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LE SUEUR, AMELIA (Yeomans), médecin et réformatrice sociale, née le 29 mars 1842 à Québec, fille de Peter LeSueur, fonctionnaire, et de Barbara Dawson ; le 16 octobre 1860, elle épousa dans cette ville Augustus A. Yeomans, et ils eurent deux filles ; décédée le 22 avril 1913 à Calgary.
Née dans l’aisance, Amelia Le Sueur appartenait à une famille bourgeoise où l’on valorisait l’instruction et le raffinement. Elle eut des précepteurs. Son frère William Dawson LeSueur, deviendrait président de la Société royale du Canada et serait un essayiste de renom.
À 18 ans, Amelia épousa Augustus A. Yeomans, de Madoc, dans le Haut-Canada. Médecin, il devint chirurgien militaire par la suite, probablement au cours de la guerre de Sécession. Après sa mort en 1878, Amelia et sa fille Lilian optèrent toutes deux pour la profession médicale. En 1879, Lilian s’inscrivit à la School of Medicine de la University of Michigan, à Ann Arbor, car à l’époque, aucune école de médecine au Canada n’acceptait des femmes. Amelia la rejoignit l’année suivante. Une fois diplômée, Lilian ouvrit un cabinet à Winnipeg ; Amelia partit aussi pour l’Ouest après avoir obtenu son diplôme, en 1883. Toutes deux se spécialisaient en obstétrique et dans le traitement des maladies féminines et infantiles. Il semble qu’Amelia Yeomans commença à pratiquer la médecine peu après son arrivée à Winnipeg, mais elle ne se présenta pas à l’examen du Collège des médecins et chirurgiens de Manitoba avant 1885. On ignore aujourd’hui pourquoi, mais il se peut qu’elle ait été inspirée par l’exemple d’Emily Howard Stowe [Jennings*], qui avait exercé quelques années en Ontario sans permis. La seconde fille d’Amelia, Charlotte, infirmière, s’installa à son tour à Winnipeg en 1890.
Dans les années 1880 et 1890, Amelia Yeomans milita en faveur de diverses réformes sociales et politiques. Fervente anglicane, elle dénonçait la situation des immigrants non anglophones, l’état déplorable des prisons et les conditions qui régnaient dans les ateliers du vêtement, où des ouvrières travaillaient pour un salaire de misère. Cependant, trois causes, en particulier, lui étaient chères : le droit de vote des femmes, la tempérance et la croisade contre la prostitution et ses effets, les maladies vénériennes surtout. Un quotidien a rapporté la conférence qu’elle prononça dans une assemblée publique réservée aux hommes et dans laquelle elle décrivait sans détour les ravages des maladies vénériennes chez « des jeunes femmes victimes de la bassesse des hommes, qui voyaient leurs jeunes vies ruinées alors que leurs séducteurs continuaient d’évoluer impunément dans les cercles de la société ».
Bien qu’elle ait mené une campagne vigoureuse contre la prostitution et contre la domination masculine du système politique et social, Amelia Yeomans n’était pas l’ennemie des hommes, contrairement à certaines de ses compagnes partisanes du droit de vote des femmes. Elle était au service de tous ceux et toutes celles qui avaient besoin d’elle. Selon un journal, un condamné à mort, au lieu de demander un prêtre, la réclama comme conseillère spirituelle, ce qui indique à quel point son ouverture d’esprit et l’ardeur de sa foi étaient estimées.
Nommée présidente de la section manitobaine de la Dominion Women’s Enfranchisement Association, probablement en 1894, Amelia Yeomans mit sur pied la Manitoba Equal Franchise Association (aussi appelée Equal Franchise Club) en novembre de cette année-là et en devint présidente. Cet organisme provincial avait pour devise Paix sur terre, bonne volonté envers les hommes, ce qui n’avait aucune connotation ironique. Amelia Yeomans reconnaissait que, de toutes les réformes nécessaires à l’émancipation des femmes, « le droit de vote a[vait] été et demeur[ait] la plus ardue [...] parce qu’il exige[ait] du désintéressement de la part des hommes qui l’approuv[aient] ». Pourtant, soutenait-elle, l’égalité en ce domaine s’inscrivait dans le plan social de Dieu. « Le Christ, quand [il était] sur terre, disait-elle, n’a nullement montré aux hommes à imposer le silence aux femmes ; bien des femmes ont suivi et aidé le Christ quand il était sur terre. » Avoir le droit de vote, c’était avoir une voix, pouvoir enfin aider à construire la société selon le plan divin. Et la tempérance faisait aussi partie de ce plan.
Dans l’esprit d’Amelia Yeomans, il y avait un lien étroit entre la tempérance et le droit de vote parce que les femmes, gardiennes de la morale, voteraient contre « le trafic de l’alcool ». Le 9 février 1893, au Bijou Theatre de Winnipeg, elle joua le rôle de premier ministre dans une parodie de débat parlementaire organisée par Mme Arminda Myrtal Blakely avec l’appui de la Woman’s Christian Temperance Union. Nellie Letitia Mooney* et Ella Cora Hind* figuraient aussi dans ce débat. Les parlementaires discutèrent du « suffrage féminin » ; Mme Yeomans affirma que le droit de vote devait être concédé aux femmes « au nom de la justice et de l’utilité » et en vue du « progrès de la nation ». On crut que les femmes avaient gagné la partie et que l’Assemblée législative leur accordait le droit de vote quand une proposition à ce sujet fut mise aux voix et que le président de l’Assemblée déclara qu’elle était adoptée ; sa décision devait toutefois être annulée à la suite du compte des voix. En 1896–1897, Amelia Yeomans fut présidente provinciale de l’Union chrétienne de tempérance des femmes du Canada. Au moment de sa mort, elle était vice-présidente nationale de cet organisme, de même que vice-présidente honoraire de l’Ottawa Equal Suffrage Society et présidente honoraire de l’Union chrétienne de tempérance des femmes de Calgary. Elle occupa également la vice-présidence de la Winnipeg Humane Society, qui s’occupait alors des enfants négligés. Son amie la journaliste Ella Cora Hind la soutenait et l’accompagnait fréquemment dans ses croisades.
On invitait souvent Amelia Yeomans à prendre la parole sur la tempérance ou sur d’autres questions. Selon le Calgary Daily Herald, c’était « une oratrice très éloquente et convaincante », et l’entendre « éveill[ait] l’ambition intellectuelle, enrichi[ssait] l’esprit et illumin[ait] la vie ». Quant à son attitude, on la disait invariablement « engageante, aimable et bienveillante ».
Sa fille Charlotte ayant obtenu un poste d’infirmière à Calgary en 1904, Amelia Le Sueur Yeomans la rejoignit dans cette ville l’année suivante. Lilian fit de même en 1906. Ni Amelia ni Lilian ne reprirent la pratique de la médecine. Mme Yeomans continuait d’avoir de multiples activités et donnait encore des conférences, mais sa santé l’inquiétait : elle souffrait du diabète. Elle mourut à Calgary et ses funérailles eurent lieu à la Church of the Redeemer.
ANQ-Q, CE1-68, 29 mars 1842, 16 oct. 1860.— PAM, MG 10, B36 ; C31.— Univ. of Manitoba, Faculty of Medicine Arch. (Winnipeg), Biog., 12.1/124–043.— Calgary Herald, 1er juill. 1897, 23 avril 1913.— Manitoba Free Press, 10 févr., 24 mars, 16 juin 1893, 24 nov. 1894, 11 juill. 1898, 28 avril 1899, 25 mars 1901, 24 avril 1913.— Canada Lancet (Toronto), 46 (1912–1913) : 858.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898).— C. L. Cleverdon, The woman suffrage movement in Canada, introd. de Ramsay Cook (2e éd., Toronto, 1974).— Carlotta Hacker, The indomitable lady doctors (Toronto, 1974).— A harvest yet to reap : a history of prairie women, introd. de Candace Savage, Linda Rasmussen et al., compil. (Toronto, 1976).— E. C. Hind, « Dr Amelia Yeomans », Manitoba Messenger (Winnipeg), juin 1913 : 9 (exemplaire aux PAM).— Manitoba Culture, Heritage and Recreation, Hist. resources branch, Dr Amelia Yeomans ([Winnipeg, 1985]).— Pioneers of Manitoba (Morley et al.).
Vera K. Fast, « LE SUEUR, AMELIA (Yeomans) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/le_sueur_amelia_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/le_sueur_amelia_14F.html |
Auteur de l'article: | Vera K. Fast |
Titre de l'article: | LE SUEUR, AMELIA (Yeomans) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |