence pour aider les Noirs à combattre l’esclavage. Strange trouvait cependant son poste désagréable et il se mit en quête de changement.
Titre original :  Thomas Andrew Lumisden Strange by Benjamin West - Wikimedia Commons

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STRANGE, sir THOMAS ANDREW LUMISDEN, juge, né le 30 novembre 1756 en Angleterre, probablement à Londres, deuxième fils de Robert Strange, graveur réputé, et d’Isabella Lumisden, et frère de James Charles Stuart ; le 28 septembre 1797, il épousa à Londres Jane Anstruther, puis le 11 octobre 1806 Louisa Burroughs, et de ce mariage naquirent de nombreux enfants ; décédé le 16 juillet 1841 à St Leonards (East Sussex, Angleterre).

En 1769, Thomas Andrew Lumisden Strange entra à la Westminster School de Londres, puis en 1774 au Christ Church College d’Oxford, qui lui décerna une licence ès arts en 1778 et une maîtrise ès arts en 1782. Inscrit à la Lincoln’s Inn en 1776, il fut admis au barreau en novembre 1785 et nommé juge en chef de la Nouvelle-Écosse en 1789. Peut-être obtint-il ce poste parce que sa mère connaissait bien un ancien ministre du cabinet, lord Mansfield. La chambre d’Assemblée et le Conseil de la Nouvelle-Écosse étaient alors en pleine querelle, notamment au sujet d’accusations de partialité portées contre les juges James Brenton* et Isaac Deschamps*, de la Cour suprême, qui avaient présidé ce tribunal en l’absence d’un juge en chef.

Débarqué à Halifax en mai 1790, Strange devait avant tout veiller à réconcilier les parties qui, constata-t-il, avaient les yeux fixés sur lui. À cette fin, il dîna « avec tous ceux qui [l’]invitaient », y compris Jonathan Stems, avocat dont la suspension, décidée par Deschamps, avait été l’un des éléments déclencheurs de ce qu’on a appelé l’affaire des Juges. Strange réintégra Stems dans ses fonctions et réussit à nouer de bonnes relations avec les juges, qu’il qualifia de « personnes très aimables, dignes d’estime et très serviables envers [lui] ». Sa diplomatie, le temps et la diversion créée par les hostilités contre la France en 1793 sont autant d’éléments qui résorbèrent la crise.

Dans l’ensemble, les fonctions judiciaires de Strange avaient peu à voir avec le différend entre l’Assemblée et le conseil. Dans les années 1790, la Cour suprême s’occupait surtout de recouvrement de dettes, en général peu élevées, quoique cette année-là elle ait eu à trancher un litige dont l’enjeu dépassait les £24 000. À l’occasion cependant, elle devait statuer sur des affaires à saveur politique. En 1793, le solliciteur général Richard John Uniacke* accusa de diffamation Francis Green*, fils d’un ancien trésorier de la colonie, après avoir tenté, avec d’autres, d’obtenir de lui certains documents. Strange déclara Green coupable et accorda à Uniacke £500 de dommages-intérêts.

Sans négliger pour autant sa principale mission, Strange trouvait le temps, semble-t-il, d’user de son influence de juge en chef pour combattre l’esclavage. Selon son successeur, Sampson Salter Blowers, il exigeait, dans les procès intentés contre des esclaves fugitifs, « la preuve irréfutable du droit du maître », si difficile à produire qu’« en général il était très facile de gagner la cause du nègre ». Blowers, alors procureur général, et Strange discutaient souvent de la manière de traiter pareils cas, et Strange préférait agir avec circonspection plutôt que « bazarder une si précieuse « propriété », comme on di[sait] ».

Strange se fit aimer d’emblée par bien des habitants de la colonie. Le gouverneur John Parr* déclara regretter qu’il ne soit arrivé plus tôt, ce qui lui aurait probablement épargné beaucoup de problèmes et d’anxiété. Le successeur de Parr, John Wentworth*, exprima aussi sa satisfaction à maintes reprises. Ainsi, en rapportant en 1793 qu’il y avait plusieurs comtés où la Cour suprême n’avait pas tenu d’audiences cette année-là, il précisa : « [ce] malgré l’extrême diligence de notre bon juge en chef, qui est infatigable au travail ». Lorsque, l’année suivante, il comprit que Strange pourrait choisir d’aller occuper un poste dans une autre colonie, il déclara que « la province et [lui]-même » ne pourraient pas connaître « pire malheur ».

L’évêque Charles Inglis* louait aussi la compétence de Strange à la Cour suprême, sa « vie toute pleine de probité et de vertu » ainsi que sa contribution au progrès du King’s College à titre de membre de son conseil d’administration. Apparemment, Strange s’intéressait beaucoup plus à l’établissement que certains autres membres du conseil. Il le visita à plusieurs reprises, travailla avec Inglis aux plans des nouveaux édifices et versa £100 pour une bibliothèque. Il se préoccupait beaucoup plus que l’évêque du coût éventuel du collège, mais exprimait l’espoir de le voir devenir « le plus haut lieu de savoir des possessions du roi de l’autre côté de l’Atlantique ».

En dépit de sa popularité manifeste, Strange finit pourtant par être malheureux en Nouvelle-Écosse. En 1794, il exprima son mécontentement à l’égard de Wentworth et des « habitudes de sa famille », allusion évidente, du moins en partie, à la moralité du lieutenant-gouverneur. De plus, signalait-il, Wentworth ne lui avait pas exposé franchement « ses idées sur le gouvernement ». Cette année-là, Strange sollicita le poste de juge en chef du Haut-Canada et se dit prêt à quitter la Nouvelle-Écosse « à la première occasion ». Des raisons financières, notamment, l’incitaient à vouloir une mutation. En principe, il devait toucher un salaire annuel de £1 000, plus £200 d’honoraires. Cependant, après avoir découvert que ses honoraires « consistaient en de petites sommes qui devaient souvent venir de gens très pauvres, à peine capables de les payer », il répugna à tirer une part quelconque de son revenu d’une source pareille. De temps à autre, il versait au moins une partie des £200 à la caisse d’une bibliothèque juridique ; par la suite, il contribua à la création, dans la ville, d’un fonds de livres « de nature plus populaire ».

En 1795, Strange renonça à obtenir une mutation dans le Haut-Canada et demanda plutôt l’autorisation de faire un voyage aux États-Unis quand la guerre contre la France serait terminée. Son grand ami le révérend Andrew Brown* rentra en Écosse justement cette année-là, ce qui accrut peut-être son sentiment d’isolement et son désir de partir. Le 25 juillet 1796, il s’embarqua pour l’Angleterre. Il n’allait y faire qu’une visite, précisa-t-il, comme il en avait fait une en 1791, mais apparemment on ne le crut pas. En 1797, il informait Wentworth de son intention de démissionner. Un an plus tard, il alla exercer les fonctions de recorder et de président du tribunal à Madras (Inde). Avant de quitter l’Angleterre, il avait été créé chevalier le 14 mars 1798. Devenu juge en chef de la Cour suprême de Madras en 1800, il le resta jusqu’à son retour en Angleterre en 1817. Son ouvrage en deux volumes, Elements of Hindu law [...], publié à Londres en 1825, fit autorité pendant de nombreuses années.

À l’époque où il était juge en chef de la Nouvelle-Écosse, sir Thomas Andrew Lumisden Strange avait réussi à rétablir la paix et à faire de la Cour suprême une institution respectée. Ce n’est pas un mince exploit. Blowers notait bien que, tout en étant « un remarquable théoricien du droit », il avait peu pratiqué et, dans une affaire de violation de propriété, avait commis une erreur que lui-même avait dû relever, mais ce sont là des vétilles à côté des nombreux éloges que Strange avait inspirés.

Donald F. Chard

PANS, MG 1, 480 (transcriptions), 1595–1613 ; RG 39, HX, C, 1790 (A–K), 1792 (S–Z), 1793 (A–Z), 1794 (A–H).— PRO, CO 217/36–37, 217/62–67 (mfm aux PANS).— Royal Gazette and the Nova-Scotia Advertiser, 1790.— DNB.— Cuthbertson, Old attorney general.—R. W. Winks, The blacks in Canada : a history (Londres et New Haven, Conn., 1971).— Margaret Ells, « Nova Scotian » Sparks of Liberty », Dalhousie Rev., 16 (1936–1937) : 475–492.— J. E. A. Macleod, « A forgotten chief justice of Nova Scotia », Dalhousie Rev., 1 (1921–1922) : 308–313.— T. W. Smith, « The slave in Canada », N.S. Hist. Soc., Coll., 10 (1896–1898) : 1–161.

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Donald F. Chard, « STRANGE, sir THOMAS ANDREW LUMISDEN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/strange_thomas_andrew_lumisden_7F.html.

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Auteur de l'article:    Donald F. Chard
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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