CARHEIL, ÉTIENNE DE, professeur, prêtre, jésuite, baptisé le 23 novembre 1633 à Carentoir, en France, fils de François de Carheil et de Jeanne de La Bouexière ; décédé le 27 juillet 1726 à Québec.

Étienne de Carheil entra au noviciat des Jésuites à Paris le 30 août 1653, et fut professeur de grammaire, d’humanité et de rhétorique dans des collèges à Amiens, à Rouen et à Tours. Doué d’un certain talent littéraire, il se fit remarquer en 1662 lorsqu’il rédigea un poème honorant la naissance du Dauphin. Ordonné prêtre en 1666, il partit la même année pour Québec et y débarqua le 6 août. Après deux ans de préparation, Carheil fut envoyé en 1668 à la mission Saint-Joseph où il consacra 15 ans de sa vie à l’évangélisation des Goyogouins (Cayugas) qui l’expulsèrent de leur communauté en 1682 ; il n’y avait pas fait beaucoup de conversions. Carheil constata qu’en général le refus du christianisme chez les Autochtones provenait de deux causes : la crainte que le baptême n’attire la maladie et la mort dans les nations qui l’acceptaient et l’obligation pour les néophytes d’abjurer leurs anciennes croyances et les règles de moralité admises jusque-là. Le père de Charlevoix*, qui connaissait Carheil personnellement, remarque que, même s’il n’avait pas réussi à convertir plusieurs Autochtones, il jouissait de la haute estime de ceux qui le connaissaient.

Comme la guerre entre les Français et les Iroquois (Haudenosaunee) semblait imminente, Carheil et d’autres missionnaires jésuites en mission chez les Iroquois furent rappelés à Québec en 1683. À son retour à Québec, Carheil se vit assigner la tâche d’enseigner la grammaire au collège des Jésuites. En 1686, il fut envoyé à la mission de Saint-Ignace, située près du détroit de Mackinac, comme missionnaire chez les Outaouais (Odawas) et les Hurons (Hurons-Wendats).

Après quatre ans à Saint-Ignace, Carheil exerçait assez d’influence sur les Autochones pour les dissuader de former une alliance avec les Iroquois contre les Français. Dans une longue lettre au gouverneur de Frontenac [Buade*], le 17 septembre 1690, Carheil exposa à grands traits les raisons pour lesquelles la fidélité des Outaouais restait si précaire, faisant remarquer que la série des raids perpétrés par les Iroquois semblait démontrer que les Français étaient à peine en mesure de se défendre eux-mêmes et encore moins d’aider leurs alliés autochtones. Toutefois, Carheil réussit à persuader les Outaouais de rencontrer Frontenac au cours de l’été de 1690 et, à cette occasion, ceux-ci assurèrent ne pas avoir le projet de former une alliance avec les Iroquois. Au cours de ces échanges, Carheil se fit régulièrement le relais de différentes nations autochtones auprès des autorités coloniales. Onze ans plus tard, en 1701, le gouverneur de Callière essaya d’amener toutes les nations autochtones à conclure entre elles une paix générale. C’est grâce à l’éloquence du chef huron Kondiaronk, surnommé le Rat par les Français, que le projet se réalisa. D’après Charlevoix, Kondiaronk, qui avait été converti au christianisme par l’enseignement de Carheil, déclara qu’il n’éprouvait de respect que pour deux Européens, Frontenac et Carheil.

À mesure que se poursuivait l’exploration de la vallée du Mississippi, Saint-Ignace devenait un point de rencontre pour les coureurs de bois français, dont la présence avait une influence néfaste sur les Autochtones qui fréquentaient la mission. Jusqu’en 1690, Carheil et d’autres missionnaires avaient fait échec à l’action des coureurs de bois en refusant l’accès de la région à ceux qui débauchaient les Autochtones. La situation changea du tout au tout quand, en 1690, le fort Buade fut construit non loin de la mission. En effet, les hommes de la garnison frayèrent bientôt avec les Autochtones au grand détriment de ces derniers. En conséquence, les missionnaires se plaignirent qu’au lieu de voir à la protection de la mission, les soldats faisaient la traite avec les Autochtones et leur procuraient de l’eau-de-vie. La situation empira encore quand Cadillac [Laumet], qui détestait cordialement les Jésuites, fut nommé commandant en 1694 ; l’affaire atteignit son point culminant en 1696 lorsque le roi ordonna l’abandon des postes de l’Ouest. Néanmoins, Cadillac n’avait nullement l’intention de laisser passer ainsi l’occasion que son poste lui offrait de réaliser des profits importants. Il retourna en France et obtint l’autorisation de fonder à ses frais un poste à Détroit. Une fois le nouveau poste terminé, en 1701, Cadillac persuada beaucoup d’Autochtones de Saint-Ignace de venir s’y établir. Carheil s’opposa à ce déplacement, comme la plupart des missionnaires jésuites de Saint-Ignace, parce qu’il croyait que Cadillac n’aiderait guère les Autochtones à mener une vie chrétienne. Dans une longue lettre à Callière datée du 30 août 1702, il explique pourquoi les Jésuites protestaient contre la situation. Mais, malgré les efforts des Jésuites de Saint-Ignace, les membres des nations autochtones allèrent en si grand nombre s’établir au nouveau poste de Cadillac qu’il fallut abandonner la mission du détroit de Mackinac et brûler les bâtiments de fond en comble. Lorsque, quelques années plus tard, les Français érigèrent le fort Michillimakinac sur la rive sud du détroit, les Jésuites fondèrent une autre mission, mais à cette époque la carrière missionnaire de Carheil avait pris fin. Il consacra le reste de sa vie au service des fidèles de Québec et de Montréal.

Charlevoix signale que les contemporains de Carheil le considéraient comme un homme doué de grands talents et de solides vertus. Il avait la réputation de parler les langues huronne et iroquoise aussi couramment que le français, sa langue maternelle. Il a, du reste, laissé un traité en deux tomes sur le huron, intitulé Racines Hurones, qui nous est parvenu grâce à la reproduction que Pierre-Philippe Potier* réalisa.

Joseph P. Donnelly, s.j.

Charlevoix, Histoire (Shea), III : 116s. ; IV : 55–57.— Découvertes et établissements des Français (Margry), V : 204, 223s., 235–237.— JR (Thwaites), passim.— NYCD (O’Callaghan et Fernow), IX : 360, 587.— P. Orhand, Un admirable inconnu : le révérend père Étienne de Carheil (Paris, 1897).— Rochemonteix, Les Jésuites et la N.-F. au XVIIe siècle, III : 497–527.— J. G. Shea, History of the Catholic Church in the United States (4 vol., New York, 1886–1892), I : 286–294, 297, 303, 328, 332.

Bibliographie de la version modifiée :
Arch. départementales, Morbihan (Vannes, France), « État civil », Carentoir, 23 nov. 1633.— Bronwen McShea, Apostles of empire : the jesuits and New France (Lincoln, Nebr., 2019)​.— Aline Smeesters, « la Métamorphose d’Étienne de Carheil », Tangence (Rimouski), 99 (2012) : 61–97.

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Joseph P. Donnelly, s.j., « CARHEIL, ÉTIENNE DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/carheil_etienne_de_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
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Date de consultation:    22 nov. 2024