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VERIGIN, PETER PETROVICH, chef des doukhobors, né probablement le 2 janvier 1881 à Slavianka (Azerbaïdjan), fils de Peter Vasil’evich Verigin* et d’Evdokiia Grigor’evna Kotel’nikova ; il épousa dans sa ville natale Anna Fyodorovna Chernenkova (décédée en 1940), et ils eurent une fille et un fils ; décédé le 11 février 1939 à Saskatoon.
Peter Petrovich Verigin naquit dans une secte chrétienne russe, les doukhobors [V. Peter Vasil’evich Verigin], dans des circonstances difficiles. Son père avait divorcé de sa mère pendant la grossesse de celle-ci selon les instructions de la dirigeante de la communauté des doukhobors du sud de la Russie, Luker’ia Vasil’evna Kalmykova, qui souhaitait préparer Peter Vasil’evich à lui succéder. Peter Petrovich grandit dans sa famille maternelle, mais son père fournissait un certain soutien financier. On envoya le jeune garçon dans un pensionnat à Ielisavetpol (Gandja, Azerbaïdjan), où il obtint d’excellents résultats. Il étudia ensuite à l’institut technique russe de Tiflis (Tbilissi, Géorgie). À son retour à Slavianka, il épousa Anna Fyodorovna Chernenkova, fille d’une famille bien en vue du village.
La majorité des doukhobors, soit le groupe qu’on connaîtrait sous le nom de Grand Parti, reconnut Peter Vasil’evich Verigin comme chef quelques semaines après la mort de Kalmykova en 1886 ; néanmoins, une faction minoritaire, ultérieurement appelée le Petit Parti, le rejeta. Ses opposants tentèrent de le faire arrêter par les autorités tsaristes comme fauteur de troubles, ce qu’elles firent au mois de janvier suivant. À sa libération, en 1902, après 15 années d’exil dans le nord et l’est de la Russie, on lui permit de partir pour la région qui deviendrait peu de temps après la Saskatchewan, où presque tous ses fidèles s’étaient établis après y avoir émigré en 1899 ; son fils demeura toutefois en Russie. Peter Petrovich rendit visite à son père deux fois, en 1905 et probablement en 1906, avec l’intention d’immigrer avec un groupe de doukhobors russes. Leurs relations restaient cependant tendues, et le projet n’aboutit pas. Peter Vasil’evich manifestait de la froideur envers son fils qui, à son tour, critiquait et rabaissait son père devant ses disciples.
Moins d’un an après son retour de son premier voyage au Canada, le jeune Verigin prit la tête du groupe des doukhobors Vorobyov, connu aussi sous le nom de Parti intermédiaire, en Transcaucasie. Il dut surmonter à la fois les antagonismes locaux et les vicissitudes de la Révolution russe. En 1921, sur l’ordre du gouvernement bolchevique, il s’installa dans le nord avec quelque 4 000 fidèles, dans la région de Sal’sk, où les autorités soviétiques le reconnurent comme chef de la ferme collective que les colons y fondèrent.
À la fin de 1924, Verigin père mourut subitement dans une mystérieuse explosion de chemin de fer au sud-est de la Colombie-Britannique. La grande majorité des doukhobors canadiens invitèrent alors Peter Petrovich à prendre la tête de leur communauté. Même si le père et le fils n’entretenaient pas de bons rapports, les adeptes du premier avaient entendu parler d’une ressemblance familiale, et leur choix correspondait à la transmission du pouvoir utilisée le plus souvent dans le passé. Inquiet de possibles perturbations dans les colonies de doukhobors, le gouvernement libéral fédéral de William Lyon Mackenzie King* donna sa bénédiction.
À cette époque, plusieurs questions divisaient les doukhobors canadiens. Implanté à la fin du xixe siècle sur des concessions dans une région qui deviendrait la Saskatchewan en 1905, le projet d’agriculture collective avait subi un dur revers cette année-là, quand le ministre fédéral de l’Intérieur, Frank Oliver, avait exigé l’enregistrement individuel des concessions. Cette décision incita Peter Vasil’evich, deux ans plus tard, à conduire la majorité des doukhobors canadiens en Colombie-Britannique, où il réussit à acheter des terres pour y pratiquer une agriculture collective. Après l’arrivée de Peter Petrovich en 1927, ce groupe, connu sous le nom de doukhobors de la Communauté chrétienne, compterait autour de 6 000 membres. Certains d’entre eux refusèrent toutefois de suivre Verigin père et commencèrent à cultiver la terre dans des propriétés individuelles, principalement en Saskatchewan ; le nombre de ces doukhobors indépendants, comme on les désignait, s’élèverait à environ 2 000 en 1927. De plus petites collectivités de doukhobors existaient aussi en Alberta et au Manitoba. L’idée d’un chef de droit divin (statut donné à Peter Vasil’evich et transféré à son fils) répugnait aux indépendants qui, comparativement aux autres fidèles de la secte, entretenaient des relations plus positives avec les étrangers. De nombreux doukhobors se méfiaient de l’éducation publique et les efforts déployés pour améliorer la fréquentation scolaire s’étaient soldés par un absentéisme généralisé. Les Freedomites (ou Svobodniki, ultérieurement connus sous le nom de Fils de la liberté), branche radicale qui comptait probablement deux douzaines de membres au milieu des années 1920, avaient protesté contre les compromis des doukhobors de la Communauté chrétienne relativement à l’école publique [V. Peter Vasil’evich Verigin] et contre leur matérialisme présumé en se montrant nus en public et en brûlant leurs installations, maisons et écoles.
Peter Petrovich était au courant de ces problèmes au moment où il accepta l’invitation de devenir chef. Il manifesta ses positions quand il transmit aux doukhobors canadiens un message dans lequel il leur demandait d’envoyer leurs enfants à l’école. Peu après, les membres tinrent une assemblée où ils annoncèrent leur intention de respecter désormais les institutions canadiennes. Le départ de Verigin prit du retard en raison de ses doutes quant à sa décision et de ses longs préparatifs, puis, de manière plus inquiétante, de son arrestation et de son inculpation par un tribunal du travail soviétique pour violence, ébriété habituelle, extorsion et dilapidation de fonds publics. On lui retira la direction officielle de la ferme collective de la région de Sal’sk, on le mit en prison pour deux ans, puis on le condamna à l’exil en Asie centrale. Verigin éprouvait un penchant pour la vodka et le jeu ; son tempérament impétueux l’entraînait régulièrement dans des altercations physiques avec ses disciples tout comme avec des étrangers.
Convaincus qu’il valait mieux bannir Verigin du pays plutôt que lui imposer l’exil intérieur, les autorités soviétiques lui permirent de partir en septembre 1927, mais sa femme et ses enfants ne l’accompagnèrent pas. Les doukhobors canadiens lui avaient envoyé des milliers de dollars, somme qu’il avait presque totalement dépensée avant son départ. Quand il débarqua à New York, il fut accueilli par Michael Cazakoff, président intérimaire de la Communauté chrétienne de la fraternité universelle (CCFU), association des doukhobors de la Communauté chrétienne et appellation officielle de la communauté des doukhobors au Canada. À son arrivée au Canada, il fit bonne impression auprès des hommes politiques fédéraux et de la presse, en insistant sur le besoin d’établir des relations harmonieuses avec les Canadiens et leur gouvernement tout en exhortant les doukhobors à préserver leur culture et la langue russe. Peter Petrovich visita Ottawa et Winnipeg, puis des collectivités de doukhobors à Yorkton et à Veregin, en Saskatchewan, où il prononça un discours rassembleur qui révéla ses talents d’orateur habile, doté d’une certaine profondeur philosophique. Il se proclama Chistiakov (c’est-à-dire « le purificateur » ou « le nettoyeur ») à ce moment-là. Il entreprit une tournée des colonies au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta, puis se rendit en Colombie-Britannique pour visiter Nelson et Brilliant, premier établissement de la Communauté chrétienne. Le côté plus versatile de son caractère se manifesta rapidement quand il se mit à attaquer verbalement les autorités de la CCFU sur leur présumée mauvaise administration des fonds de la communauté, à arriver en retard aux réunions et à laisser éclater de violents accès de colère. Son penchant pour l’alcool et le jeu étaient notoires. Beaucoup voyaient toutefois en leur chef une figure semi-divine ; ils acceptaient son ordre – « ne faites pas ce que je fais, mais [faites] ce que je dis » – et son excuse – s’il menait une bonne vie religieuse, affirmait-il, le gouvernement le tuerait, comme le Christ.
Très tôt, Verigin s’appliqua vigoureusement à résoudre les problèmes économiques et sociaux des doukhobors. Grâce à une réorganisation des finances de la CCFU, à l’amélioration de la comptabilité et à des sollicitations auprès des fidèles, il réussit à diminuer la dette. Pour encourager ses disciples à lancer plus d’initiatives économiques, il décentralisa le système communautaire créé par son père en divisant la Communauté chrétienne en petits groupes d’environ 25 à 100 personnes, qu’il appelait des familles, installées sur des propriétés collectives en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et en Alberta. Il se débarrassa également du régime de troc établi par son père. Dès lors, ces familles devraient envoyer leurs contributions aux coffres centraux, en versements proportionnels à leur population ou à la superficie de leur colonie.
L’unité réalisée par Verigin se concrétisa en 1928 par la fondation de la Society of Named Doukhobors, qui comptait des membres dans les quatre provinces de l’Ouest. L’organisme adopta une série de résolutions, nommée le protocole, qui observait les enseignements du Christ, la non-violence, le mariage basé sur l’amour, le soutien à l’éducation publique, le règlement pacifique interne des conflits et l’expulsion des criminels. Il fit construire des foyers de la Communauté chrétienne en Saskatchewan et en Colombie-Britannique au sein des colonies d’indépendants, ouvrit des bibliothèques régionales et, en 1932, mit sur pied la première organisation créée par les doukhobors pour la jeunesse. Verigin exprima publiquement pour la première fois son approbation apparente des Freedomites à titre de « sonneurs de cloche » (expression par laquelle il désignait la conscience) du doukhoborisme dans une allocution livrée à Brilliant en 1927, au cours de laquelle il inventa l’appellation Fils de la liberté. Cependant, cet assentiment ne dura guère, car les membres croyaient de plus en plus qu’il pensait le contraire de ce qu’il disait. Convaincus que les instructions de Verigin étaient un test d’allégeance, nombre d’entre eux réagirent en agissant à l’opposé de celles-ci. En 1929, Verigin parla d’un plan pour mener les doukhobors en dehors du Canada sur un « cheval blanc », leur choisissant finalement le Mexique comme destination. Même si le projet n’aboutit à rien, Verigin avait déjà recueilli en 1932 plus d’un demi-million de dollars auprès de prêteurs, jamais remboursés pour la plupart, et, après avoir prêté le capital et imposé des intérêts, il empocha environ 46 000 $.
À partir de 1929, les incendies d’écoles, les manifestations nudistes des Fils de la liberté et les rapports apparemment cordiaux de Verigin avec ce groupe (en fait, il dénonça leurs gestes et les exclut des terres de la Communauté chrétienne) avaient nourri, dans les milieux extérieurs, la conviction qu’il était à la fois leur leader secret et un provocateur bolchevique. Les enquêtes clandestines et les spéculations de la Gendarmerie royale à cheval du Canada contribuèrent grandement à l’implantation de ces idées au sein des gouvernements conservateurs de Richard Bedford Bennett* à Ottawa, James Thomas Milton Anderson* à Regina et Simon Fraser Tolmie à Victoria. Ils décidèrent de prendre des mesures contre les Fils de la liberté et d’expulser l’homme considéré comme leur chef. En 1931, sous la pression des provinces, le gouvernement fédéral haussa les amendes pour nudité en public, ce qui permit à la Colombie-Britannique le printemps suivant de procéder à des arrestations massives d’adultes doukhobors nus et de leur enlever leurs enfants pour les rééduquer.
Verigin tomba aux mains des autorités gouvernementales en se parjurant dans un litige foncier avec un doukhobor de la Saskatchewan. Il fut inculpé en 1932 et condamné à trois ans de prison. À la fin de janvier 1933, après neuf mois de détention, Ottawa le gracia discrètement, puis deux agents d’immigration l’appréhendèrent à nouveau, avec un mandat d’expulsion. Ils l’emmenèrent de Prince Albert, en Saskatchewan, à Halifax, où on devait le renvoyer en Union soviétique. Cependant, cette tentative et une autre à Winnipeg au début de juin tournèrent court grâce à l’habileté de ses avocats et à l’incompétence des agents d’immigration. On n’ordonna plus son expatriation, car, le même mois, un diplomate soviétique envoya aux autorités canadiennes un message les informant que son pays n’avait pas l’intention de permettre à Verigin de rentrer, et parce que ce dernier obtint le statut de résident permanent du Canada le mois suivant.
Verigin avait évité l’expulsion, mais il n’avait plus de crédibilité auprès des doukhobors canadiens. La CCFU croulait toujours sous les dettes : le nombre de membres était passé de 5 485 en 1928 à 3 103 en 1937, et seuls les deux tiers d’entre eux avaient payé leur cotisation. On évaluait à 437 000 $ les pertes cumulatives entraînées par les incendies volontaires cette année-là. Verigin avait néanmoins réussi à diminuer de plus de la moitié la dette de la communauté de 1,2 million de dollars laissée par son père, sans toutefois satisfaire les créanciers. En 1937, des sociétés hypothécaires procédèrent à des saisies et les indépendants quittèrent la Society of Named Doukhobors. Les Fils de la liberté, qui avaient purgé en grand nombre des peines de prison pour nudité en public et accru leurs rangs à cause de la désaffection des doukhobors de la Communauté chrétienne, suivaient déjà leur propre programme. Verigin avait lui-même reçu trois inculpations, pour voie de fait ou pour ivresse et inconduite.
Peter Petrovich Verigin mourut d’un cancer du foie et de l’estomac à Saskatoon en 1939 ; on l’inhuma près de son père au Verigin Memorial Park de Brilliant. Quelques semaines plus tard, son fils en Union soviétique, Peter Petrovich (connu sous le nom de Iastrebov, c’est-à-dire « le faucon »), fut choisi comme chef. Le petit-fils de Peter Petrovich Verigin père, John J. Verigin*, immigré au Canada en 1928, devint secrétaire de la Union of Spiritual Communities of Christ, qui avait succédé à la CCFU en 1938. La mort du deuxième leader des doukhobors canadiens présageait une hostilité croissante au sein de la communauté, et entre, d’une part, ses éléments plus radicaux et, d’autre part, l’État et les non-doukhobors en Colombie-Britannique.
L’acte de naissance de Peter Petrovich Verigin n’a pu être trouvé. La date de sa naissance varie selon les sources secondaires. Celle du 2 janvier 1881, la plus probable, provient du site Web des doukhobors canadiens : Union of Spiritual Communities of Christ – Doukhobors, « Verigin Memorial Park – Castlegar » : ph.d., Univ. of Toronto, 2011). L’ouvrage Plakun trava contient d’excellentes photos de la riche collection de Tarasoff, conservée aux BCA (PR-0137). A. P. Markova (fille de P. P. Verigin) a écrit, en russe, un article qui fournit un aperçu de la vie de ce dernier et de son époque : « A biography of Peter Petrovitch Verigin-Chistiakov », dans Summarized report : Joint Doukhobor Research Committee symposium meetings, 1974–1982, E. A. Popoff, compil. et trad. ([Castlegar, C.-B., 1997]), 253–265. Le texte de Kathy Morell, « People and places : the life of Peter P. Verigin », Saskatchewan Hist. (Saskatoon), 61 (2009), no 1 : 26-32, est également utile. Pour de l’information sur la vie tumultueuse de Verigin au Canada, on consultera : BAC, RG76-B-1-a, vol. 739, dossier 527744 (Veregin, Peter (the younger), Doukhobor leader), et J. [P. S.] McLaren, « Wrestling spirits : the strange case of Peter Verigin II », Études ethniques au Canada (Calgary), 27 (1995), no 3 : 95-130. La publication de J. C. Yerbury, « The “Sons of Freedom” Doukhobors and the Canadian state », Études ethniques au Canada, 16 (1984), no 2 : 47-70, présente une histoire et une analyse des Fils de la liberté.
Winnipeg Free Press, 11 févr. 1939.— Yorkton Enterprise (Yorkton, Saskatchewan), 20 nov. 1931 ; 2 févr., 10 mai 1932.
En collaboration avec John P. McLaren, « VERIGIN, PETER PETROVICH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/verigin_peter_petrovich_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/verigin_peter_petrovich_16F.html |
Auteur de l'article: | En collaboration avec John P. McLaren |
Titre de l'article: | VERIGIN, PETER PETROVICH |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2022 |
Année de la révision: | 2022 |
Date de consultation: | 21 nov. 2024 |