VÉNIARD DE BOURGMOND, ÉTIENNE DE, officier, coureur de bois, explorateur du Missouri, né en Normandie vers 1675, de Charles de Véniard Du Vergier et de Jacqueline Jean, anobli en 1725, mort en France.

Si d’autres avant lui s’étaient aventurés dans cette région, Bourgmond peut néanmoins être considéré comme le premier explorateur du Missouri, car il en a remonté le cours plus haut que ses prédécesseurs et a consigné ses observations dans deux mémoires détaillés qui permirent d’en dresser la cartographie exacte.

Il passa au Canada vers 1695 et tout porte à croire qu’il y fut déporté. Il sert sans doute d’abord comme soldat, car ce n’est qu’en 1705 qu’il reçoit une expectative d’enseigne. En 1702, il fait partie de l’expédition de Charles Juchereau de Saint-Denys sur l’Ohio. Attaché à la garnison du fort Pontchartrain de Détroit, il en assume en 1706 le commandement, en l’absence d’Antoine Laumet dit de Lamothe Cadillac et d’Alphonse Tonty. Avec une quinzaine de soldats, l’ordre est difficile à maintenir parmi les tribus alliées établies aux alentours, qui se méfient les unes des autres. Lorsque les Outaouais conduits par Le Pesant tombent à l’improviste sur un groupe de Miamis, Bourgmond, qui n’a pas su prévenir l’incident, ferme les portes du fort et fait feu sur les assaillants. Quelques Miamis, 30 Outaouais, un soldat et le récollet Constantin Delhalle périssent dans l’échauffourée. Si Lamothe commence par louer la bravoure du jeune officier, les autorités blâment plutôt sa maladresse. Le récit que le contrôleur Clairambault d’Aigremont a laissé de cette affaire est accablant pour Bourgmond. Mais il fut écrit deux ans plus tard, quand ce dernier n’est plus qu’un déserteur qui ne mérite aucun ménagement. Ce serait vers la fin de 1706 que Bourgmond et le soldat Jolicœur abandonnèrent le service pour vivre dans les bois avec Pichon, dit Larose, et une femme nommée Mme La Chenette ou Mme Techenet [Elizabeth ? Couc*]. La désertion à Détroit est chose courante puisqu’en 1703 on rapportait que le tiers de la garnison avait disparu. Lorsque Larose est ramené au fort et passé en conseil de guerre, en novembre 1707, il essaie, dans une vaine tentative pour sauver sa vie, de mettre tout le blâme sur Bourgmond. Ce dernier, dit-il, cache du castor sur une île du lac Érié et est « prêt à aller aux Anglois pour y demeurer absolument. » Mauvais sujet, cassé de son grade, Bourgmond reste au plus profond des bois pendant les cinq ans qui suivent, vivant probablement dans la région du lac Érié, avec un séjour de 18 mois chez les Mascoutens du bas Ohio pour le commerce des pelleteries.

Ce n’est qu’en 1712 qu’il fait la rencontre des Missouris, sans doute en raccompagnant certains d’entre eux venus au secours de Renaud Dubuisson, menacé à Détroit par les Renards [V. Pemoussa]. Mais il ne s’attarde pas dans leur territoire et descend à Mobile faire part de ses nouvelles connaissances et offrir contre rétribution ses services pour faire des alliances avec les divers peuples du Missouri. La proposition fut acceptée, car on rêvait de contrôler une voie d’accès vers le Nouveau-Mexique et peut-être la mer de l’Ouest et, en outre, de s’approprier des mines réputées fort riches. Bourgmond consacre l’année 1713 à visiter la Louisiane et s’arrête quelque temps aux Illinois, avant d’entreprendre, en mars 1714, l’exploration du Missouri.

Ses apparitions dans les missions des Jésuites entre 1712 et 1714 soulèvent une avalanche de dénonciations. Il mène, écrivent de concert les pères Pierre-Gabriel Marest et Jean-Marie de Villes, l’évêque et M. de Ramezay, une vie non seulement scandaleuse mais criminelle, causant des désordres parmi les Illinois et s’apprêtant à introduire les Anglais dans la région. Si les mœurs très libres du coureur de bois ne peuvent être mises en doute, aucun fait ne vint cependant appuyer l’accusation de trahison, mais la vie déréglée de Bourgmond suffisait à exciter la colère des missionnaires qui tenaient avant tout à protéger la moralité des Illinois. Le ministre de la Marine contenta les plaignants en donnant à Lamothe des ordres secrets pour le faire arrêter, mais il ne semble pas que le gouverneur de la Louisiane en ait pressé l’exécution.

De cette exploration de 1714 qui le conduit au confluent du Missouri et de la rivière Cheyenne, Bourgmond a laissé deux mémoires. Le premier contient des données topographiques depuis l’embouchure jusqu’à la rivière Platte. Le second le complète par des observations géographiques et ethnographiques, jusqu’au territoire des Aricaras. Après avoir transmis ses mémoires, Bourgmond demeure encore quatre ans dans la région, puis redescend à la Louisiane au moment de la guerre contre les Espagnols à laquelle il participe. Le Moyne* de Bienville a demandé pour lui la croix de Saint-Louis et le conseil veut le renvoyer au Missouri y pacifier les diverses tribus. Mais Bourgmond, à qui la compagnie doit encore 4 279#, préfère s’embarquer pour la France avec son fils né au Missouri vers 1714.

Cependant il apparaît de plus en plus urgent de consolider les positions françaises à l’ouest du Mississipi, que l’on croit menacées par les Espagnols à la suite de la malheureuse expédition de Pedro de Villazur. On veut surtout mettre fin à la guerre permanente qui sévit entre les Padoucas (Comanches), qui gardent l’entrée du Nouveau-Mexique, et les autres tribus que Bourgmond a gagnées à la France, car il est impossible de conclure une alliance avec les premiers sans s’aliéner ces dernières. Après l’échec de Dutisné, Bourgmond est jugé seul capable de mener cette entreprise à bien. Dès son arrivée en France, on lui accorde une commission de capitaine avec le titre de commandant du Missouri et la croix de Saint-Louis. Le 17 janvier 1722, il reçoit un mandat de la Compagnie des Indes pour créer un poste fortifié sur le Missouri d’où l’on pourra lier commerce avec les Espagnols, mettre fin à la guerre des tribus contre les Padoucas et, au terme de sa mission, emmener quelques Indiens en France pour leur faire connaître la puissance du roi et ranimer l’intérêt du public pour les entreprises de la Louisiane. Si toutes ces conditions sont remplies dans le terme de deux ans, il sera autorisé à vivre en France, où il vient de contracter mariage, et recevra les lettres d’anoblissement qu’il sollicite.

Bien des délais et tracasseries marqueront cette seconde expédition. Bourgmond et sa compagnie n’arrivent qu’en novembre chez les Missouris, juste à temps pour empêcher les Otos et les Aiouez de conclure une alliance avec les Renards. En dépit de la maladie et de l’insubordination de ses lieutenants, il réussit à faire ériger le fort d’Orléans à quelque 450 kilomètres de l’embouchure du fleuve, face au village des Missouris. Malgré les tergiversations des officiers de la colonie, qui jugent maintenant l’entreprise chimérique et coûteuse, Bourgmond, enfin ravitaillé, entreprend le voyage de pacification. Partout acclamé comme un chef, il rallie Missouris, Otos, Osages, Paris, Aiouez et Kansas, qui à sa suite viennent offrir la paix aux Padoucas, renonçant ainsi à un fructueux commerce d’esclaves. L’ingénieur La Renaudière prend part à cette expédition triomphale et serait l’auteur de la relation qui en a été conservée. Il note que l’enfant que Bourgmond a ramené de France partage tous les honneurs décernés à son père et que c’est grâce à son retour définitif parmi les siens que le conseil des nations, réuni au fort d’Orléans le 5 octobre 1724, rassuré sur les risques du voyage au-delà des mers, accepte d’y envoyer dix délégués.

Ils gagnent la Nouvelle-Orléans avec Bourgmond mais là, par mesure d’économie, la députation est réduite à quatre personnes, soit les chefs missouri, osage et oto : Menspéré, Boganientim et Aguiguida, et la fille d’un chef missouri, Ignon Ouaconisen, avec son esclave nommé Pilate. L’Illinois Chicagou, chef du village des Metchigamias, passe en même temps en France mais, seul chrétien du groupe, il est sous la conduite du père de Beaubois*, qui le tient autant que possible à l’écart des Indiens de Bourgmond et lui procure quelques audiences particulières.

D’abord embarqués sur la Bellone qui coule en sortant de la rade et malgré la frayeur que cet accident leur cause, les délégués reprennent la traversée et arrivent à Paris le 20 septembre 1725 pour être aussitôt reçus au siège de la Compagnie des Indes, avec Bourgmond qui leur servira d’interprète tout au long de leur séjour. Une seconde audience plus solennelle a lieu le 8 novembre à l’occasion d’une assemblée des directeurs. Charles-Gaspard Dodun, le contrôleur général, répond à la harangue des Trois-Nations et de l’Illinois et leur fait distribuer du tabac, des costumes indiens et de somptueux costumes français. Le 22 novembre, ils sont accueillis à Fontainebleau par le duc de Bourbon, qui les présente à la cour et les introduit dans le cabinet du roi le surlendemain. « Nos terres sont à toi, déclare le porte-parole des Trois Nations, plantes-y des Français, protège-nous et donne-nous des collets blancs chefs de prières pour nous instruire. » Après quoi chacun se dépouille de ses insignes de chef et dépose plumes, arcs et carquois aux pieds du monarque. Celui-ci interroge longuement Bourgmond et le jésuite sur les mœurs et la religion des Indiens et fait remettre à chaque délégué une médaille d’or, une montre, des armes et un tableau peint pour la circonstance représentant la scène de cette audience. Avant de regagner Port-Louis, les Indiens ont encore l’honneur d’accompagner le roi à la chasse.

Pendant ce séjour de deux mois, ils visitèrent en outre toutes les curiosités de la capitale ; on fit jouer pour eux les eaux de Versailles et de Marly ; deux chefs, au théâtre des Italiens, donnèrent un spectacle de danses qui fut jugé assez déconcertant. Jamais la ville et la cour n’avaient accueilli des Indiens avec autant de faste mais tout ce déploiement eut peu de suites. Un an après le retour des délégués dans leur pays, le fort d’Orléans fut évacué et abandonné à quelques traitants canadiens.

Ayant renoncé au nouveau monde et à l’aventure, anobli par lettres de décembre 1725, Bourgmond doit encore réclamer 3 000# d’appointements et le remboursement de ses déboursés pour procurer aux Indiens, pendant leur séjour à la Nouvelle-Orléans et durant la traversée, les rations de pain et de viande que le conseil de la colonie avait refusé de leur distribuer. « Il ne reste à Paris, écrit-il, que pour attendre que vous lui rendiez la justice qui luy est due. » On ignore si la Compagnie des Indes la lui rendit car, ensuite, Bourgmond ne laisse plus de traces, tandis que le fort d’Orléans et la paix précaire qui furent son œuvre eurent tôt fait d’être également oubliés.

Louise Dechêne

Véniard de Bourgmond, Routte qu’il faut tenir pour monter la rivière du Missoury, AN, Marine, 3JJ, 201 [publié par Marc de Villiers Du Terrage, La découverte du Missouri et lhistoire du fort dOrléans (1673–1728) (Paris, 1925), 46–59] ; L’Exacte Description de la Louisianne, de ses ports, terres et rivières, et noms des nations sauvages qui l’occupent, et des commerces et avantages que l’on en peut tirer dans l’établissement d’une colonie, AN, Col., C13C, 1, ff.346–356 [publié par Marcel Giraud, Revue historique, CCXVII (1957) : 29–41].— AN, Col., B, 36, 37 ; Col., C11A 21, 29, 34, 35 ; Col., C11E, 14, 15 ; Col., C13A, 5, 9 ; Col., C13C, 1, 4— Col., D2C, 49, 51, 222 ; Col., E, 48 (dossier de Bourgmond) ; Col., F3, 2.— BN, mss, Cabinet des titres, P.O. 2 959 (lettres d’anoblissement) [ce document est reproduit dans BRH, XXIV (1918) : 254–256] ; mss, NAF 2 551, ff.81–82 ; 9 304 (Margry).— SHA, A1, 2 592.

Charlevoix, Histoire de la N.-F.— Découvertes et établissements des Français (Margry), VI.— [Le Mascrier], Mémoires historiques sur la Louisiane [...] com,posés sur les mémoires de MDumont par M.L.L.M. (2 vol., Paris, 1753).— Mercure de France (Paris), décembre 1725.— Le Jeune, Dictionnaire.— Giraud, Histoire de la Louisiane française, I, II, III.

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Louise Dechêne, « VÉNIARD DE BOURGMOND, ÉTIENNE DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/veniard_de_bourgmond_etienne_de_2F.html.

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Auteur de l'article:    Louise Dechêne
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    20 nov. 2024