SALIGNAC DE LA MOTHE-FÉNELON, FRANÇOIS DE, prêtre, sulpicien, missionnaire, né en 1641 au château de Fénelon au Périgord, décédé à Aubeterre (Aubeterre-sur-Dronne, France) le 31 août 1679.
Il était le frère consanguin de l’illustre archevêque de Cambrai, de dix ans plus jeune que lui. On ignore tout de ses premières années, de son éducation et de ses études. On sait cependant que, en 1666, il désirait tellement se consacrer aux missions de la Nouvelle-France qu’il obtint de partir après 15 mois seulement de séminaire à Paris. Il s’embarqua le 30 janvier 1667 et arriva à Québec le 27 juin. Mgr de Laval* lui conféra le sacerdoce le 11 juin 1668.
À cette époque, des Iroquois qui s’étaient établis dans la péninsule de Kenté (Quinté), au lac Ontario, vinrent à Montréal demander des missionnaires au supérieur du séminaire. M. de Fénelon et M. Trouvé* manifestèrent le désir d’accepter l’invitation. Le supérieur, M. de Queylus [V. Thubières], y consentit et les envoya tous deux à Québec se munir des permissions des autorités civiles et religieuses. Ils obtinrent du gouverneur de Rémy de Courcelle une concession pour y établir leur mission, et de Mgr de Laval, une lettre de chaude recommandation. Le 28 octobre 1668, ils abordaient la bourgade de Kenté. Ils y passèrent l’hiver.
Au printemps, Fénelon descendit en canot à Montréal et à Québec « quérir de quoi payer les sauvages qui les nourrissaient ». Il ramena M. Lascaris* d’Urfé, son cousin. Au lieu de passer l’hiver de 1669 avec ses deux compagnons, il alla instruire les Iroquois de Gandaseteiagon dans leur bourgade située sur le lac Ontario (près de Port Hope).
Il ne fallait pas s’attendre, de la part de ces missionnaires, à une relation détaillée de leur héroïque entreprise. À Mgr de Laval qui, en 1669, désirait publier dans les Relations des Jésuites le récit de leurs exploits, l’abbé de Fénelon répondait : « La plus grande grâce que vous puissiez nous accorder, c’est de ne point faire parler de nous. » Cependant, en 1672, Dollier* de Casson annexait à son Histoire du Montréal une longue lettre de Trouvé qui est un sommaire de l’histoire de la mission de Kenté. On y voit de quelle audace et de quelle endurance étaient doués ces jeunes missionnaires sportifs qui maniaient le canot d’écorce à travers les rapides et les glaces, voyageaient du lac Ontario à Montréal et à Québec, hivernaient dans les bois où parfois ils s’égaraient, mangeaient de la sagamité et de la citrouille, partageaient la misère des Premières Nations pour ne réussir à baptiser que des enfants ou quelques adultes en danger de mort.
Heureusement, on s’intéressa à Paris à la mission de Kenté et l’on décida d’y entreprendre des constructions et d’y envoyer des animaux : ce qui fut fait au cours des dix années suivantes.
À Montréal, on s’inquiétait de l’éducation des enfants des Premières Nations. On crut nécessaire de les éloigner de la ville, et l’on jeta les yeux, pour les y établir, sur trois îles du lac Saint-Louis (au-dessus de Lachine) auxquelles on donna le nom de Gentilly. On y appela M. de Fénelon, qui avait déjà l’expérience de la vie chez les Premières Nations. Il se fit concéder ces îles en bonne et due forme. À cette occasion, le gouverneur de Buade de Frontenac écrit, le 9 janvier 1673 : « Le grand zèle que le sieur abbé de Fénelon a témoigné, depuis plusieurs années, pour la propagation du christianisme en ce pays et l’affection qu’il a fait paraître au service de Sa Majesté, nous obligent de chercher toutes sortes de moyens de les reconnaître et de le convier à continuer le zèle qu’il a eu jusqu’ici : zèle dont la ferveur l’a porté à abandonner tous les établissements considérables que sa naissance et son mérite lui pouvaient faire espérer en France, pour s’appliquer entièrement à la conversion et à l’éducation des sauvages. » Sur les rives voisines du lac, le séminaire de Montréal construisit les bâtiments nécessaires, avec l’espoir d’attirer dans cette partie de l’île quelques nouveaux colons. M. d’Urfé vint bientôt y rejoindre son confrère.
En 1674, on retrouve M. de Fénelon à Montréal. À cause de ses qualités et de son nom, il était dans les bonnes grâces des gouverneurs de Québec et de Montréal, Frontenac et Perrot. Mais cette situation devait bientôt changer.
François-Marie Perrot, qui avait épousé la nièce de Talon et que M. de Bretonvilliers, supérieur du séminaire de Saint-Sulpice de Paris, avait nommé gouverneur de Montréal à la demande de l’intendant, n’était pas le personnage qu’on espérait. Il n’était venu au Canada que pour faire fortune et s’était bientôt montré sous son vrai jour : cupide, arrogant, sans respect pour les seigneurs, abusant de sa charge ; il avait ouvert, dans l’île qui porte son nom, un comptoir de traite dont il confia la direction à Antoine de La Frenaye de Brucy, son commis, et, au mépris des ordonnances, il multipliait les congés aux coureurs de bois. De son côté, M. de Frontenac, non moins âpre au gain, avait construit au moyen de corvées le fort Cataracoui (Frontenac) pour protéger et grouper les Premières Nations, mais il en usa pour faire le commerce des pelleteries par l’intermédiaire de son homme lige, Robert Cavelier de La Salle, à qui le roi avait concédé le poste. Or il arriva que deux coureurs de bois hors la loi vinrent à Montréal et se retirèrent chez Carion, un affidé de Perrot. Le juge de Montréal, Charles d’Ailleboust, voulut les appréhender. Perrot s’y opposa. Le juge écrivit à Frontenac, qui dépêcha Bizard, mal reçu par Perrot. Il faut dire, cependant, que Bizard s’était conduit d’une façon très provocante, et ce, sur les instructions de Frontenac. Ce dernier intima à Perrot l’ordre de comparaître devant lui à Québec et écrivit à M. de Fénelon, leur ami commun, de lui servir d’intermédiaire. Fénelon convainquit Perrot, et tous deux descendirent à Québec. Dès leur arrivée, Frontenac incarcéra Perrot, et Fénelon, en essayant d’intercéder pour lui, irrita le gouverneur et perdit son amitié. Fénelon, d’ailleurs, s’était rendu compte que Frontenac avait abusé de son amitié et l’avait trompé.
À son retour à Montréal, l’abbé crut prudent, en vue de l’avenir qui s’annonçait mauvais, de céder au séminaire sa propriété des îles Gentilly, où du reste le séminaire avait fait tous les frais. Fénelon, chargé du sermon à la grand-messe de Pâques, prêcha devant tous les citoyens de Montréal. Dans la seconde partie de son sermon, traitant des devoirs de ceux qui sont constitués en autorité, il fit des allusions à certains abus, en particulier aux lourdes corvées, etc. La Salle fit alors un esclandre : il se leva et attira l’attention des auditeurs sur ce que disait le prédicateur. On fut d’avis généralement que l’abbé, dans ses critiques, avait visé le gouverneur de Frontenac.
Après la messe, tous les confrères de M. de Fénelon blâmèrent son sermon. Le supérieur alla s’en excuser auprès du commandant de la place, M. de Lanouguère, et écrivit au gouverneur lui-même pour désolidariser la compagnie d’avec l’erreur d’un de ses membres. Frontenac le prit de très haut et pria le supérieur d’expulser M. de Fénelon de la compagnie (on sait que les Sulpiciens ne font aucun vœu d’obéissance). Mais M. de Fénelon jugea bon de s’éloigner et alla exercer son ministère à Lachine.
Outre son sermon du 25 mars 1674, l’abbé avait commis une autre imprudence : celle de faire signer par les citoyens de Montréal une protestation contre l’emprisonnement arbitraire de M. Perrot à Québec. Aussi Frontenac lui intima-t-il l’ordre de comparaître devant lui. Fénelon se rendit à Québec et récusa le droit du Conseil souverain de le juger. Ces fils de famille, fiers de leur noblesse, ne craignaient pas de parler franc devant leurs pairs. Au surplus, le procès qu’on intentait à l’abbé de Fénelon était contraire aux lois ecclésiastiques comme aux lois civiles du royaume. Malgré l’intervention de M. Lascaris d’Urfé, parent de l’abbé et ami de Frontenac, les affaires s’envenimèrent à tel point que le Conseil souverain décida de renvoyer le litige au roi lui-même. De son côté, M. d’Urfé expédia au ministre Colbert un mémoire décisif.
Perrot et Fénelon se rendirent en France en 1674. Perrot fut enfermé à la Bastille pour quelques mois puis renvoyé à son gouvernement de Montréal. Frontenac fut très sévèrement réprimandé par le roi pour son attitude à l’égard de M. de Fénelon. Ce n’est que pour sauvegarder l’autorité du gouverneur que le roi ne le sermonna pas publiquement. En suite de cette affaire, les membres du Conseil souverain furent désormais nommés par le roi.
Quant à Fénelon, interdit de séjour au Canada par le roi, blâmé par le séminaire de Paris comme il l’avait été par celui de Montréal, il se retira de la Compagnie de Saint-Sulpice.
M. de Bretonvilliers disait aux ecclésiastiques de Montréal le 7 mai 1675 : « Je vous exhorte tous à profiter de l’exemple de M. de Fénelon. Pour s’être trop intrigué dans le monde et mêlé de ce qui ne le regardait pas, il a gâté ses affaires, et fait tort à celles de ses amis, en voulant les servir. Dans ces sortes de matières, qui ne regardent que des démêlés particuliers, la neutralité sera toujours approuvée. »
Où M. de Fénelon passa-t-il sa retraite ? Les historiens n’ont pas encore pu le découvrir. Auprès de son oncle, évêque de Sarlat, ou plus vraisemblablement sur le domaine de ses parents en Dordogne ? On sait seulement qu’il se retira à une date inconnue au couvent des minimes d’Aubeterre, où il mourut le 31 août 1679.
On regrette que la carrière de ce missionnaire intrépide ait été si tôt interrompue. Il ne reste même aucun vestige de la mission qu’il a fondée à Kenté. Tout au plus trouve-t-on son nom, le long de la rivière Trent, aux Fenelon Falls.
Ivanhoë Caron, Inventaire de documents, RAPQ, 1939–40 : 221–225.— Correspondance de Frontenac (1672–82), RAPQ, 1926–27 : 67–73, 81.— Dollier de Casson, Histoire du Montréal.— Jug. et délib.— Le Procès de l’abbé de Fénelon devant le Conseil souverain de la Nouvelle-France en 1674, RAPQ, 1921–22 : 124–188.— Le Différend entre M. de Frontenac et l’abbé de Fénelon, BRH, XLII (1936) : 614–617.— Eccles, Frontenac.— Faillon, Histoire de la colonie française, III.— Ægidius Fauteux, Les Surprises de la généalogie, BRH, LI (1945) : 391–394.— Lionel Groulx, Frontenac vs l’abbé de Fénelon, une tragi-comédie judiciaire, RHAF, XII (1958–59) : 358–371.
Bibliographie de la version modifiée :
Arch. départementales, Charente (Angoulême, France), J 960.
Olivier Maurault, « SALIGNAC DE LA MOTHE-FÉNELON, FRANÇOIS DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/salignac_de_la_mothe_fenelon_francois_de_1F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/salignac_de_la_mothe_fenelon_francois_de_1F.html |
Auteur de l'article: | Olivier Maurault |
Titre de l'article: | SALIGNAC DE LA MOTHE-FÉNELON, FRANÇOIS DE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 2020 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |