JONES, AUGUSTUS, arpenteur, propriétaire foncier, fermier et officier de milice, né en 1757 ou 1758 dans la vallée de l’Hudson, New York, fils d’Ebenezar Jones ; décédé le 16 novembre 1836 près de Paris, Haut-Canada.

Le grand-père d’Augustus Jones quitta le pays de Galles pour l’Amérique du Nord avant la Révolution américaine. La famille s’installa sur les bords de l’Hudson, probablement dans le comté de Dutchess, dans la colonie de New York, puis à proximité de Newburgh, où le nom d’Augustus, qui avait appris le métier d’arpenteur à New York, figure dans des transferts de terrains en 1783–1784. Accompagné ou suivi de son père et de plusieurs de ses frères et sœurs, il partit ensuite pour les nouveaux établissements loyalistes de la presqu’île du Niagara et se fixa dans le canton de Saltfleet. Le 9 juin 1787, il présenta au major Archibald Campbell, commandant du fort Niagara (près de Youngstown, New York), une lettre d’introduction de Cadwallader Colden, fils d’un ancien lieutenant-gouverneur de New York et loyaliste notoire. La lettre, rappela plus tard Jones, attestait sa « bonne moralité et [son] caractère loyal » comme ses compétences d’arpenteur. Assermenté arpenteur de la couronne deux jours plus tard, il commença à travailler avec diverses équipes d’arpentage. En janvier 1788, le commandant des postes d’amont, le capitaine Jonas Watson, le nomma assistant de Philip Frey, arpenteur adjoint du district de Nassau. Jones servit à titre d’arpenteur adjoint par intérim à compter du mois de novembre de l’année suivante jusqu’au début de 1791 puis, sur l’ordre de John Collins*, arpenteur général adjoint à Québec, il remplaça officiellement Frey, qui avait quitté la province.

Ambitieux, Jones avait l’intention de devenir, dans le Haut-Canada, un propriétaire terrien aussi bien nanti que les Colden, dans l’état de New York. En recourant au régime de requêtes et de concessions, il acquit dans les années 1790 de grandes terres dans les cantons de Saltfleet et de Barton ainsi que des lots de ville à Newark (Niagara-on-the-Lake) et à York (Toronto). En 1797 et 1805, le chef de guerre agnier Joseph Brant [Thayendanegea*] lui loua deux terres qui totalisaient environ dix milles carrés, censément pour lui payer des levés faits sur la rivière Grand. En 1801, Jones tenta sans succès d’obtenir du gouvernement une terre encore plus vaste en retour de la construction d’une route qui relierait York à Head of the Lake (près du port actuel de Hamilton).

Cet arpenteur énergique avait une extraordinaire capacité de travail. Durant les années 1790, rappela Jones en 1832, il arpenta « la plus grande partie des cantons situés entre le fort Erie (Fort Erie) et la tête du lac Ontario », les terres qui longeaient la rivière Grand, « la rive nord du lac Ontario, de Toronto à la rivière Trent », des lots de ville pour Niagara (Niagara-on-the-Lake) et York, la rue Dundas, qui reliait le lac Ontario à la frontière de Detroit, et la rue Yonge, qui reliait les lacs Ontario et Simcoe. À l’époque, la tâche des arpenteurs était à la fois difficile et dangereuse. Jones travaillait souvent en plein hiver car, une fois le sol durci et les feuilles tombées, il était plus facile de voir à travers la forêt dense. De toute évidence, c’était un homme vigoureux, doté d’une constitution de fer, aussi à l’aise en raquettes, avec un sac au dos, que dans un canot d’écorce chargé. En été, il avait souvent des accès de fièvre ou de malaria. Un jour, il se fractura le sternum après que son cheval l’eut désarçonné. Au cours de l’été de 1794, ses hommes et lui tuèrent 700 serpents à sonnettes à Head of the Lake, mais rien ne l’arrêtait. Entre 1787 et 1795, selon Rocco Louis Gentilcore, géographe historien, « aucun autre arpenteur du Haut-Canada n’arpenta et ne subdivisa autant de terres importantes ».

Comme il employait des Indiens dans ses équipes, Jones en vint à connaître les Agniers et les Sauteux de la tribu des Mississagués, dont il apprit les langues, et à gagner la confiance de plusieurs d’entre eux. En 1797, après qu’un membre des Queen’s Rangers eut assassiné Wabakinine*, grand chef des Mississagués de l’extrémité ouest du lac Ontario, les Sauteux envisagèrent de se rebeller contre les Britanniques et firent part à Jones de leurs plans en lui demandant même de se joindre à eux. Au lieu de cela, l’arpenteur informa immédiatement l’administrateur de la province, Peter Russell*. Quant à Brant, il lui fit faire de nombreux levés sur la rivière Grand. Les deux hommes, qui vivaient chacun à une extrémité de la plage de Burlington, devinrent des amis intimes. Non seulement Brant loua-t-il à Jones des terres sur la Grand, mais il en fit à l’occasion son mandataire, notamment pour l’achat de terres, et le choisit avec d’autres comme exécuteur testamentaire. Cependant, plusieurs Iroquois qui s’opposaient à ce que Brant loue les terres de leur réserve à des Blancs refusèrent de reconnaître la validité des deux baux qu’il avait conclus avec Jones.

Jones noua des liens familiaux avec les Agniers et les Mississagués. Le 27 avril 1798, alors au début de la quarantaine, il épousa Sarah Tekarihogen (Tekerehogen), la fille du chef agnier Henry Tekarihogen* ; elle était âgée de 18 ans. Huit enfants allaient naître de cette union. Simultanément, du moins pendant les premières années de son mariage, Jones demeura lié à une jeune Mississaguée, Tuhbenahneequay (Sarah Henry), fille du chef Wahbanosay. Ils eurent au moins deux fils, Thayendanegea [John Jones], né en 1798 et nommé en l’honneur de Brant, et Kahkewaquonaby [Peter Jones*], né en 1802.

En 1800, pour des raisons inconnues, Jones quitta son emploi à temps plein au gouvernement. Peut-être décida-t-il de se retirer dans sa ferme du canton de Saltfleet pour se consacrer à des travaux moins durs que l’arpentage. Peut-être les membres du Conseil exécutif le laissèrent-ils partir parce qu’ils étaient inquiets de ses liens étroits avec Brant qui, principal porte-parole des autochtones dans le Haut-Canada, avait souvent affronté les autorités. Peut-être les cercles gouvernementaux avaient-ils eu vent des doutes qui pesaient sur la prétendue loyauté de sa famille durant la guerre d’Indépendance. On sait qu’un de ses beaux-frères, James Gage, avait combattu du côté des Américains. En outre, il ressort d’une demande de pension que présenta en 1855 au gouvernement des États-Unis la veuve de son frère Ebenezar que celui-ci avait servi dans les forces américaines. La violence des propos que le lieutenant-gouverneur sir Francis Bond Head* tint en 1836 au sujet de Jones – « cet arpenteur américain » qui, « vivant à la face de tous dans l’adultère, a eu des enfants de plusieurs squaws indiennes » – laisse certainement entendre que le gouvernement s’interrogeait sur le loyalisme de sa famille et doutait nettement de la moralité de Jones.

Après sa démission en 1800, Jones s’occupa de sa ferme pendant environ 17 ans ; Ebenezar et son neveu James Gage* étaient ses voisins immédiats. Il devint un colon important dans la région ; capitaine de milice depuis 1794, il le demeura jusqu’en 1811. Avec sa femme Sarah, il joignit vers 1801 les rangs de l’Église méthodiste épiscopale. Selon le révérend Nathan Bangs*, Mme Jones était « une femme très aimable et intéressante » ; un autre témoin de l’époque rapporte que « bien que toujours vêtue à la manière indienne, elle présidait la table avec autant de goût qu’une dame distinguée ». Elle transmit une bonne part des coutumes indiennes à ses enfants et enseigna par exemple à sa fille Catharine à identifier les plantes médicinales et à s’en servir. Dans Life and journals [...], Peter, élevé comme son frère John par sa mère naturelle, notait que son père veillait à « instiller des principes moraux à ses enfants » et tentait, avec un succès mitigé, de les empêcher de travailler ou de chasser le dimanche.

En 1817, en compagnie de sa famille, y compris Peter, Jones quitta le canton de Saltfleet pour aller vivre à Mohawk Village (Brantford), auprès du peuple de sa femme, sur la rivière Grand. Des pertes financières et peut-être les préjugés de ses voisins blancs à l’endroit de sa famille indienne sont les motifs les plus vraisemblables de cette décision. Durant la guerre de 1812, sa ferme avait subi plus de £250 de dommages et, le 27 mai 1815, des incendiaires avaient brûlé sa grange. Jones cultiva la terre pendant plusieurs années dans les plaines situées en bordure de la Grand puis, à plus de 70 ans, il partit vers le nord pour s’installer à Cold Springs, son domaine de 1 200 acres situé rue Dundas, à l’est de Paris. Il subvenait aux besoins de sa famille en exploitant la terre et en vendant des portions de ses grandes propriétés. Infatigable malgré son âge, il projetait de construire un moulin sur sa source d’eau toujours bouillonnante et de délimiter tout autour des lots de ville, lorsque la mort le frappa en 1836.

Bien qu’il ne subsiste, comme telle, aucune description physique d’Augustus Jones, on se le représente aisément à la lecture de ses journaux d’arpentage et de sa correspondance personnelle. Fort et ambitieux, cet homme dont les deux femmes et les meilleurs amis étaient des Indiens vécut simultanément dans deux univers et, particulièrement au cours de ses premières années dans le Haut-Canada, fut entre eux un véritable trait d’union.

Donald B. Smith

AO, MU 4756, n° 6 (photocopie) ; RG 1, A-I-1, 32 : 1, 25 ; A-I-6 : 2723–2724, 2729–2732 ; C-I-9, 2 : 57 ; CB-1, boxes 29, 40.— APC, RG 1, L3, 260 : J20/15 ; 261a : J22/1, 3 ; RG 10, D3, 103–104, 108.— PRO, CO 42/439 : 271.— Victoria Univ. Library (Toronto), Peter Jones coll., Eliza-[beth Field] Jones Carey papers, diary, 26 août, 13 sept. 1834.— Nathan Bangs, An authentic history of the missions under the care of the Missionary Society of the Methodist Episcopal Church (New York, 1832), 183.— Corr. of Hon. Peter Russell (Cruikshank et Hunter), 1 : 50 ; 2 : 261.— Corr. of Lieut. Governor Simcoe (Cruikshank), 1 : 24.— « District of Nassau : minutes and correspondence of the land board », AO Report, 1905 : 300, 303, 309, 319–320, 327.— John Askin papers (Quaife), 2 : 311, 320, 325.— Peter Jones, Life and journals of Kah-ke-wa-quo-nā-by (Rev. Peter Jones), Wesleyan missionary, [Elizabeth Field et Enoch Wood, édit.] (Toronto, 1860).— « Records of Niagara, 1805–1811 », E. A. Cruikshank, édit., Niagara Hist. Soc., [Pub.], n° 42 (1931) : 117.— Valley of Six Nations (Johnston).— Upper Canada Gazette, 10 juill. 1794, 22 juill. 1815, 3 juin 1824.— DHB.— M. F. Campbell, A mountain and a city : the story of Hamilton (Toronto et Montréal, 1966), 22.— Johnston, Head of the Lake (1958).— « Augustus Jones », Assoc. of Ont. Land Surveyors, Annual report (Toronto), 1923 : 112–121.— Elizabeth [Field] Carey, « Mrs. Sarah Jones, Mohawk », Christian Guardian, 13 mars 1861.— Grant Karcich, « Augustus Jones, Upper Canada public land surveyor », Families (Toronto), 22 (1983) : 321–326.

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Donald B. Smith, « JONES, AUGUSTUS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jones_augustus_7F.html.

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Auteur de l'article:    Donald B. Smith
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
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