Titre original :  Frederick Banting. UTARMS, A1978-0041/001 (54).

Provenance : Lien

BANTING, sir FREDERICK GRANT, médecin, chirurgien, officier de l’armée, chercheur en médecine, lauréat d’un prix Nobel et artiste, né le 14 novembre 1891 dans le canton d’Essa, comté de Simcoe, Ontario, fils de William Thompson Banting et de Margaret Grant ; le 4 juin 1924, il épousa à Toronto Marion Wilson Robertson, et ils eurent un fils, puis ils divorcèrent le 2 décembre 1932 ; le 2 juin 1939, il épousa dans la même ville Henrietta Elizabeth Ball, et le couple n’eut pas d’enfants ; décédé le 21 février 1941 près de Musgrave Harbour, Terre-Neuve.

Cadet de six enfants nés dans la ferme familiale près d’Alliston, au nord-ouest de Toronto, Frederick Grant Banting, surnommé Fred, grandit dans le milieu agricole ontarien. Ce garçon timide et calme aimait l’athlétisme et les animaux. Après avoir fréquenté les écoles locales, il fut encouragé par sa famille à poursuivre ses études. En 1910, il s’inscrivit au programme général d’arts au Victoria College de la University of Toronto et ne réussit pas dans toutes ses matières. Il abandonna les cours pendant son année de redoublement, après avoir appris qu’il pouvait entrer à la faculté de médecine. Avant d’opter pour cette voie, il semble qu’il avait également envisagé la carrière de ministre méthodiste.

Banting commença sa formation médicale en 1912. Il obtint des notes légèrement au-dessus de la moyenne, mais ne se démarqua pas autrement. Le programme de médecine de cinq ans fut radicalement condensé durant la Première Guerre mondiale. Banting obtint sa licence en décembre 1916. De son propre aveu, il n’avait pas été particulièrement bien préparé. Il avait découvert un intérêt pour la chirurgie et s’était engagé dans le Corps de santé de l’armée canadienne. Après avoir reçu son diplôme, il entra au service de l’armée à temps plein. Il travailla comme chirurgien dans un hôpital canadien en Angleterre pendant 13 mois, fut envoyé en France en juin 1918, et servit en première ligne à titre de médecin de bataillon durant les violents combats qui firent rage à l’été et à l’automne. Au cours de l’attaque sur Cambrai du 28 septembre, le capitaine Banting fut atteint au bras droit par des éclats d’obus et évacué. Sa conduite au combat lui valut la Croix militaire. Après plusieurs semaines d’inquiétude quant à l’état de sa blessure, Banting put reprendre ses fonctions en Angleterre, avant d’être rappelé au Canada en 1919.

Banting avait manifesté le désir d’améliorer ses compétences médicales et d’essayer la recherche. En 1919–1920, il travailla sous les ordres de Clarence Leslie Starr, un de ses mentors quand il était sous les drapeaux, comme interne en chirurgie et registraire à l’Hospital for Sick Children de Toronto. Il espérait se spécialiser en chirurgie orthopédique, mais quand – on ne sait pourquoi – il ne fut pas reconduit dans ses fonctions, il décida d’exercer la médecine en tant qu’omnipraticien et chirurgien. En juillet 1920, il s’établit à son compte dans la petite ville florissante de London, à l’ouest de Toronto, et attendit la clientèle.

Comme les patients arrivèrent désespérément lentement, Banting accepta de travailler à temps partiel comme chargé de travaux pratiques en chirurgie et en anatomie à la petite faculté de médecine de la University of Western Ontario. Profondément inquiet au sujet de sa situation financière, de son cabinet et de ses perspectives matrimoniales, il se mit à réfléchir à de nouvelles possibilités. Le soir du 31 octobre 1920, alors qu’il préparait une présentation sur le pancréas à l’intention des étudiants de l’université, Banting tomba sur un article du pathologiste Moses Barron, publié à Chicago dans le numéro de novembre de la revue Surgery, Gynecology and Obstetrics et intitulé « The relation of the islets of Langerhans to diabetes with special reference to cases of pancreatic lithiasis ». Certaines observations de Barron sur un cas inhabituel mais sans importance de blocage du conduit pancréatique amenèrent Banting à réfléchir sur la quête scientifique d’une substance dans le pancréas qui pourrait contenir la clé pour la prévention de la maladie connue sous le nom de diabète sucré. Tard cette nuit-là, il nota dans son carnet l’idée de recherche suivante :

Diabète.
Ligaturer les conduits pancréatiques du chien. Garder les chiens vivants jusqu’à ce que les acini dégénèrent en laissant des îlots. Essayer d’isoler la sécrétion interne de ces derniers afin de diminuer la glycosurie.

Le personnel à la University of Western Ontario, qui n’avait ni l’expertise ni les installations nécessaires pour aider Banting, lui conseilla de parler de son idée avec John James Rickard Macleod*, professeur de physiologie à la University of Toronto et autorité internationale en matière de métabolisme des glucides. Au cours d’un entretien à Toronto, le 8 novembre, Macleod dit à Banting, qui en savait peu sur le diabète et le pancréas, qu’il valait peut-être la peine de creuser son idée, mais qu’elle pourrait bien aboutir aux mêmes résultats négatifs qui avaient frustré bon nombre de ses collègues beaucoup plus chevronnés. Si Banting voulait néanmoins essayer, Macleod mettrait des installations et des animaux à sa disposition.

Banting se demanda au cours de l’hiver s’il donnerait suite ou non à son idée de recherche. Il écrirait qu’il aurait préféré se joindre en tant que médecin à une expédition qui cherchait du pétrole dans le Nord canadien. Ses amis lui conseillèrent de se fixer et de tirer le meilleur parti de son cabinet, dont la croissance était somme toute satisfaisante. Il décida plutôt d’accepter la proposition de Macleod et de passer l’été de 1921 à Toronto à pousser plus loin son idée. Macleod lui donna accès à des salles de laboratoire, lui fournit des animaux pour ses expériences et lui offrit l’aide de ses étudiants-assistants. Edward Clark Noble et Charles Herbert Best* déterminèrent à pile ou face que Best serait le premier à travailler avec Banting. Ils convinrent plus tard que Best continuerait tout l’été. Les deux hommes se mirent à l’ouvrage le 17 mai.

Banting croyait qu’en ligaturant les conduits pancréatiques d’animaux vivants, il pourrait causer la dégénérescence des cellules qui produisaient les sécrétions externes (les enzymes digestives) de l’organe, ce qui les empêcherait d’entraver ou de neutraliser la mystérieuse sécrétion interne du pancréas, et permettrait peut-être d’isoler cette dernière sous forme active. D’après ses notes et des informations subséquentes, Banting envisageait au départ d’utiliser ses compétences de chirurgien pour greffer des portions de pancréas de chiens aux conduits ligaturés sur des chiens diabétiques pour voir si cela pouvait améliorer leur condition en réduisant le taux de sucre dans leur urine ou leur sang. Les travaux se poursuivirent de manière lente et irrégulière durant le chaud été de 1921, marqués par de lourdes pertes d’animaux, divers revers, des frustrations et des frictions passagères entre Banting et son assistant. Après le premier mois de recherche, pendant lequel il donna des conseils et des directives à Banting, Macleod partit pour l’Écosse, où il passa le reste de l’été.

Avant la fin de juillet, au lieu de réaliser des greffes, Banting et Best purent commencer à injecter des extraits pancréatiques de chiens aux conduits ligaturés dans les veines de chiens devenus diabétiques à la suite d’une pancréatectomie. Le taux de glycémie de ces chiens sembla baisser de façon spectaculaire, ce qui suggérait que les extraits permettaient le rétablissement du processus métabolique. Dans certains cas, les animaux devinrent plus enjoués et dépassèrent légèrement l’espérance de vie normale des chiens diabétiques non traités. Lorsqu’il rentra d’Écosse, en septembre, Macleod conseilla vivement à Banting, fort enthousiaste, d’étayer sa preuve en répétant et en peaufinant ses expériences. Malheureusement, Banting, impulsif et sans formation, et Macleod, scientifique calme et prudent, étaient en total désaccord sur la détermination de la priorité. On échappa de justesse à une grave rupture et le travail se poursuivit durant l’automne.

Banting comprit qu’il pouvait éviter la lourde procédure de ligature des conduits en préparant des extraits avec du pancréas de fœtus de veau frais. Il découvrit ensuite que des extraits réfrigérés de pancréas entiers d’origine canine ou bovine étaient également efficaces. Voyant que le rythme des recherches s’accélérait, Banting – dont l’objectif, depuis le début, était de traiter le diabète chez l’humain – proposa d’enrichir l’équipe d’un membre, James Bertram Collip*, biochimiste chevronné qui travaillait avec Macleod, à Toronto, pendant qu’il était en congé sabbatique de la University of Alberta. Collip se joignit au groupe en décembre ; en peu de temps, il améliora l’extrait brut de Banting et Best, et contribua grandement à la connaissance de ses propriétés. Malgré tout, la première présentation officielle des résultats de l’équipe de Toronto à la conférence annuelle de l’American Physiological Society, à New Haven, au Connecticut, le 30 décembre, fut loin d’être un triomphe, car on doutait considérablement que le groupe était allé plus loin dans ses travaux sur les extraits pancréatiques que ne l’avaient fait précédemment plusieurs chercheurs.

Les recherches passèrent alors à un niveau supérieur ; néanmoins, elles furent freinées par le profond manque d’assurance de Banting et sa méfiance croissante à l’égard de Macleod, et peut-être d’autres collègues, qu’il soupçonnait de vouloir s’attribuer le mérite de ses découvertes. Il en voulait à Macleod de trop s’identifier publiquement aux travaux et se montra très inquiet lorsque Collip fut chargé de purifier l’extrait devant servir aux essais cliniques. Macleod accéda aux exigences de Banting, qui voulait que l’extrait qu’il avait préparé avec Best soit le premier à être officiellement administré à une personne diabétique (Banting l’avait déjà testé sur lui-même et sur un camarade de classe diabétique, sans résultats significatifs). Le 11 janvier 1922, on pratiqua le premier test sur un garçon de 13 ans, Leonard Thompson, au Toronto General Hospital. Banting n’y assista pas, l’hôpital universitaire lui ayant refusé ce privilège en raison de son manque d’expérience en matière de diabète.

L’extrait de Banting et Best n’eut que peu d’effet sur l’état de santé de Thompson, et un abcès stérile se forma au point d’injection. Les cliniciens décidèrent d’abandonner l’expérience. Douze jours plus tard, le 23 janvier, ils reprirent les injections, mais en utilisant un extrait purifié par Collip. Quand ce dernier fit part à Banting des résultats prometteurs obtenus avec son extrait, puis refusa de dévoiler les détails de son procédé de fabrication, les deux scientifiques en vinrent aux mains dans le laboratoire et Best dut les séparer.

Le 25 janvier, les quatre chercheurs signèrent un accord de collaboration pour perfectionner l’extrait, sous la direction générale de Macleod et en coopération avec les Connaught Antitoxin Laboratories de la University of Toronto [V. John Gerald FitzGerald*]. Collip serait responsable de la production. Une entente distincte stipulait que, dans les publications, les noms des auteurs apparaîtraient en ordre alphabétique.

L’harmonie ne revint jamais complètement entre les membres de l’équipe de recherche, même lorsque les résultats des premiers essais cliniques s’avérèrent fort prometteurs. L’extrait purifié, bientôt nommé insuline (d’après les îlots de Langerhans, cellules du pancréas auxquelles le groupe attribuait la production de l’insuline), se révéla extrêmement efficace pour faire disparaître les symptômes du diabète sucré et redonner aux malades une santé physique presque normale. La University of Toronto était le lieu d’une formidable découverte. Mais qui en était l’auteur ?

Banting croyait être le découvreur de l’insuline, d’abord parce que son idée était à l’origine de la découverte, ensuite parce que ses expériences sur les animaux démontraient selon lui la présence de la substance. Sa prétention était toutefois hautement contestable, à cause de ses mécanismes de contrôle inadéquats et de ses résultats de recherche variables, du premier essai infructueux réalisé sur Thompson avec son extrait et des résultats non concluants d’une expérience sur la longévité de l’un des chiens (dont Banting n’avait pas retiré complètement le pancréas). À l’époque, il apparut de prime abord que le travail de Collip avait permis la remarquable percée à Toronto. L’analyse subséquente des faits corrobora ce point de vue, en mettant en évidence les nombreuses erreurs factuelles et interprétatives dans la première communication de Banting et Best, les hypothèses erronées de Banting relatives aux conséquences physiologiques de la ligature des conduits et à la dégénérescence du pancréas, et la possibilité qu’une technique défectueuse ait rendu leurs expériences presque vaines. En outre, Macleod avait prodigué plus de conseils à Banting que ce dernier voulait l’admettre. Dès décembre 1922, le British Medical Journal de Londres publia une critique dévastatrice sur les recherches de Banting et Best, qui concluait que « la production de l’insuline était née d’une série d’expériences mal conçues, mal réalisées et mal interprétées ».

Banting, qui avait risqué sa carrière, ses moyens de subsistance, sa réputation et, peut-être, ses chances de bonheur conjugal dans ces recherches, s’était presque effondré dans les premiers mois de 1922. Il venait rarement au travail et, de son propre aveu, il consommait de l’alcool, parfois volé au laboratoire, pour réussir à dormir. Ses amis craignaient qu’il soit suicidaire. Il reprit néanmoins le travail, sur la demande insistante de Best, quand Collip constata qu’il ne parvenait plus à produire de l’insuline efficace, problème assez courant chez les pionniers de l’extraction biochimique. Une lutte désespérée engagée par l’équipe au printemps pour redécouvrir la technique permit à Banting et à Best de revenir au premier plan : du jour au lendemain, Banting devint le principal fournisseur d’insuline utilisable – apparemment produite par Best –, et retrouva le moral et sa détermination. Il éprouvait une immense gratitude envers Best, qui l’avait aidé lorsqu’il en avait le plus besoin. Il ouvrit un cabinet privé à Toronto en se présentant comme le clinicien qui pouvait traiter le diabète et fut aussi autorisé à soigner les patients diabétiques à l’hôpital militaire de la rue Christie.

Une situation tendue et confuse fut progressivement résolue quand le Toronto General Hospital offrit une position à Banting pour travailler avec d’autres cliniciens dans son service de diabétologie. Le procédé d’isolation de l’insuline fut breveté sous les noms de Banting, Best et Collip, puis le brevet fut transféré au conseil d’administration de la University of Toronto. Grâce à une entente de coentreprise entre l’université et la société de l’Indiana Eli Lilly and Company, conclue à l’été de 1922, la production d’insuline augmentait continuellement, et plusieurs centres commencèrent à l’utiliser dans le cadre d’essais cliniques non officiels. Collip retourna à la University of Alberta. Macleod se concentra sur la recherche des propriétés physiologiques de l’insuline. Les Connaught Laboratories prirent peu à peu le contrôle de la production canadienne d’insuline.

Vers la fin de 1922, la formidable efficacité de l’insuline dans le traitement du diabète était déjà reconnue et sa découverte fut presque universellement saluée comme un triomphe de la médecine moderne. Grâce à l’aide importante d’amis et admirateurs politiquement habiles, comme son ancien professeur, le Dr George William Ross, Banting acquit rapidement la réputation de personnage principal dans l’histoire de l’insuline, de génie canadien aux manières frustes qui, aidé quelque peu par Best, avait défendu son idée dans les conditions les plus difficiles jusqu’à ce qu’elle se concrétise de brillante manière. Une campagne organisée en l’honneur de Banting incita le gouvernement de l’Ontario à le nommer, en 1923, titulaire de la chaire de recherche médicale Banting et Best à la University of Toronto, première chaire universitaire canadienne portant exclusivement sur la recherche. Le Parlement lui accorda une pension « suffisante pour [lui] permettre […] de consacrer sa vie à la recherche médicale ». Finalement, à l’automne de 1923, on annonça que Banting et Macleod recevraient conjointement le prix Nobel de physiologie ou médecine pour la découverte de l’insuline. C’était la première fois dans l’histoire des prix Nobel qu’une découverte se voyait si rapidement récompensée. Banting, âgé de 31 ans, devint le plus jeune lauréat et le premier Canadien à recevoir ce prix. Jusqu’à la fin de sa vie, il figurerait à la tête des listes de Canadiens éminents, et on le couvrirait de grades honorifiques, de prix et de bourses de recherche.

Banting se montra amer chaque fois ou presque qu’il fut question du rôle joué par Macleod dans les recherches, songea même à refuser le Nobel, puis déclara qu’il partagerait sa part de la bourse avec Best. Macleod dit qu’il partagerait la sienne avec Collip. Pendant des années, on se demanda ce qui, à Toronto, avait engendré cette situation étrange et controversée : deux gagnants, mais quatre personnes se divisant également l’argent. Au banquet de célébration de la University of Toronto, le 26 novembre, le Dr Llewellys Franklin Barker résuma la controverse avec tact en déclarant : « L’insuline comporte suffisamment de gloire pour tout le monde. »

Les deux lauréats du Nobel suivirent des chemins différents à l’université et, dit-on, ne se parlèrent plus. En 1928, Macleod retourna dans son pays natal, l’Écosse, et Best, qui avait quitté Toronto pour finir ses études en Grande-Bretagne, fut nommé à la chaire de physiologie de Macleod l’année d’après. Banting avait repris ses recherches dans des installations ne relevant pas du département. Le public et les médias, qui l’adoraient, se demandèrent quelles maladies le génie canadien vaincrait ensuite. Pour l’aider, en 1925, ses admirateurs récoltèrent 500 000 $ destinés au premier fonds pour la recherche médicale au Canada, la Banting Research Foundation, récemment créée. Banting travailla d’abord plutôt en solitaire, avec l’aide de Sadie Gairns, qui avait fait une maîtrise ès arts avec Macleod. Son aura et le financement qu’il pouvait obtenir attirèrent progressivement d’autres chercheurs ; sa chaire devint le département de recherche médicale Banting et Best, qui, dans les années 1930, serait déjà un des plus grands centres universitaires de recherche en Amérique du Nord.

Banting se voyait comme un homme d’idées, non comme un clinicien ou un spécialiste du diabète. Il désirait ardemment réaliser lui-même d’autres percées scientifiques, pour mettre fin aux doutes sur sa compétence dans les recherches sur l’insuline. Malheureusement, sa formation était bel et bien insuffisante ; ses idées de recherche et les techniques qu’il employa par la suite s’avérèrent rudimentaires, simplistes et improductives. Ses tentatives de production d’une antitoxine universelle, présentée au départ comme supérieure à l’insuline, en utilisant la sécrétion de la glande corticosurrénale se soldèrent par un lamentable échec. Banting se lança alors dans la recherche sur le cancer, en consacrant des années d’expériences infructueuses au problème du sarcome de Rous chez le poulet. Son obsession pour les idées qui pourraient lui permettre de renouer avec le succès le conduisit, un peu à la manière d’un inventeur amateur, à étudier les selles de bébé, la gelée royale, la physiologie de la noyade et autres projets stériles.

Plusieurs chercheurs dans l’entourage de Banting, mieux formés que lui, commencèrent à faire des découvertes importantes. Dans les années 1930, son département, administré par Gairns et logé dans un édifice plus spacieux trompeusement dénommé le Banting Institute, fit figure de pionnier dans la mise au point d’une méthode avant-gardiste de prévention de la silicose. Banting, qui reconnut et accepta peu à peu ses propres limites, joua un rôle plus modeste en recherche, ce qui le rendit populaire auprès de ses jeunes collaborateurs. À titre de grand découvreur de l’insuline, il s’orienta naturellement, quoiqu’un peu maladroitement, vers un rôle plus vaste de porte-parole national pour la recherche médicale. En 1937, il fut invité à se joindre au Conseil national de recherches, présidé par l’ancien chef d’état-major des armées Andrew George Latta McNaughton*, et, l’année suivante, il devint le président de son nouveau Comité associé sur la recherche médicale, premier organisme chargé de coordonner la recherche au Canada.

Les tribulations de Banting en tant que chercheur s’accompagnaient en parallèle d’une vie personnelle assez malheureuse. Dans le tumulte de ces années de recherche sur l’insuline, sa relation avec sa petite amie d’Alliston s’effondra. Le mariage, en 1924, du célibataire le plus convoité du Canada avec la fille extravertie d’un médecin, Marion Wilson Robertson, se révéla trop hâtif et les emprisonna tous deux dans la solitude et une profonde tristesse. Cette union se termina officiellement en 1932 par un divorce sensationnel, où fusèrent des accusations et des contre-accusations d’adultère et d’abus. Accusé publiquement par son beau-père d’avoir battu sa femme, Banting riposta en privé en menaçant de ne pas reconnaître la paternité de leur fils. Durant ces années, il trouva refuge dans la peinture ; à l’Arts and Letters Club de Toronto, il se lia d’amitié avec Alexander Young Jackson* et avec plusieurs autres membres du groupe des Sept, dont il assimila les techniques avec compétence. Il effectua plusieurs voyages pour faire des croquis avec Jackson, y compris un long périple dans l’Arctique en 1927. Par le biais des sujets de son art, de son attitude à l’égard des femmes et de ses réflexions sur le stress causé par la gloire, Banting exprimait souvent une nostalgie de la vie et des mœurs plus simples du Canada rural.

En 1934, Banting fit partie du dernier groupe de Canadiens à recevoir des titres du roi. Il espérait que son titre rétablirait sa réputation ternie par le divorce, mais trouvait ridicule que les gens l’appellent « sir ». Ses amis le considéraient ni plus ni moins comme un gars de la bande, comme un sympathique conteur d’histoires, surtout tard dans la nuit, quand ils finissaient une bouteille de whisky dans une salle enfumée. On prétendit souvent qu’il aurait été plus heureux comme omnipraticien dans une petite ville ; il le dit parfois lui-même. Espérant toujours trouver le bonheur dans le mariage et engendrer une ribambelle d’enfants, il épousa, en 1939, Henrietta Elizabeth Ball, qui avait été technicienne dans son département.

Banting avait beaucoup voyagé et tenait fréquemment un journal où il exprimait des avis tranchés sur l’état du monde, les problèmes découlant de sa renommée et les énigmes de la vie au Canada. En 1935, il participa à un congrès de physiologie en Union soviétique, visita une grande partie du pays et rentra à la maison avec l’enthousiasme d’un cryptocommuniste typique croyant avoir eu une vision du futur, du moins quant à la reconnaissance scientifique par le socialisme. Au moment où le monde se dirigeait vers une nouvelle guerre, Banting tenta de prévenir le gouvernement britannique de la nécessité d’adopter de sérieuses mesures pour se préparer à une guerre bactériologique et chimique contre Adolf Hitler. En 1939, il réorienta les activités de recherche de son département vers les problèmes de la médecine aéronautique et se réenrôla dans l’armée canadienne.

Banting passa plusieurs mois en Grande-Bretagne durant l’hiver de 1939–1940 afin d’évaluer les besoins pour la recherche. De retour au pays, il se lança dans divers travaux liés à la guerre ; ceux-ci comprenaient à la fois des recherches prometteuses dans le domaine de la médecine aéronautique et des études quichottesques sur la guerre bactériologique ou des blessures auto-infligées au gaz moutarde pour tester un antidote. Après le début de la bataille d’Angleterre, il lui tarda de reprendre son poste de simple médecin militaire de son ancien bataillon, ou du moins de retourner en Angleterre en cette période de crise. Ses relations avec Best, qui menait parallèlement une carrière à la University of Toronto et dans des cercles de recherche médicale, étaient devenues distantes et tendues (contraste frappant avec les liens d’amitié qu’il avait noués avec Collip). Lorsque Best annonça ne pas pouvoir participer à la prochaine mission en Grande-Bretagne, dans le but d’établir des liens dans le milieu de la recherche, Banting décida de partir à sa place. Pour réduire le temps de trajet, il accepta une offre fortuite de traverser l’Atlantique Nord à bord d’un bombardier.

Banting quitta Gander, à Terre-Neuve, dans un Hudson à deux moteurs avec trois membres d’équipage pendant la nuit du 20 février 1941. Peu après le décollage, le pilote signala une défaillance d’un moteur et qu’il faisait demi-tour. Lorsque le second moteur tomba en panne, l’avion s’écrasa en essayant d’atterrir au bord d’un étang près de Musgrave Harbour, sur la côte est de Terre-Neuve. Deux membres de l’équipage furent tués sur le coup. Le pilote survécut. Banting fut mortellement blessé et mourut avant l’arrivée des premiers secours.

Une fois sa dépouille rapatriée à Toronto, le major sir Frederick Grant Banting reçut des funérailles de combattant et de héros. Les histoires de propagande disant qu’il avait été chargé d’une mission secrète de la plus haute importance en Grande-Bretagne, ainsi que les rumeurs tenaces selon lesquelles son avion aurait été saboté, d’une manière ou d’une autre, par des agents nazis, sont absolument fausses. Il légua un patrimoine modeste à sa veuve et au fils né de son premier mariage.

Au fil des ans, la renommée de sir Frederick Grant Banting demeura intacte, comme le mythe voulant que la découverte de l’insuline soit le fruit du génie de Banting et de Best, qui auraient travaillé sans aide ou presque. En fait, Banting fut le médecin curieux et chanceux qui donna naissance à une idée, demeura engagé dans les recherches du début à la fin avec l’aide d’un groupe de spécialistes disposant d’excellentes installations et passa le reste de sa vie à assumer les conséquences d’avoir réalisé le rêve le plus cher de tout scientifique : sauver des vies, obtenir le prix Nobel et devenir immortel.

Michael Bliss

Les Sir Frederick Grant Banting papers (ms coll. 76), conservés à la Thomas Fisher Rare Book Library, Univ. of Toronto, constituent la principale source manuscrite sur tous les aspects de la vie de Banting. Le fonds contient une documentation particulièrement riche sur la découverte de l’insuline, notamment tous les carnets de laboratoire de Banting et de Best, des dossiers de patients et d’autres documents de recherche, ainsi que des albums de coupures et les deux comptes rendus personnels de Banting sur la découverte, dont un seul a été publié. On y trouve aussi les journaux personnels de Banting et d’autres textes inédits, comme les volumineux journaux qu’il a écrits en temps de guerre. Les papiers qui concernent son travail au Conseil national de recherches du Canada à Ottawa sont conservés aux archives et à la bibliothèque de l’organisme.

La Thomas Fisher Rare Book Library possède également d’autres collections importantes liées à la découverte de l’insuline, dont les papiers de Charles Herbert Best (ms coll. 241) et de James Bertram Collip (ms coll. 269), ainsi que du matériel que William R. Feasby (ms coll. 235) et nous-même (ms coll. 232) avons recueilli. L’impact de cette découverte sur la vie d’une patiente est démontré dans les Elizabeth Hughes papers (ms coll. 334). Les George William Ross papers, composés d’entrevues et de manuscrits produits par l’ami intime de Banting, qui a mené la campagne pour faire valoir les mérites de ce dernier et a essayé d’être son premier biographe, constituent le plus récent ajout (2012) de documents sur l’insuline dans les collections de cette bibliothèque. À la Univ. of Toronto, les Arch. and Records Management Services détiennent également des collections pertinentes, en particulier les dossiers du comité sur l’insuline du conseil d’administration de l’université (A1980-0027, A1981-0004, A1981-0005, A1981-0015, A1981-0019, A1982-0001). On peut consulter des descriptions et des images d’échantillons du matériel de Toronto sur le site Web intitulé « The discovery and early development of insulin » : link.library.utoronto.ca/insulin (consulté le 8 oct. 2014).

Ces sources, entre autres, forment la base de notre publication The discovery of insulin (Toronto, 1982 ; éd. du 25e anniversaire, 2007), ouvrage de référence sur l’histoire de l’insuline accompagné de nombreuses références bibliographiques. Le livre de Thea Cooper et Arthur Ainsberg, Breakthrough : Banting, Best and the race to save millions of diabetics (Toronto, 2010), présente un récit de vulgarisation très romancé.

Les premières biographies publiées sur Banting sont : Seale Harris, Banting’s miracle : the story of the discoverer of insulin (Toronto et Vancouver, 1946) et Lloyd Stevenson, Sir Frederick Banting (Toronto, 1946). Elles ont été rendues caduques par la nôtre, Banting : a biography (Toronto, 1984 ; 2e éd., 1992), qui demeure l’ouvrage de référence en la matière et contient une bibliographie des écrits de Banting. On pourra lire en complément : « Banting’s, Best’s, and Collip’s accounts of the discovery of insulin », Bull. of the Hist. of Medicine (Baltimore, Md), 56 (1982) : 554–568, dont nous signons l’introduction ; J. J. R. Macleod, « History of the researches leading to the discovery of insulin », introd. par L. G. Stevenson, Bull. of the Hist. of Medicine, 52 (1978) : 295–312 ; et notre article « Rewriting medical history : Charles Best and the Banting and Best myth », Journal of the Hist. of Medicine and Allied Sciences (New Haven, Conn.), 48 (1993) : 253–274.

K. F. Quinn, « Banting and his biographers : maker of miracles, maker of myth », Queen’s Quarterly (Kingston, Ontario), 89 (1982) : 243–259, et Mary Vipond, « A Canadian hero of the 1920s : Dr. Frederick G. Banting », Canadian Hist. Rev.​ (Toronto), 63 (1982) : 461–486, sont deux études savantes sur Banting en tant que héros canadien. Son rôle dans l’histoire de la guerre chimique et biologique au Canada est décrit dans John Bryden, Deadly allies : Canada’s secret war, 1937–1947 (Toronto, 1989).

Arch. publiques de l’Ontario (Toronto), RG 80-5-0-1428, no 2088.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Michael Bliss, « BANTING, sir FREDERICK GRANT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 17, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/banting_frederick_grant_17F.html.

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Auteur de l'article:    Michael Bliss
Titre de l'article:    BANTING, sir FREDERICK GRANT
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 17
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2018
Année de la révision:    2018
Date de consultation:    22 déc. 2024