Henry Lewis (circa 1790–1799), esclave noir, envoya une lettre à son propriétaire, William Jarvis, homme politique du Haut-Canada, en 1798, après sa fuite dans l’État de New York. Lewis lui demandait de le laisser racheter sa propre liberté afin de « jouir de tous les avantages qui pourraient résulter [du fait] d’être libre ». On ne connaît rien d’autre sur la vie de Lewis, mais sa lettre en offre un aperçu et témoigne de la réussite d’un cas de résistance à l’esclavage dans le Haut-Canada.
Titre original :  Henry Lewis letter to William Jarvis, 1798 - Page 1. William Jarvis Papers. Reference Code: S109 B55 PP. 56-57. Toronto Public Library (Special Collections, Archive & Digital Collections, Baldwin Room. 
Source: https://www.archives.gov.on.ca/en/explore/online/slavery/big/big_21_henry-lewis-letter.aspx

Provenance : Lien

LEWIS, HENRY, esclave noir dans le Haut-Canada, en quête de liberté dans l’État de New York ; circa 1790–1799.

Henry Lewis était l’esclave de William Jarvis*, secrétaire provincial et greffier du Haut-Canada. Loyaliste qui avait quitté le Connecticut pour l’Angleterre à la suite de la guerre d’Indépendance américaine, Jarvis s’installa dans le Haut-Canada en 1792, après sa nomination dans le gouvernement colonial du lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe*. Jarvis, sa femme, Hannah [Peters*], et leurs enfants s’établirent à Newark (Niagara-on-the-Lake), la capitale du Haut-Canada. On ne sait pas comment Jarvis fit l’acquisition de Lewis et des six autres personnes noires qu’il réduisit en esclavage. Il les acheta fort probablement à des loyalistes du Haut-Canada peu après son arrivée. Pendant et après la guerre, les loyalistes qui s’exilèrent en Amérique du Nord britannique amenèrent avec eux les esclaves qu’ils possédaient déjà dans les Treize Colonies. Certains, comme Matthew Elliott*, emmenèrent aussi des Noirs asservis qu’ils avaient confisqués à des patriotes et revendiqués pour eux-mêmes.

En tant qu’esclave contraint au travail, Lewis dut certainement effectuer des tâches communes dans la propriété des Jarvis. Avec les autres esclaves, il s’occupait sans doute des animaux, notamment des bœufs, des porcs, des poulets, des canards et des dindes. En plus de traire les vaches, et de cultiver et récolter les produits agricoles, Lewis accomplissait probablement des corvées domestiques et des travaux pour améliorer le domaine de Jarvis, comme le déboisement.

Au cours de l’été de 1793, il est fort possible que Lewis apprit la promulgation de la loi visant à restreindre l’esclavage dans le Haut-Canada [V. Chloe Cooley]. Hannah Jarvis écrivit à son père, Samuel Andrew Peters, pour se plaindre amèrement que Simcoe avait « par chicanerie […] libéré tous les Noirs ». La vérité, cependant, était tout autre : même si la loi interdisait l’importation d’esclaves dans le Haut-Canada, elle confirmait la légalité de l’esclavage dans la province et stipulait que les personnes détenues comme possessions à l’époque se voyaient condamnées au « service contraint obligatoire à vie ». Les Jarvis gardèrent les hommes, les femmes et les enfants dont ils étaient propriétaires et continuèrent à bénéficier de leur travail forcé, ce qui permit à la famille de s’élever au sein de la nouvelle aristocratie de la colonie.

Quelque temps avant mai 1798, Henry Lewis s’échappa, traversa la rivière Niagara et se rendit à Schenectady, dans l’État de New York. La loi visant à restreindre l’esclavage dans le Haut-Canada de 1793, les conditions de vie chez les Jarvis et sa volonté d’être libre l’incitèrent à s’enfuir. De Schenectady, Lewis envoya à Jarvis une lettre datée du 3 mai 1798, probablement écrite en son nom par une tierce personne et dans laquelle il proposait de racheter sa propre liberté :

Monsieur,

Mon désir d’assurer ma subsistance en tant qu’homme libre et de jouir de tous les avantages qui pourraient résulter [du fait] d’être libre dans un pays où un Noir est défendu par les lois autant qu’un Blanc me pousse à vous faire une offre pour acheter ma liberté. Je suis un Noir et je ne suis ainsi pas en mesure de vous verser tout l’argent que vous pourriez me demander, mais à ces conditions, je m’achèterai moi-même. Dix livres cette année et chaque année suivante seize livres jusqu’à ce que la somme totale soit payée. Je désire remettre l’argent à Joseph Yates le maire de cette ville, car c’est l’homme le plus correct auquel je puisse penser à l’heure actuelle. La raison pour laquelle j’ai quitté votre maison est la suivante : vos femmes me contrariaient à un point tel qu’il était bien trop difficile pour un homme de le supporter, c’est la vérité, et je dirai à qui que ce soit que j’ai toujours vécu chez vous aussi bien que je l’aurais souhaité.

S’il vous plaît, écrivez à Joseph Yates ce que vous accepterez en espèces pour moi et laissez-le être l’homme à qui je remettrai l’argent annuellement. Je vous demande pardon dix mille fois et vous supplie d’avoir la gentillesse de me laisser m’acheter moi-même et à un prix aussi bas que n’importe qui d’autre. Je souhaite également à ma maîtresse une longue vie et une bonne santé et s’il vous plaît dites-lui que je lui demande pardon dix mille fois. Je me souviendrai toujours de ma maîtresse en raison de sa grande bonté à mon égard.

Je reste votre serviteur affectueux

Henry Lewis

La lettre de Lewis laisse entrevoir ce qu’il endura comme esclave de la famille Jarvis et ce qu’il en pensait. Il semble avoir essayé de modérer ses véritables sentiments à l’égard de Hannah Jarvis en usant de compliments à son sujet. La lettre met également en lumière plusieurs aspects de sa vie d’homme libre. Elle montre qu’il noua des liens à Schenectady avec des militants antiesclavagistes, dont le maire, qui le soutinrent dans sa situation critique. Elle soulève aussi une question : pourquoi Lewis a-t-il écrit à Jarvis pour lui proposer de s’acheter lui-même s’il était déjà libre et se trouvait à une distance suffisamment éloignée pour être en sécurité ? Peut-être a-t-il agi ainsi parce qu’il craignait qu’on le reprenne et qu’on l’asservisse à nouveau.

Il n’y a aucune trace d’une réponse de William Jarvis à la lettre de Lewis, mais on sait que les Jarvis demeurèrent des adeptes impénitents de l’esclavage. Plus tard au cours de l’année 1798, la famille s’établit à York (Toronto), où elle continua d’asservir six Noirs, trois hommes et trois femmes : les adultes Moses, Phoebe, Sussex et une femme au nom inconnu, ainsi que les jeunes Kitty et Prince (Henry). Ils restèrent esclaves probablement jusqu’à la mort de William Jarvis en 1817.

Henry Lewis subit l’asservissement et le travail forcé. Vivant à une époque antérieure à celle où les esclaves noirs commencèrent à s’enfuir au Canada par le chemin de fer clandestin [V. Harriet Ross*], il dut s’échapper aux États-Unis pour devenir un homme libre. Il renversa ensuite la situation, exerçant son pouvoir en proposant à Jarvis les conditions de l’achat de sa liberté. On n’en sait pas plus sur Lewis. Sa lettre, qui constitue la seule preuve de son existence, se veut un témoignage rare et puissant d’une personne noire réduite en esclavage dans le Haut-Canada.

Natasha Henry-Dixon

McMaster Univ., William Ready Div. of Arch. and Research Coll. (Hamilton, Ontario), St Mark’s Anglican Church (Niagara-on-the-Lake) fonds.— Toronto Reference Library, Special Coll. & Rare Books, S 109 (William Jarvis papers), B55, Hannah Jarvis to Rev. Samuel Peters, 25 sept. 1793 ; Henry Lewis to William Jarvis, 3 mai 1798.— The capital years : Niagara-on-the-Lake, 1792–1796, Richard Merritt et al., édit. (Toronto, 1991).— Afua Cooper, « Acts of resistance : Black men and women engage slavery in Upper Canada, 1793–1803 », OH, 99 (2007) : 5–17.— Eleven exiles : accounts of loyalists of the American revolution, P. R. Blakeley et J. N. Grant, édit. (Toronto et Charlottetown, 1982).— Alexander Fraser, Twenty-first report of the Department of Public Records and Archives of Ontario, 1932 (Toronto,1933).— Natasha Henry-Dixon, « One too many : the enslavement of Black people in Upper Canada, 1760–1834 » (thèse de ph.d., York Univ., Toronto, 2023).— The statutes of the province of Upper Canada […] (Kingston, Ontario, 1831).— York, Upper Canada : minutes of town meetings and lists of inhabitants, 1779–1823, Christine Mosser, édit. (Toronto, 1984).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Natasha Henry-Dixon, « LEWIS, HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 26 mars 2025, https://www.biographi.ca/fr/bio/lewis_henry_4F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: https://www.biographi.ca/fr/bio/lewis_henry_4F.html
Auteur de l'article:    Natasha Henry-Dixon
Titre de l'article:    LEWIS, HENRY
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2025
Année de la révision:    2025
Date de consultation:    26 mars 2025