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LAFONTAINE, PIERRE-EUGÈNE (il signait aussi Eugène), avocat, homme politique, professeur et juge, né le 26 novembre 1857 à Saint-Édouard, Bas-Canada, fils de Laurent-David Lafontaine, médecin, et de Hedwige Singer ; le 14 janvier 1880, il épousa à Montréal Elmire Moll (décédée le 15 février 1919), et ils eurent une fille ; décédé le 21 avril 1935 à Montréal et inhumé trois jours plus tard dans cette ville, au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.
Après des études classiques au petit séminaire de Montréal (1869–1876), Pierre-Eugène Lafontaine s’inscrit à la faculté de droit de l’université Laval à Montréal, où il obtient, en 1879, une licence avec grande distinction. Il fait partie de la première promotion de cette faculté. Il accède au Barreau de la province de Québec en juillet 1881 et pratique le droit à Montréal, où il a comme associés les avocats Arthur Desjardins, Joseph-Alfred Mousseau*, Joseph-Louis Archambault, Raymond Préfontaine*, Frédéric-Ligori Béïque et Edward L. Turgeon. Il agit à titre de substitut du procureur général de la province. Il sera nommé conseil en loi de la reine en 1893.
En 1886, élu député de Napierville à l’Assemblée législative de la province de Québec pour le Parti national, Lafontaine reprend le siège que son père a occupé de 1870 à 1881 sous l’étiquette libérale. Sa carrière politique est brève puisqu’il ne se portera pas candidat à l’élection suivante, en 1890.
Tout jeune avocat, Lafontaine soutient en 1882 une thèse de doctorat, intitulée « le Domicile », à l’université Laval à Montréal. Rares sont les juristes qui, à l’époque, entreprennent des études supérieures. Il n’est donc guère étonnant que, de 1888 à 1930, Lafontaine appartienne au corps professoral de cet établissement, connu sous le nom d’université de Montréal à partir de 1920. Secrétaire de la faculté de 1890 à 1914, il occupe la fonction de doyen de 1918 à 1929. Son cours de droit romain, classique dans sa forme et son contenu, renvoie occasionnellement, à titre comparatif, aux dispositions du Code civil.
Lafontaine épouse les doctrines diffusées par les Unions de la paix sociale, mouvement fondé par le sociologue et économiste français Frédéric Le Play, dont il est membre depuis 1889, et par son antenne dans la province de Québec, la Société canadienne d’économie sociale de Montréal [V. sir Louis-Amable Jetté*], qu’il préside de 1905 à 1907. Dans la même veine, il a consacré, en 1895, deux articles à une question préoccupante à la fin du xixe siècle, celle des accidents du travail. Il constate que la révolution industrielle a modifié le rôle de l’ouvrier et l’a rendu vulnérable. Le droit continue pourtant d’être interprété comme il l’a toujours été, en exigeant de l’ouvrier qui désire obtenir une réparation à la suite d’un préjudice de fournir la preuve de la faute de l’employeur. Or, celle-ci peut être impossible à établir, ou encore l’accident peut résulter d’un cas fortuit, ce qui laisse l’ouvrier sans indemnité. La jurisprudence a parfois été sensible à la situation de l’ouvrier en assimilant la simple imprudence du patron à une faute. Lafontaine constate que le « droit actuel n’est plus en harmonie avec les besoins du temps » et conclut à la nécessité d’une réforme. Il appuie la théorie du risque professionnel qui écarte le recours à la notion de faute et accorde une indemnité partielle à la victime. Tenant du libéralisme, il refuse d’assujettir les dirigeants d’entreprises à une assurance étatique obligatoire et privilégie plutôt la mise en œuvre d’une assurance privée facultative. La réflexion de Lafontaine a pu inspirer le projet de loi sur les accidents du travail soumis par Horace Archambeault* en 1904.
Nommé juge de la Cour supérieure en 1906, Lafontaine succède à Gustave Lamothe à titre de juge en chef de la Cour du banc du roi en 1922. Il prendra sa retraite en 1932. Ses décisions judiciaires attachent une grande importance aux faits de l’affaire entendue. Elles révèlent un esprit pragmatique. Pour établir le montant des dommages-intérêts à accorder à une partie, Lafontaine insiste sur la nécessité d’une preuve circonstanciée du préjudice subi. Par ailleurs, son interprétation des textes législatifs favorise une perspective formaliste, encore qu’il se garde de donner des interprétations conduisant à des résultats qu’il estime déraisonnables. Lafontaine fonde parfois ses décisions sur une étude de l’historique des dispositions législatives. Il consacre même des exposés détaillés au droit romain.
Fort intéressé par la question scolaire, Lafontaine est nommé commissaire à la Commission des écoles catholiques de Montréal en 1907. Il défend les idées soutenues par les réformistes opposés aux commissaires désignés par l’archevêché [V. Joseph-Narcisse Perrault*]. Parmi les objectifs des réformistes figure le regroupement de la trentaine de commissions scolaires catholiques de la métropole en une seule entité. Lafontaine est à l’avant-scène pour appuyer cette revendication. Il milite, en outre, en faveur de la gratuité scolaire, de l’organisation de colonies de vacances, de l’accès des filles à l’enseignement, de l’ouverture d’écoles maternelles ou encore du développement du cours primaire supérieur pour préparer les élèves aux études en génie ou en commerce. En 1909, le gouvernement provincial libéral de sir Lomer Gouin*, qui souhaite connaître l’avis du public sur le regroupement, confie le dossier au sénateur Raoul Dandurand*, nommé président de la commission royale concernant les écoles catholiques de Montréal. Lafontaine formule l’opinion la plus achevée sur le sujet pendant l’une des séances publiques. Même s’il appuie la fusion, il s’oppose à l’élection des commissaires par la population, craignant des élus surtout préoccupés par le coût de l’éducation. La commission d’enquête se fonde sur les propos de Lafontaine pour établir ses recommandations en faveur du regroupement des commissions scolaires. Après des embûches, le gouvernement de Gouin rassemble, en 1916, les commissions scolaires des villes de Montréal et de Maisonneuve (Montréal). Cette nouvelle entité, subdivisée en quatre districts relevant chacun d’une commission, est chapeautée par le Bureau central [V. Joseph-Narcisse Perrault], à qui échoient les questions financières et dont Lafontaine devient le premier président laïque en 1919. Au cours de la présidence de Lafontaine, qui prendra fin en 1928, le bureau voit ses pouvoirs de gestion accrus par rapport à ceux des commissions de district. En marge de ses activités, Lafontaine promeut l’épargne et lutte contre l’alcoolisme à l’école, dans le but de préparer les élèves à devenir des citoyens économes et sobres. Le réformisme de Lafontaine atteint ses limites devant la syndicalisation du personnel enseignant et la demande d’un traitement salarial égal pour les institutrices et les instituteurs.
À l’instar de plusieurs réformistes, Lafontaine est alarmé par l’alcoolisme, présenté comme un fléau pour la famille et la société. Il soutient avec détermination la Ligue antialcoolique de Montréal, dont il assume la présidence. Le mouvement ne se contente pas de prôner la tempérance : il milite aussi pour la prohibition du commerce des boissons alcoolisées. En octobre 1916, Lafontaine se rend à Québec, à la tête d’une délégation des ligues antialcooliques. À cette occasion, en présence du premier ministre Gouin et de ses ministres, il prononce un discours en faveur d’une loi prohibitionniste. Son militantisme l’amène à se joindre au Dominion Prohibition Committee, qu’il préside après la mort de Francis Stephens Spence* en 1917. Sa lutte ne l’empêche pas, en 1929, comme juge, de refuser d’assimiler à une manœuvre frauduleuse susceptible de sanction le fait pour un électeur d’avoir consommé de l’alcool offert pendant une soirée électorale.
Pierre-Eugène Lafontaine s’illustre dans la communauté juridique, où il occupe des fonctions prestigieuses. Il épouse des préoccupations de l’élite progressiste, et milite en faveur de l’assainissement moral de la société et de réformes sociales. Son apport le plus significatif concerne l’éducation. Lafontaine estime nécessaire d’assurer une meilleure gestion des institutions scolaires. Au bénéfice de la petite enfance, des filles et des jeunes qui se destinent aux études en génie et en commerce, il se fait le chantre de diverses initiatives en vue de réformer les méthodes pédagogiques et d’étendre l’enseignement au delà de son champ traditionnel.
Pierre-Eugène Lafontaine est notamment l’auteur de : « le Régime légal des accidents du travail devrait-il être modifié ? » et « Comment modifier notre régime légal des accidents du travail ? », articles parus dans la Rev. légale (Montréal), nouv. sér., 1 (1895), respectivement aux pp.67–80 et 409–418 ; Droit romain (Montréal, 1912) ; Date historique, 4 octobre 1916 : son honneur le juge E. Lafontaine présentant les délégués des ligues antialcooliques de la province de Québec à sir Lomer Gouin et à ses collègues (s.l., [1916 ?]) ; et « l’Alcool peut-il être un breuvage ? », Rev. trimestrielle canadienne (Montréal), 3 (1917–1918) : 373–385. Il a également préfacé l’ouvrage d’A.-A. Bruneau, Du mariage (Montréal, 1921).
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Sylvio Normand, « LAFONTAINE, PIERRE-EUGÈNE (Eugène) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lafontaine_pierre_eugene_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/lafontaine_pierre_eugene_16F.html |
Auteur de l'article: | Sylvio Normand |
Titre de l'article: | LAFONTAINE, PIERRE-EUGÈNE (Eugène) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2021 |
Année de la révision: | 2021 |
Date de consultation: | 21 nov. 2024 |