GUEGUEN (Goguen), JOSEPH, domestique, secrétaire, interprète, traducteur, marchand et juge de paix, né le 2 mai 1741 à Morlaix, France, fils de Jacques Gueguen et d’Anne Hamonez ; décédé le 28 février 1825 à Cocagne, Nouveau-Brunswick.

À la fin d’avril 1753, Joseph Gueguen s’embarqua pour l’Acadie en compagnie de l’abbé Jean-Louis Le Loutre*. Il devint domestique et secrétaire de son frère utérin, Jean Manach*, prêtre missionnaire originaire de Morlaix. Gueguen l’accompagna dans ses visites pastorales et, de cette façon, il apprit à maîtriser la langue micmaque. De même, il put rencontrer nombre de chefs indiens, d’administrateurs coloniaux, de commerçants, de trafiquants de fourrures et de paysans acadiens.

Au moment de la déportation de 1755 [V. Charles Lawrence*], Gueguen partit pour l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard) afin d’échapper aux Britanniques. Il y fit une brève escale, puis monta à bord d’une goélette qui fit voile vers Québec. Il serait alors entré au petit séminaire de l’endroit où il aurait étudié jusqu’en 1758. À l’été de la même année, il retourna en Acadie, à la baie des Ouines (baie du Vin, Nouveau-Brunswick), où il rejoignit Manach, la famille de François Arsenault, son futur beau-père, et d’autres amis acadiens. En juillet, à la chute de Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton), et de l’île Saint-Jean, la chasse à l’homme reprit de plus belle en Acadie. Gueguen comptait alors parmi les quelque 3 500 réfugiés acadiens rassemblés dans la région de Miramichi, qui souffraient de la famine et des mauvaises conditions de vie.

En juin 1759, le vicaire général Pierre Maillard* visita Manach à Miramichi et lui suggéra, tout comme aux Acadiens et aux Micmacs, de se soumettre aux autorités britanniques. Aussi, à la fin de janvier 1760, Gueguen et de nombreux Acadiens se rendirent au fort Cumberland (près de Sackville, Nouveau-Brunswick) où ils signèrent les articles de soumission. Ils furent promptement emprisonnés. Bien vu des autorités et capable de parler anglais, français et micmac, Gueguen fut nommé traducteur et interprète, de même que responsable de la distribution des vivres aux prisonniers du fort. En l’absence de missionnaires, il remplit en même temps certaines fonctions sacerdotales. En septembre, il épousa Anne (Nanon) Arsenault, et de ce mariage devaient naître six enfants.

En 1765, Gueguen, qui était toujours en captivité, refusa de prêter le serment d’allégeance à la couronne britannique. À l’automne, tout comme bon nombre d’Acadiens, il alla s’installer dans les îles françaises Saint-Pierre et Miquelon. Pendant l’été de 1767, le gouvernement français chassa toutefois les Acadiens de son territoire [V. François-Gabriel d’Angeac*]. Avec son beau-père, Gueguen acheta une goélette et fit voile vers Halifax, où il accosta en octobre. Il obtint du gouvernement la permission de s’établir à Cocagne et il y débarqua le mois suivant.

Gueguen ouvrit alors un comptoir de traite des fourrures et, jusqu’à la fin des années 1770, il fut le seul Acadien à pratiquer cette activité commerciale sur une si grande échelle. Il possédait un magasin, un entrepôt, une grange et plusieurs autres bâtiments. Il était aussi propriétaire d’une goélette avec laquelle il commerçait et faisait la pêche à la morue. Il possédait, en outre un petit quai et 472 acres de terre, qui lui avaient été concédées en 1772. Il semble qu’entre 1770 et 1790 Gueguen fut le commerçant le plus prospère de l’Acadie. En 1818, il affirmait que les Micmacs lui devaient toujours £5 709 pour des marchandises qu’il leur avait fournies avant 1800.

Veuf depuis 1768, avec quatre jeunes enfants à sa charge, Gueguen se remaria avec une veuve, Marie Quessy, qui lui donna trois enfants. Cependant, après de multiples chicanes, Marie Quessy quitta Gueguen et ses enfants, et elle ne revint jamais. Dans une déposition devant un juge de paix, elle affirma sans ambages avoir souvent pensé d’assassiner son mari. Ce dernier tenta d’obtenir le divorce. En 1795 et 1796, il fit vainement des démarches en ce sens auprès de l’évêque de Québec, Mgr Jean-François Hubert*.

Au début de la guerre d’Indépendance américaine, Gueguen afficha une neutralité bienveillante à l’endroit des rebelles. C’est probablement à sa ferme qu’eut lieu la rencontre entre le prorebelle John Allan* et les chefs micmacs de la Nouvelle-Écosse en septembre 1776. Gueguen, qui servait alors d’interprète, recommanda cependant aux chefs de rester neutres et de ne pas partir en guerre contre le gouvernement britannique. Ces derniers respectèrent son avis. La prise de position de Gueguen ne plut guère aux rebelles américains qui, en guise de représailles, lui volèrent des marchandises, de l’argent et une goélette à l’été de 1778.

À l’instar d’Otho Robichaux et d’Alexis Landry*, Gueguen faisait partie du conseil des patriarches, qui constitua une sorte de gouvernement parallèle entre 1784 et 1810. Ce conseil essayait tant bien que mal de résister à l’oppression et voulait défendre les intérêts des paysans acadiens. Homme instruit, Gueguen était souvent consulté et amené à prendre parti. Juge de paix à compter de 1794, il agissait aussi à titre d’arpenteur, de notaire et de prêtre suppléant. Certains missionnaires l’accusèrent notamment de posséder des livres dangereux et, par conséquent, de donner des avis insidieux au peuple. Il est vrai que Gueguen avait une bibliothèque imposante, héritée en grande partie de Manach. Il possédait aussi des travaux linguistiques de Maillard qu’il utilisa pour la rédaction de manuscrits en français et en micmac.

Un an après le décès de Marie Quessy, survenu en 1807, Joseph Gueguen épousa à Cocagne une veuve, Nanette Surette, et ils eurent quatre enfants. Le 28 février 1825 mourut le « savant », le « Docteur », le « sieur Joseph Gueguen, écuyer ». Il était alors le dernier survivant des fondateurs de Cocagne.

Régis S. Brun

AAQ, 210A, II : 277–280, 304–307 : III : 142–144, 154–155, 166–169 ; 311 CN, V : 3, 5–6, 8a, 9, 11, 15, 29, 33 ; 312 CN, V : 2, 51.— APC, MG 11, [CO 42] Q, 71 ; MG 23, D1, sér. 1, 13 : 585–587, 611–615.— APNB, RG 2, RS8, appointments and commissions ; RG 10, RS 108 ; RG 18, RS153.— Centre d’études acadiennes, univ. de Moncton (Moncton, N.-B.), Fonds Macdonald -Stewart ; Fonds Placide Gaudet, 1.55-3, 1.56-11.— PANS, RG 1, 364, no 96 (transcription) ; RG 20.— UNBL, MG H2 ; MG H54.— J. C. Pilling, Bibliography of the Algonquian languages (Washington, 1891).— Régis Brun, Pionnier de la nouvelle Acadie, Joseph Gueguen, 1741–1825 (Moncton, 1984).— D. F. Léger, l’Histoire de la paroisse St. Pierre de Cocagne, diocèse de St. Jean, N.-B. (Moncton, 1920).— Paul Surette, Memramkouke, Petcoudiac et la Reconstruction de l’Acadie, 1763–1806 [...] (Moncton, 1981).— J. C. Webster, The forts of Chignecto : a study of the eighteenth century conffict between France and Great Britain in Acadia ([Shediac, N.-B.], 1930).— Albert David, « l’Apôtre des Micmacs », Rev. de l’univ. d’Ottawa, 5 (1935) : 49–82, 425–452 ; 6 (1936) : 22–40.

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Régis S. Brun, « GUEGUEN (Goguen), JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/gueguen_joseph_6F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
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