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CREASE, sir HENRY PERING PELLEW, avocat, homme politique, fonctionnaire et juge, né le 20 août 1823 au Ince Castle, près de Plymouth, Angleterre, fils aîné de Henry Crease, capitaine dans la marine royale, et de Mary Smith ; le 27 avril 1853, il épousa à Acton (Londres) Sarah Lindley*, et ils eurent trois fils (dont l’un mourut en bas âge) et quatre filles ; décédé le 27 novembre 1905 à Victoria.
Bien que sa mère ait été héritière du Ince Castle, c’est dans une famille bourgeoise que grandit Henry Pering Pellew Crease. Après avoir fréquenté la Plymouth New Grammar School et la Mount Radford College-School, il entra au Clare College de Cambridge, où il obtint une licence ès arts en avril 1846. Armé de cette formation de gentleman, il fut admis un mois plus tard comme stagiaire en droit au Middle Temple. En juin 1849, il fut reçu au barreau.
Au lieu de se lancer immédiatement dans la pratique du droit, Henry Crease accompagna ses parents dans le Haut-Canada. Espérant consolider leur déplorable situation financière, ils avaient spéculé sur la construction de canaux. Leurs investissements ne rapportèrent pas autant que prévu et ils restèrent dans la colonie jusqu’en octobre 1853, mais Henry, après avoir aidé à faire des relevés hydrographiques des lacs Supérieur et Huron, rentra en Angleterre en 1851 ou en 1852 et se consacra à la rédaction d’actes translatifs de propriété à titre de barrister.
De toute évidence, le droit ne l’intéressait guère puisque, dès 1852 ou 1853, il était directeur dans une société d’exploitation minière des Cornouailles, la Great Wheal Vor United Mines. Les 1 100 à 1 500 employés de l’endroit – « la plus grande mine d’étain au monde » – étaient satisfaits de son administration, mais les actionnaires, eux, ne prisaient guère ses réformes : « école pour les enfants des mineurs, expositions horticoles, dons pour des fins chères à l’ouvrier des mines et [...] salle d’eau spacieuses pour les hommes qui remont[aient] du fond ». Un comité d’enquête conclut qu’il avait vendu sans autorisation des concessions d’étain et avait mis à son nom des baux de la compagnie en imputant à celle-ci les frais d’exploitation. Pour finir, au moment même où on l’accusait de ces délits, sir Samuel Spry lui intenta une poursuite de 700 £ en alléguant qu’il avait négligé de mettre en valeur des propriétés minières qui lui avaient été confiées. Les actionnaires de la Great Wheal Vor United Mines exigèrent et obtinrent sa démission.
Que Crease se soit trouvé dans pareille situation à l’âge de 35 ans aurait suffi pour lui causer, ainsi qu’à ses parents, bien des soucis, mais le fait qu’il avait une jeune famille à nourrir ajoutait à leur inquiétude. Au lendemain de son retour du Canada, il avait épousé Sarah Lindley, fille aînée de Sarah Freestone et du botaniste John Lindley. Doués tous deux pour le dessin et l’aquarelle, Henry et Sarah en firent pendant leur lune de miel dans l’île de Wight et tout au long de leur vie commune en Angleterre, dans l’île de Vancouver et en Colombie-Britannique.
Après son départ de la Great Wheal Vor United Mines, Crease décida de sonder à nouveau le terrain en Amérique du Nord britannique. Il espérait obtenir un poste dans les colonies. Peu enthousiaste devant les projets de son beau-frère, Nathaniel Lindley assortit son appui, fort tiède, d’un avertissement cinglant : « Prenez garde que, pour gravir les échelons, vous n’alliez vous placer dans une position où l’ordre et la méthode sont exigés avant tout, particulièrement en matière de finances. » Henry s’embarqua néanmoins pour le Canada en avril 1858 en laissant derrière lui Sarah et leurs trois filles. En juillet, déçu par Toronto, il proposa à sa femme de s’installer dans l’île de Vancouver. Sarah fut assez étonnée mais accepta quand même de « considérer cet endroit comme [leur] futur lieu de résidence s’il pla[isait] à Dieu d’y conduire [leurs] pas ». Henry se mit en route pour Victoria et y parvint en décembre 1858.
Avant même que sa famille ne le rejoigne, en février 1860, Crease avait établi sa pratique de barrister à Victoria, et Matthew Baillie Begbie*, seul juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, reconnaissait sa compétence. En mars 1859, il accompagna Begbie dans sa tournée inaugurale. Pour ce barrister formé au Middle Temple et qui n’avait rien fait d’autre que de la translation de propriétés, ce dut être une expérience étrange et impressionnante que ces premières audiences dans la colonie de l’or, qui se tinrent dans les baraquements du fort Langley (près de Langley), devant une foule de mineurs américains rétifs. En outre, Crease prit part aux luttes politiques qui se livraient dans l’île. Se qualifiant de « réformiste libéral et indépendant », il s’opposa au gouvernement de propriétaire exercé par la Hudson’s Bay Company qui, selon certains, avait converti son monopole économique en hégémonie politique. Le 12 janvier 1860, il fut élu député du district de Victoria à la Chambre d’assemblée de l’île de Vancouver. Les efforts qu’il déployait pour demeurer à l’écart du gouvernement n’empêchèrent pas Amor De Cosmos*, rédacteur en chef du British Colonist de Victoria, journal de l’opposition, de prétendre qu’il devait sa victoire à des « fonctionnaires de la HBC et à leurs créatures ». Puis, le 15 octobre 1861, le gouverneur de l’île de Vancouver et de la Colombie-Britannique, James Douglas*, le nomma procureur général de la colonie continentale. Dès lors, on n’eut plus guère de doutes sur les positions politiques de Crease. Le 18 octobre, donc trois jours après sa nomination, il démissionna de son siège à l’Assemblée de l’île. En 1866, au moment de l’unification de la Colombie-Britannique et de l’île de Vancouver, il devint procureur général dans le nouveau gouvernement.
Quand il n’était pas en tournée, à titre de procureur de la couronne et plus tard, de juge, Crease avait fort à faire dans la capitale. Selon ses propres termes, à compter de sa nomination en 1861 jusqu’au 13 mai 1870, date de son accession à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, il travailla « furieusement » : non seulement s’occupa-t-il de « toutes les affaires du gouvernement à la Chambre en plus de celles de la couronne dans la colonie », mais il « rédige[a] et fi[t] adopter par l’Assemblée plus de 500 lois ». Une bonne partie de ces lois portaient sur la colonisation des terres et les gisements d’or ou régissaient les transactions qui accompagnaient l’exploitation des richesses naturelles. Dans le discours qui avait inauguré sa campagne, Crease s’était déclaré partisan de la libre entreprise. Les lois à la rédaction desquelles il participa et qu’il fit adopter par l’Assemblée reflétaient cette doctrine.
Crease pouvait être individualiste en matière de droit, il n’entendait pas pour autant laisser l’égalitarisme influer sur son mode de vie. Lui-même et Sarah s’efforçaient de recréer, dans l’« impérial champ de souches » qui tenait lieu de capitale coloniale, l’univers qu’ils avaient quitté. Ince Cottage, leur maison du chemin Sapperton, en bordure de New Westminster, agrémentée de « fleurs de choix », de groseilliers et de gadelliers ainsi que d’arbres fruitiers, s’entourait d’une clôture de piquets blancs. C’est toutefois leur maison de Victoria et les réceptions qui se déroulaient à l’intérieur ou dans son parc qui donnent une idée plus juste de la vie mondaine que menait une élite coloniale à la fin du xixe siècle.
Les Crease restèrent à New Westminster après l’unification de l’île de Vancouver et de la Colombie-Britannique en 1866, mais retournèrent à Victoria quand le gouvernement s’y installa, en 1868. Quatre ans plus tard, ils commandèrent aux architectes de la firme Wright and Sanders, de San Francisco, une maison « à la fois simple et agréable, avec des parties en saillie bien dessinées et un extérieur de bonne qualité ». En 1875, ils emménagèrent dans cette résidence, Pentrelew – « sobre et spacieuse maison familiale en briques » à trois étages qui, selon Crease, ferait « pendant nombre d’années une excellente réclame [...] aux avantages » qu’elle présentait. Ces avantages comprenaient des appartements pour les domestiques, deux cuisines, sept chambres et une véranda plein sud de 60 pieds de longueur. Le beau monde de Victoria se réunissait régulièrement dans cette maison à l’italienne. Dîners, bals, charades, projections de lanterne magique, parties de trictrac, de billard et de cartes, réunions de la Half Hour Reading Society se succédaient dans ses salons. Des visiteurs et des parents venus d’Angleterre y logeaient. Pentrelew symbolisait l’élégante hospitalité que l’on associait à la bonne société d’origine anglaise et locale. Située au 1201, rue Fort, cette maison porte aujourd’hui le nom de Victoria Truth Centre.
Servir la collectivité constituait une autre activité de l’élite en Colombie-Britannique, et l’Église d’Angleterre assurait l’un des principaux points de rencontre aux gens de ce milieu. En 1869, Crease dirigea une campagne pour la reconstruction de la cathédrale Christ Church de Victoria, où il serait nommé officiant laïque en 1885. Élu membre du Royal Colonial Institute en 1868, il joua en outre un rôle important dans la fondation de la Law Society of British Columbia en 1869 et fut lieutenant dans la Seymour Artillery Company, où il assumait l’entraînement, l’exercice et la discipline des officiers subalternes. Enfin, il appartint au conseil d’administration de la Colonial Securities Company Limited (société qui encourageait les Britanniques à investir dans les colonies), dont il fonda et organisa une succursale en Colombie-Britannique. Les écoles que lui et Sarah choisirent pour leurs fils offrent un autre indice des liens solides qu’ils avaient conservés avec leur pays d’origine. Leurs filles étudièrent à Victoria, mais Lindley et Arthur Crease furent envoyés au Haileybury College en Angleterre.
La conscience que Crease avait de ses origines nationales transparaissait non seulement dans sa vie sociale, mais aussi dans ses positions politiques. Le débat sur la Confédération révéla combien, pour lui, le privé était politique. Les observations qu’il fit à ce moment et dans les années suivantes trahissent la profonde méfiance que lui inspirait le gouvernement représentatif et responsable, et elles témoignent de la lutte de pouvoir que se livraient la vieille élite coloniale et la nouvelle administration provinciale. Crease accepta finalement que la Colombie-Britannique adhère à la Confédération, mais seulement sur le tard. Il ne faisait pas confiance aux Canadiens, ces « Chinois d’Amérique du Nord » ; il craignait qu’ils « régentent le pays et y exploitent les places à leur avantage » sans lui en laisser aucune. De plus, à ses yeux, une fois que l’on était devenu « Kannuck », on était en voie de devenir Yankee. Pour que la Colombie-Britannique conserve son caractère britannique, le lien impérial devait demeurer intact. Toutefois, on peut voir, à compter de 1871, que son opposition à la Confédération ne partait pas seulement de son attachement à la Grande-Bretagne et de la peur d’être évincé. Une fois la colonie devenue province et dotée d’un gouvernement responsable, se posa la question de savoir dans quelle mesure le pouvoir provincial pourrait dicter les règles en vertu desquelles agiraient les juges et la Cour suprême de la Colombie-Britannique. La province tenta d’abord – sans grand succès – de régir les tribunaux de comté, puis essaya de mettre au pas la Cour suprême et ses magistrats.
Les efforts de la province visaient principalement à obliger les juges à résider dans leur district plutôt que dans la capitale, que la plupart d’entre eux préféraient parce qu’elle était plus agréable. Le gouvernement fédéral refusa de reconnaître les trois lois provinciales sur les tribunaux de comté, mais il se montra réfractaire à l’idée de déclarer inconstitutionnelle la loi que l’Assemblée législative adopta en 1878 pour régir la Cour suprême. D’après le gouvernement de la Colombie-Britannique, ce tribunal, depuis la Confédération, était une cour provinciale ; il était donc soumis à l’autorité du pouvoir provincial. Par contre, les juges de la Cour suprême soutenaient qu’eux-mêmes et leur institution ressortissaient à la compétence fédérale. En privé, Crease qualifiait de « communistes » les actions de la province. La loi de 1878, écrivait-il, « soumet la Cour suprême et ses juges au courant variable de la politique mouvante d’une jeune province soumise pour la première fois au creuset bouillonnant du gouvernement responsable, où préjugés et passions sont à température de fièvre, et nantie d’une autorité fondée sur les tendances irrationnelles et niveleuses du suffrage universel ». Mais il eut beau s’écrier que la province avait déclenché « le règne de la terreur, de la terreur officielle », Ottawa ne se laissa pas fléchir. Alors, lui-même et ses collègues juges décidèrent tout simplement de faire fi des règles et conditions de résidence prescrites par la province. Ce faisant, ils freinèrent l’appareil judiciaire. En 1881, le gouvernement provincial de George Anthony Walkem conçut une nouvelle procédure et adopta une autre loi afin de sortir de l’impasse, mais cela ne fit qu’aggraver le conflit. Dans l’affaire Thrasher, Crease et les autres juges de la Cour suprême conclurent que les tentatives provinciales de réglementation étaient contraires à la constitution et que le tribunal ressortissait uniquement au pouvoir fédéral.
Dans l’espoir de renforcer la position de la Cour suprême, Crease sollicita l’appui d’Alpheus Todd*, bibliothécaire du Parlement et expert constitutionnel. Ayant essuyé un échec, il envoya au Canada Law Journal deux lettres anonymes dans lesquelles il critiquait la position de Todd, contestait, en le ridiculisant, qu’il ait eu quelque aptitude à commenter des questions constitutionnelles et vantait sa propre compétence en droit. Todd, disait-il, parvenait « à sa conclusion à la manière d’un crabe, c’est-à-dire à reculons » ; il avait des « œillères » et « ferm[ait] les yeux » sur les questions utiles. Même avant la réponse de Todd, qui fut mesurée, Crease se laissa aller, dans le Daily Colonist, à de nouveaux excès de langage contre son adversaire qui, disait-il, pontifiait.
La Cour suprême du Canada cassa le jugement Thrasher et affirma en 1883 le statut provincial de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Mécontent, Crease se fit une raison et siégea au tribunal encore 13 ans. Le manque de discernement dont il avait fait preuve dans cette affaire se manifesta à nouveau dans sa vieillesse. Inquiet, le ministre fédéral de la Justice, sir Charles Hibbert Tupper*, demanda au juge en chef de la province, Theodore Davie*, d’user d’une « amicale diplomatie » pour « amener le juge Crease à demander la mise à la retraite ». Crease quitta son siège six mois plus tard, le 20 janvier 1896.
Pendant les années où il avait siégé à la Cour suprême, Crease avait été contrôleur des liste électorales de Vancouver, membre de trois commissions royales et juge suppléant du tribunal maritime à la Cour de l’échiquier du Canada. Fait chevalier le 6 janvier 1896, il mourut à l’âge de 82 ans, près de dix ans après avoir pris sa retraite.
Henry Pering Pellew Crease était l’un de ces bourgeois affectés qui prétendaient au meilleur monde en Angleterre, mais qui, faute de moyens, devaient émigrer dans les colonies pour satisfaire leurs aspirations. L’argent fut un souci constant pour Crease et sa famille. L’incertitude persista après leur arrivée en Amérique, exacerbée par des périodes de doutes sur les perspectives d’avenir de Crease et le fait que parents, frères et sœurs, en Angleterre, avaient besoin de son aide. L’idée que Henry et Sarah Crease se faisaient d’eux-mêmes se concrétisa dans l’île de Vancouver et en Colombie-Britannique. Leurs tableaux, les maisons qu’ils habitèrent, leur participation à la vie communautaire et les écoles qu’ils choisirent pour leurs enfants témoignent de la puissance et de la nature des valeurs de la bourgeoisie anglaise auxquelles ils se cramponnaient. Les attitudes politiques de Crease portaient aussi la marque de sa classe sociale, même si ses décisions juridiques étaient fortement influencées par les tendances potentiellement égalitaires du libéralisme. Sa réaction aux tentatives de réforme judiciaire de la province fait ressortir sa profonde méfiance à l’endroit du suffrage universel et sa foi immuable en la supériorité du jugement de ceux qui gouvernaient, non parce qu’ils avaient le suffrage d’une populace pionnière, mais parce qu’ils possédaient l’habitude de l’autorité.
Un exemplaire de l’ouvrage de H. P. P. Crease, Great Wheal Vor United Mines : a letter to the adventurers (Londres, 1858), est conservé dans la Northwest coll., aux BCARS.
BCARS, Add.
Tina Loo, « CREASE, sir HENRY PERING PELLEW », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 17 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/crease_henry_pering_pellew_13F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/crease_henry_pering_pellew_13F.html |
Auteur de l'article: | Tina Loo |
Titre de l'article: | CREASE, sir HENRY PERING PELLEW |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 17 déc. 2024 |