LORANGER, THOMAS-JEAN-JACQUES, homme politique, juge et écrivain, né le 2 février 1823 à Sainte-Anne-d’Yamachiche (Yamachiche, Québec), fils de Joseph Rivard, dit Loranger, cultivateur et plus tard aubergiste, et de Marie-Louise Dugal, décédé le 18 août 1885 à Sainte-Pétronille, île d’Orléans, Québec.

Thomas-Jean-Jacques Loranger, aîné d’une famille de 13 enfants, fit de brillantes études classiques au séminaire de Nicolet. À compter de 1842, il étudia le droit à Trois-Rivières dans l’étude d’Antoine Polette et fut admis au Barreau du Bas-Canada le 22 avril 1844. Pendant quelques années, il exerça sa profession seul, à Trois-Rivières, puis il forma une société avec Pierre-Richard Lafrenaye, son confrère à Nicolet, et entra finalement à Montréal dans l’étude de Lewis Thomas Drummond, alors procureur général pour le Bas-Canada. En 1853, il constitua une société juridique avec François-Pierre Pominville et, en 1858, Loranger et ses deux frères, Louis-Onésime, futur juge, et Jean-Marie, créèrent leur propre étude.

Loranger eut une carrière très active dans la magistrature. Il prit une part considérable aux discussions juridiques qui accompagnèrent l’abolition du régime seigneurial. En qualité d’un des substituts du procureur général devant la Cour seigneuriale, il présenta un long mémoire publié en 1855 et intitulé Mémoire composé de la plaidoirie de T. J. J. Loranger [...], complété en 1856 par Suite du mémoire de M. Loranger [...]. Il soutenait que le régime féodal français n’avait pas été introduit en son entier au Canada et qu’en particulier les seigneurs n’avaient obtenu des concessions qu’avec l’obligation de sous-concéder. Dans le but de favoriser la colonisation, les cens et rentes avaient été fixés à un taux très modique « dont le maximum ne devait pas excéder deux sous par arpent en superficie », ce qui avait pour conséquence de limiter leur capitalisation à l’occasion de l’abolition du régime seigneurial. La cour accepta l’essentiel de sa thèse. Le 18 décembre 1854, il fut nommé conseiller de la reine.

Le 10 août 1854, Loranger avait été élu député de la circonscription de Laprairie à l’Assemblée législative du Canada-Uni comme réformiste. Réélu aux élections de 1857, il entra dans le ministère de John Alexander Macdonald* et de George-Étienne Cartier* à titre de secrétaire provincial du Bas-Canada. Au cours de la session de 1858, il participa à un important débat sur une motion concernant la « double majorité », proclamant que « toute tentative de législation affectant une section de la province, contrairement aux vœux de la majorité des représentants de cette section, serait pleine de dangereuses conséquences pour le bien-être de la province, et donnerait lieu à beaucoup d’injustices ». Loranger, selon Louis-Philippe Turcotte*, « était d’avis que la question de la double majorité devait être tenue sous silence. Comment la majorité du Bas-Canada pouvait-elle agir de concert avec celle du Haut-Canada, qui voulait les écoles mixtes et une augmentation de la représentation ? Admettre en principe qu’il faut la majorité des deux sections sur les questions générales, ce serait s’exposer à changer très-souvent de gouvernement. Alors une petite majorité l’emporterait sur une grande ; et dans le cas actuel, quand le gouvernement n’a qu’une minorité de trois voix dans le Haut-Canada, et qu’il est appuyé par presque tous les membres du Bas-Canada, ce serait une minorité insignifiante qui l’emporterait sur la grande majorité totale. »

Au cours de la même session, Loranger fut de ceux qui s’opposèrent à Cartier à propos du choix d’Ottawa comme capitale et se montrèrent favorables à celui de Montréal, votant sur cette question contre Cartier ; le ministère démissionna et Loranger perdit son poste, le 1er août 1858. Le gouvernement de Macdonald-Cartier fut remplacé par celui de George Brown* et d’Antoine-Aimé Dorion*, qui ne dura que 48 heures. Les conservateurs revinrent au pouvoir et eurent recours à la manœuvre du « double shuffle » [V. George-Étienne Cartier] au cours de laquelle Cartier tint Loranger à l’écart. Ce fut, selon Laurent-Olivier David*, le début d’une brouille entre les deux hommes, ce dont témoigne un incident survenu le 16 mai 1860 : alors qu’on discutait un projet de loi relatif aux bureaux d’enregistrement, Loranger accusa le chef du gouvernement de vouloir angliciser ses compatriotes. Cartier se fâcha et demanda à Loranger s’il savait à quel point il avait dû lutter contre certains préjugés et travailler pour réaliser une foule de mesures favorables aux Canadiens français. En 1862, Loranger contribua à la défaite des conservateurs sur le projet de loi de la milice, et le cabinet de John Sandfield Macdonald* et de Louis-Victor Sicotte prit le pouvoir. Loranger demeura député jusqu’au 9 mars 1863, date à laquelle il fut nommé juge de la Cour supérieure.

En tant que juge, Loranger siégea successivement à Beauharnois, à Saint-Jean et à Sorel. Il fut aussi souvent appelé comme juge ad hoc à la Cour d’appel. Il prit sa retraite en 1879 et devint alors professeur de droit administratif à la succursale de l’université Laval à Montréal.

En 1873, Loranger avait publié le premier tome de son Commentaire sur le Code civil du Bas-Canada. Une notice de l’éditeur annonçait que l’ouvrage dont on commençait la publication comprendrait un grand nombre de volumes et qu’il serait « un traité complet, bien plus complet qu’aucun livre de ce genre publié jusqu’ici au Canada, sur toutes les matières contenues en ce code, aussi bien que sur toutes celles qui s’y rattachent ». Dans sa préface, l’auteur soulignait le caractère théorique et pratique de l’œuvre qu’il entreprenait, mais il ne put la terminer. Dans le premier tome, il ne dépassa pas la curatelle, c’est-à-dire les 114 premiers articles du code. Dans le second, publié en 1879, Loranger ne traita que du mariage. Dans son avant-propos, l’auteur eut l’occasion d’affirmer ses convictions personnelles profondes en écrivant que le droit canon et le droit civil reconnaissent le mariage « comme acte religieux et sacramentel et comme contrat civil » et que « l’Église seule a juridiction sur le lien conjugal et les empêchements qui s’opposent à sa validité et que l’État seul a compétence sur ses effets civils ». Le traité incomplet de Loranger est aujourd’hui dépassé mais, à l’époque, sa publication constitua un événement dans le monde juridique québécois.

En 1879, avec quelques juristes de Montréal, Loranger fonda une revue de droit, la Thémis, mensuel qui devait être publié jusqu’en décembre 1884. La revue contient des articles variés et en particulier des feuillets qui prolongent le Commentaire sur le Code civil du Bas-Canada de Loranger et d’autres qui complètent la Bibliothèque du Code civil [...] de Charles Chamilly de Lorimier. De 1869 à 1872, Loranger avait aussi collaboré à la Revue légale (Montréal et Sorel, Québec), qui venait d’être fondée.

En publiant ses Lettres sur l’interprétation de la constitution fédérale [...] en 1883 et 1884, Loranger devenait l’un des premiers auteurs canadiens-français à traiter de droit constitutionnel. Il y énonçait la théorie du pacte fédératif qui devait être reprise par plusieurs auteurs, surtout des Québécois. Il se faisait ainsi l’un des grands défenseurs de l’autonomie des provinces. « La Confédération des provinces britanniques, écrivait-il, a été le résultat d’un pacte formé par les provinces et le Parlement impérial, qui, en décrétant l’Acte de l’Amérique britannique du Nord, n’a fait que le ratifier. » Plus loin, il ajoutait : « Dans la sphère réciproque de leur autorité [...], il n’existe pas de supériorité en faveur du parlement sur les provinces ; mais, sujettes à la souveraineté impériale, ces provinces sont quasi souveraines, et il y a entre les deux corps égalité absolue. »

En 1876, la législature du Québec avait adopté une loi visant à la codification des lois générales en vigueur et, pour accomplir cette tâche, on mit sur pied, le 16 août 1877, une commission formée de quatre membres que présidait le juge Loranger. Les travaux commencèrent immédiatement et, le 15 février 1878, la commission présenta un premier rapport au gouvernement dans lequel on exposait le travail déjà accompli. Cependant, au début de mars suivant, le renvoi du ministère de Charles-Eugène Boucher* de Boucherville par le lieutenant-gouverneur Luc Letellier de Saint-Just et l’accession au pouvoir d’Henri-Gustave Joly* entraînèrent la révocation de la commission. Selon Loranger, cette suspension avait été « un fait regrettable à tous les points de vue ». En 1880, en vertu d’une nouvelle loi, on reprit les travaux de codification sous la seule direction de Loranger qui, l’année suivante, présenta le Rapport de la commission de révision et refonte des statuts de la province de Québec [...]. On y trouvait esquissées les idées de l’auteur sur la nature du fédéralisme canadien et un plan de codification. Loranger proposait de créer une commission permanente « dont les fonctions seraient de conserver l’harmonie des lois statutaires et de protéger le code des statuts contre l’incohérence et la confusion des lois nouvelles ». Les Travaux de la commission de codification des statuts sur les réformes judiciaires parurent en 1882, avec un avant-propos de Loranger. Mais ce dernier ne put terminer son œuvre car il mourut, le 18 août 1885, à Sainte-Pétronille, île d’Orléans, où il passait l’été avec sa famille.

Le 17 décembre 1859, Loranger avait été nommé membre du premier conseil de l’Instruction publique. Président de l’Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal en 1880, et de nouveau en 1884, il avait présidé aux grandes fêtes qui marquèrent à Montréal le cinquantenaire de la fondation de cette association. Il fut aussi l’un de ceux qui prirent l’initiative de la construction du Monument national et il présida à la cérémonie de la pose de la pierre angulaire. Ses funérailles eurent lieu à Montréal le 21 août, à l’église Notre-Dame, avec toute la pompe qu’exigeait la mort en fonction d’un président de l’Association Saint-Jean-Baptiste, événement qui, comme le soulignaient les journaux, ne s’était pas produit depuis le décès de Ludger Duvernay*, en 1852. L’inhumation se fit au cimetière de Côte-des-Neiges. Loranger était commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand.

Loranger avait épousé à Montréal, le 13 mai 1850, Sarah-Angélique Truteau, nièce du grand vicaire Alexis-Frédéric Truteau* ; ils eurent un enfant. Elle mourut en 1858 et, le 6 juillet 1864, à Québec, il épousait Zélie-Angélique Borne, petite-fille de Philippe-Joseph Aubert* de Gaspé. De cette seconde union naquirent sept enfants. Selon Laurent-Olivier David, Loranger fut « l’un des hommes les plus instruits, les plus éloquents et les plus spirituels de son temps ; un esprit essentiellement français dont le fond était sérieux et la forme piquante, éblouissante, gracieuse, une étoile de première grandeur dans cette pléiade de talents qui ont brillé d’un si vif éclat de 1848 à 1867 ».

Jean-Charles Bonenfant

Les principaux écrits de Thomas-Jean-Jacques Loranger sont : Mémoire composé de la plaidoirie de T. J. J. Loranger, c.r., un des substituts du procureur-général, devant la Cour seigneuriale (Montréal, 1855) ; Suite du mémoire de M. Loranger contenant sa réplique devant la Cour seigneuriale (Montréal, 1856) ; Commentaire sur le Code civil du Bas-Canada, A. E. Brassard, édit. (2 vol., Montréal, 1873–1879). En tant que président de la commission, il publia, Québec, Commission royale, Premier rapport des commissaires nommés pour classifier, réviser et refondre les statuts généraux de la province de Québec, à l’honorable Luc Letellier de St-Just, lieutenant-gouverneur de la province de Québec (Québec, 1878) et Rapport de la commission de révision et refonte des statuts de la province de Québec à l’honorable T. Robitaille, lieutenant-gouverneur de la province de Québec (Québec, 1881), qui parurent aussi en anglais, et Travaux de la commission de codification des statuts sur les réformes judiciaires (Québec, 1882). De plus, il est l’auteur de Lettres sur l’interprétation de la constitution fédérale, dite l’Acte de l’Amérique britannique du Nord, 1867 (2 vol., Québec, 1883–1884), ouvrage traduit en anglais. Enfin, pour avoir une description plus complète des écrits de Loranger ainsi que des articles qui lui ont été consacrés dans différentes revues, le lecteur pourra consulter avec profit le travail d’Ursule Loranger, « Bio-bibliographie de l’honorable juge Thomas-Jean-Jacques Loranger [...] » (travail présenté à l’école de bibliothéconomie de l’univ. de Montréal, 1943).  [j.-c. b.]

AC, Montréal, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Montréal, 21 août 1885.— L’Événement, 18 août 1885.— Gazette, 19–22 août 1885.— La Minerve, 19 août 1885.— Le Monde illustré (Montréal), 29 août 1885.— Montreal Herald and Daily Commercial Gazette, 19 août 1885.— La Presse, 20 août 1885.— Beaulieu et J. Hamelin, La presse québécoise, II.— Charles Chamilly de Lorimier, La bibliothèque du Code civil de la province de Québec (21 vol., Montréal, 1871–1890).— L.-O. David, Tribuns et avocats [...] (Montréal, 1926).— Dominion annual register, 1885 : 267.— P.-G. Roy, Les juges de la prov. de Québec, 507.— L.-O. David, Mes contemporains (Montréal, 1894), 255–260 ; Souvenirs et biographies (Montréal, 1911), 60–66.— É.-Z. Massicotte, Processions de la Saint-Jean-Baptiste en 1924 et 1925 ; accompagnées de biographies et portraits des présidents généraux de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal [...] (1834–1926) (Montréal, 1926).— L.-P. Turcotte, Le Canada sous l’Union, II : 344s.

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Jean-Charles Bonenfant, « LORANGER, THOMAS-JEAN-JACQUES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/loranger_thomas_jean_jacques_11F.html.

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Auteur de l'article:    Jean-Charles Bonenfant
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
Date de consultation:    20 nov. 2024