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MULLOCK, JOHN THOMAS, franciscain, évêque catholique, écrivain et éducateur, né le 27 septembre 1807 à Limerick (République d’Irlande), fils de Thomas J. Mullock et de Mary Teresa Hare, décédé à St John’s le 29 mars 1869.
L’aîné de 13 enfants dans une famille où le père était sculpteur sur bois et fabricant de meubles d’église, John Thomas Mullock avait 16 ans quand les franciscains l’envoyèrent étudier au Convento San Buenaventura, à Séville, en Espagne. Il entra dans la communauté en 1825 et il acheva ses études au Collegio San Isidoro, le séminaire des franciscains d’Irlande à Rome. En vertu d’une dispense particulière, il fut ordonné prêtre à l’âge de 22 ans et, en 1829, il retourna en Irlande où, durant 14 ans, il fut curé à Ennis, dans le comté de Clare, à Dublin et à Cork, et recruteur pour les évêques des colonies. En 1843, il fut nommé père gardien du couvent franciscain de Dublin et il remplit cette fonction jusqu’à ce qu’on lui offrît le poste de coadjuteur de l’évêque Michael Anthony Fleming*, avec droit de succession ; Fleming, vicaire apostolique de Terre-Neuve, était atteint par la maladie et avait lui-même demandé que Mullock fût désigné comme son successeur. Mullock fut sacré évêque à Rome le 27 décembre 1847 et il arriva à Terre-Neuve le 6 mai 1848.
Avant l’arrivée de Mullock, l’île de Terre-Neuve avait été constituée en diocèse, et Mgr Fleming était devenu suffragant de l’archevêque de Québec. En 1850, sur le conseil de Mullock, Mgr Fleming demanda et obtint l’autonomie du diocèse. Ce dernier mourut en 1850 et Mullock lui succéda. Les efforts de Mullock amenèrent la création, en mai 1856, d’un second diocèse, celui de Harbour Grace, et John Dalton devint évêque de la nouvelle circonscription ecclésiastique. Les livres de comptes de St John’s, publiés en 1856, montrent que les revenus diocésains étaient considérables et réguliers. En 1851, Mullock avait fondé le St Michael’s Orphanage et, en 1857, il ouvrit le St Bonaventure’s College, une institution catholique qui devait assurer aux jeunes Terre-Neuviens de la classe moyenne une instruction classique « inspirée de la tradition irlandaise » et servir de séminaire pour la formation d’un clergé autochtone. En 1855, après des travaux de construction qui avaient duré 14 ans, la cathédrale St John the Baptist fut consacrée par l’archevêque John Hughes de New York, qui posa également la première pierre de l’église St Patrick à St John’s. Mullock fit construire un nouvel évêché, une bibliothèque épiscopale, 11 nouveaux couvents et plusieurs églises, dont cinq en pierre.
En devenant évêque en titre en 1850, Mullock se trouva à bénéficier de l’autorité dont jouissait l’Église catholique à Terre-Neuve sous l’épiscopat de Mgr Fleming. Dans le domaine de l’éducation, elle bénéficiait d’une situation privilégiée, exerçant une autorité exclusive sur les écoles – qui étaient, cependant, financées par l’État- tandis que l’Église d’Angleterre devait partager ses institutions scolaires avec les méthodistes. L’Église catholique avait recueilli l’appui d’une partie importante de la population et son pouvoir politique était à la hausse. Inspiré par l’ardeur de Daniel O’Connell, qu’il admirait beaucoup, Fleming s’était mêlé ouvertement des affaires politiques en utilisant le boycottage, en lançant des excommunications et en accordant l’appui du clergé à certains candidats afin de faire progresser la cause du parti libéral et de soustraire le gouvernement à l’emprise de l’establishment des marchands et des anglicans. Les libéraux étaient de plus en plus dominés par l’Église catholique qui était seule en mesure de leur assurer l’appui massif des électeurs.
Cependant, les catholiques déploraient le fait que les anglicans, moins nombreux, jouissaient en haut lieu d’une protection beaucoup plus grande. L’Église d’Angleterre devenait plus puissante sous la direction du nouvel évêque, Edward Feild* ; elle avait attaqué l’Église catholique sur des questions théologiques et elle avait payé sa nouvelle cathédrale à même les fonds recueillis dans les églises anglicanes mais destinés, d’après les catholiques, à toutes les victimes de l’incendie de 1846 sans distinction ; les catholiques se plaignaient de ce qu’ils n’avaient rien reçu, quant à eux, pour compenser la perte d’un de leurs couvents [V. Belinda Molony].
Pour sa part, Mullock s’indignait de ce qu’on lui refusait le traitement qui avait été versé à Fleming et aux autres membres du clergé à même les fonds impériaux mais que le gouvernement britannique, dans les années 40, avait décidé de ne plus accorder après le décès des ministres en poste à cette époque. Il considéra comme une injure la proposition faite par le ministre des Colonies d’ajouter les mots « catholique romain » à son titre pour satisfaire Feild qui s’opposait à ce qu’une autre personne eût la même dénomination qu’un évêque anglican, et il refusa, semble-t-il, de se plier à cette demande. En 1851, irrité de ce que le Conseil législatif, dominé parles anglicans, lui avait fait perdre le poste qu’il occupait d’office au Roman Catholic Central Board of Education, il menaça d’organiser le boycottage des conseils d’éducation s’il n’était pas rétabli dans ses fonctions ; il obtint gain de cause.
Mullock était par nature un homme aimable et accueillant. Le lieutenant-colonel Robert Barlow McCrea qui commandait le corps royal du génie à St John’s dans les années 60 et qui admirait Mullock – même s’il était lui-même conservateur et protestant – raconta qu’il vivait dans un « palais [épiscopal] qui n’était propre qu’à loger un gentleman simple et ordinaire » avec une « absence de faste mondain qui suscitait d’emblée le respect ». Mullock, toutefois, ne tolérait pas les offenses publiques à son Église ou à la dignité de ses fonctions, ni les injustices à l’endroit de ses ouailles. Contrairement à Fleming, il ne se considérait pas comme un missionnaire irlandais en poste à Terre-Neuve, mais il s’efforçait plutôt de devenir un Terre-Neuvien : il fit venir sa famille à St John’s et il prôna l’amélioration des routes, l’établissement de communications par bateaux à vapeur et par télégraphe avec le continent nord-américain et la formation d’un clergé autochtone. À l’encontre de son prédécesseur, il souhaitait ardemment consacrer des religieuses et ordonner des prêtres nés au pays. Il s’identifiait à ses ouailles et, plus adroitement que Fleming, il cherchait à obtenir des réformes en utilisant le prestige que lui donnait sa position à des fins politiques.
Lorsque le ministère des Colonies, au début de 1852, refusa d’accorder le gouvernement responsable à Terre-Neuve, Mullock se servit de toute son autorité morale pour soutenir le parti libéral. Même s’il considérait, en privé, les libéraux comme le « parti catholique », en public, il prenait garde de ne pas nuire à leur réputation de parti non confessionnel. Cependant, une lettre qu’il avait fait parvenir au chef libéral Philip Francis Little* fut bientôt rendue publique ; Mullock y dénonçait le système politique de l’époque comme étant « un despotisme irresponsable et radoteur, portant le masque d’institutions représentatives, maintenu en place uniquement par le fanatisme et la corruption », et il exigeait le gouvernement responsable. Le gouverneur, John Gaspard Le Marchant*, estima que la lettre était un « document tout à fait incendiaire » et le ministre des Colonies, sir John Pakington, dans des lettres au gouverneur, critiqua la décision de Mullock « d’agir en chef politique au lieu de faire pénétrer dans l’esprit des membres de sa confession les devoirs de patience et de charité chrétienne ». Dans une étude sur les provinces atlantiques, un historien moderne affirme que le ton adopté par Mullock « dépassait probablement tout ce qui s’était produit dans toute l’histoire de la réforme en Amérique du Nord britannique ».
Les catholiques ne tardèrent pas à appuyer leur évêque et le parti libéral. Au cours d’une assemblée populaire tenue à St John’s, la lettre de Mullock fut lue aux applaudissements de l’auditoire ; le gouvernement responsable devenait enfin un sujet capable de soulever les passions. Avec la bénédiction de l’évêque, les prêtres catholiques jouèrent le rôle d’organisateurs électoraux du parti libéral. Puisqu’ils payaient des taxes, affirmait Mullock, ils avaient le droit de voter et de faire campagne comme tout citoyen britannique ; rien dans le droit civil ni le droit canon ne leur interdisait d’exercer une influence politique. Le Pilot, un journal catholique, allait plus loin et laissait entendre, probablement avec l’approbation de Mullock, qu’un vote non conforme aux instructions du clergé constituait un péché.
Ces pressions morales, qui ne s’accompagnaient pas, cependant, des interdits publics et des excommunications auxquels Fleming avait habituellement recours, contribuèrent à assurer un fort vote catholique aux libéraux sans détourner d’eux les libéraux méthodistes qui détenaient la balance du pouvoir dans quelques circonscriptions très importantes [V. Clement Pitt Benning]. Le gouvernement responsable fut obtenu en 1855 et, à la suite d’une victoire électorale, Little devint premier ministre d’un gouvernement où les catholiques avaient une voix prédominante et la plus grosse part du « patronage ».
Néanmoins, Mullock n’était pas entièrement satisfait. Idéaliste, il était scandalisé par la corruption qu’il trouvait chez les hommes politiques libéraux, qui dépensaient les fonds de la voirie et de l’assistance aux pauvres non pas selon les besoins mais suivant la demande des partisans. Au début de 1856, dans une lettre personnelle adressée au bureau des Travaux publics, il se plaignit de ce que les routes de la colonie étaient dans un état si lamentable que le voyage de St John’s à Placentia était aussi long que celui de la Baltique à la Méditerranée et il demanda que l’argent destiné à l’assistance publique et à la voirie ne fût distribué que pour le travail accompli. Même si elle ne devait pas être publiée, la lettre parut dans les journaux, et bien des gens évoquèrent la possibilité d’une rupture entre Little et son principal allié.
Mullock n’en continua pas moins d’appuyer le gouvernement et celui-ci se servit de l’évêque pour conserver la faveur populaire. Lorsque Little eut besoin d’aide pour obtenir le rejet de la convention relative à la pêche, proposée en 1857 par le gouvernement britannique, il s’adressa à Mullock. L’évêque déploya son éloquence dans une longue lettre – considérée par le gouverneur, sir Alexander Bannerman, comme « la sonnerie d’alarme qui déclencha la réunion monstre du 16 février » – qui invitait les gens à protester contre les conditions faites par la Grande-Bretagne ; il parvint à émouvoir la population et il contribua ainsi à faire rejeter la convention. Ambrose Shea*, président de l’Assemblée, exprimait une opinion fort répandue quand il disait, au cours d’une élection partielle tenue en novembre 1857 : « Mes amis, on dit que l’évêque est votre gouverneur ; eh bien, et puis après ? N’est-il pas un bon gouverneur ? Et qui plus que lui a le droit de vous gouverner ? »
La puissance politique de Mullock lui permit d’obtenir, en 1858, la démission du conseiller législatif James Tobin*, qui l’avait critiqué. Il aida les libéraux en désignant des candidats dignes d’être appuyés, et le parti, sous la direction de John Kent*, remporta les élections de 1859. De plus en plus, cependant, Mullock perdait ses illusions. Il avait mis son influence dans la lutte pour le gouvernement responsable ; il avait aidé les libéraux à gagner les élections et il avait dépensé son temps et son énergie pour sauvegarder l’unité du parti, non pas dans son propre intérêt mais afin d’obtenir des réformes qui ne pouvaient être effectuées, croyait-il, que par l’action politique. Or, les hommes politiques se servaient de lui pour se maintenir en poste sans s’intéresser aux fins qu’il poursuivait en leur accordant son aide, à savoir, notamment, la mise en place d’un gouvernement honnête et efficace, l’amélioration des communications et la répression des excès et des interventions politiques dans le domaine de l’assistance publique.
En 1860, Mullock déplora le fait qu’un comité formé en vue d’administrer le fonds d’assistance montrait de la partialité à l’égard des amis du régime. Les membres de l’Assemblée avaient obtenu le droit de verser des allocations à leurs commettants et certains utilisaient ces montants comme des pots-de-vin, disputant ainsi aux prêtres l’influence qui était exercée sur la population. Mullock fut encore plus irrité lorsque Kent, voulant satisfaire certains de ses partisans qui désiraient une caisse de voirie mieux garnie, renonça à un projet de loi dont l’évêque souhaitait depuis longtemps la réalisation : l’établissement d’un réseau local de communications maritimes par bateaux à vapeur. Mullock, en effet, s’était même rendu à New York avec Little afin de prendre les dispositions nécessaires pour doter Terre-Neuve d’un service de navires à vapeur, à l’insu et sans l’aide du gouvernement. Il accusa publiquement le gouvernement de « vol légalisé » et il s’en prit aux hommes politiques qui « pensent à eux-mêmes, mais ne font rien pour la population ».
Le gouvernement, mû par une crainte très vive, prit rapidement des mesures pour établir un service local de bateaux à vapeur et, au début de 1861, proposa de nouveaux règlements concernant l’assistance aux pauvres. Mullock fit connaître son appui à ces initiatives dans une lettre qui fut lue par Kent à l’Assemblée. Cependant, Ambrose Shea et plusieurs autres libéraux qui, nés au pays, étaient moins soumis au clergé que les immigrants irlandais, s’opposèrent à la seconde réforme parce qu’elle allait les priver de leur droit de distribuer les allocations. Ils reçurent l’appui d’une foule qui s’introduisit dans la chambre et provoqua l’interruption de la séance. Kent s’inclina devant l’indignation populaire et retira son projet peu de temps après cet incident ; il perdit ainsi le peu de confiance que Mullock avait encore en lui.
L’évêque publia alors une lettre pastorale dans laquelle il pressait le clergé de surveiller les hommes politiques, et, dans une lettre au gouverneur Bannerman, il affirma que les membres de l’Assemblée n’étaient « que des mendiants représentatifs d’une bande d’indigents ». Conscient de la rupture survenue entre Mullock et les libéraux, auxquels il n’accordait ni estime ni confiance, le gouverneur crut que l’évêque pourrait approuver la révocation du gouvernement libéral, en février 1861, et son remplacement par un ministère ayant à sa tête Hugh William Hoyles*, qui était protestant et conservateur. Mullock hésita avant de prendre position. Il ne faisait pas confiance à Kent, et le nouveau gouvernement comptait dans ses rangs Laurence O’Brien, un riche marchand catholique. À la fin, son jugement fut peut-être influencé par le fait que l’évêque Feild de l’Église d’Angleterre fit paraître une lettre appuyant Hoyles. Craignant l’influence protestante, Mullock publia à son tour une lettre dans laquelle il affirmait que les élections prévues pour le mois de mai 1861 étaient une calamité. Le gouvernement précédent avait amélioré les routes, les communications postales et l’éducation. Les électeurs catholiques étaient exhortés à ne pas accorder un pouvoir exclusif aux protestants mais à défendre plutôt les gains des 40 dernières années. Mullock demandait instamment à tous les catholiques d’écouter les membres du clergé qui, seuls, étaient les bienfaiteurs du peuple, les agents du progrès et les représentants indépendants, « les fondateurs et les pères de la civilisation à Terre-Neuve ».
Cette violente sortie effraya les libéraux protestants et éloigna les catholiques qui désiraient échapper à l’autorité cléricale dans les affaires politiques. Mullock semblait identifier libéralisme à catholicisme et catholicisme à clergé. Les méthodistes qui avaient auparavant voté pour les libéraux se tournèrent vers les conservateurs et un grand nombre de catholiques refusèrent de suivre Mullock.
La tension était forte le jour des élections. À Harbour Grace, l’agitation était si grande que les magistrats refusèrent d’enregistrer les votes. Dans la circonscription de Harbour Main, l’intervention du révérend Kyran Walsh provoqua une échauffourée durant laquelle les gens de Cat’s Cove tuèrent un homme et en blessèrent dix autres [V. George James Hogsett]. Il n’y eut pas d’élection dans Harbour Grace et celle de Harbour Main fut l’objet d’une contestation ; les suffrages ayant donné 14 sièges aux conservateurs et 12 aux libéraux, aucun parti n’était assuré de la victoire.
Mullock fit croître l’agitation en autorisant la publication, juste avant l’ouverture de la session, de la correspondance qu’il avait entretenue avec le gouverneur. Il avait affirmé dans une lettre qu’un homme de Spaniard’s Bay était venu le voir et avait demandé de le protéger d’une « troupe de gens en armes qui voulaient détruire l’Église catholique et tout dévaster sur leur passage – car une guerre d’extermination semble être commencée contre les sujets catholiques de Sa Majesté dans cette colonie ». Lorsque Bannerman refusa d’admettre cette histoire – on découvrit par la suite que l’homme de Spaniard’s Bay avait menti – Mullock répliqua en accusant les protestants de troubler la paix à Terre-Neuve. En outre, il prononça un sermon à caractère politique dans sa cathédrale et il compara George Furey, l’homme tué à Cat’s Cove, à Jésus-Christ. Ces allégations et ces déclarations furent considérées par le Public Ledger de Henry Winton, le principal journal protestant et conservateur, comme des propos incendiaires.
À l’ouverture de la session, le 13 mai 1861, les efforts conjugués des militaires et de certains prêtres catholiques ne suffirent pas à réprimer une émeute. Le tumulte fit rage durant quatre heures et ne prit fin que lorsque les soldats ouvrirent le feu et que Mullock appela les gens à la cathédrale en faisant sonner les cloches. Revêtu de tous ses ornements épiscopaux, il arracha à la foule une promesse de bonne conduite et il exposa le Saint-Sacrement à la vénération des fidèles. Jamais son influence n’était apparue plus nettement, mais il ne l’avait exercée que lorsque l’émeute s’était avérée un désastre tant sur le plan politique que pratique, et non pas quatre heures plus tôt alors qu’il aurait pu mettre un terme aux désordres.
La violence se poursuivit durant plusieurs jours. L’évêque Feild fut assailli à coups de pierres, son séminaire fut partiellement brûlé et la maison d’été de Hoyles détruite. Le directeur du scrutin à Harbour Main fut malmené par une foule en colère parce qu’il n’avait pas accordé la victoire aux candidats appuyés par le clergé, et des menaces de pillage et de violence furent proférées à Harbour Grace. Cependant, Mullock ne fit aucun effort pour contenir ses ouailles ; en fait, plus tard au cours de 1861, il aviva le mécontentement général en faisant circuler une pétition qui demandait au gouvernement britannique la destitution de Bannerman, requête que Kent, Shea et la plupart des prêtres catholiques refusèrent de signer. Le Record, généralement considéré comme le porte-parole de Mullock, annonça qu’une guerre civile allait éclater si Bannerman envoyait des troupes à Harbour Grace au moment de l’élection partielle prévue pour le mois de novembre 1861. Des troupes furent néanmoins envoyées par le gouverneur, et l’élection se déroula dans le calme. Mullock fit paraître une lettre pastorale dans laquelle il se déclarait en faveur de la paix et de l’ordre et il désavoua le Record. Les conservateurs furent réélus avec une forte majorité.
S’il avait subi la défaite, Mullock éprouvait encore le désir d’exercer son autorité sur les hommes politiques. Lorsque les gens de Cat’s Cove qui purgeaient une peine de prison pour homicide involontaire furent élargis par Bannerman au début de 1862, à la suite d’une pétition signée par Kent, Shea et un grand nombre de libéraux éminents, l’évêque fulmina l’interdit contre Cat’s Cove où Furey avait été « assassiné ». Défense était faite de célébrer la messe ou d’administrer les sacrements durant une année.
Mullock était allé trop loin et son influence politique diminua rapidement. On vit rarement, par la suite, le clergé intervenir massivement dans les affaires politiques de Terre-Neuve. Le sectarisme subit un déclin temporaire et les catholiques des classes riches se tournèrent vers le parti conservateur. Comme un volcan en repos, Mullock continua de gronder sourdement, mais on pouvait l’ignorer sans danger ; s’il critiquait l’attitude des gouvernements, il ne tenta jamais de les renverser. Il s’efforça de faire oublier la réputation qu’il s’était acquise d’être « un brandon de discorde et un violateur de l’ordre public » dans l’épiscopat catholique du Canada. Estimant que la politique à Terre-Neuve était une « lutte déshonorante pour une situation et non un principe », il préconisait l’aumône, la sobriété et le travail assidu comme remèdes au marasme de la société. Lorsque les habitants de Burin et de Placentia s’en prirent à ceux qui utilisaient des seines pour pêcher la morue, il condamna la violence et il leur rappela que « les autorités constituées le sont de par Dieu ». Quand un débat politique s’amorça sur le projet de rallier la confédération des autres colonies de l’Amérique du Nord britannique, il ne donna pas de directives aux catholiques, se contentant de quelques observations ambiguës. À la suite d’une longue maladie, il mourut en 1869, bien avant les importantes élections par lesquelles il fut décidé, cette année-là, que Terre-Neuve ne se joindrait pas au Canada.
On fit à Mullock des funérailles imposantes. Le gouverneur, sir Anthony Musgrave*, assista à la messe de Requiem ; tous les magasins de St John’s furent fermés et les drapeaux furent mis en berne. Le St John’s Daily News, journal qui n’était pas pro-catholique, affirma : « Il était universellement aimé et estimé de la collectivité tout entière pour son caractère aimable et bienveillant. » Ce panégyrique, bien que mérité en partie, semble passer sous silence le fait que ses interventions dans les affaires politiques de l’île avaient été irréfléchies et peu scrupuleuses. Néanmoins, un grand nombre de personnes le respectaient pour ce qu’il avait accompli et, en privé, on lui témoignait souvent de l’affection. Il avait fait beaucoup pour augmenter la fierté et l’indépendance des catholiques de Terre-Neuve. Il avait effectué plusieurs visites épiscopales dans les régions éloignées de l’île. Entre le moment de sa nomination comme évêque et celui de son décès, le nombre des catholiques à Terre-Neuve était passé de 46 785 à 60 567 et le nombre des prêtres, de 24 à 35.
Ses activités politiques étaient inspirées par des motifs généreux : « C’est le devoir d’un évêque, disait-il, d’assister et de conseiller ses ouailles dans toutes leurs luttes pour la justice. » C’est en vertu de ce précepte qu’il avait incité ses coreligionnaires à demander le gouvernement responsable, qu’il avait dénoncé les politiciens libéraux quand ils l’avaient trompé et qu’il en était arrivé, dans un mouvement d’indignation, à excuser les violences extrêmes commises contre un gouvernement dirigé par les protestants. Toutefois, il s’était rendu compte que cette attitude était une erreur de stratégie et, dans les dernières années de sa vie, il avait mis son influence au service de l’ordre public.
Mullock était également un érudit. Ses ouvrages montrent qu’il était fier de son pays natal, attaché à sa patrie d’adoption, loyal envers son ordre religieux et fidèle aux attitudes plutôt ultramontaines au sein de l’Église catholique du xixe siècle. Doué pour les langues, il s’exprimait facilement en espagnol, en français et en italien ; il traduisit en anglais Trionfo della Chiesa ossia historia delle Eresie [...] d’Alfonso Maria de Liguori et également un ouvrage attribué à Francis Ward sur l’histoire de la province irlandaise des franciscains. En plus de quelques sermons, il fit également paraître The life of St. Alphonsus M. Liguori et Two lectures on Newfoundland, conférences prononcées à St John’s en 1860. Dans celles-ci, il exprimait ainsi sa foi en son pays d’adoption : « La présente génération de Terre-Neuviens [...] laisse un riche héritage à ses enfants et nous sommes à forger le caractère d’une future nation. »
J. T. Mullock est l’auteur des ouvrages suivants : The Cathedral of St. John’s, Newfoundland, with an account of its consecration [...] (Dublin, 1856) ; Circular letter [...] to the clergy and laity of the diocese of St. John’s, on his return from the Eternal City, where lie had been on the occasion of the canonization of the Japanese martyrs (St John’s, 1862) ; The life of St. Alphonsus M. Liguori [...] (Dublin, 1846) ; Rome, past and present ; a lecture, delivered in St. Dunstan’s Cathedral, Charlottetown, Prince Edward Island, on Thursday, August 16, 1860 (Charlottetown, 1860) ; A sermon preached [...] in the Cathedral of St. John’s, on Friday, May 10th, 1861 (St John’s, [1861 ?]) ; Two lectures on Newfoundland, delivered at St. Bonaventure’s College, January 25, and February 1, 1860 (New York, 1860), la première fut publiée d’abord dans Lectures on Newfoundland ([St John’s, 1860]). Il a aussi traduit l’ouvrage d’A. M. de Liguori, History and refutation of the various heresies (2 vol., Dublin, 1847 ; 2e éd., 1857).
APC, MG 24, B51.— Archives of the Archdiocese of St John’s, E. Morris, diaries, 1851–1870 ; J. T. Mullock, journals and diaries, 1850–1869.— PRO, CO 194/116–192.— University of Nottingham Library (Nottingham, Angl.), Newcastle mss, letterbooks, 1859–1864 ; colonial correspondence, 1849–1864 (mfm aux APC).— R. B. McCrea, Lost amid the fogs : sketches of life in Newfoundland, England’s ancient colony (Londres, 1869).— Newfoundlander, 1848–1869.— Public Ledger, 1848–1869.— E. B. Foran, Right Reverend Doctor Mullock, bishop militant [...], The centenary of the Basilica-Cathedral of St. John the Baptist, St. John’s, Newfoundland, 1855–1955, P. J. Kennedy, édit. ([St John’s, 1955]), 233–246.— Greene, Influence of religion in the politics of Nfld., 1850–61.— Frederick Jones, Bishop Feild, a study in politics and religion in nineteenth century Newfoundland (thèse de ph.d., Cambridge University, 1971).— MacNutt, Atlantic provinces.— E. C. Moulton, The political history of Newfoundland, 1861–1869 (thèse de m.a., Memorial University of Newfoundland, St John’s, 1960).— Prowse, History of Nfld. (1896).— E. P. Roche, The Right Reverend John Thomas Mullock, D.D., 1807–1869 [...], The centenary of the Basilica-Cathedral of St. John the Baptist, St. John’s, Newfoundland, 1855–1955, P. J. Kennedy, édit. ([St John’s, 1955]), 222–232.— E. A. Wells, The struggle for responsible government in Newfoundland, 1846–1855 (thèse de m.a., Memorial University of Newfoundland, 1966).— Frederick Jones, Bishops in politics ; Roman Catholic v Protestant in Newfoundland, 1860–2, CHR, LV (1974) : 408–421.
Frederick Jones, « MULLOCK, JOHN THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 25 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/mullock_john_thomas_9F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/mullock_john_thomas_9F.html |
Auteur de l'article: | Frederick Jones |
Titre de l'article: | MULLOCK, JOHN THOMAS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1977 |
Année de la révision: | 1977 |
Date de consultation: | 25 nov. 2024 |