RAND, SILAS TERTIUS, ministre baptiste, missionnaire, philologue et ethnologue, né le 18 mai 1810 à Cornwallis, Nouvelle-Écosse, fils de Silas Rand et de sa deuxième épouse, Deborah Tupper, sœur du révérend Charles Tupper ; le 10 mai 1838, il épousa Jane Elizabeth McNutt, de Liverpool, Nouvelle-Écosse, et ils eurent 12 enfants ; décédé le 4 octobre 1889 à Hantsport, Nouvelle-Écosse.

Silas Tertius Rand apprit à lire avec son père et une série d’instituteurs d’écoles rurales. Pendant sa jeunesse, il travailla comme ouvrier agricole et, à 18 ans, entreprit le métier familial de briqueteur. Il retourna aux études vers l’âge de 22 ans, apprit à fond la grammaire anglaise et commença d’enseigner, faisant alterner selon les saisons l’enseignement et le métier de briqueteur. À la même époque, il fréquenta pendant de courtes périodes la Horton Academy, à Wolfville, Nouvelle-Écosse, où il étudia le latin et le grec. Au cours des ans, il acquit une connaissance approfondie du français, de l’italien, de l’allemand, de l’espagnol, du grec moderne, du micmac, du malécite et de l’agnier. En 1834, il fut ordonné ministre baptiste et œuvra tour à tour à Parrsboro, à Horton (Hortonville), à Liverpool, à Windsor, Nouvelle-Écosse, et à Charlottetown, Île-du-Prince-Édouard. Comme de nombreux fidèles évangéliques de la Nouvelle-Écosse de l’époque, Rand était animé de ce prosélytisme qui se développa au cours des années 1840 à l’endroit des missions étrangères et, en 1847, il caressa lui-même l’idée de devenir missionnaire à l’étranger. L’opposition de sa femme et sa propre fascination pour la langue micmaque le firent plutôt se tourner vers les Indiens délaissés des colonies des Maritimes.

Connaissant les Micmacs nomades depuis son enfance, Rand établit, quand il commença d’étudier leur langue en 1846, une relation avec ces Indiens, qui devait durer toute sa vie. Il trouva un précepteur compétent, Joseph Brooks, de Digby, un Français dont la femme était micmaque. Désireux de fonder une mission indienne permanente, mais privé de l’appui financier de la parcimonieuse Église baptiste, Rand s’assura, en 1849, l’aide de protestants évangéliques militants de Halifax. Ils se mirent à l’œuvre l’année suivante en fondant la Micmac Missionary Society, une organisation ouvertement hostile aux catholiques et destinée à convertir les Indiens catholiques.

Le travail missionnaire quotidien de Rand consista à rendre visite l’été aux bandes dispersées de Micmacs, à diriger la communauté missionnaire à Hantsport, où il s’était établi définitivement après être déménagé de Charlottetown en 1853, et à recueillir sans cesse des fonds pour maintenir la mission sur pied. Bien que la société missionnaire, qui avait son siège à Halifax, contribuât à faire connaître et à financer l’entreprise de Rand, c’est sur lui que reposait le fardeau de réunir des fonds. Il fut de plus en plus désillusionné par le sectarisme à mesure qu’il voyait son œuvre subir les conséquences de la rigidité doctrinale et des rivalités des protestants, et de la décadence de la ferveur religieuse. Deux mouvements lui vinrent en aide dans les années 1860. En 1864, il abandonna l’habitude de colporter et de mendier grâce à laquelle sa mission avait subsisté jusqu’alors et décida de se placer dans les mains du Seigneur ; c’était une méthode rendue populaire par Georg Müller qui avait compté avec succès sur des dons volontaires pour ses orphelinats à Bristol, en Angleterre. Le refus de Rand de demander aux habitants de la Nouvelle-Écosse de faire des dons pour financer la mission l’entraîna inexorablement à refuser l’aide de la Micmac Missionary Society et, en conséquence, celle-ci fut dissoute en 1870. À Halifax, en 1869, pendant une assemblée revivaliste animée par un visiteur, membre des Frères de Plymouth, la secte de Müller, Rand adhéra aux croyances de ce mouvement évangélique qui incarnait à ses yeux « les bonnes vieilles doctrines baptistes auxquelles [il était] habitué depuis [son] enfance ». Il dénonça publiquement l’Église baptiste en 1872 et il fut officiellement excommunié par sa communauté de Hantsport. Par la suite, Rand continua d’être un fidèle des « Plyms » et de fuir le sectarisme propre à la Nouvelle-Écosse jusqu’à ce que les Halifax Brethren, profondément divisés, l’expulsent en 1885 ; il retourna au sein de l’Église baptiste.

Ces ennuis financiers et religieux ne refroidirent aucunement l’enthousiasme de Rand pour la régénération morale des Indiens. Il se considérait d’abord et avant tout comme un missionnaire, et l’importance de son travail de philologue ne devrait pas éclipser les aspirations et les motifs par-dessus tout religieux de cet homme qui avait une vie spirituelle intense et qui souhaitait sortir, au moyen de la foi, les Indiens de la dégradation où les avait plongés l’homme blanc. Poussé par la culpabilité et la pitié, Rand croyait que les Micmacs avaient besoin qu’on leur donnât la religion bien avant la civilisation et il se jeta dans l’étude de la langue micmaque pour communiquer plus directement la parole de Dieu à ses ouailles. L’importance qu’il accordait à la préservation de l’aspect linguistique de la culture micmaque constituait une phase intermédiaire d’un plan plus vaste : l’anglicisation et les autres parures de la civilisation constituaient le but visé mais plus éloigné. Il considéra aussi ses traductions de la Bible comme un héritage laissé à ses successeurs missionnaires, bien que son seul collaborateur, Benjamin Christmas, un Micmac, quittât la mission en 1860. Du fait que Rand, personnage capricieux et excentrique, fut laissé à ses seules ressources dans la direction de la mission et qu’il se préoccupa d’abord d’évangélisation, il en résulta que l’on fit peu pour améliorer le confort matériel des Micmacs. Les missionnaires catholiques n’approuvaient pas ses buts et refusaient de joindre leurs efforts aux siens. La mission comprenait une étendue de terrain à Hantsport et un entrepôt pour la vente des produits d’artisanat des Indiens, mais Rand n’avait pas d’argent pour ouvrir des écoles ; il faisait la charité avec le peu d’argent qui restait après le règlement des frais de la mission.

Les études de Rand sur les coutumes et le folklore des Micmacs constituaient une partie du but évangélique de la mission ; en se familiarisant avec la langue, Rand tentait d’approfondir sa connaissance de la tournure d’esprit des Indiens dont il considérait hautement l’intelligence. Il ne croyait pas que les Indiens fussent en voie d’extinction : il n’y a pas de sombres présages de leur disparition de la surface de la terre dans son poème The dying Indian’s dream.

Rand eut incontestablement plus de succès comme conservateur du patrimoine des Indiens que comme évangéliste protestant. Dans le premier cas, la simple collaboration des Micmacs était requise tandis que, dans le second, il était risqué de bouleverser l’équilibre délicat du mode de vie qu’ils avaient acquis au contact de la civilisation, particulièrement leur catholicisme. Comme la plupart des ministres protestants, Rand croyait qu’on pouvait attribuer « aux ténèbres, à la superstition et au fanatisme du catholicisme » l’incapacité des Indiens d’entrer dans l’ère du progrès. De la même manière que le catholicisme des Micmacs avait attiré l’attention de Rand et de ses partisans dans un premier temps, ainsi le catholicisme transformait-il maintenant en échec cette expérience d’évangélisation protestante. Rand n’avait d’autre choix que d’accepter sa défaite. En 1873, il laissa entendre que, si l’on ne pouvait apparemment pas briser l’influence de l’Église catholique sur les Micmacs, alors, « s’il plaisait au Seigneur de les régénérer et de les sauver ; Il pouvait le faire là où ils [étaient] », dans la religion catholique. Auteur d’une seule conversion en 40 années de travail, Rand rationalisa ainsi ce résultat quelque peu mince en 1874 : « Le travail qui m’est propre semble être très clairement tracé. Je dois faire œuvre de pionnier pour les autres. » Il demeura néanmoins un pionnier sans disciples parmi les protestants de la Nouvelle-Écosse qui tantôt applaudissaient à ses efforts solitaires, tantôt les critiquaient, tout en faisant la sourde oreille à son appel éloquent à l’homme blanc pour qu’il reconnaisse les droits des Indiens et son devoir d’améliorer la situation matérielle et morale des Micmacs. Pour se consoler, Rand consacra de plus en plus de temps à étudier la culture micmaque au long des années ; ses travaux lui valurent la notoriété à l’étranger et des diplômes honorifiques au pays, à mesure qu’il écrivit ses traductions des Saintes Écritures en micmac et en malécite, qu’il composa son dictionnaire micmac et collectionna des quantités de légendes, notamment les contes immémoriaux de Glooscap, le héros mythologique des Micmacs.

Judith Fingard

Silas Tertius Rand est l’auteur de : The jubilee historical sketch, of the Nova Scotia Baptist Association [...] (Charlottetown, 1849) ; A short statement of facts relating to the history, manners, customs, language, and literature of the Micmac tribe of Indians, in Nova-Scotia and P. E. Island [...] (Halifax, 1850) ; A short account of the Lord’s work among the Micmac Indians [...] with some reasons for ... seceding from the Baptist denomination (Halifax, 1873) ; A brief statement respecting the Micmac mission (s.l., [1880]) ; The dying Indian’s dream, a poem (3e éd., Windsor, N.-É., 1881) ; The Micmac mission (s.l., [1882]) ; Dictionary of the language of the Micmac Indians [...] (Halifax, 1888 ; réimpr., New York et Londres, 1972) ; Legends of the Micmacs, [H. L. Webster, édit.] (New York et Londres, 1894 ; réimpr., 1971).

Atlantic Baptist Hist. coll., S. T. Rand papers.— British and Foreign Bible Soc. Arch. (Londres), Foreign corn, lettre de S. T. Rand, 6 févr. 1856.— Musée national de l’Homme (Ottawa), « An annotated bibliography of the works of Silas Tertius Rand », Sharon Blakeney, compil. (copie dactylographiée) (1974).— PANS, ms file, Silas Tertius Rand, lettres au révérend George Patterson, 18741885.— Micmac Missionary Soc., Annual report of the committee (Halifax), 18501863 ; 18661867.— Nova Scotia Bible Soc., Report (Halifax), 1885 ; 1888 ; 1889.— Christian Messenger (Halifax), 1837–1884.— Daily Sun, 8 oct. 1889.— Messenger and Visitor (Saint-Jean, N.-B.), 18851889.— Morning Chronicle (Halifax), 24 mai 1872, 26 janv. 1877.— Morning Herald, 30 janv., 16 févr. 1886.— Morning News (Saint-Jean), 15 juin 1872.— J. S. Clark, Rand and the Micmacs (Charlottetown, 1899).— W. D. et R. S. Wallis, The Micmac Indians of eastern Canada (Minneapolis, Minn., 1955).— L. F. S. Upton, « Colonists and Micmacs », Rev. d’études canadiennes, 10 (1975), no 3 : 44–56 ; « Indians and Islanders : the Micmacs in colonial Prince Edward Island », Acadiensis, 6 (1976–1977), no 1 : 21–42.

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Judith Fingard, « RAND, SILAS TERTIUS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/rand_silas_tertius_11F.html.

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Auteur de l'article:    Judith Fingard
Titre de l'article:    RAND, SILAS TERTIUS
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
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