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Cloutier, François-Xavier, professeur, prêtre catholique et évêque, né le 2 novembre 1848 à Sainte-Geneviève-de-Batiscan, Bas-Canada, fils de Jean Cloutier, cultivateur, et d’Olive Rivard ; décédé le 18 septembre 1934 à Trois-Rivières, Québec.

Issu d’une « famille de prêtres » du monde rural, François-Xavier Cloutier quitte sa paroisse natale au mois de septembre 1861 pour aller acquérir une formation classique au collège des Trois-Rivières – qui deviendra séminaire diocésain en 1874 –, alors situé dans ce qui a été la résidence des gouverneurs sous le Régime français. Les 20 années suivantes de sa vie se dérouleront, pour ainsi dire, au sein de cet établissement. Il est en deuxième année de philosophie lorsqu’il prend la soutane. Il enseigne en même temps qu’il fait ses études théologiques, ce qui est courant à l’époque chez les ecclésiastiques ; une fois évêque, il dénoncera d’ailleurs cette pratique qui ne prendra fin qu’en 1936. Cloutier a presque 24 ans lors de son ordination à la prêtrise, le 22 septembre 1872. Professeur de rhétorique depuis 1870, il cumule le poste de préfet des études à partir de 1876. Tout cela se produit sous les yeux de son évêque, Louis-François Laflèche*, qui réside depuis 1874 au nouveau séminaire à tourelles de la rue des Champs (Laviolette).

Mgr Laflèche connaît donc bien Cloutier, qu’il nomme vicaire de la paroisse-cathédrale en 1880 et chancelier en 1883. Il en fait son secrétaire et son compagnon dans le combat qui l’amène alors à Rome pour lutter contre la division de son diocèse [V. Elphège Gravel* ; Calixte Marquis*]. L’année suivante, il l’affecte à la cure de Trois-Rivières. Pendant 15 ans, Cloutier est curé d’office de la paroisse-cathédrale, mais dégagé des responsabilités financières qui relèvent du chancelier. Il s’engage pleinement dans l’éducation et les regroupements laïques, secteurs développés par Mgr Laflèche. Il vit de nouveau sous le toit de l’évêque, qui le désigne son successeur. Cloutier est élu troisième évêque de Trois-Rivières le 8 mai 1899, puis consacré dans sa cathédrale le 25 juillet suivant par l’archevêque de Québec, Mgr Louis-Nazaire Bégin*.

Le nouvel évêque prend en charge un diocèse rural de petite taille, confronté à des difficultés financières restées sans solution depuis une quinzaine d’années, mais que l’essor industriel de la région permettra bientôt de résorber : entre 1899 et 1934, le nombre de fidèles passe de 60 568 à 132 440 répartis en 67 paroisses cette année-là, soit 29 de plus qu’au début du siècle. Bien que le nombre de prêtres fasse plus que doubler, augmentant de 86 à 189, le taux d’encadrement ecclésiastique se maintient autour de 1 prêtre pour 700 fidèles. Les besoins diversifiés et grandissants du diocèse changent les exigences. Mgr Cloutier agit sur plusieurs plans. Il réunira un synode diocésain du 28 au 30 août 1911, afin d’adapter la pastorale aux nouvelles réalités sociales. Il recrute des congrégations religieuses. En 1902, il confie la paroisse Sainte-Marie-Madeleine, à Cap-de-la-Madeleine (Trois-Rivières), ainsi que son pèlerinage marial [V. Luc Desilets*], aux oblats de Marie-Immaculée. En 1911, il érige à Trois-Rivières la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Allégresses et en attribue la responsabilité aux franciscains, qui ouvrent aussi une succursale du collège séraphique de Montréal pour la formation des candidats à la vie franciscaine. Parallèlement, à la demande de Mgr Cloutier, un petit groupe de Dominicaines de l’Enfant-Jésus de Québec [V. Philomène Labrecque*] fonde à Trois-Rivières, en 1902, les Dominicaines du Rosaire. D’abord servantes du clergé, celles-ci font ensuite œuvre d’éducation et d’assistance. L’évêque établit également, en 1903, les Filles de Jésus [V. Marie Le Gallo], qui ouvriront une maison provinciale, un noviciat, ainsi que 26 écoles sous son épiscopat. Ces congrégations enseignantes s’ajoutent aux plus anciennes, comme les ursulines (1697) qui ouvrent une école normale en 1908. Trois ans plus tard arrivent les Frères maristes. Ensemble, les 17 congrégations religieuses qu’il accueille dans son diocèse au cours de son épiscopat donnent un nouvel essor à l’œuvre éducatrice, démontrant ainsi l’importance que lui accorde l’évêque.

Ces communautés participent également au raffermissement du mouvement d’adhésion à l’Église à une époque où s’observe une quasi-unanimité des pratiques religieuses comme la communion pascale et la confession annuelle. Si bien qu’au tournant du xxe siècle, l’accent est mis sur la pratique de la communion fréquente. L’évêque Cloutier désire cependant aller au delà. En 1904, le jubilé d’or de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception lui en fournit l’occasion. Il souhaite faire du sanctuaire de Notre-Dame-du-Cap, à Cap-de-la-Madeleine, un centre de pèlerinage qui dépasse la notoriété diocésaine qu’il a depuis 1900. Dès lors, il met tout en œuvre pour que le couronnement de la statue de Notre-Dame-du-Rosaire le fasse accéder au statut de pèlerinage national. Cette reconnaissance lui est accordée par les évêques lors du Premier Concile plénier de Québec en septembre 1909.

D’ailleurs, au cours de ce concile, Mgr Cloutier livre, dans l’église Saint-Sauveur de Québec, sa pensée sur les maux sociaux engendrés par l’industrialisation et l’urbanisation. Au problème que pose la détérioration de la condition ouvrière, il entend répondre par la restauration des mœurs chrétiennes, les œuvres de charité catholiques, l’association entre l’ouvrier et le patron, notamment sous la forme des corporations ouvrières, et l’action limitée et précise de l’État. C’est Rerum novarum, encyclique de Léon XIII publiée en 1891, en projet et en action.

Au début du xxe siècle, Mgr Cloutier a favorisé la multiplication des ligues du Sacré-Cœur dans son diocèse. Cette œuvre pieuse est également vouée au redressement des mœurs. Les ligues mènent la lutte contre l’ivrognerie, puis contre le blasphème. Toutefois, en 1910, à la suite de ses instructions, elles prendront rapidement un virage en s’intéressant à des enjeux sociaux comme la prévention de la tuberculose dans les milieux pauvres et insalubres. Sur un tout autre plan, la promotion de la « bonne presse » ne leur est pas étrangère. Pour seconder le clergé dans l’action sociale, l’évêque Cloutier privilégie cependant le Tiers-Ordre de Saint-François-d’Assise. Cette association pieuse, vouée à la formation spirituelle de ses membres – au nombre de 10 000 en 1916 –, s’occupe désormais de réalités sociales. Par exemple, en 1909, l’animation de ses réunions mensuelles porte sur le modèle de comportements à adopter par ses adhérents, patrons et ouvriers qui partagent le même refus des syndicats internationaux. Par ses préoccupations, le tiers-ordre franciscain rejoint directement l’esprit de l’encyclique. Avec ceux des ligues du Sacré-Cœur, ses membres constituent l’élite laïque sur laquelle compte le pasteur.

La communication de l’action sociale de l’Église diocésaine et de ses moyens relève beaucoup de l’hebdomadaire le Bien public [V. Joseph Barnard]. Fondé en 1909 sur l’initiative de Mgr Cloutier, le périodique montre un appui indéfectible aux décisions de l’évêque. Promoteur des œuvres diocésaines, le Bien public, par son intégration au réseau de la presse catholique, participe à la propagation des grandes campagnes nationales contre l’intempérance, l’affichage de l’immoralité et le travail du dimanche.

En 1912, le Premier Congrès d’action sociale du diocèse de Trois-Rivières, instigué par Mgr Cloutier et auquel assistent plusieurs membres des ligues du Sacré-Cœur et du Tiers-Ordre de Saint-François-d’Assise, crée une ouverture aux œuvres économiques : les caisses populaires et les associations de secours mutuel. Cette ouverture s’avère valable et inspirante pour les cercles coopératifs. Pour Mgr Cloutier, un bon exemple à suivre est le Comptoir coopératif de Montréal, fondé en 1913, dont le but est d’éliminer les intermédiaires entre le producteur et le consommateur, afin que celui-ci jouisse du meilleur prix. Pour Émile Cloutier – neveu de l’évêque trifluvien et prêtre à tout faire au service de l’évêché, formé au catholicisme social de l’université de Louvain, en Belgique –, la visée est la création de syndicats agricoles regroupés en une fédération. Les initiatives de coopératives traversent d’ailleurs l’ensemble du monde rural du diocèse de Trois-Rivières. Les premiers cercles de fermières, qui seront créés entre 1915 et 1921, et l’Union catholique des cultivateurs, qui s’implantera dans le diocèse en 1924, seront d’autres apports.

À l’instigation de Mgr Cloutier, la Corporation ouvrière catholique de Trois-Rivières (COC) naît en 1913. Elle concrétise la présence du syndicalisme catholique [V. Zotique Lespérance*] dans le diocèse. La COC correspond, théoriquement, aux grandes lignes de pensée de Rerum novarum. Catholique, elle assure l’orthodoxie des valeurs religieuses et morales nécessaires au perfectionnement de ses membres. Dans sa solution aux conflits entre patrons et ouvriers, les premiers versent un salaire convenable à leurs employés et les seconds n’ont pas le droit de grève. Le succès initial de la COC est rapide, mais freiné par le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Le mouvement connaît un déclin important ensuite. L’idéal corporatif se heurte à l’opposition des patrons à toutes les formes de syndicalisme, catholique ou non. C’est sans avoir pu s’installer dans les villes de Shawinigan et de Grand-Mère (Shawinigan) que la COC disparaît du milieu diocésain en s’affiliant, en 1923, à la Confédération des travailleurs catholiques du Canada.

Un autre élément du virage social entrepris par Mgr Cloutier est l’introduction de l’action catholique dans son diocèse, notamment par la création, en 1909, du cercle Laflèche de l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française. Malgré une certaine expansion des cercles en 1913 et 1914, cette association n’arrive toutefois pas à s’implanter solidement dans le diocèse. En fait, il faut attendre les années 1930 avant que ne s’élaborent des associations d’action catholique spécialisées. Ainsi, la Jeunesse ouvrière catholique fait ses débuts à Trois-Rivières à la fin de 1932 et au commencement de 1933. Un comité d’action catholique féminin est également fondé en 1933, afin de coordonner les œuvres féminines du diocèse. Mais ces faits appartiennent presque à l’épiscopat du successeur de Mgr Cloutier, Alfred-Odilon Comtois, qui est son évêque auxiliaire depuis 1926. Cinq ans plus tard, il se décharge sur lui de toutes ses responsabilités.

Imprégné des valeurs de l’ultramontain évêque Laflèche, Mgr François-Xavier Cloutier a embrassé une carrière toute trifluvienne, tant il est peu sorti de son diocèse. Au cours de son long épiscopat de plus de 35 ans, il a voué un grand culte au Sacré-Cœur et à Marie, qu’il a favorisé plus particulièrement en donnant une impulsion au pèlerinage du Cap-de-la-Madeleine. Il a recruté des congrégations religieuses pour le service des paroisses urbaines et pour l’éducation. Simultanément, il s’est efforcé de trouver les ajustements pastoraux rendus nécessaires par les profonds changements sociaux qui, tôt au xxe siècle, se sont produits en Mauricie. Bien servi par des membres du clergé, il a adapté son action à la nouvelle réalité urbaine en suivant les orientations dégagées par Rerum novarum. Formé sous l’épiscopat d’un évêque qu’il a bien servi, il a cependant rompu avec les luttes politiques de son prédécesseur. Les changements sociaux, comme les questions ouvrières, requéraient en effet un autre leadership. Le sien, dont ses contemporains ont témoigné favorablement, s’est tant apparenté à celui de Mgr Bégin qu’il est permis de croire, à travers ses actions sociales, qu’il s’en est inspiré.

Jean Roy

Arch. des ursulines de Trois-Rivières, Québec, MTR, 3, 2, 3, 3, 1, 64 (Monseigneur F. X. Cloutier succède à Monseigneur L.-F. Laflèche).— Arch. du séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières, FN-0190-3-01-5.— BAnQ-MCQ, CE401-S3, 2 nov. 1848.— FD, Immaculée-Conception, cathédrale l’Assomption (Trois-Rivières), 22 sept. 1934.— L’Action sociale (Québec), 22 sept. 1909.— Le Bien public (Trois-Rivières), 20 sept. 1934.— Le Devoir, 19, 22 sept. 1934.— Le Monde illustré (Montréal), 1er juill. 1899.— [Paul Arsenault et André Dumont], Une mission sur place : hier et aujourd’hui, le sanctuaire Notre-Dame du Cap ([Cap-de-la-Madeleine [Trois-Rivières], 1979]).— Émile Cloutier, le Problème patronal et ouvrier : cours donnés aux Semaines sociales de Québec, d’Ottawa et des Trois-Rivières (s.l., 1927).— Conseil central des syndicats ouvriers nationaux catholiques, Notes historiques sur le syndicalisme catholique à Trois-Rivières, à l’occasion des Semaines sociales du Canada […] (Trois-Rivières, 1960).— [Conseil diocésain d’action sociale catholique des Trois-Rivières], Premier Congrès d’action sociale du diocèse des Trois-Rivières, 1912 : compte rendu (Trois-Rivières, [1912 ?]).— René Hardy, « l’Engagement social de l’Église », dans Histoire de la Mauricie, René Hardy et al., édit. (Sainte-Foy [Québec], 2004), 706–731.— Histoire du catholicisme québécois, sous la dir. de Nive Voisine (2 tomes en 4 vol. parus, Montréal, 1984–    ), tome 3, vol. 1 (Jean Hamelin et Nicole Gagnon, le xxe siècle (1898–1940), 1984).— [Arthur Joyal], Mgr François-Xavier Cloutier : prophète de Notre-Dame du Cap (Trois-Rivières, [1940 ?]).— Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Trois-Rivières (34 vol., Trois-Rivières, 1852–1999), 7–12.— J.-Y. Marchand, « les Mouvements d’action catholique et les évêques de Trois-Rivières » (mémoire de m.a., univ. du Québec à Trois-Rivières, 1973).— Jean Panneton, le Diocèse de Trois-Rivières, 1852–2002 : 150 ans d’espérance (Sillery [Québec], 2002).— J. [G.] Shaw, Notre-Dame du Cap, José et Jeanne Leroux, trad. (Cap-de-la-Madeleine, 1954).— E[ugenie] Talusier, Autour du clocher natal : notes historiques sur la paroisse de Saint-Prosper, comté de Champlain (Trois-Rivières, 1909).

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Jean Roy, « CLOUTIER, FRANÇOIS-XAVIER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/cloutier_francois_xavier_16F.html.

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Auteur de l'article:    Jean Roy
Titre de l'article:    CLOUTIER, FRANÇOIS-XAVIER
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2020
Année de la révision:    2020
Date de consultation:    21 déc. 2024