Fils d’un loyaliste noir libre, George Martin (mort en 1845) reçut de sa mère son statut d’esclave dans le Haut-Canada. Affranchi vers 1797 grâce à son père qui acheta sa liberté, il servit pendant la guerre de 1812 dans le Coloured Corps de l’armée britannique. À l’instar de nombreux anciens esclaves, Martin fit face à des difficultés financières et personnelles : il eut des ennuis judiciaires, perdit une jambe à cause d’engelures et devint dépendant de la charité. Il mourut dans une grande pauvreté.
Titre original :  View looking northwest to mouth of Niagara R.; Niagara on the left, and Fort Niagara, N.Y., on the right. Date: 1846. Toronto Public Library, Baldwin Collection of Canadiana.

Provenance : Lien

MARTIN, GEORGE, esclave noir, soldat et ouvrier, né probablement au début des années 1780, fils de Peter Martin* et peut-être d’une prénommée Pat ; décédé le 19 février 1845.

George Martin était le fils de Peter Martin, esclave affranchi et loyaliste noir qui servit dans le régiment du colonel John Butler* pendant la guerre d’Indépendance américaine. Même si Peter obtint sa liberté en échange de son service dans l’armée, ses enfants, George et Jane, ainsi que sa compagne, Pat, furent maintenus en esclavage par Butler. (On ne sait pas si Pat était la mère biologique de George et de Jane, mais elle joua vraisemblablement un rôle maternel dans leur vie.) Les statuts distincts des Martin, l’un étant libre et les autres esclaves, compliquèrent leur vie. Nombre de familles noires en Amérique du Nord britannique vécurent des situations semblables [V. Peggy* ; Statia* ; Isaac Willoughby*].

Une enfance en esclavage

Selon toute vraisemblance, George naquit au début des années 1780 et était l’un des 11 « enfants » figurant avec les Butler dans le recensement de 1784 de la région de Niagara. Puisque le colonel et sa femme n’avaient que deux enfants blancs avec eux, on suppose que les autres « enfants » étaient des domestiques, y compris les Noirs, adultes et enfants, qu’ils tenaient en esclavage. Dans le recensement de 1787 de la région de Niagara, sept « esclaves noirs » anonymes, dont probablement George, furent enregistrés comme faisant partie du ménage de Butler. Ils étaient détenus dans le domaine d’environ 500 acres du colonel, où les Butler occupèrent d’abord une cabane en rondins, avant de construire une maison à charpente de bois avec des fondations en pierre. La propriété comprenait également un caveau à légumes, des granges et des écuries.

On attendait de George, comme des autres enfants noirs asservis, qu’il travaille. Il devait sans doute effectuer des tâches domestiques, nourrir les animaux de la ferme, ramasser du bois de chauffage, en plus d’aider son père et Butler à défricher la terre, à s’occuper des cultures et à construire des granges, des cabanes et des clôtures. Son appartenance à un groupe ethnoculturel et son statut social forgèrent son enfance. George avait reçu son statut d’esclave de sa mère asservie, conformément à la loi et à la coutume britanniques. En tant que propriétaires d’esclaves, les Butler avaient légalement le droit de l’enlever à ses parents à tout moment, et de le réprimander et le punir comme ils l’entendaient.

Séparation familiale et liberté

Le colonel Butler mourut en mai 1796. Dans son testament, il n’affranchit pas les personnes qu’il avait asservies, contrairement à d’autres propriétaires d’esclaves [V. John Baker*]. Au lieu de cela, il légua Pat à son fils Andrew, Jane à sa petite-fille Catherine et George à son petit-fils John. (Catherine et John étaient les enfants de l’autre fils de Butler, le lieutenant Thomas Butler.) Par ses dernières volontés, le colonel Butler séparait les membres de la famille Martin, qui vivraient malgré tout assez près les uns des autres.

Parce qu’il était né esclave avant la promulgation de la loi visant à restreindre l’esclavage dans le Haut-Canada de 1793 [V. Chloe Cooley*], George était condamné à la servitude à vie, à moins d’être affranchi par son propriétaire. Le lieutenant Thomas Butler devint le gardien de l’héritage de ses enfants, héritage dont George faisait partie ; le lieutenant contraignit vraisemblablement ce dernier à effectuer le même genre de travail qu’il avait réalisé pour le colonel.

En 1797, Peter Martin planifia l’achat de son fils au lieutenant Butler. Il demanda au lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe* de lui accorder la concession de terre due à son défunt frère Richard, qui avait aussi servi dans le régiment des Butler’s Rangers. Dans sa requête, datée du 20 août, Martin expliqua qu’il voulait vendre la terre pour obtenir £60 (en monnaie en cours à New York) pour acquérir la liberté de George. Il reçut les 300 acres de son frère et réussit apparemment à vendre ses terres et à utiliser l’argent pour libérer son fils. Peu après, Peter et George s’établirent à York (Toronto). Peter Martin figure dans le recensement de la ville de 1801 avec un autre homme, probablement George.

La guerre de 1812 dans le Coloured Corps

George Martin s’enrôla 11 ans plus tard dans le Coloured Corps de l’armée britannique [V. Richard Pierpoint], unité active dans la région de Niagara pendant la guerre de 1812. Martin et les autres hommes du corps craignaient qu’une victoire américaine entraîne une reprise généralisée de l’esclavage en Amérique du Nord britannique et qu’on les remette en servitude. Martin figure comme simple soldat dans les quatre listes d’effectif du Coloured Corps entre 1812 et 1814. Le capitaine Robert Runchey, officier blanc, dirigeait l’unité, dans laquelle servirent environ 55 Noirs au cours de la guerre. À titre de membre du Coloured Corps, Martin participa à la bataille de Queenston Heights [V. sir Isaac Brock*] en octobre 1812, et aux campagnes au fort George (Niagara-on-the-Lake) et à la baie de Burlington (port de Hamilton) au printemps de 1813. En décembre, l’unité devint une compagnie des Royal Engineers, que l’on affecta à la reconstruction du fort George et à la construction du fort Mississauga (Niagara-on-the-Lake). Le Coloured Corps fut démobilisé le 24 mars 1815.

Après la guerre, Martin resta dans la région de Niagara et travailla comme ouvrier. En 1816, il présenta une requête pour obtenir une concession de terre à titre de vétéran de la guerre de 1812 et de fils d’un vétéran de la guerre d’Indépendance américaine. La requête indique qu’il était alors âgé d’au moins 21 ans et que son père était mort. En 1825, Martin réussit enfin à obtenir son billet de location pour 100 acres dans le canton de Mono, situé dans le comté de Simcoe (comté de Dufferin), mais il ne s’y installa pas et vendit plutôt sa terre en 1831 pour £20.

Problèmes juridiques, financiers et de santé

Martin connut de graves difficultés dans les dernières années de sa vie. Entre 1829 et 1838, il dut comparaître devant la justice plusieurs fois, notamment pour coups et blessures, violation de la paix, dettes impayées, vol et vagabondage. En septembre 1832, le tribunal le bannit du Haut-Canada pour cinq ans, probablement à la suite d’un certain nombre de verdicts de culpabilité. Comme il ne quitta pas les lieux, il se retrouva emprisonné d’octobre 1832 à juillet 1833, date à laquelle il obtint la clémence qu’il avait réclamée. Martin avait aussi été victime d’une agression en septembre 1832, autre élément qui montre l’insécurité et la pauvreté qui marquèrent sa vie.

Au cours de l’hiver de 1836–1837, Martin subit des engelures et on dut amputer une de ses jambes sous le genou ; l’autre était en si mauvais état qu’il devait marcher sur les genoux. On évoqua sa situation devant un grand jury qui soumit, le 14 juillet 1837, une requête à la cour du district de Niagara pour qu’on octroie à Martin des services sociaux de base et une aide financière. Les magistrats affirmèrent qu’ils n’avaient pas le pouvoir d’ordonner une telle assistance et rejetèrent la requête de Martin, même si on l’y décrivait comme un « homme de couleur estropié et sans défense ».

Trois mois plus tard, le grand jury présenta une autre demande au nom de Martin, indiquant qu’il était devenu « fou à cause de la perte de ses jambes », et les juges l’approuvèrent. On verserait un paiement hebdomadaire à une certaine Sarah Pickard, qui hébergeait Martin depuis juillet. À la fin de 1838, elle reçut une somme de £5, qu’elle avait réclamée pour le soutien qu’elle avait continué de lui apporter.

« Dépendant de la froide main de la charité »

En septembre 1839, la cour traita une autre requête en faveur de Martin. À ce moment-là, il était apparemment sans abri, « incapable de contribuer aussi peu que ce soit à sa propre subsistance » et « dépendant de la froide main de la charité pour les moyens de survie ». L’aide requise devait permettre à Martin de s’abriter pendant l’hiver qui approchait et de ne pas succomber aux éléments. Malgré ce plaidoyer fort et sincère, la requête fut rejetée deux jours plus tard. Martin vécut encore six ans dans l’indigence, manifestement en recourant à la charité privée, jusqu’à sa mort en février 1845.

La vie de George Martin fut façonnée d’abord par son enfance d’esclave, puis par sa position précaire de Noir libre dans une société coloniale majoritairement blanche. Il naquit dans la servitude par ascendance, puis obtint l’émancipation grâce à la détermination de son père. En tant que personne libre, Martin s’enrôla dans l’armée britannique, combattit pendant la guerre de 1812 et travailla ensuite comme simple ouvrier. Il traversa des moments difficiles, fit de la prison, et devint physiquement diminué et dépendant de la charité. Il connut une fin de vie tragique et mourut dans une grande pauvreté.

Natasha Henry-Dixon

AO, RG 1-152 (Register of militia grants), vol. 1 ; RG 22-372 (Lincoln County Court of General Sessions of the Peace records), account of E. King, 20 févr. 1845 ; RG 53-1 (Land patent book), vol. BL (Home dist.), mfm 5768 ; RG 53-55 (Index to land patents by township), vol. 12, mfm MS1, reel 4, Mono ; RG 53-56 (Index to land patents by name), vol. E, mfm MS1, reel 7.— Bibliothèque et Arch. Canada (Ottawa), MG21-Add. MSS.-21828, vol. B 168 (Haldimand fonds, Musters of refugee loyalists desiring to settle in Canada), f.36 (List of persons who have subscribed their names in order to settle and cultivate the crown land opposite to Niagara, July 20th, 1784 ; accessible à heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1655, image 138) ; R10875-4-5 (Executive Council Office of the Province of Upper Canada fonds, land submissions), vol. 327a, petition 35 (Peter Martin, 21 mai 1796 ; accessible à www.collectionscanada.gc.ca/microform-digitization/006003-119.02-e.php?q2=29&q3=2534&sqn=373&tt=1030&PHPSESSID=7upk2t2a2a533gvt4ac4sdnup0oss18o20ggb190vq4g2clhbe31) ; R10875-4-5 (Executive Council Office of the Province of Upper Canada fonds, land submissions), vol. 329, petition 47 (Peter Martin, 20 août 1797 ; accessible à www.collectionscanada.gc.ca/microform-digitization/006003-119.02-e.php?q2=29&q3=2535&sqn=329&tt=1050&PHPSESSID=7upk2t2a2a533gvt4ac4sdnup0oss18o20ggb190vq4g2clhbe31) ; R10875-4-5 (Executive Council Office of the Province of Upper Canada fonds, land submissions), vol. 341, petition 174 (George Martin, 14 mai 1816 ; accessible à www.collectionscanada.gc.ca/microform-digitization/006003-119.02-e.php?q3=2544&sqn=452&tt=1036&q2=29&interval=&PHPSESSID=npfo6qij0n1rpue06msk2mqnj1) ; RG4-A1 (Civil Secretary corr., A 1 - S ser. : Quebec and Lower Canada), Return of disbanded troops and loyalists settled in no.1 Township, District of Niagara, September 17th, 1787 (accessible à heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_c3002, images 625–626) ; RG8-I, vol. 688E (British military records, C ser., […], War 1812), pp.113–116 (Color’d Corps muster roll and pay list from 25 April to 24 July 1813 ; accessible à central.bac-lac.gc.ca/.redirect?app=fonandcol&id=2811259&lang=eng, images 165–168).— Brock Univ., Library, Arch. & Special Coll., « The Butler papers » : dr.library.brocku.ca/handle/10464/9242 ; Map, Data & GIS Library, « Historical maps of Niagara, Niagara Township, plan A, NMC-3555 » : hdl.handle.net/10464/10518 (consultés le 28 nov. 2024).— An annotated nominal roll of Butler’s Rangers, 1777–1784, with documentary sources, W. A. Smy, compil. (Welland, Ontario, 2004).— Archaeological Services Inc., « The Butler family homestead site » : asiheritage.ca/wp-content/uploads/2020/06/Butler-Site-Final-Report.pdf (consulté le 24 oct. 2024).— Early Niagara district court records, 1787-1841 : a source book with a nominal index, B. K. Narhi, édit. (3 vol., St Catharines, Ontario, 2006), 2.— « Early records of St. Mark’s and St. Andrew’s churches, Niagara », Ontario Hist. Soc., Papers and Records (Toronto), 3 (1901) : 7–73.— Natasha Henry-Dixon, « One too many : the enslavement of Black people in Upper Canada, 1760–1834 » (thèse de ph.d., York Univ., Toronto, 2023).— D. R. Murray, Colonial justice : justice, morality, and crime in the Niagara district, 1791–1849 (Toronto et Buffalo, N.Y., 2002).— The statutes of the province of Upper Canada […] (Kingston, Ontario, 1831).— Leah Wallace, « 507 Butler Street, Town of Niagara-on-the-Lake : cultural heritage impact assessment » : www.notl.com/sites/default/files/2022-10/507%20Butler%20Street%20-%20Cultural%20Heritage%20Impact%20Assessment.pdf (consulté le 11 oct. 2024).— York, Upper Canada : minutes of town meetings and lists of inhabitants, 1797–1823, Christine Mosser, édit. (Toronto, 1984).

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Natasha Henry-Dixon, « MARTIN, GEORGE (mort en 1845) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 25 mars 2025, https://www.biographi.ca/fr/bio/martin_george_7F.html.

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Auteur de l'article:    Natasha Henry-Dixon
Titre de l'article:    MARTIN, GEORGE (mort en 1845)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2025
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Date de consultation:    25 mars 2025