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GOODERHAM, sir ALBERT EDWARD, homme d’affaires et philanthrope, né le 2 juin 1861 à Toronto, deuxième fils de George Gooderham* et de Harriet Dean ; le 25 octobre 1883, il épousa dans cette ville Mary (Marietta) Reford Duncanson (décédée le 18 mars 1955), et ils eurent trois fils, dont un mourut avant lui, et trois filles ; décédé le 25 avril 1935 au même endroit.
Albert Edward Gooderham naquit dans une famille très riche. Son père dirigeait la Gooderham and Worts, composée d’une distillerie et d’industries complémentaires, et fondée par William Gooderham*, son grand-père paternel, et James Gooderham Worts*. Les associés avaient investi leurs énormes profits dans un certain nombre d’entreprises, dont la Banque de Toronto, la Canada Permanent Building and Savings Society et l’Association d’assurance sur la vie, dite la Confédération, auxquelles Albert Edward serait associé. Bien que « financier par héritage », selon une biographie parue quelques années après sa mort, il était « philanthrope par instinct ». Un Thomas Nicholson Gibbs* mécontent, qui, à la demande de sir John Alexander Macdonald*, cherchait des fonds pour la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, résuma en 1872 l’attitude de l’ancienne génération des Gooderham : « La fortune n’est utile qu’aussi longtemps qu’elle pourvoit au confort et au bien-être de son possesseur. Il n’y a que les obligations personnelles et familiales qui comptent. » La générosité d’Albert Edward s’étendait toutefois bien au delà de son cercle d’intimes. Au cours de sa vie, il donnerait de grosses sommes d’argent et serait un chef de file dans le domaine des arts, ainsi que dans des causes sociales comme la santé et l’éducation.
Gooderham fréquenta la Model Grammar School et l’Upper Canada College dans sa ville natale. En 1879, à l’âge de 18 ans, il devint commis subalterne dans l’entreprise familiale. Seulement trois ans plus tard, sa position changea de manière considérable. Après le décès de son grand-père en août 1881 et celui de Worts dix mois plus tard, son père, avec l’accord des exécuteurs testamentaires et des héritiers de Worts, constitua l’entreprise en société sous le nom de Gooderham and Worts Limited. Albert Edward, qui n’avait que 21 ans, et son frère aîné, William George, reçurent chacun dix actions, ce qui suffisait pour leur permettre d’occuper un poste dans le conseil d’administration. À la mort de son père, en 1905, Albert Edward devint un actionnaire important dans l’entreprise et son administrateur délégué. Sept ans plus tard, il était vice-président.
Il est très difficile d’affirmer que Gooderham avait le même don pour les affaires que son grand-père ou son père ; il jouait plutôt un rôle d’administrateur, tandis que son frère occupait la présidence. En 1923, à une époque où la prohibition gagnait en popularité, il finirait par coordonner la vente de la distillerie à Harold Clifford Hatch*. En plus de ses responsabilités chez Gooderham and Worts, il représentait les intérêts de la famille dans d’autres entreprises, en tant que membre du conseil d’administration de la Banque de Toronto, vice-président de la Canada Permanent Mortgage Corporation et président de la Dominion of Canada Guarantee and Accident Insurance Company.
Gooderham s’intéressa à l’armée toute sa vie. En 1885, au début de la rébellion du Nord-Ouest [V. Louis Riel*], il s’était enrôlé comme lieutenant en second dans le 10th Battalion of Infantry (le futur Royal Grenadiers). Il offrit ses services au corps expéditionnaire mis sur pied pour lutter contre l’insurrection, mais ne fut pas appelé ; son unité combattit sans lui. Gooderham resta cependant actif au sein du régiment et fut promu lieutenant en 1887, capitaine en 1896, major en 1902, puis lieutenant-colonel et commandant en 1907. Il devint plus tard colonel par intérim et soutint financièrement l’unité. En 1912, le jour du cinquantième anniversaire de cette dernière, il convia plus de 1 700 officiers et militaires à un dîner de fête au manège militaire de Toronto.
Pendant la Première Guerre mondiale, lorsque la Commission impériale des munitions [V. sir Joseph Wesley Flavelle] eut besoin d’une installation afin de produire de l’acétone pour la fabrication de cordite, Gooderham mit à sa disposition la distillerie Gooderham and Worts, demandant seulement que les autorités payent les impôts et l’assurance. Plus de la moitié de l’approvisionnement britannique en acétone provenait de Toronto. Il ouvrit aussi deux usines dans l’Indiana.
Gooderham était un important bienfaiteur de la University of Toronto, et fut un membre actif et influent de son conseil d’administration. En 1914, tandis qu’il présidait aussi la section ontarienne de la Société canadienne de la Croix-Rouge, il fit des démarches auprès du laboratoire récemment créé à l’université par John Gerald FitzGerald, du département d’hygiène, pour que des sérums y soient étudiés et produits ; il voulait savoir si le laboratoire pouvait fabriquer l’antitoxine tétanique dont le Corps expéditionnaire canadien avait besoin de toute urgence afin de prévenir les infections chez les soldats blessés. Gooderham fut impressionné quand le laboratoire réussit à produire l’antitoxine dans des conditions contrôlées et à moindre coût que ne l’auraient fait les ressources américaines, contactées au départ par la Croix-Rouge. En 1915, il acheta une ferme de 58 acres, rue Dufferin, au nord de Toronto, finança la construction et l’équipement d’un bâtiment pour le laboratoire, puis fit don de tout cela à l’université. Deux ans plus tard, le 25 octobre, il prit part à l’ouverture officielle des Connaught Antitoxin Laboratories and University Farm, nommés en l’honneur du duc de Connaught [Arthur*], qui avait récemment été gouverneur général du Canada. Gooderham présiderait le comité Connaught de l’université pendant de nombreuses années.
Les laboratoires avaient auparavant pris le relais du Bureau de santé provincial dans la production d’un vaccin antirabique, mis au point en France par Louis Pasteur. Ils préparaient aussi un sérum antiméningite et un vaccin antivariolique. Après la découverte de l’insuline en 1922, les Connaught Laboratories commencèrent à la produire à des fins commerciales. Quand la paternité de cette découverte souleva une controverse, Gooderham, qui présidait alors le comité sur l’insuline de la University of Toronto, tenta de jouer un rôle de médiateur. En septembre, il écrivit au professeur John James Rickard Macleod, sous la supervision duquel les recherches avaient été entreprises, à Frederick Grant Banting* et à Charles Herbert Best*, demandant à chacun de présenter dans un exposé dactylographié sa compréhension de la découverte. Il espérait comparer les comptes rendus, rencontrer les trois hommes et parvenir à un accord basé sur les faits. Macleod rédigea un commentaire détaillé, où il expliquait comment il avait prodigué des conseils et émis des critiques constructives tout au long du travail, et soulignait la contribution de James Bertram Collip* dans la purification de l’extrait à des fins d’utilisation clinique. Banting affirma qu’il était seul responsable de l’idée à l’origine de la découverte et que Macleod n’avait été d’aucune aide ; il l’accusait d’un « manque de confiance et de coopération ». Best écrivit le rapport le plus court et, peut-être, le plus objectif ; il reconnut la valeur des conseils de Macleod et la participation de Collip. Les comptes rendus étaient pratiquement impossibles à concilier et il n’y eut jamais de rencontre. Les déclarations ne seraient publiées qu’après le décès des quatre parties.
L’appui de Gooderham aux progrès médicaux ne se limita pas aux Connaught Laboratories. En 1912, d’après un concept introduit en Amérique du Nord par Arthur-Joseph Richer*, sa femme, Mary Reford, et lui fondèrent un préventorium à Toronto, pour prévenir le développement de la tuberculose chez des enfants qu’on croyait à risque. Pendant la Première Guerre mondiale, avec Mary Reford, qui était vice-présidente de l’Imperial Order Daughters of the Empire, il équipa un hôpital de l’organisme pour les officiers militaires à Londres.
Anglican, Gooderham dirigeait les activités musicales à la cathédrale St James. Fait plus important, il joua un rôle crucial dans la création et les débuts de deux établissements remarquables : le Toronto Conservatory of Music et le Toronto Symphony Orchestra. En 1911, pour épargner aux jeunes musiciens talentueux les frais d’une formation outre-mer, il fonda le Columbian Conservatory of Music, à Toronto, qui changea de nom l’année suivante et devint la Canadian Academy of Music ; en 1918, elle fusionna avec le Toronto College of Music, créé en 1888 par Frederick Herbert Torrington*. Gooderham en fut le président jusqu’en 1924. Cette année-là, elle s’unit au Toronto Conservatory of Music, sous la direction d’Augustus Stephen Vogt*, et Gooderham devint président du conseil d’administration de l’école élargie. Il fut également président du Toronto Symphony Orchestra, de sa création en 1923, sous le nom de New Symphony Orchestra Association, jusqu’en 1931. Il fournit personnellement des fonds, dont l’établissement avait grand besoin, et, en 1926, il introduisit le mécénat d’entreprise. Sur une photographie de l’orchestre, prise lors de sa première radiodiffusion, en 1929, Gooderham est assis en avant, immédiatement à droite du chef d’orchestre. Après avoir quitté la présidence, Gooderham se vit conférer le titre de président honoraire par le conseil d’administration de l’orchestre, à l’instigation de son successeur, Charles Vincent Massey*.
Gooderham était actif au sein de beaucoup d’autres organisations, y compris la British Empire League, la Canadian Forestry Association, la St George’s Society, les York Pioneers, la Rosedale Association, la Royal Life Saving Society, le St Andrew’s College et le Havergal Ladies’ College. « Grand et bien bâti, [se tenant] droit [comme un] militaire », il aimait la navigation de plaisance, le tir au fusil et le golf. En 1933, à l’occasion de son cinquantième anniversaire de mariage, une grande fête eut lieu à Deancroft, résidence des Gooderham, dans le quartier Rosedale, à Toronto. Le Mail and Empire rapporta que « le Toronto artistique, littéraire, social et philanthropique se déplaça pour présenter ses meilleurs vœux » à son bienfaiteur.
La liste d’honneur du Nouvel An 1935 annonça qu’Albert Edward Gooderham serait fait chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges par le roi George V pour ses efforts humanitaires. Il ne vécut toutefois pas assez longtemps pour être élevé à cette dignité en bonne et due forme ; il mourut d’une infection streptococcique le 25 avril. La presse locale parla abondamment de sa vie et de ses funérailles, auxquelles assistèrent des Torontois de toutes conditions. Plus tard cette année-là, le 8 décembre, sir Ernest Alexander Campbell MacMillan* dirigea le Toronto Symphony Orchestra et le chœur du Toronto Conservatory of Music, dans une interprétation du Requiem allemand de Brahms en mémoire de l’homme qui avait tant fait pour soutenir ces deux organismes. Sir Albert Edward Gooderham avait appuyé les arts et les causes sociales comme peu de Canadiens l’avaient fait avant lui, et il serait un modèle pour les générations à venir.
La lettre de sir Albert Edward Gooderham à John James Rickard Macleod, Frederick Grant Banting et Charles Herbert Best ainsi que les réponses de ces deux derniers figurent dans « Banting’s, Best’s, and Collip’s accounts of the discovery of insulin », introd. par Michael Bliss, Bull. of the Hist. of Medicine (Baltimore, Md), 56 (1982) : 554–568. La déclaration de Macleod a été publiée sous le titre : « History of the researches leading to the discovery of insulin », introd. par L. G. Stevenson, Bull. of the Hist. of Medicine, 52 (1978) : 295–312. De la corr. de l’entreprise Gooderham and Worts (1864–1879) se trouve dans les papiers Lanman & Kemp (New York) (S24) conservés à la TRL, Special Coll.
AO, RG 80-5-0-122, no 15134 ; RG 80-8-0-1552, no 3145.— TRL, Special Coll., Biog. scrapbooks, 1 : 383, 386–393 (mfm).— Globe, 26, 29 avril 1935.— Mail and Empire, 26 oct. 1933, 26 avril 1935.— C. M. Blackstock, All the journey through (Toronto, 1997).— Michael Bliss, The discovery of insulin (Toronto, 1982).— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— R. D. Defries, The first forty years, 1914–1955 : Connaught Medical Research Laboratories, University of Toronto (Toronto, 1968).— Encyclopedia of music in Canada (Kallmann et al.), 537.— C. I. Kyer, « Gooderham & Worts : a case study in business organization in nineteenth-century Ontario », dans Essays in the history of Canadian law, D. H. Flaherty et al., édit. (10 vol. parus, [Toronto], 1981– ), 8 (In honour of R. C. B. Risk, G. B. Baker et Jim Phillips, édit., 1999), 335–357.— Louis Rosenfeld, « Insulin : discovery and controversy », Clinical Chemistry (Washington), 48 (2002) : 2270–2288.— Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell), 2.— R. S. Warren, Begins with the oboe : a history of the Toronto Symphony Orchestra (Toronto, 2002).— Who’s who in Canada, 1934–1935.
C. Ian Kyer, « GOODERHAM, sir ALBERT EDWARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/gooderham_albert_edward_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/gooderham_albert_edward_16F.html |
Auteur de l'article: | C. Ian Kyer |
Titre de l'article: | GOODERHAM, sir ALBERT EDWARD |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2015 |
Année de la révision: | 2015 |
Date de consultation: | 20 déc. 2024 |