LE SAULNIER, CANDIDE-MICHEL, prêtre et sulpicien, né le 26 mai 1758 à Doville, France, fils de François Le Saulnier, fermier, et de Magdelainne Le Mouton ; décédé le 4 février 1830 à Montréal.

Candide-Michel Le Saulnier étudia à la faculté de théologie de Paris, qui était alors un milieu de stricte pensée gallicane. Il mit cinq ans avant d’être ordonné le 21 septembre 1782 et agrégé à la Compagnie de Saint-Sulpice. Il assuma ensuite diverses tâches dont celle d’économe au séminaire de Reims. Il s’y trouvait au moment où éclata la Révolution. À l’exemple de son supérieur, Jacques-André Émery, et de ses confrères, il refusa de prêter le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé. Dès le printemps de 1791, avec l’installation des évêques assermentés, il sembla envisager de s’exiler comme le faisaient de nombreux prêtres réfractaires. Son passeport pour déplacements internes, obtenu en juillet 1792 de la mairie de Reims, le décrit comme un homme de cinq pieds deux pouces, avec un visage rond et plein, un front bombé, un nez bien fait, des yeux gris, des cheveux d’un châtain clair, une bouche moyenne et un menton arrondi. Le Saulnier quitta alors la France pour l’île de Jersey où il séjourna cinq mois, évitant ainsi la véritable chasse aux réfractaires qui commençait à s’organiser.

En 1793, Le Saulnier partit pour Londres où s’étaient déjà réfugiés près de 3 000 ecclésiastiques français, et dès son arrivée il fit la connaissance du sulpicien François-Emmanuel Bourret qui l’introduisit probablement auprès du secrétaire d’État à l’Intérieur, Henry Dundas. Le 30 mai, ce dernier lui remit une lettre de recommandation pour le lieutenant-gouverneur du Bas-Canada, Alured Clarke. Le 15 juillet suivant, Le Saulnier débarqua à Québec, où il reçut un accueil favorable, ce qui constituait un renversement complet de la politique britannique à l’égard de l’immigration des sujets français et ouvrait la porte à une recrue étrangère dont l’Église du Bas-Canada avait grandement besoin [V. Jean-François Hubert*].

Le séminaire de Saint-Sulpice à Montréal employa immédiatement Le Saulnier à la desserte de la paroisse Notre-Dame. En même temps, celui-ci se familiarisa avec son nouveau milieu et tenta d’apprendre l’anglais. Le conseil de l’établissement s’interrogea sur la délicate question juridique de l’intégration de Le Saulnier. Fallait-il l’agréger comme s’il n’était pas sulpicien, pour se protéger de toute accusation d’être en union organique avec la compagnie française, ou l’accepter comme sulpicien qui venait rejoindre des confrères à Montréal ? On ne voulait prendre aucun risque qui aurait pu affaiblir la position du séminaire dans sa discussion avec le gouvernement britannique au sujet de ses droits seigneuriaux, mais par ailleurs, sur le plan de la régie interne, il y allait du maintien de la place dominante qu’occupaient les Français au sein du séminaire. Le conseil opta pour la deuxième solution. Le Saulnier prêta le serment de fidélité au roi d’Angleterre et, trois mois après son arrivée, il fut reçu à titre de confrère, jouissant des mêmes droits et privilèges, admis au baiser fraternel et placé à son rang d’ancienneté tel qu’en France.

À la mi-novembre, Le Saulnier devint le quinzième curé de Notre-Dame. Il remplaçait François-Xavier Latour-Dézery, seul prêtre canadien à avoir exercé cette fonction depuis la fondation de la paroisse. L’évêque de Québec, Mgr Hubert, l’aurait davantage vu à la procure du séminaire, compte tenu de son expérience en la matière. Peut-être Hubert aurait-il préféré un sulpicien canadien comme curé, notamment Joseph Borneuf*, car la recrue française du séminaire de Saint-Sulpice venait interrompre le début d’un processus de canadianisation de ce dernier bastion du pouvoir ecclésiastique français. Les Français estimaient que, même séparé juridiquement du séminaire de Paris, le séminaire de Montréal devait demeurer un établissement français et que cela impliquait l’affermissement constant du pouvoir aux mains des sujets d’origine française. Les Canadiens, pour leur part, voyaient le séminaire comme une très importante composante des établissements religieux canadiens et réclamaient de pouvoir influencer sa politique. Les sulpiciens français s’installaient aux postes de direction sitôt arrivés à Montréal. Le Saulnier, tout Normand qu’il ait été dans ses relations sociales, se trouva du côté des Français pendant la dure période d’intégration qui suivit l’arrivée au séminaire de 11 nouveaux sulpiciens français en 1794. De même, il appuya le séminaire lors du violent conflit qui opposa ce dernier à Mgr Jean-Jacques Lartigue* en 1821 à propos de l’autorité ecclésiastique dans le district de Montréal [V. Jean-Charles Bédard ; Augustin Chaboillez].

À l’été de 1826, le supérieur du séminaire, Jean-Henry-Auguste Roux, se rendit à Londres afin de régler le problème des droits seigneuriaux, ce qui donna à Le Saulnier l’occasion de diriger le séminaire. Il semble avoir adopté une position qui s’éloignait de la ligne dure. Il rétablit des contacts avec Mgr Lartigue et atténua les tensions internes entre Canadiens et Français. Il se rangea même du côté des premiers lorsque la lutte éclata entre les deux groupes pour la prise du pouvoir après que Roux eut rapporté de Londres, en août 1828, un accord selon lequel le séminaire cédait au gouvernement une partie de ses droits seigneuriaux moyennant une rente fixe et perpétuelle. Ce fut durant cette période difficile que Le Saulnier, malade et affaibli, exprima le souhait d’être déchargé de sa cure et de tout souci d’ordre temporel.

Sur le plan pastoral, l’activité de Le Saulnier s’était partagée entre des travaux administratifs et la prédication, ainsi que la direction d’une équipe de vicaires qui se répartissaient la visite des quartiers de la ville et le soin de 2 000 à 3 000 pauvres qui faisaient la file pour recevoir du pain, le gîte, de l’argent et du combustible. Il eut ainsi l’occasion d’exhorter les fidèles au loyalisme envers le roi d’Angleterre lors des guerres napoléoniennes et de la menace américaine en 1812. C’est toute l’image religieuse du monde et celle de l’histoire gouvernée par une Providence qui ne destine le salut qu’à un petit nombre d’élus qu’il remit à l’esprit de ses paroissiens au cours de son ministère. Par ailleurs, à partir de 1808, le sulpicien vit s’éloigner graduellement de la pratique religieuse obligatoire une proportion croissante de fidèles, à commencer par les gens instruits et actifs, de telle sorte qu’en 1830 il n’y avait plus que 40 % de gens qui faisaient leurs pâques. Le manque chronique de lieux de culte dans la paroisse ne favorisait guère la ferveur religieuse. L’église paroissiale était déjà trop petite lorsque Le Saulnier devint curé. On ne songea qu’en 1823 à la remplacer par l’église actuelle [V. James O’Donnell]. Le Saulnier avait fait construire en 1814 la chapelle de Saint-Henri-des-Tanneries (Saint-Henri, Montréal) et celle de Côte-des-Neiges, desservies une fois par mois par un prêtre.

La contribution culturelle de Le Saulnier fut assez importante. À partir de 1796, avec Philippe-Jean-Louis Desjardins, à Québec et Bourret, à Londres, il organisa un réseau très efficace pour faire venir des livres à Montréal, favorisant les livres de dévotion et de spiritualité. Il fut pour beaucoup dans l’établissement d’écoles primaires à l’extérieur de la ville, à Côte-des-Neiges, au faubourg Saint-Antoine, à Saint-Henri-des-Tanneries et au faubourg Québec.

Moins connu que son supérieur Roux, qui fut très actif sur la scène politique et économique, Candide-Michel Le Saulnier laissa l’image d’un pasteur habile dans sa gestion, apprécié pour son éloquence toute classique et doué de qualités diplomatiques particulièrement recherchées tout au long des crises internes et externes qui marquèrent son activité montréalaise. À la fin de l’été de 1829, la paralysie le gagna complètement, et il ne communiquait que par les yeux. À ses funérailles, Mgr Lartigue tint à prononcer l’absoute, au milieu d’un concours immense de fidèles, dernier témoignage de respect pour le long ministère de Le Saulnier.

Louis Rousseau

Arch. de la Compagnie de Saint-Sulpice (Paris), Dossiers 55, no 12 ; 67, no 10 ; 76, no 7 ; mss 1208.— ASSM, 9 ; 11 ; 16–18 ; 21 ; 24, dossier 2 ; 27–28 ; 49.— « Quelques prêtres français en exil au Canada », ANQ Rapport, 1966 : 141–190.— Gauthier, Sulpitiana.— Bernard Plongeron, Conscience religieuse en révolution ; regards sur l’historiographie religieuse de la Révolution française (Paris, 1969).— Louis Rousseau, la Prédication à Montréal de 1800 à 1830 ; approche religiologigue (Montréal, 1976).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Louis Rousseau, « LE SAULNIER, CANDIDE-MICHEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/le_saulnier_candide_michel_6F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: https://www.biographi.ca/fr/bio/le_saulnier_candide_michel_6F.html
Auteur de l'article:    Louis Rousseau
Titre de l'article:    LE SAULNIER, CANDIDE-MICHEL
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
Date de consultation:    20 nov. 2024