GADBOIS, JOSEPH-PIERRE, médecin, sportif, chroniqueur sportif, promoteur de l’éducation physique et fonctionnaire, né le 15 août 1868 à Saint-Urbain-Premier, Québec, fils de Pierre Gadbois, charpentier, et d’Aglaé Langlois ; le 31 mai 1893, il épousa à Montréal Julia Gauthier, et ils eurent trois fils et deux filles ; décédé le 22 août 1930 à Montréal.

Très tôt, les parents de Joseph-Pierre Gadbois s’installent à Saint-Jean (Saint-Jean-sur-Richelieu), qu’il considérera comme sa véritable patrie. De 1881 à 1887, Joseph-Pierre fréquente le petit séminaire de Montréal, puis il s’inscrit à l’école de médecine et de chirurgie de Montréal. En 1890, l’école fusionne avec la faculté de médecine de la succursale de l’université Laval à Montréal, et c’est de cet établissement qu’il reçoit son doctorat en médecine, avec grande distinction, en 1892. Ses études terminées, Gadbois s’installe à Montréal. Il se spécialise dans le traitement de l’alcoolisme et de la toxicomanie. L’abbé L. W. Murphy, qui vient d’ouvrir un institut rue Sainte-Catherine, où il soigne les alcooliques à l’aide de bichlorure d’or, l’engage vers le mois de mai 1893 comme directeur médical de son établissement. La méthode de l’abbé Murphy, dite Gold Cure, est contestée par plusieurs médecins, mais elle est très en vogue aux États-Unis. À la fin de 1893, Gadbois ouvre son propre hôpital, rue Saint-Laurent, et y soigne alcooliques et morphinomanes selon cette méthode. En 1895, il annonce la publication de deux travaux consacrés à la Gold Cure, qu’il étudie depuis trois ans, mais ceux-ci ne semblent pas avoir paru. Le médecin montréalais Joseph-Edmond Bergeron le considère alors comme une sommité dans le traitement de l’alcoolisme et de la toxicomanie. Après avoir déménagé deux fois son établissement, en 1897 et en 1899, Gadbois met en veilleuse la pratique de la médecine vers 1900 pour consacrer son temps à la promotion du sport, de l’hygiène et de l’éducation physique.

Toute sa vie, Gadbois encouragera la pratique régulière des sports et de l’exercice physique. Dès son enfance, son père, solide tireur au poignet et bon lutteur, lui a enseigné les rudiments de son art. Le jeune Joseph-Pierre a bientôt excellé à la lutte, à la boxe, à la nage, au saut, au canotage et au handball. Au petit séminaire de Montréal, dès sa classe de méthode, il a raflé le championnat de handball. Il conserverait le titre de champion jusqu’à la fin de ses études.

Dès le mois d’octobre 1900, dans le but de propager le goût de l’exercice physique parmi les Canadiens français, Gadbois a ouvert un gymnase dans son hôpital. Pour répandre ses idées, il se fait, à l’occasion, conférencier. Le journal la Presse lui fournit aussi une tribune en lui confiant, le 7 mars 1904, une chronique intitulée : « Culture physique ». De 1904 à 1908, plus de 500 textes de Gadbois y sont publiés ; il collabore également à la Patrie, de Montréal, et au Soleil, de Québec. Ces chroniques témoignent de ses préoccupations. Même si Gadbois apprécie les avantages de la ville, il s’inquiète de ses effets sur la santé de ses compatriotes. À la campagne, croit-il, au contact d’une nature difficile mais généreuse, ces derniers ont su conserver force, robustesse et harmonie des formes. Devenus citadins, entassés dans des villes enfumées, confinés dans des logements insalubres et enfermés dans des bureaux, des ateliers ou des magasins mal aérés, ils s’étiolent ; la dégénérescence les guette. Pour lui, l’éducation physique, qui n’est pas synonyme de développement musculaire exagéré, assure la santé et un état équilibré et harmonieux. Il conseille d’éviter les excès de nourriture, préconise les diètes et parfois le jeûne pour nettoyer le corps de ses déchets. Il prône l’abstinence d’alcool, de drogue, de thé et de café et recommande de boire beaucoup d’eau, de manger des légumes, des fruits et des noix. Adepte du végétarisme, il donne, en 1909, une conférence à Québec sous les auspices de la Vegetarian Society of Canada. Il faut, écrit-il, dormir huit heures par jour, ouvrir ses fenêtres été comme hiver, affronter les orages, le chaud, le froid et profiter au maximum du soleil.

Parmi les sports qui peuvent assurer un développement complet, Gadbois opte pour la lutte et la natation, mais il encourage la pratique de plusieurs autres. La multiplication des ligues de hockey l’amène à mettre en garde les Canadiens français contre l’éparpillement de leurs efforts et il les invite à s’unir dans toutes les branches du sport. Par ailleurs, devant la popularité des tournois d’hommes forts au Québec, il regrette l’absence de règles et de méthodes uniformes qui empêche toute véritable comparaison entre les athlètes et souhaite que l’on bannisse de ces tournois certains tours de force qui tiennent plus du cirque que de l’athlétisme. En outre, Gadbois blâme le système d’éducation qui valorise l’esprit aux dépens du corps. Selon lui, le sport et l’éducation physique devraient être obligatoires dans les établissements d’enseignement francophones. En 1905, il se réjouit de l’engagement du major Henri-Thomas Scott comme responsable de l’enseignement de l’éducation physique dans toutes les écoles de la Commission des écoles catholiques de Montréal. Dans ses chroniques, Gadbois se préoccupe aussi de la santé des femmes, des enfants et des personnes âgées. Il réclame l’inspection médicale des écoles et, chose exceptionnelle en 1907, il aimerait voir deux femmes médecins au sein de l’équipe d’inspection.

Gadbois ne fait pas qu’écrire. Il participe activement à la vie sportive comme administrateur d’associations, promoteur d’événements, officiel et athlète. Dès 1897, il est élu au conseil d’administration du Club de natation de Montréal ; il en sera le président de 1904 à 1907. Il est l’un des fondateurs et le vice-président de l’Association des francs-tireurs de Montréal en 1900 et prend part, comme tireur, à son premier concours organisé en 1901. Il est membre à vie de l’une des plus importantes organisations sportives canadiennes-françaises, l’Association athlétique d’amateurs nationale, mieux connue, à partir de 1919, sous le nom de Palestre nationale. Il fait partie de son bureau de direction de 1904 à 1907 et en 1922–1923, et est membre de plusieurs de ses commissions de 1918 à 1924. De 1903 à 1909, le nom de Gadbois est aussi souvent associé aux activités du Club de raquette Le Montagnard. De plus, les organisateurs de rencontres de femmes et d’hommes forts le choisissent régulièrement comme juge. À la fameuse confrontation entre Louis Cyr* et Otto Ronaldo en 1899, non seulement est-il l’un des trois juges mais aussi le représentant officiel de Cyr et l’un de ses soigneurs. Pour démontrer la force physique des Canadiens français, Gadbois organise, avec l’appui de la Presse, un concours de « sac de sel » qui éveille un rare enthousiasme. Le 31 octobre 1907, on estime, de façon sans doute exagérée, que 300 000 personnes ont acclamé les 121 concurrents. Un journaliste écrit que cette manifestation surpasse toutes celles que Montréal a connues, même l’assemblée de protestation à la suite de la pendaison de Louis Riel*. En 1919, Gadbois compte parmi les fondateurs et est secrétaire de la Fédération canadienne des poids et haltères.

Gadbois est aussi reconnu à l’époque comme le vulgarisateur de la lutte à Montréal et l’homme le plus compétent en la matière. Au début du xxe siècle, il organise des rencontres, conseille et entraîne des lutteurs, et contribue ainsi à la grande popularité que connaît ce sport dans les années 1904 à 1908. C’est en 1905 que l’un des ses protégés, le lutteur montréalais Eugène Tremblay, conquiert le championnat mondial des poids légers. La métropole devient une rivale de Buffalo et de Chicago pour la présentation de championnats. Sa grande connaissance de la lutte gréco-romaine et de la « lutte libre » rend « le docteur », comme on l’appelle familièrement, indispensable. Il est choisi comme arbitre dans presque toutes les rencontres importantes à Montréal et parfois à Québec ou ailleurs en province et même à Buffalo. Pour promouvoir d’une façon plus efficace son sport favori, Gadbois devient, avec son ami George Washington Kendall, l’âme dirigeante du Club athlétique canadien, reconnu juridiquement en 1908. Cette organisation, la plus importante du genre au Canada, envoie ses représentants aux États-Unis, en Europe et jusqu’en Turquie pour dénicher de nouvelles vedettes. Le club s’intéresse aussi à la boxe, aux quilles, et acquiert le club de hockey le Canadien en 1910. Gadbois, l’un de ses principaux actionnaires, fait partie du bureau de direction dès 1905 et est élu président en 1908 et en 1909.

L’un des meilleurs joueurs de handball au Canada, Gadbois détient pendant un certain temps le titre de champion de Montréal. De 1897 à 1904, il tente à plusieurs reprises, mais sans succès, de ravir à Napoléon Lavoie*, de Québec, son titre de champion du Canada. On le dit également champion de lutte amateur et professionnelle.

Gadbois s’intéresse aussi à la politique et milite au sein du Parti libéral. En 1909, il est élu secrétaire-trésorier du Club libéral Saint-Louis. Il y côtoie le député provincial Godfroy Langlois et le maire de Montréal Louis Payette. Du 1er février 1906 au 31 janvier 1910, il fait partie du conseil municipal de Montréal à titre de représentant du quartier Saint-Louis ; il est élu à huit commissions et se joint à dix comités. Il intervient, entre autres, devant la commission de police pour que l’on multiplie les parcs pour les enfants et que l’on développe parmi les policiers la pratique de la gymnastique. Sa lutte contre les monopoles de l’électricité, de l’eau et du gaz le range dans le camp des « progressistes ». Toutefois, des accusations de trafic d’influence, portées contre lui durant l’enquête royale présidée par le juge Lawrence John Cannon sur l’administration municipale en 1909, viennent ternir sa réputation. Presque tous les conseillers sont éclaboussés et huit d’entre eux, dont Gadbois, sont formellement accusés et condamnés à payer une amende. Gadbois clame son innocence et crie à l’injustice. Il se porte à nouveau candidat du quartier Saint-Louis mais, comme la majorité de ses anciens collègues, il est emporté par la vague qui submerge le conseil, le 1er février 1910.

Par la suite, Gadbois disparaît de la scène sportive. Il se lance alors dans la spéculation foncière. Il achète, à l’automne de 1910, la moitié d’une terre à Pointe-aux-Trembles, à l’est de Montréal, qu’il subdivise en 1 500 lots. Pendant près d’un an, il inonde les journaux de publicité, faisant miroiter aux éventuels acheteurs des profits mirobolants, mais connaît peu de succès. Au début de 1912, il commence une nouvelle campagne pour vendre des actions de la Three Nations Gold Mine, à Porcupine, près de Timmins, en Ontario. Il n’arrive cependant pas à trouver suffisamment d’investisseurs et ses appels cessent bientôt.

Le 15 mai 1914, la carrière de Gadbois prend une nouvelle orientation. Il devient fonctionnaire municipal en occupant, conjointement avec T. C. M. Black, le nouveau poste de surintendant des terrains de jeux. Le maire Médéric Martin*, qui s’opposait à l’engagement de Black parce qu’il était américain et ne connaissait rien, selon lui, à la mentalité canadienne-française et ne parlait pas la langue de la majorité, avait obtenu que Gadbois reçoive un salaire supérieur. Black n’accepte pas cet arrangement et démissionne. Le 14 juillet 1914, le Bureau des commissaires nomme Gadbois seul directeur des terrains de jeux de la ville. Jusqu’à son décès, il travaillera à les développer et à les améliorer. En 1915, il dirige 8 terrains et 9 patinoires. En 1929, il supervise 24 terrains, dont celui qu’il a fait aménager au parc Sohmer, 15 bains publics (ceux-ci sont passés sous sa responsabilité en 1918) et une centaine de patinoires. Pour améliorer ses connaissances dans son champ d’activité, Gadbois visite plusieurs villes américaines, dont New York. De nombreux appareils de son invention sont installés sur les terrains. Pendant plus de 15 ans, il sera de tous les pique-niques, fêtes sportives et festivals d’éducation physique importants.

Malgré ses responsabilités de surintendant, le monde du sport passionne toujours Gadbois. Au début des années 1920, il entraîne des boxeurs et pilote leur carrière. En 1929, il a le bonheur de voir sa fille Pauline remporter le championnat provincial de tennis dans la catégorie « double pour dames ».

Durant toute sa carrière, Joseph-Pierre Gadbois n’a pas craint de s’opposer aux idées de ses contemporains. Dès sa sortie de l’université, il a défendu des méthodes thérapeutiques controversées. Sa promotion du végétarisme étonne. Sa campagne en faveur d’un meilleur enseignement de l’anatomie et de l’éducation physique ainsi que d’une plus grande place aux sports à l’école le singularise. Gadbois fait partie de cette petite élite francophone qui investit le domaine sportif à la fin du xixe siècle.

Gilles Janson

La substance de cet article est tirée des journaux et particulièrement de la Presse, où Joseph-Pierre Gadbois est journaliste sportif de 1904 à 1908. Plusieurs articles non signés qui paraissent dans ce journal de 1907 à 1910 sont sans doute de lui, entre autres 165 textes publiés dans la chronique « les Tournois athlétiques de la Presse » du 14 oct. 1907 au 9 juill. 1908. La Presse de 1893 à 1930 contient aussi énormément d’articles à son sujet. Nous avons également puisé dans les journaux suivants : l’Autorité nouvelle (Montréal), 25 janv. 1914 ; le Canada (Montréal), 24 avril, 3 sept. 1903, 8–9 avril, 24 juin, 3 sept. 1918, 11, 21 févr., 6, 24 mars 1919, 10–11, 17, 22, 24 mai, 4, 8 juin 1926, 23, 25 août 1930 ; le Cultivateur (Montréal), 13 mai 1893 ; le Devoir, 15 mai, 21 juill. 1914, 16 nov. 1915, 14 juill. 1916, 20 avril 1918, 23 août 1930 ; le Journal (Montréal), 14 juin 1902 ; la Minerve, 11, 16 oct., 6 nov. 1897 ; le Nationaliste (Montréal), 16, 23 janv., 6, 20, 28 nov., 4 déc. 1910, 12, 19, 26 mars, 2 avril, 7 mai, 4, 11, 18 juin, 23 juill., 27 août 1911, 25 févr., 3, 10, 24 mars, 14, 28 avril, 5, 19 mai 1912, 14 juin 1914 ; la Patrie, 16 mars, 24 avril, 9 juin 1903, 30 mars, 1er avril 1929, 23, 25 août 1930 ; le Réveil (Montréal), 5 janv., 31 août 1915 ; le Soleil, 22, 24–25, 29–30 juin, 2–3, 7–8 juill., 24 août, 15 oct. 1908, 26, 28, 30 avril, 6 mai, 16 juin, 9 juill., 21 oct. 1909, 28 mai 1914. [g. j.]

ANQ-M, CE601-S51, 31 mai 1893 ; CE607-S20, 23 août 1868.— Arch. de l’univ. du Québec à Montréal, 1P (fonds de la Palestre nationale), 2/34–38 ; 13/11.— Arch. du séminaire de Saint-Sulpice (Montréal), Fonds du collège de Montréal, liste des étudiants.— VM-DGDA, « Comités et Commissions : 1900 à nos jours » (texte préparé par la Div. des arch.), 1906–1910 ; P39 ; VM6, Dossiers de coupures de presse, DO16.293 : J.-P. Gadbois ; VM47, Procès-verbaux, 20 févr. 1906–17 janv. 1908.— Annuaire, Montréal, 1890–1910.— « Bulletin », l’Union médicale du Canada (Montréal), 21 (1892) : 220, 548–551 ; 22 (1893) : 217–219.— L. J. Cannon, Rapport sur l’administration de la ville de Montréal, décembre 1909 (s.l., n.d.).— « Correspondance », l’Union médicale du Canada, 22 (1893) : 235s.— P. A. Dutil, « “Adieu, demeure chaste et pure” ; Godfroy Langlois et le virage vers le progressisme libéral », dans Combats libéraux au tournant du XXe siècle, sous la dir. d’Yvan Lamonde (Montréal, 1995), 247–275.— Jean de Laplante, les Parcs de Montréal : des origines à nos jours (Montréal, 1990), 86–92.— É.-Z. Massicotte, Athlètes canadiens-français ; recueil des exploits de force, d’endurance, d’agilité, des athlètes et des sportsmen de notre race depuis le XVIIIe siècle ; biographies, portraits, anecdotes, records (2e éd., Montréal, [1909]), 216–223.— « Le Sport chez nos Canadiennes », la Rev. moderne (Montréal), 10 (1929), no 10 : 12.

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Gilles Janson, « GADBOIS, JOSEPH-PIERRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/gadbois_joseph_pierre_15F.html.

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Auteur de l'article:    Gilles Janson
Titre de l'article:    GADBOIS, JOSEPH-PIERRE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
Date de consultation:    22 déc. 2024