NORTON, MOSES, agent principal de la Hudson’s Bay Company, né vers 1735, fils de Richard Norton* et de Susannah Dupeer, décédé le 29 décembre 1773 au fort Prince of Wales (Churchill, Manitoba).

Moses Norton est un des personnages les plus controversés dans les annales de la Hudson’s Bay Company. Les historiens de la traite des fourrures ne s’accordent pas à son sujet : Richard Glover le dénonce comme « un homme tout à fait sinistre », cependant qu’Edwin Ernest Rich le loue, spécialement pour son « énergie et sa perception peu communes ». La racine du conflit se trouve dans la crédibilité d’un portrait accablant de Norton écrit par Samuel Hearne et publié pour la première fois en 1795. Hearne nourrissait une haine profonde pour Norton et plusieurs de ses allégations doivent être mises en doute.

L’origine de Norton demeure un mystère. Il n’était certainement pas « un Indien », comme le voulait Hearne, mais, en raison de l’affirmation de Hearne qu’il était né au fort Prince of Wales, on a généralement supposé que, né d’un père blanc, il était le fils d’une Indienne. Le testament de Norton, cependant, suggère que ses parents étaient européens, puisqu’il désigne sa mère sous le nom de Susannah Dupeer. Richard Norton ayant épousé Elizabeth McCliesh, il est possible que Moses soit né d’une union illégitime alors que son père était en congé en Angleterre dans les années 1730.

Le déroulement de la carrière de Norton renforce le caractère improbable d’une origine métissée. En 1744, Norton fut mis en apprentissage, en Angleterre, auprès d’un des capitaines de navire de la Hudson’s Bay Company, George Spurrell*, pour une période de sept ans. Sa carrière dans la compagnie commença vraiment en 1753, alors qu’il signa un contrat pour servir comme second, pendant trois ans, sur le sloop du poste de la rivière Churchill, au salaire de £25 par année. En 1756, il devint comptable et assistant de l’agent principal du fort Prince of Wales, Ferdinand Jacobs, assumant temporairement le commandement du poste en 1759, avant de passer une année de congé en Angleterre. Il fut nommé agent principal en 1762 et conserva le commandement du fort Prince of Wales jusqu’à sa mort. Compte tenu de la politique officielle de la compagnie, qui interdisait toute relation intime entre ses employés et les Indiennes [V. Joseph Isbister], on peut douter que le comité de Londres eût nommé un Métis à la direction de l’un de ses postes les plus importants. Ce n’est qu’en 1794 que la permission fut officiellement accordée de prendre des garçons de sang mêlé au service de la compagnie. Si Norton était vraiment natif de la baie d’Hudson, il est pour le moins curieux que son avancement exceptionnel n’ait fait l’objet d’aucune mention dans les archives de la compagnie.

La correspondance échangée entre Norton et ses supérieurs révèle la foi que le comité de Londres avait en sa capacité de s’acquitter des lourdes responsabilités reliées au commandement du fort Prince of Wales. Norton avait à affronter trois tâches difficiles : reconstruire le fort de pierre, bien mal bâti, pousser l’exploration vers le nord et établir une pêcherie de baleine noire. Son incapacité de réussir nettement dans l’un ou l’autre de ces secteurs s’explique par des circonstances indépendantes de sa volonté plutôt que par son incompétence, comme le soutenait Glover. Les travaux du fort furent inévitablement paralysés par le manque de matériel et d’artisans habiles. De 1761 à 1764, Norton lui-même prit la tête d’expéditions à la recherche du fuyant passage du Nord-Ouest. Ses explorations le menèrent aussi loin au nord que l’inlet de Chesterfield (Territoires du Nord-Ouest), ce qui lui valut une gratification de £40 de la part du comité. Norton, dont les instructions annuelles à ses capitaines de sloop démontrent une bonne connaissance des affaires, améliora le commerce côtier avec les Inuit, en particulier après 1765, alors qu’il réussit à négocier la paix entre les Inuit et leurs ennemis, les Chipewyans. L’intérêt de Norton pour la fabuleuse mine de cuivre du nord, qui avait longtemps intrigué les dirigeants de la compagnie au fort Prince of Wales, fut avivé en 1767 quand deux Indiens, Idotliazee et probablement Matonabbee, revinrent au fort, après une exploration de cinq ans, avec un morceau de minerai de cuivre et l’ébauche d’une carte. Pendant son congé, l’année suivante, Norton sut intéresser le comité à ses plans d’une exploration, qui par la suite amenèrent l’envoi de Samuel Hearne en 1769. Même si Norton a été tenu responsable de l’échec des deux premiers voyages de Hearne, on peut douter qu’il ait délibérément tenté de saboter une entreprise dont le succès lui tenait tellement à cœur. Norton a été sévèrement et injustement critiqué pour l’insuccès de la pêcherie de baleine noire, qui fut abandonnée en 1772. En effet, en dépit de beaucoup d’efforts et de dépenses, le projet avorta à cause du manque d’hommes expérimentés et de bateaux adéquats, et à cause de la saison trop courte.

En somme, le comité de Londres avait raison de considérer Moses Norton comme un employé de grande valeur, n’exprimant sa désapprobation que sur la manière dont il tentait de réprimer la traite privée. Bien que Hearne affirmât que Norton était « un contrebandier notoire », le problème de la traite à titre privé était bien pire dans les postes du fond de la baie qu’à la rivière Churchill. Norton avait adopté une attitude réaliste en vue de venir à bout de cet abus : il permettait à ses « principaux dirigeants et trafiquants » de traiter leurs fourrures avec les capitaines des navires contre la promesse de supprimer « le commerce et les pratiques illicites parmi la classe inférieure [des employés] ». En 1770, dans le cadre d’une tentative générale pour régler ce problème, le comité de Londres ordonna à Norton d’abandonner son plan. Pour corriger le penchant des agents principaux à faire la traite privée, le comité porta leur salaire à £130 par année et leur alloua une gratification de trois shillings sur chaque lot de fourrures équivalant à 20 peaux de castor qu’ils expédieraient en Angleterre. Norton fut réprimandé pour avoir cherché à gagner les faveurs de ses amis, membres du comité de Londres, en leur envoyant des fourrures en cadeau.

À l’intérieur des murs pleins de courants d’air du fort Prince of Wales, Norton entreprit de vivre la grande vie. Ses appartements étaient « non seulement commodes, mais élégants » ; il importa des livres, des peintures et un orgue d’Angleterre, et avait même un perroquet. Comme son père avant lui, Norton aimait d’une façon particulière la compagnie des Indiens qu’il admettait régulièrement dans ses quartiers. Rigide en matière de discipline, cependant, il s’attira l’inimitié de quelques-uns de ses hommes, et notamment de Hearne, en refusant de leur permettre quelque relation que ce fût avec les Indiennes [V. George Atkinson]. Bien que Norton ait eu une famille indienne, rien ne paraît autoriser l’affirmation de Hearne qu’il menait une vie de débauche, entretenant cinq ou six des plus belles filles indigènes pour ses plaisirs et empoisonnant sans hésiter tout homme qui lui refusait sa femme ou sa fille. La seule descendance connue de Norton est une fille nommée Mary (Polly), née au début des années 1760 d’une Indienne crise. Aimant follement sa fille, Norton gâta à ce point l’enfant qu’elle devint tout à fait inapte à supporter les misères de la vie indienne ; bien qu’elle fût pourvue par son père d’une généreuse rente annuelle, Mary périt durant l’hiver difficile de 1782, après que Hearne eut remis le fort Prince of Wales aux Français sous les ordres du comte de Lapérouse [Galaup]. À l’instar d’autres agents principaux de cette époque, Norton entretenait aussi une femme anglaise, Sarah, qu’il épousa probablement en 1753. Il lui versa régulièrement des sommes généreuses et la nomma son exécutrice testamentaire.

Norton mourut en décembre 1773 d’un désordre chronique des intestins. Les 21 coups de canon qui saluèrent ses funérailles auraient plu à Norton, car il voulait qu’on se souvînt de lui à sa mort. À ses amis et à ses hommes, il fit des legs pour des bagues-souvenirs et des vêtements de deuil et laissa « dix gallons de brandy anglais à diviser également entre toutes les mains ».

Sylvia Van Kirk

HBC Arch., A.1/39, 43 ; A.5/1 ; A.6/15 ; A.11/14 ; A.16/10 ; A.44/1.— PRO, Prob. 11/713, f.314 ; 11/1 002, f.374.— HBRS, XI (Rich et Johnson) ; XXV (Davies et Johnson).— Hearne, Journey from Prince of Wales’s Fort (Glover).— Rich, History of HBC, II.

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Sylvia Van Kirk, « NORTON, MOSES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 10 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/norton_moses_4F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
Date de consultation:    10 oct. 2024