OWEN, LEMUEL CAMBRIDGE, homme d’affaires, magnat du transport maritime, fonctionnaire et homme politique, né le 1er novembre 1822 à Charlottetown, aîné des 11 enfants de Thomas Owen et d’Ann Campbell ; le 9 juillet 1861, il épousa, dans Charlottetown Royalty, Lois Welsh, et ils eurent deux fils et une fille ; décédé le 26 novembre 1912 à Charlottetown.

Le grand-père de Lemuel Cambridge Owen, Arthur Owen, faisait partie d’un petit groupe influent d’habitants du sud-ouest de l’Angleterre qui immigrèrent dans l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard). Ces hommes, parmi lesquels se trouvaient les fondateurs de plusieurs des plus éminentes familles de l’île, dont les Chanter, les Peake, les Yeo et les Pope, en vinrent à dominer une bonne partie de l’industrie de la construction navale et du transport maritime dans la colonie. Arrivé du Devon vers 1780, Arthur Owen s’établit d’abord aux alentours de ce qui est maintenant Alberton ; par la suite, il se fixa à Georgetown, où il lança en 1826 le Bolivar, un des plus gros navires construits dans l’île à cette date, pour le compte de Thomas Burnard Chanter*. Le père de Lemuel Cambridge Owen, Thomas, réalisa deux des grandes ambitions de tout patriarche de l’Île-du-Prince-Édouard au xixe siècle : il eut de nombreux enfants qui épousèrent d’autres enfants de l’élite et obtint dans les années 1840 une charge publique, celle de maître général des Postes, qui lui assura un revenu régulier presque jusqu’à sa mort.

Comme bon nombre de ses contemporains, Lemuel Cambridge Owen fit ses études dans des « écoles » privées, puis à la Central Academy de Charlottetown. Bien qu’il ait toujours été associé à l’industrie du transport maritime, il ne semble pas avoir beaucoup voyagé ; toute sa vie, il incarna bien le type de l’insulaire. Il commença sa carrière d’homme d’affaires avec James Ellis Peake au sein d’une entreprise de commerce et de construction navale, la James Peake and Company. Son entreprise fut peut-être celle qui connut le plus de succès dans l’île à cette époque. Les activités de Peake étaient diversifiées : il achetait des navires à des constructeurs de l’île et les revendait en Angleterre, faisait du commerce côtier, équipait et approvisionnait des navires pour d’autres. Tout en travaillant pour Peake, le jeune Owen se fit représentant de plusieurs marchands et manufacturiers de l’extérieur de l’île. C’est ainsi que, dans les années 1850, il vendit des spécialités pharmaceutiques. Surtout, il fut agent pour la Lloyd de Londres.

L’année 1860 fut critique pour Lemuel Cambridge Owen, car elle fut marquée par le décès de Thomas Owen et de James Ellis Peake. En avril, Lemuel assuma la fonction de maître général des Postes, fonction qu’il continua à occuper jusqu’en 1867. À ce titre, il instaura un système de timbres postaux pour l’affranchissement des lettres et des colis, régularisa la circulation du courrier entre l’île et l’extérieur, et mit en place un système d’échange des mandats-poste entre l’île et le Royaume-Uni. Après la mort de Peake, il reprit une bonne partie des affaires de celui-ci avec un associé du nom de William Welsh, sous la raison sociale de Welsh and Owen. En 1861, le mariage d’Owen avec Lois Welsh, la jeune sœur de William Welsh, scella l’association entre les deux hommes. La nomination d’Owen au poste de major commandant du Kings County Regiment de la milice volontaire en 1862 témoigne de son ascension sociale.

Owen avait déjà occupé un poste à l’échelle municipale à titre de préposé à la mise en fourrière des porcs égarés, pour la durée d’un mandat à Charlottetown en 1843 ; toutefois, il fit véritablement son entrée sur la scène publique en 1866, lorsqu’il fut élu député du 3e district du comté de Kings à la Chambre d’assemblée. Les deux grands débats de l’heure étaient la Confédération et la question des écoles (notamment la question des subventions publiques aux écoles paroissiales catholiques). Owen s’opposait à l’entrée de l’Île-du-Prince-Édouard dans la Confédération et l’on peut supposer que, comme membre de l’église anglicane St Paul de Charlottetown, il n’était pas favorable au financement public des écoles catholiques. Comme bien d’autres hommes politiques de l’île, il avait, au Parlement, des parents qui soutenaient tout l’éventail possible des positions sur ces questions. Ainsi, une de ses sœurs était mariée à David Laird, grand adversaire puis partisan de la Confédération, et une autre à Andrew Archibald Macdonald, catholique éminent. Owen ne prenait guère la parole à l’Assemblée, car il était piètre orateur.

Réélu en 1870, Owen devint président du Bureau des travaux publics et membre du Conseil exécutif en septembre, quand James Colledge Pope* forma un gouvernement de coalition qui s’engagea à laisser la question des écoles en suspens pendant quatre ans et à ne pas aborder la question de la Confédération. Il fut donc l’un des principaux responsables de l’application du Railway Act de 1871, cette loi qui, selon bien des critiques, mènerait la colonie à la faillite et à laquelle on reprochait de favoriser la corruption et la zizanie. En outre, il participa en 1871 à la fondation de la Merchants Bank of Prince Edward Island, au conseil d’administration de laquelle il appartint par la suite. Toujours en 1871, il entra au conseil d’administration de l’asile d’aliénés et s’inscrivit à la Prince Edward Island Rifle Association. Il fut battu aux élections de 1872, tout comme le gouvernement de Pope, qui fut remplacé par un gouvernement dirigé par Robert Poore Haythorne*, mais il réintégra son poste de député en 1873. À ce moment-là, il était toujours contre l’entrée de la colonie dans la Confédération sauf si l’on prouvait qu’elle serait financièrement avantageuse.

En 1871 (sinon avant), Owen avait commencé à tenir un journal dans des exemplaires d’almanachs locaux. Hélas, il y est plutôt laconique ; entre des mentions de nominations et des indications météorologiques, il donne à l’occasion des nouvelles du transport maritime. Bien que ces carnets indiquent qu’il était un homme discret, ils ne nous renseignent guère sur ses activités ou ses pensées. Or, Owen fut l’un des adversaires de la Confédération dont le revirement rendit possible la conclusion d’une entente avec le Canada en mai 1873, et le mois suivant, il entra au Conseil exécutif dans le gouvernement de James Colledge Pope.

Si les carnets d’Owen sont singulièrement muets sur son revirement – qui s’explique, présume-t-on, par le fait qu’il finit par être convaincu des avantages financiers de l’entrée de l’Île-du-Prince-Édouard dans la Confédération –, ils sont tout aussi silencieux sur sa réaction à sa nomination au poste de premier ministre de la province en septembre 1873. Les raisons pour lesquelles il fut le premier à exercer cette fonction une fois que l’île fut devenue une province canadienne sont loin d’être claires. La meilleure explication est que la plupart des talents de l’époque, dont Pope, étaient partis pour Ottawa après que les électeurs de l’île eurent approuvé l’entrée de la colonie dans la Confédération et qu’Owen était le plus acceptable parmi ceux qui restaient. En tant qu’homme d’affaires, il avait une certaine compétence en matière de finances. Par conséquent, il était particulièrement apte à s’attaquer aux problèmes immédiats engendrés par la Confédération, dont la négociation de la prise en charge de la dette de l’île par Ottawa, le transfert des chemins de fer au gouvernement fédéral et le règlement définitif de la question foncière, Ottawa ayant accepté de verser une subvention pour désintéresser les grands propriétaires terriens.

Le gouvernement d’Owen, dans lequel Thomas Heath Haviland* exerçait la fonction de secrétaire de la colonie, Frederick de St Croix Brecken* celle de procureur général et William Wilfred Sullivan celle de solliciteur général, résolut ces problèmes. La question foncière se révéla difficile jusqu’à la fin. Un projet de loi sur l’achat des terres, présenté en 1874, proposait de créer une commission qui évaluerait les domaines restants dont la province devait faire l’acquisition. Cependant, on se plaignit que l’« arbitrage [ne serait pas] assez impartial ». La sanction de ce projet de loi fut réservée et un autre, légèrement différent, fut adopté en 1875. Celui-là satisfit tout le monde dans la province. Un observateur noterait par la suite : « L’aptitude de M. Owen à exercer la fonction de premier ministre se manifesta dans la promptitude [...] et dans la facilité et la ponctualité avec lesquelles les affaires publiques étaient conduites. » Toutefois, le sort en était jeté pour le gouvernement d’Owen au moment de l’adoption de la version révisée du Land Purchase Act. La question des écoles avait refait surface, et Owen n’avait pas réussi à maintenir la loyauté des membres catholiques de son caucus en avril 1874, après qu’un député conservateur catholique eut présenté une motion sur l’éducation que les députés de toutes tendances considéraient comme un premier pas. Les députés se prononcèrent sur cette motion en fonction de leur confession religieuse et non de leur parti. Le jour de ce vote déterminant, Owen nota seulement dans son journal : « Forte tempête [...] avec beaucoup de neige ». Il se retira de la scène publique avant les élections de 1876, qui portèrent sur la question des écoles et se soldèrent par la victoire du groupe de Louis Henry Davies*, les free schoolers (opposés au financement public des écoles confessionnelles). Au lieu de faire campagne, Owen consacra ses énergies à l’achèvement de Birchwood, splendide maison avec véranda et frise ornementées qui porte maintenant le n° 35 de l’avenue Longworth à Charlottetown. Selon un journal local, il avait lui-même « dressé les plans » de cette maison. Au 11 novembre 1876, son journal personnel porte la mention suivante : « Belle journée. Avons emménagé dans notre nouvelle demeure. »

Après avoir quitté la politique, Owen refusa de s’y intéresser et se consacra plutôt à ses affaires, qui étaient en chute libre. Ses archives commerciales, très pauvres, ne permettent guère d’étayer la nette impression que l’on éprouve en lisant la maigre correspondance qui reste et qui date surtout de la fin des années 1880, à savoir que sa situation financière se détériorait. Ses contemporains attribuent ses problèmes au déclin de la construction navale dans l’île. La dépression que le transport maritime connut dans les années 1880 eut certainement son importance aussi. Cependant, on se demande pourquoi Owen ne se lança pas dans d’autres entreprises. Peut-être était-il trop vieux et trop usé. Il se retira des affaires en 1892, vendit Birchwood en 1895, peu avant la mort de sa femme, et s’éteignit en 1912 chez son fils Lemuel Cambridge.

Une photographie de Lemuel Cambridge Owen prise vers l’époque où il était premier ministre montre un homme au regard perçant et aux joues ornées de favoris en côtelettes. En raison de ses titres et des chances qui lui échurent, il aurait pu laisser à la postérité un souvenir bien plus vif qu’il ne l’a fait. Son principal apport à la vie publique consista sans doute à faire entrer sans heurt l’Île-du-Prince-Édouard dans la Confédération. Son rôle dans ce chapitre de l’histoire mérite peut-être plus d’attention qu’il n’en a reçue.

J. M. Bumsted

Les journaux personnels de Lemuel Cambridge Owen pour la période 1871–1900 sont conservés aux PARO (Acc. 3466, ser.71.12), avec deux autres collections de ses papiers (Acc. 2744 et Acc. 4124). On trouve aussi de la correspondance d’Owen dans le fonds Silas Pierce and Company (Acc. 2567) et le fonds Peake-Brecken (Acc. 2881). Il y a aussi une photographie du sujet dans Acc. 4124.

PARO, P.E.I. Geneal. Soc. coll., reference files.— Colonial Herald, and Prince Edward Island Advertiser (Charlottetown), 13 mai 1843.— Examiner (Charlottetown), 18 août 1856, 10 avril, 31 déc. 1860, 26 nov. 1912.— Herald (Charlottetown), 19 avril 1871.— Islander (Charlottetown), 25 juin 1852, 7 oct. 1853.— Ross’s Weekly (Charlottetown), 21 janv., 9 juin 1864.— Semi-Weekly Advertiser (Charlottetown), 10 nov. 1863.— Almanach, Harvie’s P.E.I., 1871.— F. W. P. Bolger, Prince Edward Island and confederation, 1863–1873 (Charlottetown, 1964).— L. R. Fischer, « An engine, yet moderate » : James Peake, entrepreneurial behaviour and the shipping industry of nineteenth century Prince Edward Island », dans The enterprising Canadians : entrepreneurs and economic development in eastern Canada, 1820–1914, L. R. Fischer et E. W. Sager, édit. (St John’s, 1979), 97–118.— Basil Greenhill et Ann Giffard, Westcountrymen in Prince Edward’s Isle : a fragment of the great migration (Newton Abbot, Angleterre, et [Toronto], 1967 ; réimpr., Toronto et Buffalo, NX, 1975).— Frank MacKinnon, The government of Prince Edward Island (Toronto, 1951), 296–299.— A. J. MacDonald, More than a lifetime of memories : diary of Archibald John MacDonald (1833–1917), H. C. MacDonald et A. M. Tomilins, édit. (s.l., s.d. ; exemplaire conservé aux PARO, Acc. 4225/1), 30.— J. B. Pollard, Historical sketch of the eastern regions of New France : from the various dates of their discoveries to the fall of Louisburg, 1758 ; also, Prince Edward Island, military and civil ([Charlottetown], 1898).— Î.-P.-É., House of Assembly, Debates and proc., 1873 : 49s.— I. R. Robertson, « Political realignment in pre-confederation Prince Edward Island, 1863–1870 », Acadiensis (Fredericton), 15 (1985–1986), n° 1 : 35–58 ; « Religion, politics, and education in Prince Edward Island from 1856 to 1877 » (mémoire de m.a., McGill Univ., Montréal, 1968), 216–50.— I. L. Rogers, Charlottetown : the life in its buildings (Charlottetown, 1983).

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J. M. Bumsted, « OWEN, LEMUEL CAMBRIDGE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/owen_lemuel_cambridge_14F.html.

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Auteur de l'article:    J. M. Bumsted
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
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