STEPHENS, HARRISON, marchand, né le 17 octobre 1801 à Jamaica, Vermont, fils de Samuel Stephens et de Beulah Howard ; le 22 février 1824 ou 1825, il épousa Sarah Jackson, et ils eurent trois fils et deux filles ; décédé le 16 mai 1881 à Montréal.

Harrison Stephens fit ses études à l’école de district de Jamaica, Vermont, et au collège de Middlebury. Jeune homme, il travailla comme sous-traitant dans une entreprise de canalisation près de Whitehall et comme bottier dans une tannerie à Hubbardton. Plus tard, il devint propriétaire d’une petite fabrique de souliers à Swanton, avant de déménager à la baie de Missisquoi, Bas-Canada, en 1825, où il exploita une vaste tannerie. Deux années plus tard, il déménagea encore, soit à Bedford ou à Stanbridge, et y ouvrit une fabrique de chaussures assez importante. Dès le début des années 1830, il s’était établi à Montréal, où il avait fondé une société qui importait du riz et du tabac de l’état de New York, dans laquelle il avait été associé pour une brève période avec son compatriote Edward Kellogg. Il est possible aussi que Stephens ait été propriétaire d’un hôtel à son arrivée dans la ville.

Même s’il n’existe présentement aucun document faisant état des diverses entreprises de Stephens, on sait qu’il fut très prospère. Selon un de ses collègues, Jedediah Hubbell Dorwin, « de tous les marchands du Canada, [il fut celui qui] s’enrichit le plus rapidement ». Dès 1830, il était assez riche pour avoir un dépôt considérable à la Banque de Montréal. On rapporte que, malgré l’importance de ce dépôt, le président de la banque, Peter McGill [McCutcheon*], refusa de rembourser ses effets à leur pleine valeur, probablement parce qu’il était Américain. Nullement ébranlé, Stephens se mit à faire des retraits très élevés, dont un de plus de $150 000. Il transporta son argent en traîneau à New York, ce qui lui valut un gain de 2 p. cent. Le geste catégorique et inattendu de Stephens incita John Torrance*, un des administrateurs de la Banque de Montréal, à négocier avec Stephens au nom de l’établissement. Ce dernier consentit, probablement par faveur personnelle à Torrance, à cesser de retirer des fonds de son compte dans cette banque. Par la suite, ses rapports avec la banque ne firent que s’améliorer, si bien qu’en 1845 il fut élu membre du conseil d’administration, poste qu’il occupa jusqu’en 1857.

Dès le milieu des années 1830 ou vers le début des années 1840, Stephens s’était associé avec son frère Sheldon et John Young*. La nouvelle société Stephens, Young and Company faisait surtout le commerce des denrées de base. Stephens rappela qu’au cours d’une seule année, il avait vendu de 5 000 à 6 000 barriques de rhum, « une boisson très populaire dans le pays », que la société avait acheté de très grandes quantités de farine et de porc, et qu’elle disposait à un moment donné d’une réserve d’au moins 50 000 barils de chacune de ces denrées. Stephens et Young travaillant de pair avec la Hubbard and Company, de New York, prétendirent avoir eu la main haute sur le marché canadien du porc pendant presque toute cette période. Après avoir fait des affaires d’or, Stephens mit un terme à son association avec Young en 1846 et se retira du commerce d’importation peu de temps après. Quant à Young, il se trouva un nouvel associé dans la personne de Benjamin Holmes*, ancien caissier (directeur général) de la Banque de Montréal.

Stephens ne fit jamais de politique active à quelque niveau que ce soit, mais ce ne fut pas par indifférence. Vers la fin de sa vie, il révéla que, s’il ne s’était pas joint à Louis-Joseph Papineau* en 1837, c’était parce qu’il se sentait vulnérable à cause de son origine américaine. Il connaissait bien Papineau et se souvenait de lui comme d’« un homme d’État et un patriote au grand cœur ». Stephens rappelait aussi que « le peuple avait eu de très bonnes raisons [de déclencher...] la révolution de 1837 ». « À cette époque, ajoutait-il, l’administration laissait beaucoup à désirer [... mais j’ai] refusé catégoriquement d’offrir toute aide à Papineau [...] et j’ai appuyé le [...] gouvernement tel qu’il était, sans quoi, pensais-je, il n’y avait pas de place pour moi ici. » Toutefois, Stephens s’engagea activement dans la controverse entre protectionnistes et libre-échangistes qui ébranla le monde des affaires de Montréal vers la fin des années 1840. Exaspérés par les sentiments libre-échangistes de Young et d’un petit groupe de marchands locaux, les protectionnistes de Montréal fondèrent une succursale de la British American League [V. George Moffatt*], dont Stephens fut un des vice-présidents. Il fit aussi partie en 1850 d’un groupe qui rendit visite à Louis-Hippolyte La Fontaine* et le pressa de faire augmenter les tarifs douaniers. Très ému du triste état dans lequel se trouvait son pays natal au commencement de la guerre de Sécession, Stephens offrit de lever un régiment à ses frais, dans le village de Rouses Point, New York, situé non loin de Montréal. Ce régiment devait combattre sous le commandement du colonel Frederick William Ermatinger*, de Montréal, pour le gouvernement des États-Unis. Le ministre américain de la Guerre, pour des raisons inconnues, n’accepta pas l’offre.

Même après s’être retiré du commerce d’importation en 1846, Stephens n’en demeura pas moins très actif dans d’autres domaines du monde des affaires. Il acheta de vastes terrains, particulièrement dans la partie commerciale de Montréal, près de la rue Saint-Jacques, et on le considérait comme le plus grand propriétaire immobilier de la ville ; il payait en taxes foncières à peu près la même somme que le Grand Tronc. Stephens figurait au nombre des promoteurs du chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique, du canal de Caughnawaga [V. John Young], de la Compagnie du terminus du chemin de fer de Montréal, et de la Banque des marchands dont il fut un des administrateurs provisoires en 1861. Il semble cependant que, par la suite, il se soit contenté de détenir des actions dans chacune de ces sociétés. De plus, il participa à la reconnaissance juridique du Bureau de commerce de Montréal en 1841 et de la Maison protestante d’industrie et de refuge de Montréal en 1863. Son nom fut aussi associé à au moins une entreprise de construction, un nouvel immeuble d’affaires pour le compte de Henry* et James Morgan, bâti en 1866.

Stephens demeurait avec son épouse et ses enfants dans une élégante maison de la rue Dorchester, entourée de trois acres de pelouses et d’arbustes parfaitement taillés, le tout donnant sur la ville. Il était unitarien, comme plusieurs autres célébrités de Montréal à cette époque, dont sir Francis Hincks, Benjamin Holmes, Thomas Workman et John Young. Ne fumant pas et ne buvant pas, il était considéré comme « un homme d’excellente moralité ». Il laissa par testament une généreuse dotation de $2 000 à l’église du Messie (unitarienne) ainsi qu’au Montreal General Hospital.

Gerald J. J. Tulchinsky

AC, Montréal, État civil, Unitariens, Messiah Unitarian Church (Montréal), 19 mai 1881.— Arch. privées, Murray Ballantyne (Westmount, Québec), « Biography of the late Harrison Stephens ».— Musée McCord (Montréal), J. H. Dorwin, « Antiquarian autographe », 103, 393.— Canadian biog. dict., II : 347.— Dominion annual register, 18801881 : 430.— Terrill, Chronology of Montreal.— Denison, Canada’s first bank, II.— Tulchinsky, River barons.

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Gerald J. J. Tulchinsky, « STEPHENS, HARRISON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/stephens_harrison_11F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
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