SHARPE, THOMAS, maçon, entrepreneur et homme politique, né le 14 mars 1866 dans le comté de Sligo (république d’Irlande), fils de Mitchell William Sharpe et de Jane Johnston ; le 24 mai 1888, il épousa à Toronto Mary Jane Cathcart (décédée en 1922), et ils eurent au moins trois fils et quatre filles ; décédé le 10 mai 1929 en se rendant de Winnipeg à Lac du Bonnet, Manitoba.

À l’âge de 14 ans, Thomas Sharpe quitta l’école pour faire son apprentissage de maçon. À la fin de son engagement, il devint commis à la Provincial Bank of Ireland. En 1885, après un an et demi dans cet établissement, il immigra au Canada et trouva à Toronto un emploi de compagnon dans son premier métier. Deux ans plus tard, il fonda sa propre entreprise, qui prenait des contrats de pavage et de pose de trottoirs. Au début de 1892, il abandonna les affaires. Arrivé peu de temps après à Winnipeg, il y travailla un moment comme manœuvre puis comme briqueteur. Il appuyait son syndicat de métier et, en 1892, il appartint au comité qui l’affilia à l’American Federation of Labor en tant que section locale de la Bricklayers, Masons, and Plasterers’ International Union of North America. En 1896, il redevint entrepreneur. Au début, les seuls travaux que réalisa son entreprise consistaient à poser les premiers trottoirs en ciment de la ville, mais par la suite elle diversifia ses activités en faisant notamment du gros œuvre. Dès 1901, la R. G. Dun and Company estimait qu’accorder du crédit à Sharpe constituait un risque acceptable, car l’actif de son entreprise se situait entre 10 000 $ et 20 000 $. En 1905, Sharpe s’associa à son contremaître, W. W. College, et donna le nom de Sharpe and College à sa compagnie. Portée par la vague de prospérité que connaissait alors Winnipeg, cette dernière prit de l’expansion. En 1911, son actif se situait entre 125 000 $ et 200 000 $ et sa cote de crédit était très bonne.

Sharpe avait dû réorganiser son entreprise non seulement parce qu’il participait à la vie municipale – il fit deux mandats de deux ans à titre d’échevin de 1900 à 1903 et trois mandats d’un an à la mairie de 1904 à 1906 – mais aussi à cause de l’accroissement du volume de ses affaires. Il était entré en politique avec le soutien du plus riche marchand de Winnipeg, James Henry Ashdown, qui l’avait proposé comme candidat à l’échevinage. Réputé pour « sa franchise et sa façon libre » de s’exprimer, il prenait souvent des positions controversées.

D’une part, Sharpe était d’accord pour que la ville de Winnipeg exécute elle-même ses travaux de construction quand cette méthode était plus économique que de procéder par adjudication. Il insistait pour que la ville soit propriétaire des services publics et s’attribuerait le mérite de l’avoir dotée d’une carrière et d’une usine d’asphalte. Il approuvait le règlement de Winnipeg sur le salaire minimum et estimait que la ville devait traiter uniquement avec des employeurs dont la main-d’œuvre était syndiquée. D’autre part, le Voice, journal ouvrier de Winnipeg, l’accusait de se contenter d’accepter les pratiques qu’il ne pouvait pas changer. En fait, croyait le Voice, le fait qu’il défendait le cens électoral à l’échelle municipale révélait de quel côté il penchait vraiment.

Sharpe ne s’engageait pas toujours à fond. Sa réaction aux protestations publiques contre la prostitution qui se firent entendre pendant sa première campagne à la mairie le démontre. En novembre 1903, la Winnipeg Ministerial Association, présidée par Frederic Beal Du Val, se plaignit que la Winnipeg Police Commission tolérait des bordels à l’extrémité ouest de la ville. Sharpe admit que, mis à part le fait qu’il avait persuadé le conseil de prendre le contrôle de la commission lorsque l’association avait soulevé la question pour la première fois deux ans plus tôt, il avait « accordé peu d’attention » à cette affaire. Dès son élection, il pressa la police de fermer les bordels de l’extrémité ouest. Par la suite, d’aucuns soulignèrent que le problème subsistait ailleurs, mais il fit valoir sa contribution à la lutte contre l’immoralité.

De même, Sharpe se mit sur la défensive en 1904 quand le service de santé de la ville rapporta une augmentation des cas de typhoïde et l’attribua aux lacunes des réseaux d’égouts et du mode de ramassage des ordures. Comme Sharpe, qui avait présidé le bureau des Travaux publics, avait fait campagne en rappelant qu’il avait donné de l’expansion aux services d’eau et d’égout, il prit le rapport pour une attaque personnelle. Il commanda des évaluations à deux experts et mena sa propre enquête sur les réseaux sanitaires de grandes villes canadiennes et américaines. Même si les conclusions du service de santé furent confirmées, il put dire qu’il avait fait preuve de leadership en la matière. En 1905, la municipalité modifia sa charte pour pouvoir rendre obligatoires des connexions d’égouts et de conduites d’eau. Dès lors, l’incidence de la typhoïde chuta grâce à l’expansion du service de santé, à l’augmentation des crédits affectés à l’enlèvement des ordures et à une application plus rigoureuse des règlements. Cependant, Sharpe refusa que la ville cherche une nouvelle source d’approvisionnement en eau : les problèmes liés au développement économique, affirmait-il, pressaient davantage. En 1906, ses pressions vigoureuses convainquirent les électeurs d’approuver les crédits nécessaires afin que la ville produise de l’hydroélectricité pour la production manufacturière [V. James Henry Ashdown].

Sharpe était convaincu que les administrations municipales devaient faire preuve d’une plus grande efficacité. Du fait de son appartenance au comité directeur de l’Union des municipalités canadiennes de 1904 à 1906, de sa présence à la conférence de la National Municipal League of the United States en 1905 et de ses visites dans des métropoles nord-américaines, il connaissait les tendances progressistes qui étaient à l’œuvre ailleurs. En 1905, avec l’appui du Bureau de commerce de Winnipeg, il proposa que la ville crée un bureau de contrôle formé de quatre membres à plein temps qui pourraient se consacrer aux affaires municipales « de façon méthodique ». Un règlement fut adopté à cette fin en 1906.

En fin de compte, au nom de l’efficacité, Sharpe en arriva à soutenir plus ouvertement les milieux d’affaires et les propriétaires. À la fin de 1906, lorsque les employés de la Winnipeg Electric Railway Company se mirent en grève, celle-ci embaucha des briseurs de grève et les plaça sous la protection de détectives privés. Des foules de sympathisants bloquèrent les rues et lancèrent des pierres aux tramways. La compagnie pressa Sharpe de faire appel à la milice, ce qu’il fit au deuxième jour du conflit. Il autorisa des miliciens armés de baïonnettes et d’une mitrailleuse à vider la rue Main. On rapporta par la suite qu’il leur avait demandé de tirer au-dessus de la foule, mais le commandant, qui avait plus de sang-froid que lui, ne l’avait pas écouté. À la tête de la municipalité, « Mitrailleuse Gatling Sharpe », comme le surnomma le Voice, avait clairement pris parti pour le capital. Cette attitude préfigurait les événements de la grève générale de Winnipeg en 1919 [V. Mike Sokolowiski*].

Sharpe décida de ne pas se présenter de nouveau à la mairie et retourna dans les affaires à la fin de 1906. Vers 1912, il rompit avec son associé ; dès lors, il administra seul l’entreprise ainsi que diverses propriétés locatives dont il avait fait l’acquisition. Il était toujours membre actif de quelques fraternités ; depuis quelque temps déjà, il appartenait à l’Independent Order of Foresters, à la franc-maçonnerie et à la loge d’Orange, dont il avait été grand maître provincial en 1907–1908. Il fut président de la Winnipeg Conservative Association en 1924.

Thomas Sharpe était entré en politique municipale à un moment charnière de l’histoire de Winnipeg. À cause de la croissance démographique, les services existants ne suffisaient plus et les institutions politiques étaient à peine capables de faire face aux problèmes sociaux. Soutenu dès le début par l’élite des affaires de Winnipeg, il proposa des réformes inspirées des nouveaux courants en matière d’organisation des entreprises. Ses prétentions populistes sonnaient de plus en plus creux à mesure que la municipalité, dans les conflits publics, prenait parti pour le capital contre la main-d’œuvre.

David G. Burley

AO, RG 80-5-0-165, no 13833.— Manitoba Free Press, 6, 12 déc. 1899, 17 nov., 5 déc. 1903, 5 avril 1904, 6, 12 déc. 1905, 11 janv., 30–31 mars, 2 avril, 4–5, 18, 29 juin 1906, 11 mai 1929.— Voice (Winnipeg) 14, 21 juin, 5, 19 juill., 16, 30 août, 27 sept., 18 oct., 29 nov., 6 déc. 1901, 24 oct. 1902, 25 nov. 1904, 17 févr. 1905, 6 avril, 23 juin, 23 nov. 1906.— Winnipeg Telegram, 11 oct. 1901, 27 sept. 1905, 29 juin 1906.— Winnipeg Tribune, 9 oct. 1901, 17 nov. 1903, 11 janv. 1904, 19, 22 juin 1906, 11 mai 1929.— Annuaires, Manitoba et Territoires du Nord-Ouest, 1892, 1893, 1896 ; Winnipeg, 1913, 1917, 1920, 1928.— A. F. J. Artibise, Winnipeg : a social history of urban growth, 1874–1914 (Montréal et Londres, 1975).— D. J. Bercuson, Confrontation at Winnipeg : labour, industrial relations, and the general strike (Montréal et Londres, 1974).— George Bryce, A history of Manitoba ; its resources and people (Toronto et Montréal, 1906).— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— The mercantile agency reference book [...] (Montréal), 1901, 1911.

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David G. Burley, « SHARPE, THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 10 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/sharpe_thomas_15F.html.

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Auteur de l'article:    David G. Burley
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
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