Provenance : Lien
RUSS, AMOS (il portait le nom haïda de Gedanst), converti au christianisme, chef haïda et conseiller de bande, né en 1849 ou 1850 à Skidegate (Colombie-Britannique) ; le 10 novembre 1879, il épousa au fort Simpson (aussi connu sous le nom de Port Simpson à la fin du xixe siècle, et officiellement sous le nom de Lax Kw’alaams depuis 1986), Colombie-Britannique, Agnes Hubbs, qui portait le nom haïda de Jaadahl Sing.gang.nga (décédée en 1964), veuve, et ils eurent 11 enfants ; décédé le 10 novembre 1934 à Skidegate.
Gedanst naquit dans une famille de haut rang du clan du Corbeau chez les Haïdas, peuple de la mer dont le territoire comprenait les îles de la Reine-Charlotte, qu’ils appelaient Haida Gwaii (leur nom officiel à partir de 2010), et une partie de l’archipel Alexander, dans ce qui deviendrait le sud-est de l’Alaska. Il devait hériter du titre de chef Skidegate. Ce titre appartenait alors à celui que d’anciennes sources imprimées en anglais décrivent comme son grand-père, et que la tradition orale haïda identifie comme le mari de la sœur de sa mère et l’un des plus puissants dirigeants haïdas de son époque, Paul Nang jingwas. Comme le voulait la coutume pour les jeunes hommes d’ascendance noble, Gedanst fut soumis à un entraînement physique rigoureux, des jeûnes et des épreuves qui servaient à renforcer les futurs dirigeants et, semble-t-il, à éliminer les plus faibles.
Quand Gedanst était adolescent, la population haïda, que les fonctionnaires de la Hudson’s Bay Company avaient estimée à 8 000 dans les années 1830, connaissait un déclin rapide accentué par l’épidémie de variole désastreuse de 1862. À son plus bas, en 1915, elle compterait moins de 600 personnes. Jeune homme, Gedanst quitta cette atmosphère de crise sociale et culturelle, et se rendit à Victoria, probablement au début des années 1870. Là, durant une bonne partie de l’hiver, il assista à des réunions de l’Église méthodiste tenues par une des filles du révérend William Pollard (donc par la sœur de Maria Heathfield Pollard). Gedanst se laissa convaincre de la vérité et de la valeur du christianisme, à la fois pour lui-même et pour les Haïdas de Skidegate. La nature de ses croyances chrétiennes est inconnue. Toutefois, des études sur la conversion religieuse des autochtones, de plus en plus nombreuses, notent que, au xixe siècle, des personnalités comme Gedanst s’engagèrent dans un processus complexe de transformation culturelle, selon lequel la christianisation allait de pair avec une indigénisation du christianisme. Comme d’autres convertis de la première heure, il prit le nom de l’homme qui le baptisa, Amos E. Russ, ministre qui deviendrait secrétaire financier du district de la Colombie-Britannique de l’Église méthodiste. Gedanst, désormais appelé Amos Russ, fut un des premiers Haïdas à se convertir au christianisme.
Russ retourna à Skidegate, déterminé à vivre en bon chrétien et à encourager les autres à se convertir. Son zèle déçut et mit en colère Nang jingwas, qui s’efforça de contrarier les plans de son héritier. À un moment donné, le chef demanda à Russ de renoncer à sa nouvelle religion ; apparemment, Russ répliqua en se rendant chez lui afin de débiter ses mâts totémiques ancestraux en bois de chauffage. Il s’installa par la suite au fort Simpson, où il rencontra sa future femme, Agnes Hubbs.
Agnes était la fille de Qawankie, femme haïda de l’île Frederick, dans la partie nord-ouest de l’archipel de la Reine-Charlotte, et d’un Américain, Charles Hubbs (Hobbs). Selon la tradition orale haïda, elle serait née à Masset en 1858, et aurait été adoptée et élevée par le mari de sa tante, le chef Harry Weah. En 1879, elle était déjà la veuve du chef Steilta. Après la mort de son mari, elle étudia au pensionnat pour jeunes femmes autochtones fondé au fort Simpson par la femme du missionnaire méthodiste Thomas Crosby*, Emma Jane. Agnes et Amos se marièrent la même année. Comme lune de miel, ils firent un voyage missionnaire avec Crosby dans la région de la rivière Nass. Peu après, Nang jingwas se calma, et le couple s’installa dans la maison familiale de Russ. Celui-ci poursuivit ses efforts d’évangélisation dans les années suivantes, d’abord sur le continent, puis aux îles de la Reine-Charlotte.
Quand il apprit de Crosby que les fonds manquaient pour établir une mission méthodiste à Skidegate, Russ tenta de convaincre la Church Missionary Society d’y envoyer un ministre de l’Église d’Angleterre. En 1883, il persuada George Robinson, qui enseignait à l’école méthodiste de fort Simpson, de rentrer avec lui pour faire la classe à Skidegate jusqu’à l’arrivée d’un ministre ordonné. Cinq ans plus tard, Russ fut parmi les dix hommes qui apposèrent leur marque sur un document intitulé « Statement of chiefs and others at Skidegate, Queen Charlotte’s Islands », dans lequel ils se plaignaient du fait que le gouvernement fédéral négligeait la santé et l’éducation de leur peuple, et se demandaient si c’était parce qu’ils étaient méthodistes, et non membres de l’Église d’Angleterre. Ce texte faisait partie d’une série d’écrits que la Methodist Missionary Society transmit au surintendant des Affaires indiennes, Israel Wood Powell*, pour appuyer des affirmations selon lesquelles les missions méthodistes étaient victimes de discrimination, contrairement aux membres d’autres confessions.
Au nombre des premiers convertis haïdas de Robinson et Russ comptaient Jim et Sarah Kelly, dont le fils, Peter Reginald*, épouserait une fille de Russ, Gertrude. Peter Reginald Kelly serait le premier ministre méthodiste autochtone de la province à recevoir l’ordination selon les règles et deviendrait le président des Allied Indian Tribes of British Columbia. Jusqu’à sa dissolution en 1928, cette association lutta pour la reconnaissance, par le gouvernement, des titres fonciers autochtones. Sa campagne prit véritablement son envol au début des années 1900, lorsque les Cowichans, les Niskas (Nisga’as) et d’autres peuples firent appel au droit britannique pour valider leurs revendications.
Après le renversement du gouvernement libéral fédéral de sir Wilfrid Laurier*, en 1911, Richard McBride*, premier ministre provincial conservateur, et James Andrew Joseph McKenna*, représentant du nouveau gouvernement conservateur fédéral de Robert Laird Borden, s’entendirent pour abandonner la question des titres autochtones et établir une commission chargée de préparer un rapport et d’émettre des recommandations sur les réserves. Les mandataires de la commission royale d’enquête sur les affaires indiennes de la province de la Colombie-Britannique, aussi appelée commission McKenna-McBride, visitèrent Skidegate en septembre 1913 ; Russ – alors dans la soixantaine – fut l’un des aînés autochtones et conseillers de bande qui expliquèrent pourquoi les Haïdas de Skidegate hésitaient à comparaître devant la commission. Russ, qui se décrivait comme un « gentleman chrétien », dit aux commissaires que son peuple et lui étaient très inquiets au sujet de leurs terres. En parlant des totems, il affirma qu’ils étaient « [à son peuple] ce que les poteaux de préemption étaient aux hommes blancs ». D’aussi loin qu’on puisse se souvenir, poursuivit-il, les îles avaient appartenu aux Haïdas, qui ignoraient qui avait un jour décidé de les baptiser du nom d’une reine anglaise. Il ajouta que, s’il avait pris une portion de terre qui ne lui appartenait pas, il l’aurait renommée lui aussi. Il déclara que les Haïdas n’avaient « jamais combattu » pour leur terre (et ne l’avaient donc jamais perdue lors d’une bataille), comme l’avaient fait les Boers et les Anglais, et que, par conséquent, ils ne comprenaient pas à quel titre le gouvernement la réclamait. Les Haïdas avaient suivi le précepte des missionnaires de ne pas prendre ce qui appartenait aux autres ; le gouvernement, par contre, s’appropriait « jour après jour » leur terre et la vendait. Les Haïdas avaient engagé un avocat pour défendre leur cause devant le comité judiciaire du Conseil privé, et ils ne parleraient aux commissaires au sujet de leurs réserves que si cela n’entrait pas en conflit avec leurs revendications territoriales. Comme les commissaires refusèrent de consentir une telle garantie, les Haïdas ne voulurent pas poursuivre les discussions.
Chef politique et religieux, Russ fut de plus un actif promoteur du développement économique de sa communauté. Pêcheur, trappeur et charpentier-menuisier expérimenté, il construisit au moins trois petites églises aux îles de la Reine-Charlotte (dont une à Skidegate), bâtit un moulin à eau et fabriqua des meubles. Une de ses filles se rappelait qu’il était sévère ; il ne leur permettait pas, à ses sœurs et elle, d’aller aux danses du village.
Amos Russ s’éteignit vers l’âge de 85 ans, laissant dans le deuil sa femme, 9 enfants, 28 petits-enfants et 2 arrière-petits-enfants. Un imposant cortège défila à Skidegate et on lui rendit hommage dans sa langue maternelle. Agnes Russ mourut le 2 juin 1964, âgée d’environ 105 ans ; au début du xxie siècle, les Haïdas gardent encore d’elle un souvenir affectueux.
Nous souhaitons remercier Blair Galston, archiviste aux Bob Stewart Arch. (Vancouver) de l’EUC, et Mme Susan Neylan, professeure (Waterloo, Ontario), pour leur aide. Le document intitulé « Statement of chiefs and others at Skidegate, Queen Charlotte’s Islands », signé par Amos Russ et d’autres chefs haïdas, a été publié dans Methodist Missionary Soc., Letter […] to the superintendent-general of Indian affairs respecting British Columbia troubles [...] ([Toronto ?, 1889 ?]).
Arch. privées, Hamar Foster (Victoria), Entrevues avec Reg Kelly, novembre 1995–avril 1996 ; Megan Harvey (Vancouver), Entrevue avec Captain Gold (Richard Wilson), 3 juill. 2014.— BCA, GR-2951, no 1934-09-018675.— EUC, Bob Stewart Arch., Port Simpson marriage register, 10 nov. 1879.— J. H. van den Brink, The Haida Indians : cultural change mainly between 1876–1970 (Leyde, Pays-Bas, 1974).— Canada, Commission royale d’enquête sur les affaires indiennes de la prov. de la C.-B., Rapport (4 vol., Victoria, 1916).— W. H. Collison, In the wake of the war canoe [...], Charles Lillard, édit. (Victoria, 1981).— « Colourful Indian character called to his forefathers », Western Recorder (Victoria), décembre 1934.— Thomas Crosby, Up and down the North Pacific coast by canoe and mission ship (Toronto, 1914).— K. E. Dalzell, The Queen Charlotte Islands, 1774–1966 (Terrace, C.-B., 1968).— Jan Hare et Jean Barman, Good intentions gone awry : Emma Crosby and the Methodist mission on the northwest coast (Vancouver, 2006).— Charles Harrison, The Hydah mission, Queen Charlotte’s Islands : an account of the mission and people, with a descriptive letter (Londres, [1884 ?]).— R. W. Henderson, These hundred years : the United Church of Canada in the Queen Charlotte Islands, 1884–1984 ([Queen Charlotte Islands [Haida Gwaii, C.-B.], 1985 ?]).— Alan Morley, Roar of the breakers : a biography of Peter Kelly (Toronto, 1967).— Imbert Orchard, The Queen Charlotte Islands : the Agnes Russ story : people in landscape (Victoria, [1977]).— F. E. Runnalls, It’s God’s country : a review of the United Church and its founding partners, the Congregational, Methodist and Presbyterian churches in British Columbia (s.l., 1974).— [A. D.] Stephenson, One hundred years of Canadian Methodist missions, 1824–1924 (Toronto, 1925).— C. M. Tate, Our Indian missions in British Columbia (Toronto, [1899 ?]).
Hamar Foster et Megan Harvey, « RUSS, AMOS (Gedanst) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/russ_amos_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/russ_amos_16F.html |
Auteur de l'article: | Hamar Foster et Megan Harvey |
Titre de l'article: | RUSS, AMOS (Gedanst) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2018 |
Année de la révision: | 2018 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |