TRUDEAU, ROMUALD (baptisé Denys-Romuald), pharmacien, marchand au détail, auteur et homme politique, né à Montréal le 7 février 1802, fils de François Trudeau et de Marguerite Weilbrenner ; le 21 mai 1833, il épousa au même endroit Aurélie Paul, institutrice ; décédé dans sa ville natale le 14 janvier 1888.

Romuald Trudeau appartient à une famille de la petite bourgeoisie, besogneuse et sans argent, considérée en raison de son niveau d’instruction comme de sa mentalité au-dessus des artisans des villes et des paysans des campagnes. Son père est un petit marchand de Montréal spécialisé dans la vente de « marchandises sèches » et de fourrures. Démuni de capitaux au départ et graduellement assujetti à ses créanciers, il doit liquider son commerce au début de l’année 1824.

Nous savons peu de chose de l’enfance de Romuald Trudeau. Dans ses écrits, il n’y a aucune évocation importante de son quartier, de son univers familial et de ses amis. Une chose est certaine : il est élevé dans un milieu nationaliste. Sa famille fréquente notamment celle de Louis-Joseph Papineau*. À quelques reprises, il arrive même à son père d’afficher ses sympathies à la cause du parti canadien. Ce climat nationaliste qui règne dans la famille n’est sûrement pas de nature à fouetter le loyalisme du jeune Romuald envers le gouvernement britannique. Quant à ses études, nous savons qu’il suit d’abord les classes préparatoires au petit séminaire de Montréal et qu’il entreprend, en 1812, des études classiques à la même institution. Étudiant consciencieux, il remporte, durant son année de rhétorique, le prix d’excellence et celui d’amplification française. Formé dans un milieu gallican, il est fort probable qu’il y ait puisé certaines idées qui l’influenceront durant les années à venir.

Ayant complété ses études en 1820, le jeune Trudeau se trouve devant un choix de carrière relativement limité : la prêtrise, le commerce au détail comme son père ou les professions libérales. Il opte pour la médecine et, pendant deux ans, s’y initie chez le docteur René-Joseph Kimber qui, lui aussi, est bien connu pour ses idées nationalistes. Jeune débutant dans un cabinet de médecine, Romuald est témoin de luttes rivales et partisanes au sein de la colonie. L’esprit autocratique du gouverneur, le comte de Dalhousie [Ramsay*], et des conseils sous sa tutelle, les nombreux combats menés par la chambre d’Assemblée à propos des subsides, la question du partage des revenus douaniers entre le Haut et le Bas-Canada, l’âpre et difficile querelle pour l’érection du diocèse de Montréal, voilà autant de questions qui sont vivement débattues dans l’enceinte de la ville. En 1822, l’union des deux Canadas, réclamée par les marchands britanniques, rend encore le climat plus tendu et soulève un tollé à travers tout le Bas-Canada. Trudeau termine, la même année, son stage de médecine dans cette atmosphère surchauffée. Sûrement marqué par ces événements, il entreprend d’écrire son journal personnel. Il l’intitule : « Mes tablettes ». Les premières inscriptions datent de 1820 et vont se succéder jusqu’en 1845. En somme, ce journal, qui relate surtout la trame politique entourant les rébellions de 1837 et 1838, et parfois l’actualité économique ou scientifique, nous fait pénétrer en plein cœur d’une époque troublée.

La pharmacie s’annonçant pleine de promesses, Trudeau choisit définitivement cette profession et passe son examen le 5 novembre 1823 ; quelques jours plus tard, il reçoit sa commission du gouverneur. Le 21 novembre, il achète « toute l’apothicairerie [...] du docteur R. J. Kimber à raison de £900 », ce qui lui permet d’ouvrir, à Montréal le mois suivant, une petite boutique dans une maison louée près du Custom House Square, au même endroit où son père tient commerce. Le 23 janvier 1824, au cours d’une expérience de chimie, il est victime d’un terrible accident : son visage est brûlé et ses yeux passablement endommagés. C’est gisant au lit qu’il passe son premier testament. Sans ressource, il n’a en sa possession qu’un paquet de vieilles hardes qu’il lègue à son frère Eugène. Une fois rétabli, il poursuit son travail d’apothicaire. Informé de la venue de touristes à Montréal, il s’empresse de mettre sur pied, dans sa boutique, un petit commerce d’artisanat amérindien. Il fait insérer dans la Minerve une annonce qui met en valeur l’efficacité de ses médicaments et l’originalité de ses pièces d’artisanat.

Petit bourgeois lui-même, par son origine, sa profession et son mariage, Trudeau s’identifie à un milieu social sensibilisé aux luttes nationales. Du reste, la crise agricole, l’inaccessibilité des terres dans les campagnes, le recul dramatique des francophones dans les villes au profit des anglophones, l’épidémie de choléra de 1832 à 1834 accentuent cette animosité nationale et favorisent la participation des masses à l’agitation politique. Après le rejet des Quatre-vingt-douze Résolutions par l’Angleterre en 1834, Trudeau perd confiance en la métropole et s’oriente de plus en plus vers des objectifs indépendantistes. Durant les insurrections patriotes, son rôle demeure néanmoins modeste et sans éclat. En fait, Trudeau ne s’engage dans aucune organisation révolutionnaire et se contente d’apporter une aide tangible à certains insurgés en détresse. Sans doute craint-il à cette époque de troubler sa femme enceinte qui a déjà fait deux fausses couches. C’est d’ailleurs en 1838 que naîtra Lactance, leur seul enfant à survivre.

Après la répression du mouvement des Patriotes et l’abdication des principaux leaders, Trudeau suit l’évolution de la conjoncture politique. Opposé d’abord à l’Acte d’Union, il se rallie par la suite à la politique réformiste de Louis-Hippolyte La Fontaine* et aux prétentions d’hégémonie idéologique du clergé. En 1845, Romuald achète une maison en pierre de trois étages, sise au coin des rues Saint-Paul et Saint-Jean-Baptiste, où il installe sa boutique. Vingt ans de patience et d’économies, passés derrière un comptoir d’apothicaire, finissent par porter leurs fruits. Il se lance alors dans l’achat d’une terre et prête de l’argent à un taux de 8 p. cent. Les sommes qu’il investit sont quand même relativement faibles et totalisent à peine £500 (environ $2 000). Il continue également à agrandir son entreprise en y ajoutant un petit commerce d’objets religieux et d’ornements sacerdotaux. Au milieu du siècle, Trudeau est un pharmacien bien en vue, bénéficiant d’une certaine aisance qui lui permet de s’intégrer au sein de la bourgeoisie montréalaise. Ce petit marchand, à l’origine sans capitaux, est nommé conseiller municipal en 1852 puis est élu échevin, poste qu’il occupe de 1853 à 1856. En 1861, il gravit un autre échelon en accédant à la présidence de l’Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Entre-temps, il participe à de nombreux comités politiques et signe plusieurs pétitions qui le mettent en évidence. En 1864, il forme un comité, avec des libéraux et des conservateurs mécontents, dans le but de s’opposer au projet de confédération. Préoccupé par le développement d’institutions canadiennes-françaises sur le plan économique, il participe à la fondation de la Banque du peuple en 1843, de la Compagnie du chemin de fer et de la navigation du Saint-Maurice en 1857, de la Société de colonisation du Bas-Canada en 1861 et, la même année, de la Banque Jacques-Cartier dont il sera président de 1869 à 1875. Tout cela lui assure une certaine notabilité et lui procure un certain prestige.

Trudeau ne s’arrête pas là. En se rapprochant des communautés religieuses et du clergé, il suit une autre filière d’ascension sociale. Déjà en 1843, il gagne la bienveillance des Sœurs de la Charité de la Providence (Sœurs de la Providence) en leur fournissant gratuitement des médicaments. Avec son commerce d’ornements sacerdotaux et d’objets religieux, il réussit également à entretenir des relations étroites avec les sulpiciens et s’assure de leur collaboration. À maintes reprises, les cahiers de délibérations des marguilliers de la paroisse Notre-Dame de Montréal montrent comment ce petit bourgeois a gagné leur confiance. De 1848 à 1851, il remplit les fonctions de marguillier de la paroisse et, en 1852, il est chargé de la reddition des comptes pour l’année précédente. À titre d’ancien marguillier, on lui confie plusieurs autres responsabilités au sein de l’administration paroissiale. Son opposition ouverte au groupe des « rouges » lui vaut la confiance de Mgr Ignace Bourget, évêque de Montréal, qui le nomme, en 1858, trésorier de l’Institut canadien-français de Montréal. Une seule ombre au tableau : la mort de sa femme le 27 mars 1866.

Après 1870, ce bel élan va se briser par suite de l’industrialisation et de l’urbanisation rapides de Montréal. En effet, ces changements produisent non seulement une forte concurrence chez les petits commerçants mais incitent aussi plusieurs notables de la vieille ville à se déplacer vers les quartiers huppés des rues Sainte-Catherine et Sherbrooke. À ce moment, Trudeau aurait dû s’installer dans la rue Notre-Dame, là où se concentrait de plus en plus l’activité commerciale. Mais, attaché à son milieu et ayant prospéré dans le « vieux Montréal », il préfère rester fidèle à son quartier, même si la clientèle se fait de plus en plus rare. La crise financière de 1873 vient compromettre encore davantage ses chances de réussite et celles de son fils Lactance entré depuis peu en affaires. Pour le couvrir, Romuald est forcé d’hypothéquer sa maison de $4 800 à la Banque Jacques-Cartier. En 1878, Lactance déclare quand même faillite et doit alors se résigner à la condition de travailleur salarié. Son décès, survenu le 24 janvier 1882, assombrit encore davantage la vieillesse de Romuald. Abandonné par sa bru, presque aveugle, il parvient à assurer, avec beaucoup de peine, sa subsistance. Misérable, il s’éteint le 14 janvier 1888. Son dernier testament, rédigé le 18 octobre 1886, reflète une détresse profonde. Sa maison se trouvant rongée par l’hypothèque de $4 800 et les intérêts non payés depuis dix ans, il laisse un passif de $1 207,40. Dans ces conditions, tous les héritiers renoncent à leurs droits sur la succession. Triste destinée que celle de Romuald Trudeau. Son petit-fils n’a guère un sort plus enviable. Il s’engage d’abord à titre de commis chez un petit marchand au détail puis termine sa carrière comme voyageur de commerce.

Richard Chabot

Le journal de Romuald Trudeau, « Mes tablettes », est conservé aux ANQ-M (M-72-141) ; ce manuscrit, qui relate divers événements de la vie montréalaise de 1820 à 1848, est également disponible, sous forme de copies dactylographiées, aux ANQ-Q et à la Bibliothèque de la ville de Montréal.  [r. c.]

AC, Montréal, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Montréal, 24 janv. 1882 ; Minutiers, J.-L. Coutlée, 31 déc. 1888 ; J.-A.-O. Labadie, 18 oct. 1886, 29 mars 1888 ; Valmore Lamarche, 17 oct. 1888, 20 févr. 1889.— ANQ-M, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Montréal, 7 févr. 1802, 21 mai 1833, 19 sept. 1838 ; Minutiers, Thomas Bédouin, 25 janv., 13 févr. 1824 ; Joseph Belle, 27 sept. 1845, 8 juin 1848 ; Narcisse Bourbonnière-Gaudry, 8 mars 1858, 26 oct. 1860 ; Théodore Doucet, 8 janv. 1870, 28 janv. 1876 ; Z.-J. Truteau, 19 mai 1833.— AP, Notre-Dame de Montréal, Reg. des délibérations du conseil de la fabrique, 1834–1877.— APC, MG 24, B2 ; B22 ; L3.— AVM, Doc. administratifs, Rôles d’évaluation, 1847–1888.— La Minerve, 8 oct. 1829, 4, 7 janv. 1830, 6 juin 1861.— Montreal directory, 1843–1888.— Rumilly, Hist. de Montréal, II.— F.-J. Audet, « 1842 », Cahiers des Dix, 7 (1942) : 215–254 ; « Toussaint Trudeau, 1826–1893 », BRH, 47 (1941) : 182–186.— L.-P. Desrosiers, « Mes tablettes », Cahiers des Dix, 12 (1947) : 75–92.

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Richard Chabot, « TRUDEAU, ROMUALD (baptisé Denys-Romuald) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/trudeau_romuald_11F.html.

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Auteur de l'article:    Richard Chabot
Titre de l'article:    TRUDEAU, ROMUALD (baptisé Denys-Romuald)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
Date de consultation:    20 déc. 2024