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REAUME, JOSEPH OCTAVE (baptisé Joseph-Octave, il signait Joseph O. ou J. O.), enseignant, médecin, homme politique et fonctionnaire, né le 13 août 1856 dans le canton d’Anderdon, Haut-Canada, l’un des 11 enfants d’Oliver (Olivier) Reaume et de Josette (Josephte) Dumont ; le 14 septembre 1887, il épousa Catherine L. Turner de Lockport, New York, et ils eurent deux filles et trois fils, dont l’un mourut en bas âge ; décédé le 12 juin 1933 à Sandwich (Windsor, Ontario) et inhumé dans cette ville au cimetière St Alphonsus.
Joseph Octave Reaume descendait de l’une des premières familles du comté d’Essex, dans le Haut-Canada, dont les ancêtres, originaires de la région de Montréal, avaient choisi ce comté et le Michigan comme lieux de résidence. Pendant sa jeunesse, il aida ses parents, premiers colons du canton d’Anderdon, aux travaux de la ferme. Après avoir fréquenté l’école locale, il subit une blessure au dos et décida de renoncer à l’agriculture et d’exercer plutôt une profession. Son père ne pouvait pas assumer les coûts de son éducation ; cependant, grâce à la générosité d’Alexander Bartlet, magistrat de police de l’endroit, Reaume put obtenir un brevet d’enseignement en 1873, à l’âge de 17 ans. Il commença à enseigner dans le comté, puis, en 1877, entra à la Normal School de Toronto. Après avoir terminé ses études à l’Assumption College de Sandwich deux ans plus tard, il reprit sa carrière d’enseignant et devint bientôt directeur de l’école d’Amherstburg. Selon des amis et des membres de la famille, Reaume comptait parmi les meilleurs sprinteurs de l’ouest de l’Ontario ; en outre, il parcourait souvent à pied la distance d’environ 17 milles qui séparait Amherstburg de Sandwich.
En 1883, Reaume s’inscrivit au Michigan College of Medicine de Detroit. Afin de subvenir à ses besoins, il travaillait dans une pharmacie à Sandwich et, pendant les mois d’hiver, un ami et lui traversaient à pied la rivière Detroit gelée pour se rendre à leurs cours. Il obtint son diplôme en 1885 et poursuivit sa formation l’année suivante à la Trinity Medical School de Toronto. Il retourna ensuite à Sandwich, où il exerça comme médecin de famille auprès de patients francophones et anglophones avant de faire ses débuts dans la vie publique.
En mai 1902, Reaume fut élu à l’Assemblée législative comme candidat conservateur dans Essex North. Après la victoire de son parti sous la direction de James Pliny Whitney* en 1905, il occupa le poste de commissaire (puis de ministre) des Travaux publics, et devint le premier Franco-Ontarien membre d’un cabinet provincial. Il superviserait plusieurs projets, notamment des ajouts aux voies ferroviaires et l’érection de nouveaux ponts. Avec l’extension de la frontière nord de l’Ontario en 1912 et l’augmentation du nombre d’automobiles, les élus subirent des pressions pour fournir des infrastructures destinées aux voitures et aux véhicules de transport. En 1907, Reaume avait appuyé l’Act for the improvement of public highways, dont le gouvernement se servit pour centraliser la gestion et l’inspection des routes. En 1912, le gouvernement avait déjà dépensé plus d’un million de dollars et, en février de cette année-là, Reaume annonça l’investissement d’une somme supplémentaire d’un million de dollars. Il assura également le financement et la construction d’une nouvelle résidence du lieutenant-gouverneur, qui serait prête pour sir John Strathearn Hendrie* à la fin de 1915, la gestion d’une annexe aux édifices législatifs conçue par Edward James Lennox, l’agrandissement d’hôpitaux, la construction d’une ferme pénitentiaire à Guelph et l’ouverture d’un nouveau bureau du gouvernement de l’Ontario à Londres.
Reaume participa à un certain nombre de comités permanents, entre autres celui sur la chasse et la pêche. Il siégea aussi au comité responsable d’examiner les propositions, reçues entre 1911 et 1914, d’organisations syndicales, de magnats de l’industrie, d’intérêts commerciaux et de détaillants, dont découlerait le Workmen’s Compensation Act. La présentation d’un avant-projet de loi eut lieu en 1913 ; les critiques alléguèrent toutefois que la nouvelle mesure créerait des injustices envers les entrepreneurs et les industriels [V. sir James Pliny Whitney]. Avant que ces problèmes ne soient résolus, Reaume se verrait mêlé à l’une des questions les plus délicates que le gouvernement Whitney aurait à régler et devrait relever l’un de ses plus importants défis à titre de ministre canadien-français représentant une population francophone considérable : la question des écoles bilingues.
En avril 1910, Michael Francis Fallon se vit consacré évêque catholique de London, diocèse qui englobait le comté d’Essex. Déterminé à voir la génération suivante de catholiques prendre une place prépondérante dans la société, il voulait abolir les écoles bilingues qui, selon lui, n’enseignaient adéquatement ni l’anglais ni le français et, par conséquent, échouaient à préparer la jeunesse à la réussite dans l’économie industrielle urbaine de langue anglaise. Fallon craignait aussi que les exigences nationalistes récentes, exposées en janvier 1910 au congrès de l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario [V. Ovide-Arthur Rocque*], d’étendre les droits des écoles bilingues ne suscitent une réaction anticatholique au sein de la majorité protestante ontarienne semblable à celle qui avait soulevé la controverse dans l’Ouest en plein essor [V. Thomas Greenway* ; sir Wilfrid Laurier*]. En mai 1910, au cours d’une visite pastorale à Sarnia, Fallon sollicita un entretien confidentiel avec William John Hanna*, secrétaire de la province et député de Lambton West. L’évêque exprima son opposition aux écoles bilingues. En octobre, le rapport personnel de Hanna sur la discussion parut dans le Devoir [V. Henri Bourassa*] et d’autres journaux de la province de Québec ; on découvrit que la fuite provenait du secrétaire particulier de Reaume, Henry C. A. Maisonville. Partisan de Lucien-Alexandre Beaudoin – curé et fervent défenseur des écoles bilingues du comté –, Maisonville fut congédié pour son action. L’année suivante, aux élections provinciales de décembre, les anciens sympathisants de Reaume, insatisfaits de voir ce dernier associé à la controverse, votèrent pour le conservateur indépendant John R. Mason, chaudronnier qui appuyait l’abolition des écoles bilingues. Reaume reprit son siège, mais avec une faible majorité de 56 votes comparativement à 1 280, tout juste trois ans auparavant ; nombre de francophones avaient voté pour le libéral Severin Ducharme.
En 1912, Reaume s’aliéna davantage les conservateurs anglophones quand, le 26 juin, l’Evening Record de Windsor rapporta qu’au premier congrès de la langue française, tenu à Québec [V. Stanislas-Alfred Lortie*], il avait déclaré : « Avant de quitter ce congrès, nous devrions faire le vœu d’élever et d’éduquer nos enfants en français, quelle que soit la partie du Canada que nous habitons. » Cet été-là, le ministre de l’Éducation de l’Ontario, Robert Allan Pyne, fit passer le Règlement 17 en réponse à un rapport sur la qualité médiocre de l’éducation en anglais dans les écoles bilingues, que Francis Walter Merchant avait soumis à titre d’inspecteur en chef des écoles publiques et séparées. Le Règlement 17 stipulait que l’anglais constituerait désormais la langue de l’instruction et des communications dans tout l’Ontario. L’étude du français comme matière était permise une heure par jour après le premier cycle (les deux premières années du primaire) dans les établissements où on avait enseigné cette langue avant 1912, comme l’indiquait la disposition appelée « jusqu’ici ». Le règlement provoqua un tollé au sein du conseil des écoles séparées à Ottawa [V. Napoléon-Antoine Belcourt ; Samuel McCallum Genest], où l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario organisa une vaste campagne de protestation : les professeurs et leurs élèves sortaient de la classe si un inspecteur provincial, protestant, y entrait. Quand Reaume appuya le Règlement 17, le journal le Temps d’Ottawa exigea sa démission.
Au déclenchement des élections de juin 1914, de nombreux électeurs francophones de Reaume étaient en colère. Le 24 avril, l’Evening Record avait rapporté : « Il règne un sentiment parmi la population française selon lequel le docteur n’a pas été aussi dynamique qu’il aurait pu l’être sur la question du bilinguisme. Il a soutenu sir James Whitney et l’honorable Dr Pyne, défendant totalement la ligne de conduite du gouvernement. » S’étant aliéné également les électeurs de langue anglaise d’Essex North après sa déclaration au congrès de Québec deux ans auparavant, Reaume jugea moins risqué de se porter candidat dans la nouvelle circonscription de Windsor, où il vivait alors, mais il perdit l’investiture de son parti en faveur de l’orangiste Oscar Ernest Fleming*. Cet échec causa un grand embarras chez le premier ministre, dont le seul ministre francophone, partisan du Règlement 17, avait subi la défaite. Reaume décida de se présenter comme conservateur indépendant, ou « candidat de Whitney », comme le surnomma l’Evening Record du 20 juin. Dans le même numéro, on cita sa contestation de l’accusation d’un libéral de l’endroit : « M. [Charles Joseph] Montreuil […] m’a qualifié de traître à la population française, mais je pense que M. Montreuil lui-même n’est pas un Français loyal, car si vous lui parlez en français, il vous répondra en anglais. Pourquoi me qualifier de traître ? […] Je suis Français, et [je] sais comment se présente la question […] et je sais que je peux résoudre le problème. » Selon Reaume, la disposition du Règlement 17 permettant une heure d’enseignement du français chaque jour constituait une amélioration des droits, car l’article 93 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’offrait aucune protection de cette nature pour la langue française en Ontario. À l’instar de nombreux francophones du comté d’Essex, il considérait la maîtrise de l’anglais comme essentielle pour réussir dans l’industrie. Il tenta de clarifier son point de vue : « Aucun homme n’a été plus favorable à la population française que sir James Whitney […] Ce que nous voulons, ce ne sont pas des écoles françaises où on enseigne l’anglais, mais des écoles anglaises où on enseigne le français. » Les électeurs francophones ne partageaient toutefois pas tous cette position. Reaume dut en outre faire face à des plaintes selon lesquelles il n’avait pas accordé assez de postes partisans à des conservateurs de la circonscription. Par ailleurs, ses opposants alléguèrent qu’il avait approuvé la construction d’une nouvelle route qui aurait accru la valeur de sa propriété et de celles de ses associés.
Par conséquent, Reaume perdit son siège et démissionna de son poste de ministre des Travaux publics le 30 septembre. On le nomma registraire du comté d’Essex, fonction qu’il assumerait jusqu’à sa mort. Il accepta aussi de soigner quelques patients et occupa un certain nombre de postes administratifs, notamment la vice-présidence de la Guaranty Trust Company of Canada de Windsor et de la United Forge and Machine Company de Detroit. Il devint membre honoraire du mess des officiers de l’Essex and Kent Scottish Regiment et joua un rôle actif au sein des Chevaliers de Colomb.
Tandis que les jours de gloire de Reaume déclinaient, son engagement dans la controverse linguistique continua. Le père Beaudoin intenta une poursuite contre l’évêque Fallon, l’accusant d’interdire l’enseignement du français aux enfants canadiens-français et les sermons en français aux communautés francophones. Le Vatican dépêcha un enquêteur et, en février 1916, on appela Reaume à témoigner. Celui-ci déclara avoir compris que l’évêque s’était opposé à l’instruction bilingue en tant que système, non pas à l’instruction en français en soi. Fallon serait finalement innocenté. Pendant l’entretien, Reaume avoua que le président du Windsor Separate School Board, Gaspard Pacaud, et lui avaient travaillé en coulisses en 1915 et au début de 1916 pour convaincre le gouvernement de réintroduire l’instruction en français dans les écoles catholiques de la ville. Or, la clause « jusqu’ici » ne s’appliquait pas à ces écoles, car on y avait abandonné l’enseignement du français en 1910, quand l’évêque avait nommé un groupe d’ursulines anglophones à la direction. Les fonctionnaires du ministère de l’Éducation informèrent ultérieurement Reaume qu’en raison de l’ancienne tradition à Windsor, Pyne permettrait une heure de français par jour dans les écoles séparées si les administrateurs l’acceptaient. Le ministre revint bientôt sur sa parole, en expliquant qu’il avait mal interprété la clause et qu’il avait besoin, pour ce faire, de l’approbation de Fallon.
Malgré ce revers et la perte de son fils John Stanley vers la fin de la guerre, Joseph Octave Reaume, stoïque, ne renonça jamais à sa lutte pour rétablir le français dans les écoles séparées de Windsor. Il recommença à exercer des pressions quand les conservateurs de George Howard Ferguson* prirent le pouvoir en 1923. En collaboration avec d’autres partisans, il persuada le chef conservateur fédéral, Arthur Meighen*, de s’adresser au premier ministre au sujet de la loi. En 1927, Ferguson annonça des changements substantiels, qui restaurèrent effectivement l’instruction en français dans les écoles catholiques de Windsor pour la première fois depuis 17 ans. Après une longue maladie, Reaume mourut d’une insuffisance cardiaque le 12 juin 1933. Le lendemain, les hommages publiés dans le Border Cities Star de Windsor évoquaient un homme « génial », « modeste », « consciencieux » et qui « représentait le fonctionnaire par excellence ».
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Jack Cecillon, « REAUME, JOSEPH OCTAVE (baptisé Joseph-Octave) (Joseph O., J. O.) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/reaume_joseph_octave_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/reaume_joseph_octave_16F.html |
Auteur de l'article: | Jack Cecillon |
Titre de l'article: | REAUME, JOSEPH OCTAVE (baptisé Joseph-Octave) (Joseph O., J. O.) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2020 |
Année de la révision: | 2020 |
Date de consultation: | 20 déc. 2024 |