LOFT, FREDERICK OGILVIE (connu sous le nom mohawk d’Onondeyoh, qui signifie « belle montagne »), forestier, journaliste, fonctionnaire, auteur, militant, officier et chef honoraire élu mohawk, né le 3 février 1861 dans la réserve Six-Nations, Haut-Canada, fils de George Rokwaho Loft et d’Ellen Smith ; à la fin de juin 1898, il épousa à Toronto Affa Northcote Geare (décédée le 21 mai 1945), et ils eurent trois filles ; décédé dans cette ville le 5 juillet 1934.

Les parents de Frederick Ogilvie Loft faisaient partie de la communauté chrétienne, le groupe religieux le plus nombreux chez les Six-Nations de la rivière Grand. Deux univers religieux coexistaient chez les Iroquois de cette réserve. Les Mohawks, les Onneiouts, les Tuscarorens et les alliés des Iroquois tels que les Loups (Delawares) acceptaient le protestantisme. Les Tsonnontouans et les Onontagués adhéraient au code de Skanyátaí.yoˀ (Handsome Lake), le prophète tsonnontouan qui pratiquait la religion traditionnelle iroquïenne du début du xixe siècle. L’autre tribu iroquoise, les Goyogouins, comprenait à la fois des adeptes du christianisme et de Handsome Lake (ou de la religion de la maison longue). Dans l’ensemble, les chrétiens prônaient l’acclimatation à la société blanche par l’adoption de l’agriculture commerciale et de l’instruction en anglais, tandis que les disciples de Handsome Lake défendaient les coutumes ancestrales des Six-Nations.

La mère de Loft, Ellen Smith (Konwajonhondyon, c’est-à-dire « laissée seule près du feu »), donna à ses enfants des noms anglais et iroquoïens. Elle était la petite-fille de l’illustre Oneida Joseph, qui avait combattu sous les ordres de Joseph Brant [Thayendanegea*] pendant la guerre d’Indépendance américaine. Le père d’Ellen, Peter Smith, fermier mohawk prospère, fut l’interprète des Six-Nations dans les années 1850. Ellen était assez jeune quand sa mère mourut et que son père épousa l’une des petites-filles de Brant. Les Smith étaient au plus haut rang de la hiérarchie sociale des Iroquois chrétiens. Ils reçurent, par exemple, en 1850, l’ethnographe américain Lewis Henry Morgan et son assistant iroquois Ely Samuel Parker, futur général de l’armée américaine. Ellen se souvint de cette visite toute sa vie. En 1849, elle avait épousé George Rokwaho Loft, Mohawk de la réserve Tyendinaga dans la baie de Quinte, près de Belleville. Son père leur offrit en cadeau de noces une petite ferme, Forest Home, dans le coin nord-est du territoire des Six-Nations.

Comme ses parents parlaient couramment l’anglais, Frederick Ogilvie Loft, surnommé Fred, deuxième de trois garçons, fut élevé à la fois dans cette langue et dans sa langue natale, le mohawk. Lui-même et ses frères William D. (Dewaselakeh, qui signifie « hache double ») et Harry (Kalonyoudyeh, « ciel volant ») – les trois seuls des six enfants qui survivraient à leur père – grandirent dans la tradition anglicane. Attachés à la foi chrétienne, George Rokwaho et Ellen Loft donnèrent une partie de leur terre agricole pour la Christ Church en 1873. Une note inscrite au registre paroissial tout de suite après la mort de George Rokwaho Loft, en 1895, fait état de ses « plus de 40 ans de travail missionnaire dans cette localité en tant que catéchiste, interprète et officiant laïque ».

Les Loft accordaient également une grande valeur à l’éducation. Frederick Ogilvie fréquenta une école primaire autochtone près de Forest Home jusqu’à l’âge de 12 ans. Ensuite, il fut pensionnaire au Mohawk Institute de Brantford pendant un an. Il détesta son séjour dans cet internat pour Amérindiens. Des années plus tard, il se rappellerait avec amertume certaines privations : il « étai[t] toujours affamé, n’avai[t] pas assez à manger ». Il disait aussi qu’« En hiver, les chambres et les lits étaient tellement froids que ce n’était qu’au milieu de la nuit qu’[il] était assez réchauffé pour [s]’endormir. » Son père et sa mère, qui lui laissèrent toujours beaucoup de liberté, appuyèrent sa décision de ne pas retourner au pensionnat. Cependant, il tenait tant à s’instruire que, à l’âge de 13 ans, il parcourait chaque jour huit milles à pied pour se rendre à l’école publique de Caledonia et en revenir. L’année suivante, il s’installa dans cette localité avoisinante non autochtone pour se rapprocher de l’école et il travailla pour payer le gîte et le couvert. Dès la fin de ses études primaires, ce jeune homme obstiné entra à l’école secondaire de Caledonia, où il étudia de 1878 à 1881.

Grâce à l’encouragement de ses parents et à ses succès scolaires, Loft acquit beaucoup d’assurance. La discrimination régnait dans les localités situées aux alentours du territoire des Six-Nations, et, pourtant, les rencontres désagréables qu’il pouvait faire à Caledonia n’entamaient pas sa détermination. Au terme de ses études secondaires, selon une source biographique, il se sentait « assez bien outillé pour affronter le monde de la concurrence – quoi qu’il advienne ». Divers défis l’attendaient. Employé pendant plusieurs années dans les forêts du nord du Michigan, il passa du rang de bûcheron à celui d’inspecteur du bois. Des ennuis de santé l’obligèrent à regagner la rivière Grand, où il resta en 1884–1885. Une fois guéri, il retourna aux études. Une bourse complète lui permit d’étudier la comptabilité à l’Ontario Business College de Belleville. Après avoir obtenu son diplôme, il ne trouva pas d’emploi de commis comptable, ce qui l’obligea à se rabattre momentanément sur le journalisme. Reporter durant six mois au Brantford Expositor, il couvrit localement les élections générales de février 1887. (Tous les Amérindiens de sexe masculin de l’est du Canada qui satisfaisaient aux critères de propriété venaient de se voir attribuer le droit de voter aux élections fédérales, droit qui leur serait retiré en 1898.) Loft était un libéral si loyal qu’un autre Mohawk, John W. M. Elliott, organisateur conservateur, avait dit le 10 janvier au premier ministre du pays, sir John Alexander Macdonald*, que le département des Affaires indiennes ne devrait pas répondre à ses lettres. Loft, expliquait-il, « est un grit rigide et fanatique, et [il] désire utiliser contre notre parti et [notre] gouvernement la moindre bribe d’information qu’il obtient du “quartier général” ».

Après avoir travaillé au Brantford Expositor, Loft fut inspecteur du bois à Buffalo, dans l’État de New York, pendant deux ans. Puis, vers 1890, en partie grâce à ses liens avec le Parti libéral, il obtint un nouveau poste à Toronto. Le gouvernement provincial libéral d’Oliver Mowat* le nomma comptable à l’économat de l’Asylum for the Insane. Il exercerait cette fonction durant 36 ans.

À la fin du xixe siècle, les Torontois s’intéressaient peu à l’actualité autochtone. Les Premières Nations étaient plus éloignées d’eux que des Canadiens d’autres centres urbains. Il n’y avait pas de réserve près de Toronto, alors qu’il y en avait près de Montréal, de Vancouver et de Calgary. Au recensement de 1901, seulement 36 Amérindiens seraient dénombrés dans la capitale ontarienne. En 1891, Goldwin Smith*, un des plus éminents intellectuels de la ville et ex-professeur d’histoire à la University of Oxford, régla le sort des Amérindiens en deux phrases : « Cette race, tout le monde le dit, est condamnée [...] Ce ne sera pas une grande perte pour l’humanité. »

Après son arrivée à Toronto, Loft continua de s’intéresser aux questions autochtones. Il tenta d’organiser un nouveau regroupement politique des Premières Nations de l’Ontario. Le 9 octobre 1896, il écrivit au fonctionnaire fédéral Hayter Reed, surintendant général adjoint des Affaires indiennes, que « les Six-Nations et les Mohawks de la baie de Quinte[,] les Indiens les plus importants au Canada », n’assistaient plus aux grands conseils généraux tenus par les autochtones de la province. Plus tard, il suggéra de former une organisation qui réunirait de nouveau les Iroquois et les Sauteux. Tirant profit de son expérience journalistique, il reformula ses arguments dans une lettre parue dans le Globe de Toronto le 7 novembre. Il voulait une plus grande autonomie pour les Premières Nations. Le département des Affaires indiennes, disait-il, « devrait se rendre plus aisément à [leurs] décisions et à [leurs] souhaits, tels qu’ils s’expriment par la sagesse de [leurs] conseils respectifs, au lieu de se soumettre à ce qui leur est imposé, comme cela, hélas, a trop souvent été le cas ». Sa proposition n’eut aucune suite.

À la fin des années 1890 et dans les premières années du nouveau siècle, Loft participa pleinement à la vie torontoise ; sa ville d’adoption avait beaucoup plus à offrir que les petites localités de Caledonia, Brantford ou Belleville. En 1898, le fonctionnaire de 37 ans épousa Affa Northcote Geare, de Chicago. Cette ex-Torontoise d’ascendance britannique était de 11 ans sa cadette. Ils s’étaient connus chez un ami à Toronto. En 1899, Affa donna naissance à des jumelles, Henrietta Gertrude et Ellen Emma Leska. Celle-ci mourut en 1902, mais une autre fille, Affa Northcote, vit le jour en 1904. Les Loft fréquentaient l’église, menaient une vie très active au sein de la haute bourgeoisie et avaient beaucoup de relations. Ils étaient abonnés à deux théâtres et se rendaient souvent à la piste de course d’Abraham Michael Orpen – Loft étant grand amateur de chevaux. Il appartenait à la St George’s Lodge et participait activement aux activités maçonniques, il adorait le billard, chantait, jouait du piano et, avec sa femme, il tenait des réceptions musicales. À l’occasion, il prenait la parole devant les organismes dont elle était membre : l’American Women’s Club of Toronto, la United Empire Loyalists’ Association of Canada et la Women’s Art Association of Canada. Leurs filles étudiaient à la distinguée Toronto Model School.

Des ministres du culte, des médecins, des avocats et des chefs d’organisation comptaient Loft parmi leurs amis. Il connaissait sir Adam Beck*, le président d’Ontario Hydro, dont une photo était accrochée chez lui. Il connaissait également le conservateur de l’Ontario Provincial Museum, David Boyle*, qui s’intéressait lui aussi aux Premières Nations et qui, en 1907, le décrivit dans un article comme « un gentleman très intelligent, de belle allure, éloquent et plein de bon sens ». (Loft était grand et avait un physique impressionnant, il s’habillait de manière classique, en complets bleu marine ou gris foncé.) Pendant quelque temps, les Loft habitèrent dans la même rue que George Taylor Denison*, le plus haut magistrat de la police de Toronto, qui en 1906 décrivait Loft ainsi : « gentleman respectable assez instruit et bien plus qualifié pour le droit de vote que 95 pour cent de ceux qui l’ont ». Des amis autochtones, tel le célèbre coureur iroquois Tom Longboat*, rendaient visite à Loft.

Dans les années précédant la Première Guerre mondiale, Loft continua d’attirer l’attention sur les affaires autochtones. En 1908, il écrivit sur l’avenir des Amérindiens pour le Globe et, un an plus tard, fit paraître dans le Saturday Night de Toronto une série d’articles sur un thème qui lui était particulièrement cher, les Amérindiens et l’instruction. Dans le premier de ses quatre articles, il prônait la fermeture des pensionnats, que, en raison de leur insalubrité, il qualifiait de « véritables pièges mortels », et réclamait plutôt des externats dans les réserves. Dans l’Annual archæological report de l’Ontario, il écrivit sur un sujet plus léger, le serpent de neige, sport d’hiver favori des Six-Nations.

Les Six-Nations étaient très enracinées dans leur passé [V. John Arthur Gibson*] et Loft contribua à cette conscience historique. Ses articles sur Joseph Brant et les « Iroquoian loyalists » dans les Annual transactions de la United Empire Loyalists’ Association faisaient l’éloge du chef Brant et d’autres membres des Six-Nations qui s’étaient alliés aux Britanniques. Dans son essai loyaliste, il parlait des « liens précoces et [de] la fidélité des Iroquois envers la couronne britannique ». Des guerriers des Six-Nations combattirent aussi aux côtés des troupes britanniques pendant la guerre de 1812 [V. Tekarihogen*]. En 1912, à l’occasion du centenaire de la victoire de sir Isaac Brock* à Queenston Heights, le « guerrier F. Onondeyoh Loft » prit la parole sur la même tribune que le chef mohawk A. G. Smith (Dekanenraneh).

Chaque fois qu’il le pouvait, Loft retournait chez les Six-Nations pour voir sa mère, veuve depuis la mort de son père en 1895. Le dimanche, à Forest Home, le fervent anglican se rendait à l’église. Selon sa nièce, Bernice Loft Winslow (Dawendine), il s’exerçait à parler mohawk après les offices mais, éloigné des siens depuis tant d’années, il ne parlait plus cette langue aussi couramment et plaçait parfois des mots au mauvais endroit. Henrietta Gertrude, l’une des filles de Loft, évoqua Forest Home, où elle passa bien des étés avec sa sœur Affa Northcote, dans les termes suivants : « ses arbres magnifiques et ses bois. Et une acre de violettes près de la maison [...] Un orgue et un violon, aussi – pour la musique. Beaucoup de visiteurs et beaucoup, beaucoup de rires – Ma grand-mère était bien éduquée – Mais une femme de peu de mots – douce et dodue, mais c’était elle la patronne. »

Malgré son attachement aux Six-Nations et la reconnaissance dont il jouissait dans la société, Loft avait honte d’occuper un humble poste de fonctionnaire et d’être pupille de la couronne en vertu de la loi fédérale sur les Indiens. Le 28 janvier 1907, il écrivit au premier ministre du pays, sir Wilfrid Laurier*, à propos de son emploi à l’asile : « le poste que j’occupe, qui n’est qu’un simple emploi de commis, n’a jamais constitué, selon moi, une juste reconnaissance de la valeur de mon travail. Pire encore, mon salaire est très petit. » Si les Loft voulaient se payer des extra, ils devaient compter sur les activités commerciales d’Affa. Elle achetait et vendait des maisons, louait des chambres et possédait des actions. Leurs fréquents changements d’adresse à Toronto donnent l’impression qu’ils étaient des vagabonds, mais, en fait, ils déménageaient au gré de l’engagement d’Affa sur le marché local de l’immobilier.

En 1906, Loft avait demandé d’être émancipé, ce qui signifiait renoncer à son statut d’Indien, cesser d’être juridiquement reconnu comme pupille et devenir un citoyen comme les autres. Il chérissait son héritage autochtone, mais il voulait également participer pleinement à la société dominante. Après tout, il avait épousé une femme qui n’était pas autochtone et il s’était intégré au marché du travail. Quand il apprit que le Conseil des Six-Nations, peu disposé à perdre Onondeyoh, refusait d’appuyer sa demande, il la retira et changea plutôt de stratégie.

Loft décida de se porter candidat à la surintendance des Six-Nations, la plus haute fonction fédérale dans la communauté de la rivière Grand. Dans sa lettre de 1907 à Laurier, il expliqua : « Il n’y a peut-être rien que j’ai désiré davantage dans ma vie que de devenir si possible le surintendant des Six-Nations de Brant, pour le cas où votre gouvernement considérerait que l’un des leurs serait capable d’exercer cette fonction. » Une semaine plus tard, le conseil approuva sa candidature. Cependant, malgré cette approbation et les états de service impeccables de Loft chez les libéraux, le gouvernement lui refusa le poste. Au début de janvier 1917, le conseil, qui le voulait toujours comme surintendant, recommanda à nouveau sa nomination, sans succès.

Après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, Loft, loyal partisan de la Grande-Bretagne, avait visité des réserves dans tout l’Ontario afin de promouvoir le recrutement. En 1917, après trois ans de service actif dans la milice à Toronto, il fut nommé lieutenant dans une « unité de foresterie » à cause de son travail passé dans l’industrie du bois. Au moment de s’enrôler, il avait prétendu avoir 45 ans, et non 56, afin de se qualifier pour le service outre-mer. Le médecin qui l’examina l’avait cru sur parole. Loft mesurait un peu plus de cinq pieds onze pouces, pesait 170 livres et était en forme. Durant toute sa vie d’adulte, il avait pris très grand soin de sa condition physique. Il n’eut jamais de voiture, se déplaçait toujours à pied et, selon sa fille Henrietta Gertrude, il faisait de l’exercice chaque matin.

Loft partit pour la Grande-Bretagne avec le 256th Infantry Battalion, qui aida ensuite à fournir des hommes au 10th Railway Battalion, puis il fut muté au Corps forestier canadien. En France, la région où son unité fut postée et ses habitants lui plaisaient. « Je suis tombé amoureux de la contrée, de ses gens et de la langue, avec laquelle je m’efforce de me familiariser par l’étude chaque soir », écrivit-il le 6 décembre 1917 dans une lettre à un ami fonctionnaire au Canada. Le 7 août, pendant son séjour de six mois outre-mer, le Conseil des Six-Nations lui avait conféré le titre de chef honoraire élu, distinction réservée aux membres les plus éminents de la Confédération iroquoise de la rivière Grand. À titre de représentant du conseil, il fut reçu par le roi George V au palais de Buckingham le 21 février 1918, à la veille de son départ pour le Canada.

Une fois de retour au pays, l’ancien combattant mohawk songea à ce qu’il pourrait faire pour aider les Premières Nations : il s’emploierait à convaincre le gouvernement d’améliorer la qualité de l’instruction qu’il leur offrait. Un plus grand nombre d’externats et d’écoles secondaires devraient être établis dans les réserves. Tel serait l’un des principaux objectifs de la League of Indians of Canada, fondée par Loft en décembre 1918 dans la maison du conseil à Ohsweken, dans la réserve Six-Nations. C’est en s’inspirant de la ligue iroquoise, vieille de plusieurs siècles, que Loft créa cette organisation panamérindienne, la première au Canada. Peut-être aussi était-il conscient du potentiel d’alliances régionales comme l’Allied Indian Tribes of British Columbia [V. James Alexander Teit*]. Partout au Canada, les Premières Nations avaient été très irritées que le Parlement fédéral, en 1911, modifie la loi sur les Indiens de manière à permettre l’expropriation des réserves adjacentes aux grandes villes ou situées à l’intérieur de celles-ci. Les délégués à l’assemblée d’Ohsweken en 1918 dénoncèrent cette modification. Comme Loft le souligna dans sa lettre circulaire du 26 novembre 1919 aux groupes autochtones de tout le pays, les Premières Nations devaient « se libérer de l’emprise de la bureaucratie ». La nouvelle ligue tint ses assemblées annuelles à Sault-Sainte-Marie, en Ontario (1919), à Elphinstone, au Manitoba (1920), à la réserve Thunderchild, en Saskatchewan (1921), et à Hobbema, en Alberta (1922). En tant que premier président et secrétaire-trésorier de l’organisme, Loft tentait de s’occuper de chacune des plaintes qui lui parvenaient. Le Daily Mail and Empire de Toronto rappellerait dans sa nécrologie que, avant et après la création de la ligue, « il a[vait] voyagé presque continuellement durant des années, réglant des conflits entre trappeurs, faisant appel à des fonctionnaires d’Ottawa afin d’obtenir justice pour ses clients, aidant les anciens combattants indiens admissibles à une pension après la guerre ». Pour encourager l’adhésion à la ligue et la participation aux assemblées annuelles, Loft envoyait des circulaires aux chefs de bande et à des Amérindiens en particulier. Il le faisait en bonne partie à ses frais puisque, malgré ses appels, il ne recevait guère de soutien financier.

Aux yeux de Duncan Campbell Scott*, surintendant général adjoint des Affaires indiennes, Loft était un élément subversif et la ligue, un obstacle à une administration efficace. Afin de paralyser la ligue, il s’en prit à Loft. En vertu d’une autre modification de la loi sur les Indiens, adoptée en juillet 1920, il tenta de lui faire retirer son statut d’Indien, donc de l’émanciper. Dans une déclaration présentée en avril à un comité spécial de la Chambre des communes, Loft avait énoncé la position de la ligue sur l’émancipation obligatoire. La ligue ne s’opposait pas à cette mesure « pourvu qu’elle soit fondée sur des idéaux éducatifs et sur une formation appropriée pour l’ascension éventuelle de l’individu au rang de citoyen, avec toutes les responsabilités que cela comporte ». Toutefois, ajoutait-il, comment le gouvernement pouvait-il envisager une telle orientation quand « à peine cinq pour cent de la population adulte des réserves [était] capable de correspondre intelligemment » ?

La position de Loft sur l’émancipation révèle qu’il était un modéré, un homme désireux de voir son peuple s’intégrer à l’ensemble de la société. Par contre, Levi General [Deskaheh*], chef goyogouin du Conseil des Six-Nations et membre de la communauté de la maison longue, ne voulait pas que les Iroquois s’intègrent à la société dominante. Il s’employait plutôt à obtenir que la communauté internationale reconnaisse les Six-Nations comme une entité souveraine. Ce fauteur de troubles contrariait beaucoup Loft. Le 18 décembre 1922, dans une lettre sur la question de la souveraineté et adressée à William Lyon Mackenzie King*, le nouveau premier ministre libéral du pays, Loft fit valoir que, selon lui, les membres des Six-Nations étaient des sujets de Sa Majesté « ne différant en aucun point du statut reconnu et accepté des autres Indiens du Canada ». Le chef goyogouin, insistait-il, « ne dét[enait] aucun mandat de la population des Six-Nations pour justifier ses actes ».

King ayant aboli l’émancipation obligatoire plus tôt en 1922, Scott ne put faire retirer à Loft son statut d’Indien. Néanmoins, il considérait toujours le Mohawk modéré comme un radical aussi dangereux que Deskaheh. Les oppositions continuelles du ministère à la League of Indians of Canada nuisaient à son expansion, tout comme la pauvreté des ressources de Loft, surtout après qu’il eut pris sa retraite de la fonction publique en 1926. Puis il eut du mal à coordonner les activités de la ligue à partir de Chicago, où il s’installa en 1926 avec sa femme, en raison des problèmes de santé de celle-ci, et où ils résidèrent jusqu’en 1930. Une fois de retour à Toronto, il fit de son mieux pour reprendre ses occupations. Ainsi, le 17 novembre 1932, le Toronto Daily Star rapporta que, selon Loft, l’emprisonnement de plusieurs Amérindiens pour braconnage en vertu des lois provinciales sur la faune allait à l’encontre des droits que leur conférait l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Un tel franc-parler ne fit rien pour détourner l’attention critique de Scott. Au début des années 1930, il envisagea pendant un moment d’intenter des poursuites au criminel contre Loft pour avoir tenté de recueillir de l’argent pour des revendications territoriales. Déjà malade à cette époque, Loft mourut à Toronto en juillet 1934.

À ce moment-là, la League of Indians of Canada n’existait déjà plus, sauf en Alberta et en Saskatchewan. Néanmoins, d’autres leaders se sont voués à la même cause que Loft, à savoir la mise sur pied d’une organisation amérindienne d’envergure nationale, la plus récente étant la National Indian Brotherhood, fondée en 1968 et remplacée par l’Assemblée des Premières Nations, instituée en 1985. Les Premières Nations du Canada doivent beaucoup à Onondeyoh, ou Frederick Ogilvie Loft, visionnaire politique du début du xxe siècle.

Donald B. Smith

Cette biographie est principalement fondée sur notre article inédit « Onondeyoh : the Grand River and Toronto background of Fred Loft (1861–1934), an important early twentieth century First Nations political leader » (présenté au colloque Nationalisme(s) canadiens au 20e siècle, tenu par l’Organisation pour l’histoire du Canada à la Univ. of Toronto, 16-18 mars 2001). Une copie de cet article se trouve dans le dossier de Frederick Ogilvie Loft conservé au DCB. Parmi les articles de Loft sur les affaires indiennes, mentionnons : « The future of the Indian », Globe, 8 févr. 1908 : 8 ; « The Indian and education », Saturday Night (Toronto), 12, 19 juin et 3, 17 juill. 1909 ; « Indian reminiscences of 1812 », Saturday Night, 11 sept. 1909. Ses discours à la United Empire Loyalists’ Assoc. of Canada ont été publiés : « Captain Joseph Brant, – Thayendanega (head chief and warrior of the Six Nations) », United Empire Loyalists’ Assoc. of Canada, Annual trans., 1904 to 1913 (Brampton, Ontario, 1914), 57-61 ; et « Iroquoian loyalists », Annual trans., 1914 to 1916 (Toronto, 1917), 68-79.

BAC, R10383-0-6 ; R10811-0-X, 118777, 118779 ; RG 10, 2285, dossier 57169-1B, 3e part.— Daily Mail and Empire, 7 juill. 1934. Toronto Daily Star, 8 févr. 1907 (entrevue avec Loft), 11 févr. 1907, 6 juill. 1934.Peter Kulchyski, « “A considerable unrest” : F. O. Loft and the League of Indians », Native Studies Rev. (Saskatoon), 4 (1988) : 95-117.R. R. H. Lueger, « History of Indian associations in Canada (18701970) » (mémoire de m.a., Carleton Univ., Ottawa, 1977).J. L. Taylor, Canadian Indian policy during the inter-war years, 19181939 (Ottawa, 1984).E. B. Titley, A narrow vision : Duncan Campbell Scott and the administration of Indian Affairs in Canada (Vancouver, 1986).

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Donald B. Smith, « LOFT, FREDERICK OGILVIE (Onondeyoh) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 24 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/loft_frederick_ogilvie_16F.html.

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Auteur de l'article:    Donald B. Smith
Titre de l'article:    LOFT, FREDERICK OGILVIE (Onondeyoh)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2009
Année de la révision:    2009
Date de consultation:    24 nov. 2024