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CURRY, NATHANIEL, ouvrier, homme d’affaires, homme politique et philanthrope, né le 26 mars 1851 à Terry’s Creek (Port Williams, Nouvelle-Écosse), un des 11 enfants de Charles Curry, fermier et propriétaire de navires, et d’Eunice R. Davidson ; le 17 septembre 1881, il épousa à Amherst, Nouvelle-Écosse, Mary E. Hall, et ils eurent cinq fils ; décédé le 23 octobre 1931 à Tidnish, Nouvelle-Écosse.
Après avoir reçu une éducation de base dans des écoles du comté rural de Kings, Nathaniel Curry devint, à 15 ans, apprenti chez un charpentier du coin. Vers 1871, il se joignit au flot grandissant de jeunes qui quittaient les provinces Maritimes pour la Nouvelle-Angleterre en quête de meilleures perspectives économiques. Il s’établit d’abord à Boston, mais partit vite pour l’Ouest américain. À Virginia City et à Carson City, villes minières de pionniers au Nevada, il fut employé par la Virginia and Truckee Railroad comme contremaître adjoint et mécanicien de moulins. Il y acquit une expérience qui serait déterminante pour sa future carrière dans les affaires. En 1877, il retourna en Nouvelle-Écosse et s’installa à Amherst, où il s’associa rapidement avec son beau-frère, Nelson Admiral Rhodes*.
Les deux hommes convinrent apparemment qu’Amherst, lieu de naissance de Rhodes, offrait de grandes possibilités depuis que la Confédération et la construction du chemin de fer Intercolonial avaient ouvert la voie à un important essor économique dans le comté de Cumberland, particulièrement dans les mines de charbon de Springhill et des villes avoisinantes. Rhodes et Curry formèrent d’abord un partenariat éphémère avec Bayard Dodge, fabricant de châssis et de portes. Après le départ de Dodge, les deux hommes transformèrent leur société, nommée Rhodes, Curry and Company, en une entreprise de construction, afin de réaliser des projets dans des communautés situées le long d’un réseau ferroviaire alors en pleine expansion dans toute la région. Avec le concours d’architectes comme le Néo-Écossais James Charles Philip Dumaresq*, la firme bâtirait des milliers d’édifices dans les Maritimes, dont le nouveau pavillon central et le pensionnat de jeunes filles de l’Acadia College (1878), l’hôtel de ville de Halifax (1890) et une maison près de Baddeck pour Alexander Graham Bell* (1893). Grâce à l’appui d’un groupe d’investisseurs locaux, des prêts consentis par des investisseurs de Halifax et des liens politiques internes avec le Parti conservateur au pouvoir par l’entremise de sir Charles Tupper*, originaire de la région d’Amherst, la Rhodes, Curry and Company avait déjà, à l’aube des années 1890, pris une place formidable dans le milieu des affaires de la région. En 1891, les associés constituèrent juridiquement leur entreprise.
Vers 1880, avant de fabriquer des wagons, Curry s’était mis à en réparer. Au début, Rhodes semble avoir été la figure dominante du tandem. L’influence de Curry devint indéniable vers 1893, après que l’entreprise eut racheté la manufacture de wagons de chemin de fer ayant appartenu à James Stanley Harris*, et la déplaça de Saint-Jean à Amherst. Rhodes se concentrait sur les opérations générales de l’entreprise, tandis que Curry, puisant dans ses connaissances acquises dans l’Ouest américain, supervisait la construction des wagons. En 1903, ils étaient à la tête d’un complexe industriel qui s’étendait le long des rails de la ligne principale au centre-ville d’Amherst. Cette année-là, un ensemble de forges, d’ateliers de fraisage, d’ateliers de fabrication d’essieux, de laminoir et d’installations de menuiserie permit de produire 4 000 wagons de marchandises et 60 véhicules pour le transport des voyageurs. Avec des actifs de 3 millions de dollars, des ventes annuelles de 2,3 millions de dollars, des succursales à New Glasgow, Sydney et Halifax, et plus de 1 500 employés, la Rhodes, Curry and Company dominait le marché des wagons au Canada ; ses clients étaient non seulement des entreprises locales, mais aussi des sociétés à l’extérieur de la région, comme la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique.
Parallèlement à son ascension en tant qu’entrepreneur, Curry tint une place de plus en plus importante dans les affaires communautaires. En 1889, il avait soutenu la constitution en municipalité d’Amherst, dont il fut maire en 1894. Il s’engagea aussi dans l’ordre maçonnique et fut un pilier de l’église baptiste locale, construite par son entreprise. Sa femme joua un rôle phare dans les organismes de charité locaux, notamment la Ladies’ Hospital Aid Society. Signe de la fortune et de l’élévation du statut social de la famille, le fils aîné de Curry étudia au collège militaire royal du Canada, à Kingston, en Ontario, et obtiendrait le rang de lieutenant-colonel dans la milice canadienne. Au début du xxe siècle, Curry bâtit, sur un terrain dont la superficie atteindrait 350 acres, une résidence de bois à trois étages, surplombant le détroit de Northumberland. La famille passa ses étés dans ce domaine de Tidnish, où elle divertit des invités, veilla aux opérations d’une ferme modèle et à l’aménagement paysager de jardins complexes, et navigua sur son yacht privé.
L’innovation technologique fascinait Curry. En 1904, il se joignit à d’autres notables d’Amherst pour fonder une entreprise qui compta parmi les premières à générer de l’électricité sur le carreau d’une mine de charbon et à la faire circuler dans des lignes à haute tension, ce qui réduisit les coûts énergétiques pour les industriels de l’endroit. En 1906, il mit sur pied la Malleable Iron Works, pour faciliter le passage de la Rhodes, Curry and Company aux wagons tout en acier. Une telle modernisation s’imposait pour que l’entreprise reste concurrentielle, mais comportait d’énormes défis, surtout celui de réunir les capitaux nécessaires. En 1909, ce qui avait commencé comme un effort pour transformer l’entreprise des deux partenaires en société par actions ouverte prit une toute nouvelle tournure : le résident de Montréal William Maxwell Aitken*, étoile montante de la haute finance canadienne qui avait dirigé la restructuration de la Rhodes, Curry and Company, y vit une occasion de fusionner avec deux usines ferroviaires du centre du Canada. La Rhodes, Curry and Company fut ainsi intégrée à la Canadian Car and Foundry Company Limited, nouveau géant du secteur manufacturier dont le siège social se trouvait à Montréal.
À cause de la perte d’autonomie que représentait une fusion, Curry avait d’abord hésité, mais, en 1909, il était prêt à coopérer. Rhodes était mort subitement plus tôt la même année. Les motifs les plus persuasifs furent probablement les suivants : Curry retira de la transaction près de 3 millions de dollars sur les 8,5 millions en capital-actions de la nouvelle société, et se vit confier la présidence de la Canadian Car and Foundry Company Limited, qu’il occuperait jusqu’en 1919. Ses responsabilités accrues l’obligèrent à s’installer à Montréal, où il loua à long terme une suite à l’hôtel Windsor ; il retournait cependant chaque été à sa propriété de Tidnish. Il ne tarda pas à s’intégrer au cercle restreint de l’élite commerciale du centre du Canada ; il deviendrait également président d’une douzaine d’associations professionnelles et directeur d’une trentaine d’entreprises, y compris de géants comme la Banque de la Nouvelle-Écosse et la Montreal Trust Company. Il reçut une marque de reconnaissance encore plus grande en 1911–1912, quand il fut élu vice-président, puis président de l’Association des manufacturiers canadiens (AMC).
Curry prit la tête de l’AMC au moment même où le Canada était plongé dans les élections très conflictuelles de 1911, dont l’abaissement des barrières tarifaires entre le Canada et les États-Unis constituait l’un des enjeux principaux. La campagne de Curry ne dépassa pas les frontières de la Nouvelle-Écosse, mais il affirma clairement, dans la presse et sur les affiches placardées dans ses ateliers, que l’AMC et lui souhaitaient la poursuite des politiques protectionnistes mises en place 30 ans auparavant par le gouvernement de sir John Alexander Macdonald*. Ses positions contre la réciprocité lui assurèrent l’appui financier des conservateurs. Ces derniers, dirigés par son concitoyen néo-écossais Robert Laird Borden, l’emportèrent ; en 1912, une nomination au Sénat, à titre de représentant de sa province d’origine, récompensa les services de Curry. Plus tôt, en mai de la même année, il avait reçu un doctorat honorifique en droit de l’Acadia University, que « Docteur » Curry, comme il aimait qu’on l’appelle, désignerait comme principal bénéficiaire du don d’environ 200 000 $ qu’il accorderait à divers établissements d’enseignement supérieur.
Malheureusement, l’intégration d’une entreprise indépendante à une plus grande société ne s’avérerait profitable ni à Amherst ni aux travailleurs, dont la subsistance avait fini par dépendre du complexe industriel aussi connu sous le nom de Canada Car. L’usine d’Amherst ne fut jamais soumise au style de direction opportuniste et sans scrupules qui avait cours dans les industries houillère et sidérurgique de l’île du Cap-Breton, mais elle souffrit de son statut de succursale dans une région relativement sous-développée économiquement.
Au moment de son départ pour Montréal, Curry avait rassuré ses employés sur leur avenir et avait déclaré que l’apport de capital leur permettrait de fabriquer des wagons tout en acier et, peut-être, de diversifier leur production en fabriquant des locomotives. Il était probablement sincère ; toutefois, les événements conspirèrent à faire échouer ses plans. Quand la Canada Car se modernisa finalement, en 1912, elle décida de construire sa nouvelle usine de wagons tout en acier à Thunder Bay, en Ontario, près des Prairies, où la demande de matériel roulant était la plus grande. Suivirent, en 1913, un ralentissement marqué de l’économie canadienne, puis, l’année d’après, le début de la Grande Guerre en Europe, qui freina temporairement les nouveaux investissements. Curry chercha à compenser les activités commerciales perdues au profit de la nouvelle usine ontarienne en usant de ses relations politiques à Ottawa. Il obtint ainsi des contrats de munitions [V. sir Joseph Wesley Flavelle] pour les usines de l’entreprise dans l’Est, dont celle d’Amherst. Cela permit à l’usine de la ville d’embaucher, pour un temps, davantage de main-d’œuvre, mais ne suffit pas à restaurer sa gloire d’antan. Durant la guerre, la Canada Car prêta sans frais au gouvernement plusieurs de ses bâtiments de la région, signe du déclin continu de l’entreprise et de l’économie manufacturière locale. Après la cessation des hostilités en 1918, l’avenir de l’usine, dont une bonne partie de l’équipement tombait en désuétude, paraissait incertain.
À ce moment critique, le militantisme ouvrier aggrava la situation à Amherst. Le 19 mai 1919, frustrés par des années de salaires relativement bas, de mises en disponibilité saisonnières et de refus obstiné des gestionnaires d’ouvrir la porte aux négociations collectives, les travailleurs de la Canada Car débrayèrent, entraînant un arrêt de travail de la plupart des travailleurs industriels d’Amherst, quelques jours seulement après le début de la grève générale de Winnipeg [V. Mike Sokolowiski*]. Leur ancien maître resta sourd à leurs réclamations. Se voyant comme un modèle, Curry fanfaronna, dans le Halifax Herald du 20 septembre 1911, que « l’employé d’aujourd’hui [pouvait] être l’employeur de demain ». Indifférent aux façons dont la consolidation industrielle avait compromis les perspectives des travailleurs, Curry soutint que les désordres ouvriers résultaient principalement de complots menés par des bolchéviques.
Même s’il avait été bien disposé à l’égard des travailleurs d’Amherst, Curry n’aurait pu user de son pouvoir en leur faveur, car il ne contrôlait plus l’élaboration des politiques à la Canada Car. En 1919, il fut promu au poste plutôt honorifique de président du conseil. Âgé de près de 70 ans et privé de l’appui de son ami sir Robert Laird Borden, qui prit sa retraite en 1920, il perdit beaucoup de son influence dans l’entreprise, déclin qui, cette année-là, compta considérablement dans la décision de dissocier les activités de production de l’ancienne Rhodes, Curry and Company. Au milieu de la décennie, l’usine d’Amherst de la Canada Car fut réduite à un atelier de réparation délabré au personnel très réduit. Le dépeuplement et les dettes grevaient la ville autrefois dynamique ; « busy Amherst », comme on la surnommait dans les Maritimes, perdit environ le quart de sa population entre 1921 et 1931.
Après la Première Guerre mondiale, la vie personnelle de Curry resta agréable, du moins en apparence. Celui que ses amis appelaient Nat fit l’acquisition d’une résidence d’hiver dans les Bermudes et voyagea beaucoup, faisant le tour du monde avec sa femme. Homme sociable, passionné par la navigation de plaisance, la chasse et la pêche, Curry était membre de clubs réservés à l’élite sociale à Montréal (Club Mont-Royal, Engineers’ Club, Club canadien), à Ottawa (Rideau Club), à Toronto (National Club, Albany Club), à Halifax (Halifax Club) et à Amherst (Marshlands Club). Cependant, des événements tragiques avaient secoué sa famille. En 1907, sa femme et lui avaient perdu un fils à l’avenir prometteur, mort des suites d’une pneumonie. En 1915, un autre périt à la guerre. Selon les dires de gens du coin, il eut des relations difficiles, dans ses vieux jours, avec ses trois fils survivants. L’abus d’alcool semble avoir constitué un problème majeur, surtout pour lui-même. Dans ses dernières années, il lutta pour recouvrer la santé et eut souvent recours à des soins de santé privés.
En 1931, Curry mourut d’un infarctus. Dans son testament, il légua toute sa fortune à sa femme, créa des fiducies pour ses petits-enfants et ne laissa à ses fils aucun accès à ses capitaux. Ironiquement, ses efforts pour distribuer ses biens selon ses volontés furent vains, puisque son portefeuille d’actions disparut dans les premiers mois de la grande dépression, à la suite de placements malavisés. En dehors de la police d’assurance-vie et de la propriété de Tidnish, ses héritiers n’eurent pas grand-chose.
Nathaniel Curry aimait se qualifier de fils de ses œuvres. La réalité était plus complexe. Il devait sa renommée et sa fortune en grande partie au rôle des entreprises dans la restructuration de l’économie canadienne au début du xxe siècle. Le transfert des investissements industriels des Maritimes vers le centre du Canada, combiné au début de la grande dépression, mena à sa ruine et à celle de la ville dont il avait été le leader industriel.
BAC, R233-37-6, N.-É., dist. Cumberland (30), sous-dist. Amherst (A) : 34.— NSA, Cumberland County Court of Probate, file 2915 (Nathaniel Curry) ; Cumberland County registry of deeds, vol. 36, file 531 ; vol. 37, files 483–484 ; vol. 46, files 222–223 ; MG 1, vol. 800, nos 5, 9–11, 17 (S. L. Shannon papers).— Halifax Herald, 17 sept. 1894 ; 20 sept. 1911 ; 23–24 oct. 1931.— Biographical review […] of leading citizens of the province of Nova Scotia, Harry Piers, édit. (Boston, 1900).— Canada, Commission royale d’enquête sur les rapports qui existent entre le capital et le travail au Canada : Nouvelle-Écosse, Rapport (Ottawa, 1889), 368–371 ; Sénat, Débats, 1913–1914, 1919–1923, 1925, 1930.— C. E. Goad, « Insurance plan, town of Amherst » (s.l., [1914] ; accessible aux NSA).— A. R. Lamy, « The development and decline of Amherst as an industrial centre : a study of economic conditions » (travail de ba, Mount Allison Univ., Sackville, N.-B., 1930).— G. P. Marchildon, Profits and politics : Beaverbrook and the Gilded Age of Canadian finance (Toronto, 1996).— National cyclopædia of American biography […] (63 vol., New York, [etc.], 1892–1984), 17.— J. N. Reilly, « Emergence of class consciousness in industrial Nova Scotia : Amherst 1891–1925 » (thèse de ph.d., Dalhousie Univ., Halifax, 1983).
David A. Sutherland, « CURRY, NATHANIEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 17 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/curry_nathaniel_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/curry_nathaniel_16F.html |
Auteur de l'article: | David A. Sutherland |
Titre de l'article: | CURRY, NATHANIEL |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2019 |
Année de la révision: | 2019 |
Date de consultation: | 17 déc. 2024 |