MICKLE, SARA (Sarah), spécialiste de l’histoire locale et conservatrice du patrimoine, née le 13 juin 1853 dans le canton de Guelph, Haut-Canada, fille de Charles Mickle, fermier puis marchand de bois, et d’Ellen Thurtell ; décédée le 2 juin 1930 à Toronto.

Le talent de Sara Mickle pour les lettres devait lui venir de son arrière-grand-père, William Julius Mickle (Meikle), le poète écossais qui avait traduit les Lusiades, épopée de l’écrivain portugais Luis de Camões. Le fils de William Julius, Charles Julius Mickle, immigra au Canada en 1832 et s’établit au nord de Guelph, où il mit sur pied une scierie florissante. Sara naquit à Langholm, la maison bâtie par son père en face de chez son grand-père, de l’autre côté du chemin Elora. Peu après la mort de son père en 1879, Sara s’installa à Toronto avec sa famille. Septième de treize enfants, elle ne se maria jamais. Grâce à l’héritage de son père, puis de sa mère et de sa sœur, elle se voua à des œuvres tels le Hillcrest Convalescent Hospital et l’église presbytérienne St Andrew, tous deux à Toronto. Durant toute son existence, préserver le passé du Canada fut sa plus grande passion.

Mlle Mickle était la seule femme présente à la réunion que tint en mars 1898 un comité de la Pioneer and Historical Society of the Province of Ontario en vue d’élargir le mandat de l’association. Elle proposa de rebaptiser celle-ci Ontario Historical Society, ce qui fut fait deux mois plus tard. Déjà, elle appartenait à la Women’s Canadian Historical Society of Toronto, qui comptait alors plus de 200 membres et avait été fondée en 1895 par Sarah Anne Curzon [Vincent*] et Mary Agnes FitzGibbon. Les dirigeantes de cette société, des femmes de l’élite, s’enorgueillissaient d’avoir des « ancêtres [qui] avaient joué un […] rôle marquant dans l’évolution de l’histoire du Canada ». Comme d’autres sociétés historiques de l’époque, la Women’s Canadian Historical Society of Toronto recueillait des documents et des vestiges du passé, et présentait des recherches afin de promouvoir « un dessein national unifié et un idéal élevé de loyauté et de patriotisme » qui soutiendraient l’« ascension » du Canada. Sara Mickle apportait sa contribution à la fois en tant qu’organisatrice et historienne. Avec Mary Agnes FitzGibbon et lady Edgar [Ridout*], elle participa à la préparation d’une exposition historique très réussie qui eut lieu en 1899 à la Victoria University. En outre, elle prépara trois calendriers sur des thèmes historiques et rédigea un certain nombre de communications sur des sujets aussi divers que les inscriptions funéraires et les demeures historiques. Entrée au comité directeur de la Women’s Canadian Historical Society of Toronto en 1897, elle en fut membre presque continuellement jusqu’à son décès en 1930 et, durant les 15 dernières années de cette période, elle fut présidente de la société.

Reconnue comme une « oratrice talentueuse », Sara Mickle milita pour diverses causes d’intérêt public. Au cours des deux premières décennies du xxe siècle, elle fut à l’avant-garde d’une longue bataille visant à empêcher le territoire du fort York, à Toronto, d’être grugé par le développement urbain et commercial. Dès que les premières menaces se firent sentir, en 1905, la Women’s Canadian Historical Society of Toronto tint des rassemblements pour sensibiliser la population à la préservation de ce fort de l’époque coloniale. L’année suivante, l’association parraina des conférences du samedi au fort à l’intention des écoliers ; cette activité, dit-on, attira des milliers d’auditeurs. Ses efforts d’éducation populaire portèrent des fruits en 1907 : par une forte majorité, les électeurs torontois rejetèrent un règlement qui aurait autorisé la construction d’une voie de tramway qui traverserait le terrain du fort. Néanmoins, les défenseurs du patrimoine devaient rester sur leurs gardes. En 1916, Mlle Mickle, à titre de présidente de la Women’s Canadian Historical Society of Toronto, réclama que soit érigé, au fort, un monument « pour intéresser la population à l’histoire du lieu et la renseigner [à ce sujet] » et que soient exécutés des travaux appropriés d’arpentage, ce qui pourrait permettre de mieux le protéger. Dans les années 1920, elle reprit du service en jouant un rôle de premier plan au Committee on the Restoration and Preservation of Old Fort York. Notamment avec sir William Dillon Otter, elle rédigea un opuscule dans le but de « stimuler l’intérêt de la population pour [la] valeur commémorative du vieux fort ».

Mais de quoi fallait-il préserver le souvenir ? Pourquoi valait-il la peine de sauver de la décrépitude un fort de l’époque coloniale ? Pour Sara Mickle et la Women’s Canadian Historical Society of Toronto, le passé était une réalité familière, garante des valeurs qui sous-tendaient la société canadienne. En fait, leur but était de préserver tout autant le statu quo social et politique que des lieux et documents historiques. Dans son rapport de l’année 1909, la Women’s Canadian Historical Society of Toronto demandait : « l’élément utilitaire et commercial de notre ville [doit-il…] l’emporter sur le sentiment patriotique et sur la foi en la valeur des leçons de notre histoire passée ? » Selon l’association, il ne fallait pas oublier les luttes menées pour maintenir les liens entre le Canada et l’Empire britannique. Ce devoir s’imposait particulièrement en 1910–1911, où le Parlement et la presse quotidienne débattaient du projet de loi concernant le Service de la marine du Canada et de la réciprocité commerciale avec les États-Unis. L’association appuya l’effort de guerre : ses membres prêtèrent leur concours à la Société canadienne de la Croix-Rouge et Mlle Mickle, dans l’une de ses allocutions présidentielles annuelles, appela toutes les parties de l’Empire à rester unies. Dans le même esprit, Sara Mickle et la Women’s Canadian Historical Society of Toronto avaient fait front commun avec l’Ontario Historical Society et d’autres organisations pour combattre une proposition visant à ériger à Québec un monument au major-général américain Richard Montgomery*, mort en dirigeant une attaque contre cette ville en 1775. Durant dix ans, soit de 1898 à 1908, les adversaires de ce projet envoyèrent des pétitions au maire de Québec, au ministre de la Milice et de la Défense, au gouverneur général et au roi. L’idée d’élever un monument à la mémoire d’un envahisseur républicain répugnait au groupe de Mlle Mickle, qui se décrivait ainsi dans le texte d’une pétition : « un ensemble de femmes […] unies seulement par le lien du patriotisme, [qui se consacre] à l’étude de l’histoire de notre pays et à la préservation de ses monuments ainsi qu’à la promotion de la loyauté parmi ses habitants, les enfants surtout, dans le but de perpétuer le souvenir de ceux qui ont persévéré, ont combattu, ont souffert et sont morts pour maintenir la suprématie de la couronne britannique ».

La dernière grande œuvre de Sara Mickle fut la restauration de la Colborne Lodge, villa que l’artiste et architecte John George Howard* avait construite pour lui-même en 1837. Howard avait cédé à la ville de Toronto une bonne partie du terrain qui devint High Park. La villa située dans le parc avait été un bâtiment élégant et exceptionnel, mais elle était dans un « triste état » lorsque Mlle Mickle prit la direction des travaux de restauration, vers 1925. Elle fit valoir au maire que, à l’instar d’autres villes, Toronto devait avoir un lieu de ce genre, qui donnerait aux citoyens « une image de la vie domestique d’autrefois ». Inlassable, elle « ne prit pas de repos tant qu’elle ne se fut pas entretenue un moment » avec quiconque avait déjà travaillé dans la maison. Ce qu’elle fit pour la Colborne Lodge lui valut des éloges de la part de George MacKinnon Wrong*, qui reconnut que la restauration était « une réalisation intéressante ». L’approbation du doyen des historiens canadiens était toute une nouveauté en ces temps où l’on dépréciait souvent les initiatives féminines en matière d’histoire en les qualifiant de travail d’amateur.

Bien que Sara Mickle se soit intéressée avant tout à l’histoire locale, son objectif fut toujours de donner aux Canadiens des signes qui leur rappelleraient leur place dans un plus vaste ensemble : l’Empire britannique. Convaincue de « la grande nécessité d’un patriotisme authentique », elle choisit des sujets de recherche qui mettaient en évidence des valeurs de loyalistes. Pour elle, l’histoire n’était pas simplement une vocation ; c’était une quête inspirée par le souci du bien public et l’expression du désir qu’avaient les femmes de sa génération – des femmes nées au pays et membres de la haute bourgeoisie – de jouer un rôle dans la formation de l’identité canadienne.

David Kimmel et Janet Miron

Sara Mickle a régigé « Colborne Lodge » et « The owner of Colborne Lodge », articles parus dans Women’s Canadian Hist. Soc. of Toronto, Trans., nº 26 (1927–1928) : 57–59 et 60s.

AO, F 1090 ; F 1139-2, 30 mars 1898 ; F 1180-11, ser. K, file 19 ; RG 22-305 nos 4569, 23764, 64864 ; RG 22-318, nº 1764.— Arch. privées, David Kimmel (Montréal), [Alan Cane], « Family history and letters : Cane/Armitage/Mickle/Rowe ».— Canadian annual rev., 1929/1930.— Colborne Lodge, High Park, Toronto, Canada, first occupied December 23rd, 1837 ([Toronto, 1951]).— S. M. Cook, « Seventy years of history, 1895–1965 », Women’s Canadian Hist. Soc. of Toronto, Trans., nº 29 (1970).— Creating historical memory : English-Canadian women and the work of history, Beverly Boutilier et Alison Prentice, édit. (Vancouver, 1997).— « A gifted lady », Saturday Night, 21 juin 1930 : 7.— Gerald Killan, Preserving Ontario’s heritage : a history of the Ontario Historical Society (Ottawa, 1976).— Janet Miron, « The Women’s Historical Society of Toronto : preserving the « food of loyalty and the drink of patriotism » (texte non publié rédigé pour la York Univ., North York [Toronto], 1996).— Cecilia Morgan, « History, nation, and empire : gender and southern Ontario historical societies, 1890–1920s », CHR, 82 (2001) : 491–528.— « The Woman’s Canadian Historical Society of Toronto : report of regular monthly meeting, held mai 30, ‘98 », Canadian Home Journal (Toronto), 4 (1898–1899), nº 3 : 12.— Women of Canada (Montréal, 1930).— Women’s Canadian Hist. Soc. of Toronto, Annual report, 1896–1930.— Donald Wright, « Gender and the professionalization of history in English Canada before 1960 », CHR, 81 (2000) : 29–66.

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David Kimmel et Janet Miron, « MICKLE, SARA (Sarah) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/mickle_sara_15F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
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