SCOTT, HENRI-THOMAS (baptisé Thomas-Henri), militaire, professeur, pionnier de l’éducation physique, journaliste et marchand général, né le 29 mai 1880 à Alfred, comté de Prescott, Ontario, fils de James Scott, marchand, et de Marie-Louise Lemoyne, et petit-fils de William Henry Scott*, Écossais, patriote de Saint-Eustache, Québec ; décédé célibataire le 31 mai 1926 à l’île du Grand Calumet, Québec.
Selon une notice nécrologique, Henri-Thomas Scott aurait étudié dans des écoles d’Ottawa, de Saint-Jérôme, au Québec, et de Montréal. Vers l’âge de 15 ans, il suit ses premiers cours d’éducation physique. À la fin de son adolescence, son intérêt pour la vie militaire l’amène à s’engager dans le 65e bataillon (fusiliers Mont-Royal) ; il est d’ailleurs considéré comme l’un des fondateurs de son mess d’officiers en 1898. Très tôt, ses supérieurs apprécient ses talents et l’envoient suivre un cours à l’école d’infanterie de Saint-Jean, où il obtient un certificat de première classe comme instructeur d’infanterie. Il est promu sergent-major à son retour. À cette époque, le gouvernement canadien offre un cours spécial d’éducation physique au représentant de chaque district militaire du Canada. Sur les conseils de François-Samuel Mackay, lieutenant-colonel de ce qui est devenu le 65e régiment (carabiniers Mont-Royal), Scott s’inscrit, en 1903, au Royal Military College of Canada de Kingston, en Ontario, comme représentant du district militaire de Montréal. Il y obtient un diplôme de première classe et est aussitôt nommé sergent-major de la 11e brigade d’infanterie au camp de Trois-Rivières.
En janvier 1905, tout en poursuivant sa carrière dans la milice, Scott commence à enseigner l’éducation physique à Montréal, à l’école normale Jacques-Cartier et au collège Sainte-Marie et, probablement la même année, au collège de Saint-Laurent. Il privilégie la méthode suédoise, qui réduit au minimum l’emploi d’appareils. De 1906 à 1908, s’ajoutent les étudiants de la succursale de l’université Laval à Montréal, du petit séminaire de Sainte-Thérèse, du collège de Farnham et du Catholic High School of Montreal, destiné aux Irlandais. C’est toutefois son rôle à la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) qui devait assurer la réputation de Scott. En 1905, cette dernière l’a chargé d’organiser et d’enseigner l’éducation physique. Son arrivée coïncide avec la montée d’un mouvement réformiste à Montréal qui s’inquiète des ravages de la mortalité infantile et de la tuberculose, et qui réclame des parcs, des bains publics, des terrains de jeux, des colonies de vacances et un enseignement plus pratique et mieux adapté à la société industrielle et urbaine. L’émergence d’une pédagogie centrée sur les activités de l’enfant favorise aussi la pratique de l’exercice physique. Scott commence son enseignement le 16 octobre 1905. L’éducation physique demeure toutefois une matière facultative et en marge de l’horaire régulier. Le samedi, Scott donne aux élèves intéressés des leçons au gymnase spécialement aménagé par la CECM à l’académie commerciale catholique de Montréal. Il organise dans plusieurs écoles des sociétés de gymnastique et, à la fin de novembre 1906, il les regroupe dans une Ligue des sociétés de gymnastique interscolaires. En 1908–1909, il est titulaire (professeur et superviseur de l’enseignement donné par des moniteurs) de dix écoles de garçons, dont sept sont dirigées par des laïques et trois par des frères. Il aimerait voir l’éducation physique enseignée dans toutes les écoles et toutes les classes, mais la CECM n’y est pas favorable. À compter de 1911, il semble mettre surtout ses énergies au service d’établissements privés. À la veille de la Première Guerre mondiale, il commande à 2 500 cadets et enseigne ou supervise l’enseignement de l’éducation physique dans près d’une trentaine d’établissements privés ou publics regroupant plus de 4 000 garçons. Il donne aussi des leçons à l’Institut de physiothérapie du docteur Henri Lasnier.
Des membres importants de l’Église catholique de la province de Québec, sensibilisés par l’appui donné à l’éducation physique par le pape Pie X en 1905, cautionnent les initiatives de Scott. Ce dernier reçoit aussi l’encouragement de l’armée, de membres francophones des professions libérales, du commerce et de l’industrie ainsi que d’hommes politiques. L’Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal l’invite plusieurs années de suite avec ses gymnastes à donner des démonstrations à l’occasion des fêtes de la Saint-Jean. L’appui le plus inconditionnel et le plus constant vient toutefois de la Presse, qui publicise largement les activités de ses gymnastes. De plus, le journal charge son chroniqueur de « culture physique », le docteur Joseph-Pierre Gadbois, de promouvoir l’activité physique et publie de nombreux éditoriaux vantant les mérites de la « gymnastique rationnelle » enseignée par Scott. Malgré tout, Scott doit lutter constamment contre l’indifférence, les préjugés, la routine et le conservatisme, en particulier du monde de l’enseignement.
Pour le seconder dans ses tâches administratives et assurer une plus large publicité à ses actions, Scott a fondé la Société nationale de gymnastique en octobre 1905. Cette dernière espère susciter partout au Québec des sociétés de gymnastique, y établir des gymnases et y créer des colonies de vacances ; elle appuie aussi le mouvement en faveur des terrains de jeux. Elle forme des moniteurs qui répandront ses principes et ses méthodes dans les écoles et les collèges. Le soutien qu’elle apporte aux différentes initiatives de Scott contribue largement à leur réussite.
En juin 1907, après le succès du deuxième tournoi annuel de gymnastique scolaire, qui a rassemblé 500 gymnastes au Stadium de Montréal, plus de 70 d’entre eux, venant de sept écoles de la CECM, du petit séminaire de Sainte-Thérèse et du collège de Saint-Laurent, prennent le train pour Québec, où un comité a préparé leur venue. Le 8 juin, les gymnastes donnent une démonstration au manège militaire de Québec, sous la présidence du lieutenant-gouverneur sir Louis-Amable Jetté*, puis le lendemain, devant les étudiants et les dirigeants de l’université Laval. L’événement bénéficie d’une large publicité et joue un rôle déterminant dans l’essor de l’éducation physique à Québec.
Le triomphe des gymnastes de Scott à Rome, en 1908, allait propulser ce dernier au rang de héros. À l’occasion du jubilé sacerdotal de Pie X, la Fédération des associations sportives catholiques italiennes organise un « congrès » international de gymnastique, et la Presse offre d’y envoyer, à ses frais, une équipe des meilleurs élèves de Scott. Dix garçons de plus de 14 ans, la majorité du collège de Saint-Laurent, sont choisis pour participer à l’événement. La Belgique, la France, l’Irlande et l’Italie sont aussi représentées au tournoi, qui est inauguré le 23 septembre, dans les cours du Vatican. Le 26, les Canadiens sont déclarés vainqueurs devant Pie X. Quatre jours plus tard, ils sont reçus en audience privée par le pape, qui les bénit et leur offre deux boîtes de cigares ; cette attention à l’endroit du petit groupe de Montréalais est, avec la victoire, largement commentée par les journaux de la province de Québec. À leur retour, une foule estimée à 25 000 personnes, tant à Québec qu’à Montréal, les acclame. Pendant plusieurs années, on commémorera l’anniversaire de cette victoire.
Le triomphe de Rome incite Scott à créer, en novembre 1908, une école de gymnastique pour les femmes ; il y pensait depuis longtemps, mais sa crainte de heurter certaines sensibilités l’avait fait hésiter. « Le réveil de sympathie » suscité par le succès de Rome a eu raison de ses hésitations. Scott offre aussi des leçons privées à domicile aux dames qui le désirent ; en plus, ces dernières bénéficient d’un enseignement de l’équitation, du tennis et de la raquette. De 1908 à 1913, il travaille également comme journaliste à la Presse.
En 1911, Scott retraverse l’Atlantique avec dix de ses élèves pour prendre part à un « congrès » international de gymnastes catholiques à Nancy, en France, qui réunit plus de 8 000 participants, en majorité des Français. Le 31 juillet, les jeunes Montréalais décrochent le premier prix international et plusieurs médailles, devant une foule de 40 000 personnes. Après cette victoire, Scott et ses gymnastes, invités par des sociétés belges, prennent part, au début d’août, à Diest, à un concours réunissant 3 000 participants. Ils quittent la Belgique avec médailles d’or et diplôme d’honneur. À Londres, le 8 août, ils sont reçus officiellement par lord Strathcona [Smith*], haut-commissaire du Canada. Deux ans plus tard, en septembre 1913, des gymnastes de Scott participent à nouveau à un concours international à Rome, où se trouvent réunis 8 000 athlètes appartenant à 2 000 sociétés de gymnastique. Ils font bonne figure, en se classant au deuxième rang, et reçoivent les félicitations du pape Pie X. Le 30 septembre, ils rentrent à Montréal après avoir visité plusieurs villes d’Europe et donné une démonstration de leur savoir-faire à Gand, en Belgique.
Dans sa campagne pour assurer le développement harmonieux des jeunes Canadiens français, Scott a insisté sur la nécessité de pratiquer des sports. Pour en favoriser l’accès, il a obtenu, à l’hiver de 1906–1907, de la CECM, l’autorisation de construire une vaste patinoire à ciel ouvert sur les terrains de l’académie commerciale catholique de Montréal. Afin de donner aux activités sportives une certaine permanence, il travaille à la mise sur pied de divers clubs. Il s’intéresse aussi vivement à la question des terrains de jeux. Il exhorte les autorités municipales à en créer « dans tous les parcs » comme aux États-Unis et il se dit prêt à former des moniteurs. Membre de la Parks and Playgrounds Association of Montreal [V. Grace Julia Parker*], il propose de convertir les piscines et les marchés publics en gymnases pendant l’hiver. Toujours dans le but d’améliorer le sort des enfants de la métropole, il est le premier francophone à fonder et à diriger, à l’été de 1910, une colonie de vacances à Sault-au-Récollet (Montréal), sur les bords de la rivière des Prairies.
Parallèlement à sa carrière d’éducateur, Scott poursuit son ascension dans la hiérarchie militaire. Vers 1907, il devient lieutenant lorsqu’il passe au 85e régiment (régiment de Maisonneuve). De 1905 à 1914, il a d’ailleurs enseigné l’éducation physique aux hommes de ce régiment ainsi qu’à ceux du 65e. Il passe la Première Guerre mondiale au Canada, comme officier recruteur en chef du 57e bataillon d’infanterie, formé le 28 avril 1915. En un an, quelque 1 800 Canadiens français sont enrôlés dans cette unité. Plusieurs de ces soldats sont des athlètes ou des anciens élèves auxquels Scott a enseigné l’éducation physique. Nommé major en juin 1915, Scott est muté au 206e bataillon d’infanterie le 11 mai 1916 ; cette unité est dissoute quelques mois plus tard. Il s’établit par la suite comme marchand général à l’île du Grand Calumet, dans une propriété achetée avec son frère Maurice en 1916. L’endroit devient rapidement le rendez-vous des pêcheurs et des chasseurs et plusieurs personnalités profitent de son hospitalité.
Le 31 mai 1926, survient le drame. Henri-Thomas Scott, Joseph Boucher de Labroquerie Taché, bibliothécaire en chef au Parlement d’Ottawa, et Paul-Émile Bernier, traducteur au ministère des Postes, partent en excursion de pêche sur la rivière Outaouais. Leur canot chavire, et Bernier et Scott se noient dans les rapides. Le cadavre du major est retrouvé le 4 juin. Ainsi prenait brutalement fin, à 46 ans, la vie de celui que l’on peut considérer comme le père de l’éducation physique chez les francophones du Québec.
La substance de la biographie de Henri-Thomas Scott est tirée des journaux, particulièrement de la Presse et du Devoir. Nous avons trouvé dans ces deux quotidiens près de 150 textes le concernant. La Presse a été dépouillée d’une façon systématique de 1905 à 1910 et pour les mois de mai à sept. 1911, et mars à oct. 1913 ; nous avons de plus consulté les notices nécrologiques des 1er et 2 juin 1926. Le Devoir a également fait l’objet d’une analyse systématique de 1910 à 1920. Nous avons aussi puisé dans les journaux suivants : le Canada (Montréal), 16 oct., 28 déc. 1907, 2 janv. 1908, 2 juin 1926 ; le Droit (Ottawa), 1er–2, 4–5, 7 juin 1926 ; l’Illustration (Paris), 3 oct. 1908 ; le Nationaliste (Montréal), 21 mai, 20 août 1911, 20 avril 1913 ; la Patrie, 1er–2, 4 juin 1926 ; le Réveil (Montréal), 15 janv. 1916 ; le Soleil, 2 janv., 30 oct. 1908, 19 mai 1909, 18–19, 24, 31 mai, 7–8 juin, 6, 11 juill., 3, 12 août 1911. [g. j.]
AN, RG 150, Acc. 1992–93/166, boîte 8722.— AO, RG 80-2-0-151, no 28894.— Commission scolaire de Montréal, Secrétariat général, Secteur de la gestion des doc. administratifs et des arch., lettres de H.-T. Scott au directeur général de la Commission des écoles catholiques de Montréal, nov. 1907, et aux commissaires, 28 sept. 1909.— Arch. de l’univ. du Québec à Montréal, 2P (fonds de l’école normale Jacques-Cartier), 2a/17, 2a/26 ; 2e/4.— École normale Jacques-Cartier, Annuaire (Montréal), 1905–1906 ; États de service (Montréal), 1857–1909.— Robert Gagnon, Histoire de la Commission des écoles catholiques de Montréal ; le développement d’un réseau d’écoles publiques en milieu urbain ([Montréal], 1996), 103–110.— Gazette officielle de Québec, 1908 : 839.— Jacques Gouin, William-Henry Scott et sa descendance ou le Destin romanesque et tragique d’une famille de rebelles (1799–1944) (Hull, Québec, 1980).— Donald Guay, l’Éducation physique dans les écoles normales du Québec, 1836–1969 (Montréal, 1969) ; l’Histoire de l’éducation physique au Québec : conceptions et événements (1830–1980) (Chicoutimi, Québec, 1980).— Denise Villiard-Bériault, Saint-Laurent : un collège se raconte : 120 ans de collège, 10 ans de cégep (Montréal, 1977), 99–107.
Gilles Janson, « SCOTT, HENRI-THOMAS (baptisé Thomas-Henri) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/scott_henri_thomas_15F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/scott_henri_thomas_15F.html |
Auteur de l'article: | Gilles Janson |
Titre de l'article: | SCOTT, HENRI-THOMAS (baptisé Thomas-Henri) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |