KELSEY, HENRY, marin, explorateur et gouverneur outre-mer pour la Hudson’s Bay Company, né vers 1667, mort en 1724.

La renommée de Kelsey est solidement établie par son voyage dans la région des Prairies canadiennes en 1690–1692, mais cet exploit ne doit faire oublier ni la diversité de ses talents ni l’importance de sa contribution à l’établissement de la compagnie. Pendant sa carrière de près de 40 ans, Kelsey joua un rôle dans la plupart des principaux événements à la baie d’Hudson. Entre 1684 et 1722, il ne laissa la baie que trois fois pour une année entière, soit en 1704, en 1705 et en 1713. Il quitta l’Angleterre à six reprises, pour le compte de la compagnie (en 1684, 1694, 1696, 1698, 1706 et 1714) ; deux fois il fut prisonnier des Français lors de la prise du fort York et assista deux fois à la reprise du poste. Il servit à Albany à un moment où ce poste était le seul encore aux mains de la compagnie et il aida au développement du commerce dans la région de l’East Main. Il fit partie de la première expédition qui essaya, sans succès, de s’établir à la rivière Churchill en 1689 et, ultérieurement, il participa à l’établissement d’un poste au même endroit. Il possédait une connaissance exceptionnelle des langues indiennes.

On ne peut se prononcer avec certitude sur les origines de Kelsey. Il y eut un Thomas Kelsey qui servit comme officier dans l’armée des parlementaires et qui était major général de la milice en 1655 (DNB) ; un autre Thomas Kelsey, orfèvre de Londres, fut pendant quelque temps, en 1679, actionnaire de la compagnie. Selon toute vraisemblance, le père d’Henry est John Kelsey, marin d’East Greenwich, qui mourut en 1674 et qui était peut-être ce « nommé Kelsy, commandant d’un brûlot » mentionné par Pepys dans son Diary (H. B. Wheatley, édit., 10 vol., Londres, 1893–1899, VII : 180). John Kelsey laissa trois fils, et Henry est le premier nommé dans son testament. Notre identification repose principalement sur les faits suivants : la femme d’Henry Kelsey était originaire d’East Greenwich, ses enfants y furent baptisés, lui-même y possédait deux maisons et c’est là qu’il mourut et fut inhumé. Toutefois, il reste une difficulté à éclaircir. En effet, si Henry Kelsey était le fils aîné, nommé dans le testament de John Kelsey, il a dû naître au plus tard pendant l’été de 1667, puisque John, le second fils, fut baptisé le 24 mai 1668 (ancien style). Cela signifie que, lorsqu’en 1688 le comité de la compagnie mentionne « le jeune garçon » (expression que les écrivains ont fait revivre), il avait déjà atteint l’âge de 21 ans.

Le 15 mars 1684, Kelsey fut mis en apprentissage à la compagnie pour une période de quatre ans. On a prétendu que c’était là sa deuxième période de service dans la compagnie, la première ayant duré de 1677 à 1684. Kelsey était certainement en apprentissage chez quelqu’un en 1677, puisque son contrat de cette année-là était entre les mains de la compagnie en 1683. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il s’était engagé dans la compagnie à l’âge de dix ans : son contrat avec le précédent employeur a pu être repris en charge (en 1683 ou plus tôt). Même s’il s’est engagé à une date antérieure, il est peu probable qu’il ait servi dans les ports de la baie avant le 6 mai 1684, date à laquelle il prit la mer sur le Lucy avec le capitaine John Outlaw*.

Kelsey fut assigné au fort de la rivière Nelson, rebâti par la suite à un autre endroit et nommé fort York. Quelques semaines après son arrivée, la place fut attaquée sans succès par les Français, mais rien n’a été relaté de la part que Kelsey prit à l’action. Au cours de l’hiver de 1688–1689, il porta des lettres, que les Indiens n’avaient pu faire passer, de York à New Severn. C’est là le premier événement qu’il jugea digne d’inscrire dans son « Memorandum of my abode in hudsons bay ». Dans le voyage aller et retour, qui dura un mois, Kelsey était accompagné d’un jeune Indien. Mais, même avant cet exploit, il était connu du comité de Londres comme étant « un jeune homme très actif, se plaisant beaucoup en la compagnie des Indiens, n’étant jamais plus heureux que lorsqu’il voyage avec eux ».

Kelsey fut désigné pour faire partie d’un détachement qui quitta York pour se rendre à la rivière Churchill, au début de l’été de 1689. Après avoir débarqué des hommes qui devaient construire un comptoir à Churchill, le capitaine James Young*, avec Kelsey à son bord, sur le Hopewell, essaya de faire voile vers le Nord, en suivant la côte. C’est à ce moment que commence le premier journal contenu dans The Kelsey papers : « A Journal of a voyage & Journey undertaken by Henry Kelsey to discover & Endeavour to bring to a Commerce ye nothern Indians Inhabiting to ye Northward of Churchill River & also ye dogside Nation ». Entravé par les glaces, le Hopewell fit seulement 20 lieues marines entre le 17 et le 26 juin 1689. Kelsey suggéra alors à Young de le laisser tenter sa chance à terre avec un jeune Indien (son compagnon de l’hiver précédent). D’après son propre calcul, Kelsey et son compagnon marchèrent 138 milles en direction du Nord, à l’intérieur des terres mais non loin de la côte. À presque tous les points de vue, le voyage fut un échec. Le terrain était montagneux et rocailleux ; Kelsey écrit dans son journal qu’il vit des bœufs musqués mais que le gibier était rare ; il trouva des traces de campements indiens mais pas d’Indiens. Le pire de tout fut que son compagnon se révéla un embarras plutôt qu’une aide. Il craignait tellement le danger que Kelsey, dégoûté, revint sur ses pas le 12 juillet. Il marcha 142 milles pour retourner au point où Young l’avait débarqué, et 93 milles de plus pour atteindre la rivière Churchill. Le contraste est frappant entre les déboires de ce voyage et la réussite du voyage de Kelsey dans les Prairies en 1690. Au nord de Churchill, Kelsey souffrit de son inexpérience, mais, plus encore, il fut embarrassé par son compagnon qui semblait ne pas savoir où il allait. D’après son récit, Kelsey ne fut pas soumis aux épreuves bouleversantes qui frappèrent Richard Norton*, dans ces régions, environ 30 ans plus tard. Mais ses notes du 25 juillet 1689 laissent supposer que ce voyage fut plus qu’une promenade dans la nature : « Débarqué aujourd’hui sur la côte, j’ai passé des moments atroces en apercevant les chutes que nous devions traverser, étant donné que nous n’avions rien pour amarrer notre radeau, sauf une petite ligne de loch et nous avons été forcés de sauter trois chutes terribles. Le radeau a heurté le roc à deux reprises, mais nous a conduits sains et saufs de l’autre côté ».

Kelsey avait l’intention de retourner en Angleterre en 1689, mais il n’en fit rien. L’été suivant, le 12 juin 1690, il partit de York pour entreprendre le voyage qui devait le faire passer à l’histoire. Jusqu’à la publication des Kelsey papers en 1929, le seul récit contemporain de cette expédition se trouvait dans le rapport parlementaire de 1749. Ce document contenait deux versions, légèrement différentes, du journal de Kelsey, qui furent présentées à un comité de la Chambre des communes, comme preuve de la part active prise par la compagnie dans l’exploration. Limité à la période allant de juillet à septembre 1691, période pendant laquelle Kelsey était à l’intérieur du pays, ce journal ne donne pas d’éclaircissement sur les régions où il s’aventura ni sur le but du voyage. Ce manque de précisions permit, en 1749, à Joseph Robson*, un ancien employé de la compagnie devenu par la suite son adversaire, de nier l’authenticité du journal et de répandre une version des voyages de Kelsey qui est fort éloignée de la vérité. Prétendant établir sa preuve sur les traditions orales de la baie, Robson n’essaya pas d’attaquer Kelsey personnellement ; il reconnut qu’il y avait eu un voyage et que Kelsey s’en était bien tiré. Mais il nia que l’expédition eût été autorisée, et encore moins ordonnée, par le gouverneur George Geyer* à York. Selon le récit de Robson, Kelsey aurait fui les mauvais traitements de Geyer et serait parti vers l’intérieur du pays de sa propre initiative. N’ayant rien d’autre pour écrire, il aurait fait parvenir à Geyer une lettre écrite au moyen de charbon de bois sur de l’écorce de bouleau, et serait finalement revenu à York en compagnie d’une épouse indienne. Présenté de cette façon, l’exploit de Kelsey fut interprété de manière à discréditer la compagnie. The Kelsey papers contenaient la propre version de l’auteur du journal de 1691 et un prologue en vers sur son départ de York au cours de l’été de 1690. Ce récit et la documentation provenant des archives de la compagnie prouvent sans l’ombre d’un doute que la mission de Kelsey avait été autorisée et ordonnée par Geyer et qu’elle reflétait le vif désir du comité de Londres de faire entreprendre de tels voyages vers l’intérieur du pays. Il est impossible de dire si la version de Robson était sa propre invention ou s’il la puisa plus tard, en toute bonne foi, dans les traditions de la baie.

L’objectif principal de la mission de Kelsey, selon les propres mots de Geyer, était « d’appeler, d’encourager et d’inviter les Indiens les plus éloignés à faire du commerce avec nous ». Kelsey emporta des échantillons de marchandises habituellement en dépôt dans les comptoirs de la baie et, entre autres choses, deux longs fusils anglais, de la poudre, des balles, 20 livres de tabac du Brésil, un chaudron de cuivre, des perles, des hachettes, une couverture et un vêtement passementé. L’année suivante, Geyer lui fit parvenir un réassortiment. À cette époque, la compagnie recherchait les moyens de diversifier son commerce afin d’éviter de dépendre trop uniquement des fourrures ; et, dans les ordres envoyés à Kelsey en 1691, on lui disait de rechercher des gisements, des minéraux et des plantes médicinales. Comme on s’était rendu compte depuis longtemps que la guerre à l’intérieur du pays nuisait au commerce, les instructions comportaient probablement la pacification des tribus indiennes. De toute façon, Kelsey assuma le rôle de médiateur. Il n’y a en effet aucune raison de mettre en doute le résumé de Geyer sur le retour de Kelsey : « Il voyagea et s’efforça de maintenir la paix parmi eux conformément à mon ordre ».

En quittant York, Kelsey prit la direction sud-ouest ; il partit gaiement, d’après Geyer, mais « le cœur lourd », selon lui. De York, le trajet empruntait probablement la rivière Hayes et la rivière Fox jusqu’au lac Moose, le même parcours que suivit Anthony Henday* en 1754, quoique cette prétention ait été mise en doute par Doughty et Martin, éditeurs des Kelsey papers. Moins d’un mois après avoir quitté les côtes de la baie, Kelsey était « aux frontières de la nation assiniboine » et, selon lui, à une distance de 600 milles de York :

Sur de grands fleuves torrentueux
                        En tout, trente-trois portages et cinq lacs majestueux.

(Ces deux lignes sont un bon exemple des vers frustes de Kelsey pour le prologue de son journal dans The Kelsey papers. Aucune explication n’a été fournie sur sa raison d’écrire ainsi.) Le 10 juillet 1690, Kelsey prit possession du pays au nom de ses maîtres, nommant l’endroit « deerings point », d’après le nom de Sir Edward Dering, alors gouverneur adjoint de la compagnie. La majeure partie de la controverse au sujet des voyages de Kelsey a trait à l’emplacement de ce lieu. Trois possibilités ont été envisagées. La première, et la moins plausible, est Split Lake sur la rivière Nelson, ce qui réduirait effectivement l’exploit de Kelsey ; cette version fut proposée par L. J. Burpee en 1908 ; il en fit virtuellement une rétractation dans une édition suivante de The search for the western sea (1935). La seconde est Cedar Lake, au nord du lac Winnipegosis (C. N. Bell). La troisième, et la plus couramment acceptée de nos jours, est une courbe de la rivière Saskatchewan à environ 12 milles de Le Pas, Manitoba (A. S. Morton et autres). Kelsey semble ne pas avoir voyagé très loin de Derings Point durant l’hiver de 1690–1691 et il y était de nouveau au printemps :

À deerings point, après le froid
                        J’ai planté là un genre de croix.
                        Pour marquer où je me suis promené
                        J’y ai gravé la date de l’année,
                        Et aussi pour retrouver ce tertre,
                        J’ai ajouté le nom de sir Edward deerings, mon maître.

Kelsey fit un rapport écrit à Geyer, et reçut des ordres et de nouveaux approvisionnements en provenance de York. Ensuite, le 15 juillet 1691, il laissa Derings Point « pour découvrir la tribu des Naywatame poets et établir avec eux des relations ». Malgré la conservation de son journal, on ne saura jamais avec une parfaite certitude jusqu’où il se rendit ; mais le résumé de C. N. Bell est le plus détaillé qu’on ait jamais fait et mérite d’être cité : « [Kelsey] remonta la rivière Saskatchewan jusqu’à un point de la rivière Carrot, où il abandonna ses canots et continua à pied. Affamé comme il l’était, il lui fallut trois jours pour traverser dans cette pénible condition la région marécageuse qui s’étend sur plusieurs milles au sud de la rivière Saskatchewan. Enfin, il arriva sur la terre ferme où il trouva des tourterelles tristes et des orignaux, et, plus loin au sud, une région de prairies beaucoup plus dégagée, où il y avait des cerfs en abondance. Il rencontra là les Assiniboines d’Eagle Creek et, continuant sa route, il atteignit la rivière Red Deer et ses « mines d’ardoise ». Il remonta ce cours d’eau, en direction sud-sud-ouest, et atteignit un peu plus loin la lisière de la forêt où devant lui s’étendait la Great Salt Plain, large de 46 milles, se prolongeant à l’Est et à l’Ouest, et dans laquelle il rencontra d’autres Indiens assiniboines (ces derniers venaient de Thunder Hill, une région voisine). S’il s’était aventuré si loin, c’était dans le but de traiter avec eux et il se trouvait en effet dans « le pays des Assiniboines ». Cette plaine abondait en bisons et, l’ayant traversée, il pénétra de nouveau dans une région boisée et de hauts plateaux, couverte d’étangs et de lacs peuplés de castors, qui était de toute évidence la région de Touchwood Hills. » Au cours de ce voyage, le 20 août 1691, Kelsey donne les descriptions du bison et de l’ours grizzly. Il se trouve être ainsi le premier Blanc à donner ces précisions sur l’Ouest canadien.

Le 25 août, Kelsey rencontra un grand nombre d’Assiniboines (Stone Indians on Mountain Indians) et, peu après, il entra en relations avec les « Naywatames » en vue d’établir la paix entre ces deux tribus, conformément aux instructions de Geyer. On ne peut savoir avec certitude qui étaient les « Naywatames » ; Burpee propose « les Nodwayes ou Sioux » et A. S. Morton les Gros-Ventres (Atsinas). Kelsey rapporte brièvement et sobrement ses harangues et ses efforts qui, dans l’ensemble, ne furent pas couronnés de succès ; on ne pouvait guère espérer. qu’un jeune Blanc, à 1 000 milles des siens, parviendrait à apaiser les querelles entre tribus. Les « Naywatames » promirent de rencontrer Kelsey à Derings Point le printemps suivant et d’aller avec lui jusqu’à la baie, mais la crainte d’être attaqués les en empêcha. Rich, qui décrit le voyage comme étant « unique par son importance et ses conséquences dans l’histoire de l’Amérique du Nord », reconnaît l’échec de Kelsey comme médiateur. Il se peut que Kelsey ait passé l’hiver de 1691–1692 au sud de la Saskatchewan ou qu’il soit retourné à Derings Point ; les notes quotidiennes de son journal s’arrêtent le 12 septembre 1691. Après une absence de deux ans, il revint à York au cours de l’été de 1692. Geyer, qui était manifestement très content, raconte, dans une lettre qu’il écrivit à Londres le 9 septembre 1692, l’arrivée de Kelsey « avec un bon groupe d’Indiens ».

Telle fut l’exploration de Kelsey dans l’Ouest. Elle fut difficile par moments et sans doute dangereuse, même si l’on écarte les récits fictifs, entre autres celui de Robson selon lequel Kelsey tua deux ours grizzly de deux balles. Considéré purement comme une œuvre de pionnier, le voyage était un important exploit, bien que le journal de Kelsey laisse entendre qu’il a toujours voyagé en compagnie d’Indiens expérimentés. Ceci ne diminue en rien le mérite personnel de Kelsey mais fait plutôt ressortir sa remarquable aptitude à gagner la confiance des Indiens qu’il accompagnait : cette aptitude et un esprit courageux étaient les qualités les plus précieuses pour l’exploration de l’Amérique du Nord. Il est moins facile d’évaluer les résultats pratiques du voyage. On peut douter de la réussite de sa mission sur le plan diplomatique. Cependant, au point de vue du commerce, il a sans doute obtenu de meilleurs résultats : il s’ensuivit vraisemblablement un accroissement du commerce à York, mais il est impossible de dire dans quelle mesure et pour combien de temps. De toute façon, l’occupation de York par les Français de 1694 à 1696, puis de 1697 à 1714, dut réduire les avantages que la compagnie aurait pu retirer de ce voyage. Il est incontestable que les voyages de Kelsey furent le triomphe du courage, particulièrement si on les compare aux échecs de ceux qui suivirent son exemple. Durant plus d’un demi-siècle après que Kelsey se fut frayé un chemin vers les Prairies, seulement deux employés de la compagnie – William Stuart et Richard Norton – accomplirent des voyages importants à l’intérieur du pays.

Dans The Kelsey papers, la version du journal de Kelsey contient un intéressant appendice : « An Accot. of those Indians belief & Superstitions ». Kelsey n’était pas plus anthropologue que poète, mais ses notes méritent peut-être d’être considérées comme les premières « observations » de la vie et de la religion indiennes faites par un homme de la compagnie, anticipant ainsi, de façon sommaire, les « observations » de James Isham* et d’Andrew Graham*.

Après avoir passé l’hiver à York, Kelsey retourna en Angleterre ; il cessa de toucher un salaire, le 12 septembre 1693, après neuf ans de service dans la baie. Il se rengagea le 25 avril 1694, s’embarqua durant l’été et était de retour à York au début du mois d’août. Une lettre qu’il écrivit le 8 août contient cette intéressante déclaration : « quant à moi, je ne ferai ou ne prendrai part à aucune découverte, jusqu’à ce que je reçoive d’autres ordres de mes supérieurs en Angleterre ». Ces ordres ne vinrent jamais et Kelsey ne fit plus de voyages à l’intérieur du pays. En cette année 1694, les attaques des Français dans la baie d’Hudson furent couronnées de succès. En effet, pendant les 20 années suivantes, sauf pendant un intervalle d’un an, York qui était le point de départ tout indiqué pour les voyages vers l’intérieur resta aux mains des Français et, lorsque la compagnie le reprit, Kelsey occupait un poste trop important pour qu’elle pût se passer de ses services à la baie.

Quand les navires partirent pour l’Angleterre, le 13 août 1694, Kelsey commença « A Journal of our wintering by gods assistance at hayes River in ye year of our Lord 1694 ». Jusqu’au 14 septembre, seules les affaires courantes y sont consignées. À cette date, les Indiens rapportèrent avoir vu deux navires dans le voisinage et l’on constata qu’il s’agissait de vaisseaux français, sous le commandement de Pierre Le Moyne d’Iberville. Ce journal est notre principale source de renseignements concernant le lent investissement de York qui s’ensuivit. Bien que, le 16 septembre, on eût tiré de part et d’autre, ce ne fut pas avant le 3 octobre que les Français mirent leur mortier en position et s’apprêtèrent, si les Anglais refusaient de livrer le fort, « à le réduire en cendres et à ne nous faire aucun quartier ». Sur quoi, le gouverneur Thomas Walsh envoya Kelsey et un compagnon pour négocier avec Iberville, et le fort se rendit le 4 octobre. Il y a tout lieu de penser que la garnison anglaise – y compris Kelsey – fut abandonnée à elle-même pour hiverner « dans les bois et déserts » avant l’embarquement pour la France, l’année suivante.

Kelsey et d’autres survivants étaient de retour en Angleterre à la fin de 1695 ou au début de 1696. Le traitement de Kelsey avait été suspendu le jour de la reddition de York (c’était la pratique courante de la compagnie) et il était probablement à court d’argent. C’est sans doute pour cette raison que, le 18 mai 1696, il signa un autre engagement de trois ans. La compagnie projetait de reprendre York avec l’aide de la marine royale, et le prompt rengagement de Kelsey, suivi de sa nomination comme troisième candidat au poste de gouverneur, montre que le comité de Londres ne lui faisait pas grief de ce qu’il considérait comme la lâche reddition de 1694. Le 2 juin 1696, Kelsey s’embarqua à Gravesend sur la frégate Royal Hudson’s Bay (capitaine Michael Grimington), qui faisait partie de la flotte formée de navires de la compagnie et de la marine royale. Son journal (du 2 juin au 19 juillet) décrit le rassemblement et le départ de cette flotte. Il rapporte avoir parlé en mer avec l’équipage d’un navire suédois, qui donna à l’escadre anglaise des nouvelles d’Iberville. York fut repris comme on l’espérait mais, sur cet événement, le journal de Kelsey – s’il en tenait un à l’époque – n’a pas été conservé, et on ne sait rien de la part qu’il prit au combat.

Ensuite, vient le plus long journal, mais qui est loin d’être le plus intéressant, contenu dans The Kelsey papers, du 18 septembre 1696 au 3 septembre 1697. On trouve très peu de notes personnelles dans ces comptes rendus des affaires courantes de l’année, qui ressemblent aux nombreuses annales de poste contenues dans les archives de la compagnie et datant d’une époque ultérieure. Il est possible en effet que ce soit le journal du poste, un brouillon ou une copie d’un journal plutôt qu’un document personnel ; Kelsey y est parfois mentionné comme « Monsieur Kelsey », au lieu de « Je », et des notes sur les événements survenus à York furent consignées dans le journal, même pendant l’absence de Kelsey. Le journal se termine par une répétition, presque mot pour mot, des événements survenus trois ans plus tôt. Le 19 août 1697, les Indiens aperçurent des Français qui, le 31 août, débarquèrent près du fort. Le bombardement commença et la demande de reddition arriva le 2 septembre. Le gouverneur Henry Baley était partisan de la résistance et « vint sur la plateforme, porteur d’un document promettant aux hommes une récompense d’un an de salaire s’ils signaient le document et si on parvenait à garder le fort ». Certains signèrent, d’autres refusèrent. Le journal de Kelsey rapporte l’incident, mais sans le commenter ni indiquer ses préférences personnelles. La reddition fut décidée ; avec deux autres compagnons, Kelsey négocia de nouveau les conditions de la capitulation avec Iberville. La décision de Baley se trouva justifiée. En effet, Iberville, sur le Pélican, avait déjà défait les navires anglais dans la baie, et les forces françaises à York (qui s’élevaient à 900 hommes, si l’on en croit Kelsey) étaient d’une puissance écrasante. Ainsi se termina « un hiver ennuyeux et un journal tragique écrit par moi Henry Kelsey ». Il semble cette fois que les prisonniers furent envoyés en France avant l’hiver, et Kelsey était probablement de retour en Angleterre vers la fin de l’année. Le traité de Ryswick, signé en septembre 1697, avait mis fin à la guerre entre la France et l’Angleterre.

Les hostilités reprirent en 1702 mais la compagnie ne fit aucune tentative pour reprendre York et le fort resta aux mains des Français jusqu’en 1714. La campagne d’Iberville dans la baie étant terminée et la compagnie à court d’argent, il s’ensuivit une stagnation, interrompue seulement par une attaque manquée des Français contre Albany, seul fort encore aux mains de la compagnie, en 1709. C’est à Albany que Kelsey fut envoyé, après s’être rengagé pour trois ans le 25 mai 1698. Pour sa quatrième traversée, il s’embarqua sur le Dering [III] (capitaine Michael Grimington) ; un journal relatant une partie de ce voyage forme les dernières notes, au plan chronologique, des Kelsey papers. Désormais, la vie de Kelsey doit être reconstituée principalement d’après les archives de la compagnie et d’après son bref ouvrage, « Memorandum of my abode ».

James Knight fut gouverneur à Albany jusqu’en 1700, puis John Fullartine lui succéda. En 1701, Kelsey fut nommé maître de la frégate Knight, un navire d’un peu moins de 50 tonneaux, qui avait été envoyé à la baie en 1696 et était alors utilisé pour le commerce dans la région de l’East Main. Ce commerce était dirigé d’Albany car à cette époque on n’avait pas encore construit de comptoir permanent dans la région, même si des hommes habitaient sans doute dans des quartiers d’hiver temporaires à l’île Gilpin, à l’île Baley ou ailleurs. À la fin de l’été, la frégate Knight fut chargée de marchandises et de provisions à Albany. Avec son équipage, elle hiverna sur la rivière Eastmain ou dans les parages et revint au printemps. Anthony Beale dirigea les affaires durant trois hivers et Kelsey pendant quatre autres (1701–1703 et 1707–1709), cumulant ainsi les responsabilités de maître de navire et de commerçant. La compagnie fondait certains espoirs sur le commerce de la région de l’East Main, en particulier sur les peaux de martres et les minéraux. C’est en vain que l’on rechercha des minéraux, mais on rapporta des fourrures. Au cours de deux hivers (1702–1703 et 1708–1709) les efforts de Kelsey furent couronnés de succès et il accumula 3 242 et 3 328 peaux de castors gras ces années-là. Bien que ceci ne représentât qu’une petite fraction de ce qui entrait à Albany, ces chiffres ne furent pas dépassés dans le commerce de la région de l’East Main avant 1729–1730.

Kelsey revint en Angleterre en 1703, sans doute parce qu’il était mécontent de son traitement de £50 par an, ou peut-être, selon la raison donnée par le gouverneur Fullartine, « pour recouvrer sa santé ». On connaît peu de chose de la vie de Kelsey entre son arrivée en Angleterre le 6 octobre 1703 et le 28 novembre 1705, date à laquelle il signe un nouveau contrat ; ce fut là sa plus longue absence du service de la compagnie. Les termes de ce contrat laissent voir que l’on avait grand besoin de lui : 10 shillings par semaine jusqu’à son embarquement l’été suivant, £4 par mois pendant la traversée en qualité de second, et £100 par an pour le séjour à la baie. Kelsey était maintenant reconnu comme un marin compétent et un habile officier.

Kelsey fut affecté à Albany comme premier agent de la traite, mais « pendant un an, le gouverneur Beal m’empêcha d’assumer mes fonctions ». Au cours des hivers de 1707–1708 et de 1708–1709, il retourna faire du commerce dans la région de l’East Main et c’est ce qui explique qu’il ne se trouvait pas à Albany lors de l’attaque du fort par les Français en 1709. Autant que nous le sachions, durant les trois années suivantes, il resta à Albany où il semble qu’entre autres charges il ait eu une certaine responsabilité dans la formation des hommes, puisque le comité de Londres lui écrivait, le 29 mai 1710 : « Vous faites bien d’enseigner aux hommes la littérature, mais particulièrement la langue, pour que nous puissions, en temps voulu, les faire voyager si nous le jugeons à propos ». L’allusion à la littérature est un mystère – elle ne signifie peut-être rien d’autre que de leur enseigner à lire – mais la même lettre jette une certaine lumière sur une des petites énigmes concernant Kelsey. Dans ses attaques contre la compagnie, Robson prétendait que Kelsey avait rassemblé « un vocabulaire de la langue indienne et que la compagnie avait ordonné de le supprimer ». Il existait en effet un tel ouvrage : « nous vous avons envoyé votre dictionnaire imprimé », et le comité poursuivait : « afin que vous puissiez faire de votre mieux pour enseigner la langue indienne à vos jeunes compagnons ».

Kelsey quitta Albany pour l’Angleterre en août 1712, sur son ancien navire, la frégate Knight, non pas comme maître mais comme passager. Il avait l’intention de revenir à la baie l’année suivante et, de fait, il fut désigné pour servir en qualité d’adjoint de Knight au fort York, qui allait bientôt être remis à la compagnie, suivant les termes du traité d’Utrecht. Des lenteurs dans la préparation des documents de transmission des pouvoirs retardèrent le départ d’un an et Kelsey reçut £100 de compensation pour l’ajournement de sa nomination. Cette concession et la dispense obtenue par la même occasion d’un an de préavis en cas de démission sont encore d’autres signes qu’on le tenait en haute estime. Kelsey quitta l’Angleterre, pour la sixième et dernière fois, en juin 1714 et assista, le 11 septembre, à la remise de York à la compagnie. Pendant les trois ans qui suivirent, il joua un rôle secondaire auprès de Knight. Sa tâche principale était de reconstruire le fort que l’on trouva en 1714 « dans un état pitoyable et près de s’effrondrer, à peine défendable contre les indigènes s’ils ont l’idée de nous attaquer ». Derrière cette note laconique de Kelsey : « J’ai fait tout ce que j’ai pu pour construire un nouveau fort », il devait y avoir beaucoup de travail et bien des épreuves. Ainsi, le samedi 7 mai 1715, à 10 heures du matin, une débâcle sur la rivière força les hommes à évacuer le comptoir, et « si la cathédrale Saint-Paul s’était trouvée là avant ce déluge, il n’en resterait rien à présent ». En 1717, Kelsey assuma le commandement de York pendant l’absence de Knight, qui était allé établir un nouveau poste à Churchill ; lorsque Knight retourna en Angleterre l’année suivante, Kelsey, après 34 ans de service presque ininterrompu dans la compagnie, fut nommé gouverneur de tous les établissements de la baie, y compris Churchill.

De retour en Angleterre, Knight porta contre Kelsey certaines plaintes, dont les détails ont disparu. Kenney, Rich et d’autres ont prétendu qu’on l’accusait d’avoir fait du commerce pour son propre compte, mais les quelques faits invoqués ne sont pas concluants. Kelsey reçut une copie des accusations en 1719 ; on lui demanda de fournir des réponses détaillées, le comité de Londres « étant très peu disposé à penser qu’une personne telle que vous, dont nous avions une si bonne opinion, pourrait perdre notre estime ». Il n’existe plus de trace de la réponse de Kelsey, mais, dans une lettre du 1er février 1720, adressée à Richard Staunton*, il fait allusion aux « calomnies concernant les Indiens car sans eux les temps auraient été très durs pour nous cet hiver, vu qu’ils ont tué près de 100 cerfs », ce qui semble être une défense contre l’accusation d’être trop doux avec les Indiens. Une des accusations que nous connaissons se rapporte à un vol commis par des Indiens et qui remonte à 1696–1697. Ce sont là les seules plaintes enregistrées contre Kelsey pendant toute la durée de son service, et il est évident qu’il en fut très affecté. « C’est une grande douleur, écrit-il à Staunton en 1720, d’être présenté à nos maîtres d’une façon si odieuse et d’être touché dans ce qui est le plus sensible, la réputation, qui est plus précieuse que la vie elle-même ». On ne sait ce qui causa cette friction entre les deux vieux employés de la compagnie. Knight était maintenant un vieillard, mais on peut difficilement l’accuser de sénilité puisqu’on lui donna le commandement du voyage d’exploration organisé par la compagnie en 1719. Du fait qu’il était ancien actionnaire et membre du comité de Londres, on pourrait penser que les accusations qu’il porta contre Kelsey auraient été prises au sérieux ; mais il n’y a pas de preuves qu’elles furent poursuivies plus avant et il est peu vraisemblable que la compagnie eût laissé à Kelsey son commandement jusqu’en 1722, si elle avait perdu confiance en lui.

Kelsey servit pendant quatre ans comme gouverneur. On a conservé les annales du poste pour cette période, mais il ne reste qu’une seule lettre adressée à Londres, une courte note datée du 19 juin 1719, annonçant son départ « à la découverte, vers le nord » et communiquant les arrangements pour la conduite des affaires en son absence. Kelsey s’intéressa beaucoup à la « découverte » durant les dernières années de sa carrière. Knight entreprit son dernier voyage la même année, à la recherche d’or et du passage du Nord-Ouest, et y trouva une mort tragique mais digne de ce vieillard courageux, dont les états de service à la baie remontaient à 1676. Le voyage de Kelsey vers le nord, en juillet et août 1719, était tout à fait indépendant de celui de Knight ; à cette époque, il ignorait tout des projets de Knight et la compagnie essayait prudemment de les tenir séparés. On avait dit à Knight de ne pas naviguer au sud du 64e degré de latitude nord ; s’il contrevenait à ces instructions, il tombait sous les ordres de Kelsey. L’expédition de Kelsey comprenait le vaisseau côtier Prosperous, accompagné du Success, et se trouve brièvement décrite dans son « Memorandum » : deux des esclaves indiens de la compagnie furent échangés contre deux Esquimaux, dont on voulait faire des interprètes, et il y eut un trafic de fanons de baleines, d’huile et de « défenses de morses ». D’après son propre calcul, Kelsey navigua jusqu’à 62’ 40’ de latitude nord. L’année suivante (1720), Kelsey avait été mis au courant du voyage de Knight et c’est peut-être pour cela qu’il, envoya John Hancock à Churchill et de là plus au nord, au lieu d’y aller lui-même, pour renouveler les tentatives en vue de développer le commerce avec les Esquimaux. Hancock revint en septembre apportant la nouvelle que les hommes de Knight avaient « ruiné notre commerce ». Rien jusque-là ne laissait soupçonner le triste sort de l’expédition de Knight.

En 1721, Kelsey partit lui-même vers le nord, ayant « à bord, Richd. Norton et un Indien du Nord pour me montrer le cuivre », dont on parlait beaucoup dans les postes de la compagnie. Ce sont les seules preuves qui nous permettent d’établir une concordance de desseins entre les rêves de Knight et les visées réalistes de Kelsey. L’expédition de Knight avait plusieurs objectifs : l’or et d’autres minéraux précieux, le passage du Nord-Ouest, la pêche à la baleine, le tout devant être recherché au nord du 64e degré. Les voyages de Kelsey, en 1719 et 1721, et les deux autres qu’il organisa mais dont il ne fit pas partie, en 1720 et 1722, avaient des objectifs limités. Comme le démontre le plus récent historien de la recherche du passage du Nord-Ouest, l’inquiétude provoquée par l’échec de Churchill comme entreprise rentable stimulait l’intérêt pour ces voyages (Williams, The British search for the northwest passage).

La dernière expédition de Kelsey est décrite succinctement dans le « Memorandum ». Il se rendit d’abord à Churchill, en partit le 13 juillet 1721, rencontra des groupes d’Esquimaux le 21, le 23 juillet et le 1er août, et entreprit son voyage de retour le 9 août. Il apprit par ces Esquimaux la perte du navire de Knight, l’Albany, « car nous avions vu des choses appartenant à ces navires ». Mais il fut incapable de poursuivre son voyage : « les vents ne me permirent pas d’exécuter mes projets d’aller plus loin vers le Nord ».

En 1722, Kelsey envoya vers le nord le capitaine John Scroggs, sur le Whalebone, et ce fut le dernier de cette série de voyages de « découverte ». Si l’on tient compte des traces retrouvées par Kelsey l’année précédente, il est surprenant qu’aucun ordre ne soit venu de commencer les recherches pour savoir ce qui était arrivé aux navires de Knight ; mais des instructions verbales ont peut-être été données. Il est certain que Scroggs revint avec suffisamment de renseignements pour convaincre la compagnie que Knight et ses navires étaient perdus corps et biens. Mais la participation de Kelsey dans les affaires du Nord touchait maintenant à sa fin, car en 1722 le Mary arriva de Londres, apportant son rappel et, en même temps, son successeur, Thomas McCliesh*. La compagnie ne donna aucune raison hormis celle que, Kelsey ayant été quatre ans gouverneur adjoint et quatre ans gouverneur, « Il nous semble à propos de vous faire revenir au pays ». Kelsey avait, à ce moment, dépassé la cinquantaine, ce qui n’était pas un âge avancé pour servir dans une compagnie qui avait employé un homme d’un âge aussi vénérable que celui de Knight.

Kelsey arriva en Angleterre le 31 octobre 1722 et fut licencié. En janvier 1724, il demanda d’être nommé capitaine d’un navire de la compagnie, le Hannah, ce qui permet de supposer que, bien qu’il pût être lassé de résider en permanence à la baie, il était encore prêt à effectuer un voyage d’été. En fait, le Hannah ne prit pas la mer en 1724, et ainsi Kelsey n’obtint pas sa nomination. Si l’on tient compte de ses qualités professionnelles, son affectation n’aurait étonné personne, car il était un marin d’expérience. On n’a pu établir de façon précise quand ni comment il avait acquis cette compétence ; nous savons qu’il commanda le Knight en 1701 et était second sur le Pery dans sa traversée de l’Atlantique en 1706. Dans le « Memorandum », il note et revendique le mérite de deux importantes opérations de sauvetage dans la baie d’Hudson, ce qui témoigne de ses qualités de navigateur. Le premier sauvetage eut lieu en 1711, quand le Pery, venant d’Angleterre, s’échoua sur le sable au large d’Albany et fit naufrage dans une tempête. Kelsey note : « Le gouverneur Beale désirait que je prenne le commandement du Knight, pour rejoindre le Perry et sauver ce qu’on pourrait de la cargaison, et c’est ce que je fis ». Mais le compte rendu de Beale de cet événement n’en attribue le mérite ni à Kelsey ni à personne d’autre. De nouveau, en 1719, lorsque la frégate Hudson’s Bay [III] fit naufrage au large du cap Tatnum, Kelsey sauva la plus grande partie de la cargaison. Il décrit ainsi cette expérience : « Il s’en fallut de peu que je ne perde la vie et, si je n’étais pas resté jusqu’au 2 septembre pour ramener la cargaison sur le rivage, on n’aurait pu en sauver que très peu. »

Henry Kelsey mourut dans la maison qu’il possédait dans la Church Street à East Greenwich, et fut inhumé le 2 novembre 1724. Peu de temps après sa deuxième période de captivité chez les Français, il avait épousé, le 7 avril 1698, Elizabeth Dix, d’East Greenwich ; celle-ci lui survécut et fut son exécutrice testamentaire. Trois enfants issus de ce mariage sont connus : Elizabeth (née le 11 juillet 1704) et Mary (née le 17 mars 1706) virent toutes deux le jour au cours de la seule longue période où Kelsey n’était pas au service de le compagnie, et John (né le 16 novembre 1713) qui vint au monde avant que son père ne repartît pour York. Dans l’enregistrement de baptême de ses enfants, Kelsey est inscrit comme « marin », mais dans son testament, rédigé le 2 janvier 1723, il est qualifié de « gentleman ».

On s’est livré à une enquête minutieuse sur les sommes gagnées par Kelsey pendant son service dans la compagnie ; elles ne sont pas fortes. On lui avait promis £8 et deux costumes à la fin de son contrat d’apprentissage ; en fait, il reçut £15 en gratifications et £36 sous forme de salaire. De 1688 à 1691, son traitement fut de £15 par an, puis porté à £30 entre 1691 et 1693 ; il ne reçut aucune récompense pour son exploration au nord de Churchill en 1689, mais une récompense de £30 pour son voyage dans les Prairies qui, s’il ne fut pas le plus important qu’on ait jamais accompli, fut en tout cas un des moins coûteux. En 1696, il avait un traitement de £35 par an, qui fut réduit à £30 lorsqu’il partit pour Albany en 1698, puis porté à £50 quand il prit, en 1701, la direction du commerce de la région de l’East Main. À partir de 1706, il reçut, £100 par an, et c’est là (sauf pour une brève période en 1711, quand il assura le commandement à Albany), ce qu’il gagna jusqu’à ce qu’il devînt gouverneur en 1718, avec un traitement de £200 par an. Si l’on ajoute des paiements supplémentaires comme « rémunération en période d’inactivité », il semble que toute une vie passée au service de la compagnie ne lui ait rapporté qu’un peu moins de £2 500. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait laissé peu de chose à sa veuve. Il est vrai que la maison où il vivait, ainsi que la maison voisine, lui appartenaient ; mais, en 1730, Elizabeth Kelsey dut demander un secours à la compagnie pour payer le coût de l’apprentissage de son fils : elle reçut alors dix guinées, plus six autres en 1734, afin d’acheter des vêtements pour son fils, « étant complètement incapable d’y pourvoir elle-même ».

The Kelsey papers, que les historiens ne connaissaient pas avant 1926 et qui sont maintenant la source principale de renseignements concernant la vie d’Henry Kelsey, laissent dans l’ombre certaines questions. Par exemple : de quelle façon et où ces documents tombèrent-ils entre les mains de la famille Dobbs, descendante d’Arthur Dobbs, le porte-parole des adversaires de la compagnie en 1749 ? Les «papers » sont constitués d’articles assemblés en un unique volume broché, dont la page de titre s’intitule : « Henry Kelsey his Book being ye Gift of James Hubbud in the year of our Lord 1693 ». Les éditeurs Doughty et Martin conclurent que Dobbs ignorait l’existence de ce livre lorsqu’il attaqua la compagnie en 1749 vu que, trois ans avant la publication du livre de Robson, il présenta de la même façon le voyage de Kelsey dans la région des Prairies, soit comme une aventure improvisée, accomplie sans autorisation. E. E. Rich soutenait une opinion contraire et considérait comme probable que le journal de Kelsey eût été copié ou soustrait des archives de la compagnie par Christopher Middleton* qui l’avait remis à Dobbs. « Que Dobbs, ayant en sa possession une copie du journal de Kelsey [...] l’eût supprimé [...] montrerait tout simplement avec quelle rancune il contestait la cause de la compagnie ». Il n’existe pas de preuve à l’appui de l’une ou de l’autre opinion. Rien ne nous permet de croire que le volume intitulé de nos jours The Kelsey papers ait jamais fait partie des archives de la compagnie et que Middleton ait pu ainsi le copier ou le voler. La page de titre tend à prouver qu’il était la propriété personnelle de Kelsey, bien que le fait de consigner les affaires officielles dans un ouvrage de caractère privé n’eût pas été approuvé par la compagnie. Il a pu le rapporter en Angleterre en 1722, au cas où les accusations portées contre lui par Knight eussent été ranimées : le « Memorandum of my abode » (le dernier document du livre) se termine sur la relève de Kelsey et prend la forme d’une justification de ses actes. Dobbs a pu obtenir le volume de la famille de Kelsey, il a même pu l’acheter avant ou après 1749. C’est en optant pour l’une ou l’autre date que l’on jugera si Dobbs était un fourbe ou un honnête homme.

Il existe également un désaccord au sujet de l’écriture des Kelsey papers. Selon Doughty et Martin, tout le volume est de la main de Kelsey ; Kenney dit qu’il n’en est rien, sauf pour quelques lignes en langue indienne aux pages 60 et 61 de l’ouvrage imprimé.

Quelques-unes de ces énigmes seront peut-être éclaircies un jour, mais il n’est pas téméraire d’affirmer que les archives de la compagnie ne fourniront guère d’autres renseignements de valeur concernant la vie d’Henry Kelsey. On trouvera peut-être ailleurs des bribes de renseignements concernant ses origines, son enfance et ses descendants, mais on ne doit pas songer à en apprendre davantage sur l’homme lui-même dont, en somme, nous savons peu de chose. Dans l’ensemble, son œuvre est assez claire, mais sa personnalité demeure, comme l’a dit A. S. Morton, « insaisissable ». Une bonne partie de ce qu’on a écrit à son sujet fut tiré de ce qu’il avait lui-même écrit dans ses notes. Nous connaissons rarement les diverses possibilités qui s’offraient à lui. Ses lettres et ses carnets contiennent peu de considérations personnelles. On n’y trouve que des choses banales (comme l’observation, déjà citée, sur la valeur de la réputation, ou cette remarque de 1722 : « Tout homme se défend en vain contre la destinée »). On est enclin à penser qu’il était peu instruit ; son style est à peu près de la même qualité que le style des premiers employés de la compagnie à cette époque, c’est-à-dire assez pauvre. Pourtant, il écrivit en vers, lesquels bien que frustes étaient plus difficiles à écrire que la prose, et il enseigna la « littérature » aux rustres de la baie. Sa dispute avec Beale en 1706 et sa brouille avec le gouverneur Knight nous permettent de déduire qu’il était d’un naturel querelleur, mais dans ces deux cas il est impossible de dire qui eut tort et qui eut raison. À l’occasion, Kelsey pouvait se montrer très dur envers les hommes sous ses ordres, ainsi qu’il en fit preuve en donnant le fouet à deux hommes, le lendemain de Noël 1719, et à deux autres le 10 mai suivant ; les notes de son carnet confirment ces faits et laissent croire qu’il administra lui-même ces punitions. Il ne fait aucun doute qu’il avait uni don exceptionnel pour nouer des relations avec les Indiens ; mais Morton paraît aller un peu trop loin en le désignant comme « notre premier exemple de cette race relativement rare d’Anglais indianisés. » Kelsey préférait peut-être la compagnie des Indiens à celle des Blancs, ou peut-être avait-il pitié des sauvages et désirait-il les protéger ? Nous savons qu’il chassa John Hancock du conseil de York pour s’être montré cruel envers les Esquimaux et « pour avoir battu et maltraité les Indiens ». Mais, dans cet exemple et dans la façon d’agir de Kelsey, on peut presque toujours invoquer des raisons d’ordre purement commercial.

K. G. Davies

The Kelsey papers sont la principale source de renseignements sur la vie de Kelsey (Doughty et Martin) ; ils contiennent, en plus des journaux mentionnés ci-dessus, le « Memorandum of my abode in hudsons bay from 1683 to 1722 ». C’est par erreur que Kelsey indique l’année 1683, car il partit en 1684. Il existe deux versions du journal de 1691 dans le G.B., Parliament, H.C., Report from the committee appointed to inquire into the state and condition of the countries adjoining to Hudson’s Bay, and of the trade carried on there ([Londres], 1749), qui contient en outre de courts mais importants extraits provenant des archives de la Hudson’s Bay Company, et dont certains ont été détruits depuis cette époque. On trouve des références à Kelsey dans HBRS, IX (Rich) ; XI, XX (Rich et Johnson) ; XXV (Davies et Johnson) ; et dans The founding of Churchill (Kenney). Les documents inédits comprennent un certain nombre de lettres adressées à Kelsey par la compagnie, des transcriptions de lettres adressées aux commandants d’autres postes de la baie par Kelsey lorsqu’il était gouverneur, ainsi que les annales du poste qui s’y rapportent, mais Doughty et Martin se sont déjà livrés à des recherches dans ces documents pour leur introduction aux Kelsey papers. J. F. Kenney a fait de même pour The career of Henry Kelsey, MSRC, 3e sér., XXIII (1929), sect. ii, ainsi que A. M. Johnson, pour sa biographie de Kelsey dans le HBRS, XXV, où l’on trouvera aussi des assertions faisant autorité concernant les conditions de service et les gains de Kelsey, ainsi que les résultats de minutieuses recherches sur l’histoire de sa famille. L’article de C. N. Bell, The journal of Henry Kelsey (1691–1692), publié dans Hist. and Sci. Soc. of Manitoba Trans., nouv. sér., IV (mai 1928), contient une reconstitution détaillée de la route suivie par Kelsey en 1690–1692, bien que toutes les conclusions qui s’y trouvent ne soient pas généralement admises. HBRS, XXI (Rich), Morton, History of the Canadian west, et L. J. Burpee, The search for the western sea (Londres, 1908 ; éd. rev., Toronto, 1935), parlent tous de ce que ce dernier appelle « l’énigme d’Henry Kelsey ». La version de Joseph Robson se trouve dans An account of six years residence in Hudson’s-Bay, from 1733 to 1736, and 1744 to 1747 (Londres, 1752).  [k. g. d.]

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

K. G. Davies, « KELSEY, HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/kelsey_henry_2F.html.

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Auteur de l'article:    K. G. Davies
Titre de l'article:    KELSEY, HENRY
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    21 nov. 2024