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SUGRUE, JAMES LEONARD, charpentier, organisateur syndical, chef syndical et fonctionnaire, né le 1er septembre 1883 à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, fils de James Robert Sugrue et de Mary Josephine Driscoll ; le 10 juin 1908, il épousa dans cette ville Estella Sophia Newman, et ils eurent un fils ; décédé le 24 juin 1930 au même endroit.
James Leonard Sugrue grandit dans le milieu ouvrier irlandais de l’extrémité ouest de Saint-Jean. Sa mère était fille d’immigrants du comté de Cork (république d’Irlande) ; en 1877, elle épousa un immigrant de Kerry, James Robert Sugrue. Instituteur depuis les années 1860, celui-ci enseigna pendant plusieurs décennies à la St Malachi’s School. C’était un « homme gentil aux grands idéaux et à la vie exemplaire » qui « avait le don de transmettre le savoir et d’apprendre à ses garçons à étudier et à progresser ». Les Sugrue avaient quatre filles, dont l’une devint institutrice et une autre, sténographe et teneuse de livres, ainsi que deux fils, ouvriers du bâtiment à Saint-Jean.
Jeune travailleur dans les premières années du siècle, Sugrue habitait le foyer familial, alors situé à l’extrémité sud de la ville. Il épousa Estella Sophia Newman en 1908 ; le couple résiderait toujours à Saint-Jean. Le frère aîné de Sugrue, John, devint à la même époque membre de la direction de la section locale du Bricklayers’ and Masons’ Union, et James Leonard lui-même commença à se distinguer parmi les charpentiers. La tradition syndicale remontait loin au xixe siècle chez les charpentiers de Saint-Jean, mais en octobre 1901 ils s’étaient affiliés à l’American Federation of Labor, où ils formaient la section locale 919 de la United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America. En 1910, Sugrue devint secrétaire financier (et, en 1913, agent d’affaires syndical) de cette section locale ainsi que secrétaire-trésorier du nouveau Building Trades Council. Avant l’âge de 30 ans, il avait aussi été élu à la présidence du Saint John Trades and Labor Council. Deux ans plus tard, en 1914, « Jimmie » Sugrue se présenta sous la bannière travailliste à un poste de commissaire municipal et récolta un pourcentage beaucoup plus élevé du vote ouvrier que les candidats des élections précédentes.
L’ascension de Sugrue dans le mouvement ouvrier de Saint-Jean coïncida avec une intensification du militantisme local. Les charpentiers obtinrent en 1911 un salaire quotidien de 3 $ et, en 1913, ils furent les premiers ouvriers de ce métier dans les Maritimes à avoir la journée de huit heures. Toujours en 1913, on présenta à la fête du Travail « le défilé syndical le plus réussi depuis des années ». Cependant, étendre la syndicalisation se révélait difficile. Un lock-out frappa plus de 1 000 employés des scieries de la ville de juin à septembre 1913 et se termina sans augmentation de salaire ni reconnaissance syndicale. L’année suivante, ce fut au tour des travailleurs des tramways d’affronter des employeurs opposés à la syndicalisation. En vertu de l’Industrial Disputes Investigation Act de 1907, ils obtinrent la nomination d’une commission de conciliation. Sugrue, choisi par eux comme représentant, réussit à persuader la commission de recommander la reconnaissance du syndicat et la réintégration de son président, Fred Ramsey, qui avait été congédié. Vu le refus de la compagnie, les travailleurs déclenchèrent la grève en juillet 1914 et interrompirent le transport public durant deux jours. Le conflit se régla seulement après que des milliers de personnes eurent manifesté dans les rues en leur faveur, que des tramways eurent été renversés et que l’on s’en fut pris aux installations électriques. Pour Sugrue, de tels événements montraient que, dans un grand centre industriel comme Saint-Jean, tout le monde avait à cœur la cause des ouvriers. « À long terme, avait-il expliqué en 1912, nous espérons améliorer les conditions ici à tel point que les gens ne s’en iront pas dans l’Ouest pour trouver de meilleurs salaires et des journées de travail moins longues. » En même temps, il n’hésitait pas à demander une aide plus soutenue de la part des syndicats internationaux et rappelait aux organisateurs : « Montréal n’est pas l’extrémité est du Canada, en dépit de ce que semblent croire certains membres du conseil de direction [de nos syndicats] internationaux. » Dès 1914, Sugrue parvenait à convaincre le Congrès des métiers et du travail du Canada de tenir son assemblée annuelle au Nouveau-Brunswick, ce qui était une première.
Sugrue fit œuvre durable notamment en prenant part à la mise sur pied d’une fédération provinciale de travailleurs. Au moment où cette fédération naquit, seules la Colombie-Britannique et l’Alberta avaient des organisations de ce genre, depuis 1910 et 1912 respectivement. Sous l’impulsion du Saint John Trades and Labor Council eut lieu en septembre 1912 une assemblée préliminaire (à laquelle Sugrue n’assista pas), mais il fallut une rencontre plus représentative – qui se tint un an plus tard et réunit des délégués de Saint-Jean, de Moncton, de Fredericton et de Sackville – pour que l’avenir de l’organisme soit assuré. Entre-temps, Sugrue, comme d’autres, entretint l’idée. Particulièrement déçu en 1913 par le Fair Wage Schedule Act, pour lequel il avait exercé des pressions au nom du conseil, il exprima, dans les pages de l’Eastern Labor News, l’opinion que les travailleurs pourraient influencer plus efficacement le législateur par l’entremise d’une fédération provinciale. À l’assemblée de fondation du 16 septembre 1913, il fut élu à la présidence de la nouvelle fédération ; lui-même et deux autres délégués reçurent le mandat de rédiger une constitution et de demander une charte au Congrès des métiers et du travail du Canada. La première assemblée plénière de la New Brunswick Federation of Labor eut lieu à Saint-Jean le 20 janvier 1914 et réunit une cinquantaine de délégués. Sugrue fut élu président, Frank Lister, de Fredericton, vice-président et Percy Douglas Ayer, de Moncton, secrétaire-trésorier. Moins d’un an plus tard, la fédération rapportait avoir 26 syndicats affiliés totalisant 3 000 travailleurs.
La fédération, dont Sugrue était le délégué en matière législative, poursuivait bon nombre d’objectifs à Fredericton, notamment le suffrage féminin. De plus en plus, l’attention se portait sur les lois d’indemnisation pour les accidents du travail, sujet de grande préoccupation pour les employés syndiqués des docks et chemins de fer de Saint-Jean et Moncton. Le Workmen’s Compensation for Injuries Act de 1903 imposait aux travailleurs d’aller en cour pour que soit établie la responsabilité des employeurs dans les accidents du travail et fixait le maximum des indemnités à 1 500 $. Bien que, en 1908, des candidats soutenus par les travailleurs, notamment Warren Franklin Hatheway, aient été élus, les modifications ne correspondirent pas aux attentes. Des lois plus progressistes adoptées par l’Ontario en 1914 – et par trois autres provinces en 1915 et en 1916 – instaurèrent des programmes d’assurance sans égard à la responsabilité, régis par l’État, financés par des cotisations obligatoires prélevées sur la masse salariale et dont une commission d’indemnisation administrait les prestations. Sugrue fit pression sur des hommes politiques du Nouveau-Brunswick pour une loi du même genre. En 1917, lui-même et Frederick W. Daley, du syndicat des débardeurs, furent nommés (par un gouvernement conservateur) à une commission royale d’enquête qui tint des audiences dans toute la province et se prononça en faveur d’une nouvelle loi sur l’indemnisation des accidentés du travail. Lorsque le projet de loi fut présenté (par un gouvernement libéral), les syndicats firent front commun pour contrer l’opposition des employeurs. Adopté en 1918, le Workmen’s Compensation Act fut considéré comme une loi progressiste et exemplaire à l’époque, même s’il ne s’appliquait pas aux fermiers, aux pêcheurs, aux domestiques ni aux travailleurs forestiers et même si les prestations, dans tous les cas, se limitaient à un maximum de 3 500 $. Sugrue accepta un poste rémunéré à titre de membre de la commission d’indemnisation (il y avait deux autres commissaires). En 1919, c’est-à-dire dans sa première année d’existence, la commission étudia 1 733 plaintes et approuva des indemnités et pensions dont le total dépassait 100 000 $. Ces chiffres augmenteraient beaucoup dans les dix années suivantes. Sugrue appartint à la commission jusqu’à son décès, en 1930 ; il avait alors 46 ans. Une crise cardiaque, semble-t-il, l’avait forcé à réduire ses activités dans les deux dernières années de sa vie. Sa veuve, qui avait été nommée en 1923 à une commission d’enquête sur les pensions destinées aux mères et sur le salaire minimum, lui survécut 40 ans.
À la fois pour le mouvement syndical et pour la société néo-brunswickoise, la mort prématurée de James Leonard Sugrue représentait une lourde perte. Il était, dit-on, « non seulement un cadre compétent mais aussi un excellent orateur et un homme d’idées » ; on évoqua également son « amabilité ». À la mémoire de celui qui, rappelèrent des travailleurs de Saint-Jean, récitait parfois des morceaux sur de la musique aux réunions syndicales, il y eut une rencontre ouvrière avec divers numéros musicaux. Citoyen respectable, fit-on remarquer, Sugrue avait fait partie des Chevaliers de Colomb et de la Children’s Aid Society, et contribué à d’autres œuvres de bienfaisance. Le New Freeman lui rendit hommage en parlant d’« un homme qui avait généreusement donné de son temps à tous les mouvements voués à l’amélioration de la collectivité ». Dans une ville où la tradition syndicale remontait loin au xixe siècle, Sugrue promut la syndicalisation de nouveaux groupes de travailleurs et la collaboration à la défense de causes communes. Tout en encourageant la transition entre la loyauté au corps de métier et des formes plus larges de solidarité ouvrière, il continua de soutenir le Congrès des métiers et du travail du Canada et l’American Federation of Labor. Ce chef syndical qui devint l’un des premiers fonctionnaires du travail au Nouveau-Brunswick était un pragmatique : selon lui, pour faire sentir leur poids, les travailleurs devaient se mobiliser à l’intérieur des structures politiques et économiques existantes. Sa réussite atteste la présence d’un courant progressiste dans l’histoire politique des Maritimes. En favorisant la reconnaissance syndicale et la mise en œuvre de réformes, Sugrue aida les ouvriers et l’ensemble de la société du Nouveau-Brunswick à établir le régime de syndicalisme et de législation sociale qui caractériserait le xxe siècle.
L’auteur aimerait remercier le professeur Robert H. Babcock qui a bien voulu partager des références bibliographiques tirées de ses recherches sur l’histoire du travail et des travailleurs à Saint-Jean. [d. f.]
APNB, RS6 ; RS141C5, F18983, no 080270 ; RS260/D.— Arch. of the Diocese of Saint John (Saint-Jean), RBMS.— Eastern Labor News (Moncton, N. B.), 1909–1913.— Evening Times-Globe (Saint-Jean), 24, 26 juin 1930, 24 janv. 1931.— New Freeman (Saint-Jean), 28 juin 1930, 31 janv. 1931.— St. John Standard (Saint-Jean), 29–30 mars, 5 avril 1912, 2 sept. 1913, 21 janv., 15 avril 1914.— Telegraph-Journal (Saint-Jean), 25, 27 juin 1930.— R. H. Babcock, « Blood on the factory floor : the workers’ compensation movement in Canada and the United States », dans Social welfare policy in Canada : historical readings, R. B. Blake et Jeff Keshen, édit. (Toronto, 1995), 107–121 ; « Saint John longshoremen during the rise of Canada’s winter port, 1895–1922 », le Travail (St John’s), 25 (1990) : 15–46 ; « The Saint John street railwaymen’s strike and riot, 1914 », Acadiensis (Fredericton), 11 (1981–1982), no 2 : 3–27.— Congrès des métiers et du travail du Canada, Rapport des délibérations de la convention annuelle (Montréal), 18 (1902)–34 (1918).— La Gazette du travail (Ottawa), 1 (1900–1901)–30 (1930).— Ian McKay, « Strikes in the Maritimes, 1901–1914 », dans Labour and working-class history in Atlantic Canada : a reader, David Frank et G. S. Kealey, édit. (St John’s, 1995), 190–232.— G. R. Melvin, History of New Brunswick Federation of Labour, 1914–1933 (s.l. n.d.).— N. B., Acts, 1903–1930 ; Commission des accidents du travail, Annual report (Saint-Jean), 1919–1930.— « Obituary », Canadian Congress Journal (Ottawa), 9 (1930), no 7 : 29.— Report of proceedings at a conference concerning Workmen’s Compensation Act, held at St. John on Thursday and Friday 10th and 11th January, 1924 (s.l., 1924).— W. Y. Smith, « Axis of administration : Saint John reformers and bureaucratic centralization in New Brunswick, 1911–1925 » (mémoire de m.a., Univ. of New Brunswick, Fredericton, 1984).
David Frank, « SUGRUE, JAMES LEONARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/sugrue_james_leonard_15F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/sugrue_james_leonard_15F.html |
Auteur de l'article: | David Frank |
Titre de l'article: | SUGRUE, JAMES LEONARD |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 22 déc. 2024 |