MANACH (Manack, Manachs), JEAN (Jacques), prêtre des Missions étrangères, missionnaire, né en France probablement vers 1727, ordonné prêtre à Paris en 1750 et mort en mer le 22 janvier 1766.
L’abbé Manach reçut sa formation ecclésiastique au séminaire des Missions étrangères à Paris. Dès son ordination, ses supérieurs le destinèrent aux missions micmaques de l’Acadie mais il devait auparavant faire un bref séjour au séminaire de Québec « pour s’y fortifier dans la morale et les autres connoissances qui lui sont nécessaires ». Le navire qui le transportait ayant fait escale à Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton), Manach céda aux sollicitations de l’abbé Pierre Maillard et se rendit immédiatement à sa mission acadienne. C’était en octobre 1750. Cette désobéissance « mortifia » ses supérieurs, mais Manach n’en demeura pas moins en Acadie. Il y devint un indispensable auxiliaire de l’abbé Jean-Louis Le Loutre* qu’il remplaça souvent auprès des Micmacs de la mission de Shubenacadie, et dès 1752 il maîtrisait la langue micmaque, pourtant « rude et barbare » de réputation.
L’abbé Manach fut mêlé de près aux incidents de frontière qui accompagnèrent l’érection des forts Beauséjour et Lawrence dans l’isthme de Chignectou, à partir de septembre 1750. On sait qu’il intervint dans les délibérations concernant les échanges de déserteurs en avril 1753, qu’il réprimanda les Acadiennes qui étaient allées rôder autour du fort Lawrence au mois d’août de la même année et qu’il servit d’agent de liaison entre les officiers du fort Beauséjour et les Micmacs de sa mission. Au fond, son attitude fut celle de la majorité des prêtres français en Acadie au xviiie siècle, celle d’un homme ouvertement engagé dans la cause de la France. Manach avait alors comme domestique un certain Daniel, Suisse d’origine, qui, après avoir joué à l’agent double, passa du côté anglais au début de 1756. Ce Daniel prêta à son maître des propos subversifs : « Autant d’Anglois que vous tuérés, ce sera autant d’échelons pour monter au Paradis », aurait dit le missionnaire à ses Micmacs. En rapportant ces propos, l’abbé François Le Guerne précisa que le tout n’était qu’imposture. Cependant, si l’on songe que les Micmacs n’acceptèrent les propositions de paix des Anglais qu’après que l’abbé Manach leur eut donné l’exemple, on peut présumer que ce dernier a encouragé ses ouailles à participer activement à la petite guerre, aux frontières de l’Acadie. À la prise du fort Beauséjour en juillet 1755, Manach dut s’enfuir du côté de Miramichi, avec les rescapés des incursions de Robert Monckton*. Durant près de quatre années, il demeura caché dans les bois, seul prêtre parmi les réfugiés acadiens et micmacs. Ses supérieurs se dirent alors touchés de son attachement pour ses Indiens, mais ils étaient singulièrement ignorants de ses conditions d’existence. À l’instar des autorités civiles, ils le croyaient bien ravitaillé par l’intendant Bigot*, alors que le petit groupe survivait dans la plus grande misère. Le témoignage de l’abbé Manach sera effectivement versé, après 1760, au dossier de la mauvaise administration du Canada.
Le 26 octobre 1759, à l’annonce de la prise de Québec, Manach accepta les propositions de paix du « commandant Henry [Alexander ?] Schomberg », au nom des Acadiens de Richibouctou et de la baie des Ouines (baie du Vin). D’autres missionnaires, comme l’abbé Maillard et le père Joseph-Charles Germain*, consentirent également à des capitulations locales. Vertement critiquées par l’officier français Jean-François Bourdon de Dombourg du camp de Ristigouche, ces initiatives amenèrent ce dernier à constituer un dossier contre les missionnaires qu’il accusa de trahison. Informé à ce sujet, le gouverneur Pierre de Rigaud* de Vaudreuil projeta de les faire « arrêter » et décida de prendre à leur endroit « le parti le plus sage et le plus prudent par rapport à la dignité de leur caractère ». Dès juillet 1760, Manach collabora avec Maillard à la pacification des Micmacs, mais en mars 1761 il fut arrêté par les autorités de Halifax qui l’accusaient de « créer du malaise parmi les Indiens ». Conduit à New York et de là en Angleterre, Manach resta prisonnier plusieurs mois dans la rade de Portsmouth sans qu’il connût « le sujet de sa détention ».
Libéré en août 1761, il se rendit à Paris où il fut mal reçu au séminaire. En effet, les directeurs du séminaire prétendirent qu’il avait quitté sa mission sans permission et ne consentirent à l’héberger que s’il payait une pension. Il dut donc obtenir, grâce à l’influence de l’abbé de l’Isle-Dieu, deux provisions de la cour pour assurer sa subsistance. Cependant, Manach désirait retourner en Acadie et multiplia les démarches en ce sens. L’abbé de l’Isle-Dieu approcha lord Stanley, diplomate britannique, afin d’obtenir l’autorisation pour Manach de retourner en Acadie. Mais les directeurs du séminaire des Missions étrangères songeaient plutôt à placer l’ex-missionnaire comme vicaire dans une paroisse parisienne.
Devant ces tracasseries, Manach entreprit alors, en compagnie de l’abbé Jacques Girard*, également missionnaire en Acadie, d’intenter un procès au supérieur et aux directeurs du séminaire des Missions étrangères, « appelant comme d’abus » contre les règlements de cette communauté et réclamant la participation des missionnaires à la direction du séminaire. Les directeurs, selon eux, avaient failli à leur idéal missionnaire en établissant le règlement secret de 1716 qui relevait pratiquement les directeurs de toute obligation vis-à-vis des missionnaires. Les résultats d’un tel règlement étaient inévitables : il y avait, en 1762, onze directeurs pour former deux jeunes ecclésiastiques. Autrement dit, le séminaire des Missions étrangères était devenu davantage une source de bénéfices qu’un foyer de rayonnement missionnaire. Le groupe des missionnaires, auquel s’étaient joints l’abbé Le Loutre, d’anciens vicaires apostoliques des deux Indes et des évêques, dont Mgr Dosquet*, produisit d’intéressants mémoires sur cette affaire. Mais les directeurs surent interpréter à leur avantage les actes primitifs du séminaire. Surtout, ils réussirent à transformer les données de la « contestation » en demandant « si les évêques vicaires apostoliques et les missionnaires leurs coopérateurs pouvaient, étant hors du royaume, y former aucune congrégation et y être membre d’aucun corps légal ». L’abbé de l’Isle-Dieu jugeait la position des directeurs empreinte « d’absurdité » et « d’irréligion ». L’affaire fut portée devant les tribunaux civils de la grand’chambre du Parlement de Paris. Les directeurs du séminaire eurent gain de cause le 6 septembre 1764, par un arrêt qui maintint « les Supérieur et directeurs du Séminaire des Missions Étrangères établi à Paris dans la possession du dit Séminaire ».
L’abbé de l’Isle-Dieu, « voulant rendre justice à la vertu et à l’innocence opprimées » prit les missionnaires sous sa protection. Il obtint pour les abbés Girard et Manach, le 7 juin 1765, les postes de « préfet et de vice-préfet à la nouvelle préfecture apostolique des îles Saint-Pierre-et-Miquelon », où se trouvaient de nombreux réfugiés acadiens. Cette nomination témoignait de l’estime qui était accordée aux deux missionnaires, ainsi chargés de pouvoirs épiscopaux. Le navire qui transportait Manach et Girard fit naufrage et échoua à la Martinique. L’abbé Manach mourut durant la traversée qui le ramenait de la Martinique à la métropole, le 22 janvier 1766.
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Micheline D. Johnson, « MANACH (Manack, Manachs), JEAN (Jacques) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/manach_jean_3F.html.
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Auteur de l'article: | Micheline D. Johnson |
Titre de l'article: | MANACH (Manack, Manachs), JEAN (Jacques) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |