LE COMTE DUPRÉ, JEAN-BAPTISTE, marchand, officier de milice, seigneur, fonctionnaire et homme politique, né le 25 février 1731 à Montréal, fils de Jean-Baptiste Le Comte* Dupré et de Marie-Anne Hervieux ; décédé le 5 mai 1820 à Québec.
Jean-Baptiste Le Comte Dupré appartient à la troisième génération d’une famille de marchands engagés dans le commerce des fourrures depuis la fin du xviie siècle. Son grand-père, Louis Le Conte* Dupré, avait bâti l’entreprise dont hérita son père en 1715. Le jeu des alliances matrimoniales avait contribué à élargir le réseau de relations de la famille, qui put ainsi compter des appuis parmi d’importantes familles de négociants montréalais : les Hervieux, Magnan, Courreaud de La Coste, Baby, Charly Saint-Ange, Pothier, La Corne, Gamelin et Quesnel Fonblanche. Aussi Le Comte Dupré a-t-il grandi dans un milieu de négoce, et il semble bien qu’il ait fait son apprentissage aux côtés de son père.
En 1755, Le Comte Dupré reçoit une commission de capitaine dans la milice de la ville de Montréal. Trois ans plus tard, il est établi à Québec où, à titre de négociant, il agit probablement comme représentant de son père. Le 13 juillet 1758, il y épouse Catherine Martel de Brouague, âgée de 15 ans, fille de François Martel* de Brouague, commandant de la côte du Labrador, et de Louise Mariauchau d’Esgly. Par cette alliance, Le Comte Dupré ramifie ses liens avec le monde du négoce et celui de l’administration civile. Gaspard-Joseph Chaussegros* de Léry, beau-frère de la jeune mariée, Louis-Philippe Mariauchau* d’Esgly, son oncle, ainsi que ses cousins Eustache Lambert Dumont, Joseph et Étienne* Charest figurent parmi les invités qui ont assisté à la signature du contrat de mariage, le 8 juillet. Le Comte Dupré investit la moitié de ses biens dans la communauté, soit 30 000ª, provenant de marchandises de son commerce, de dettes actives et d’argent comptant. La mariée apporte une dot de 26 000# constituée de 6 000# que son père lui versera d’ici quatre ans et d’une rente annuelle de 1 000#.
Le couple s’installe à Montréal où naissent leurs quatre premiers enfants. En 1764, l’année suivant la signature du traité de Paris, Le Comte Dupré entrevoit avec pessimisme les conséquences du changement de régime qui, selon lui, « va faire un terrible derrangement dans la Colonie et qui achevera de [les] Ruiner ». Ses craintes reposent en bonne partie sur l’incertitude qui entoure le remboursement de la monnaie de cartes par la France, lui-même y ayant investi pas moins de 91 609#. Il s’inquiète aussi des possibilités de poursuivre ses rapports commerciaux avec les Antilles, ainsi qu’avec des marchands français de Bordeaux, de La Rochelle et de Paris. Il se soucie également du comportement des Indiens de Detroit [V. Pondiac*], qui « ne sont pas mieux disposés que l’année [précédente] », et des répercussions de cette situation sur le commerce des fourrures.
Le Comte Dupré envisage de s’établir en permanence à Québec. En 1764, il entreprend de s’y faire construire une maison, à l’angle des rues Saint-Pierre et du Sault-au-Matelot ; il confie la surveillance des travaux à Jacques Perrault*, dit Perrault l’aîné. Deux ans plus tard, il emménage dans sa nouvelle demeure. De Québec, il mène son commerce de bois, d’eau-de-vie, de blé et de fourrures. En homme d’affaires averti, il se tient au courant du prix des denrées, s’informe de la compétence et de la probité de ses employés, puis s’assure d’obtenir un bon prix pour ses marchandises, qu’il écoule à Québec et à Montréal. En 1769, il commence à investir dans la propriété foncière en acquérant l’arrière-fief de La Maringouinière, dans la seigneurie de Lauson, et une terre près de la rivière Saint-Charles, où il achète encore 60 arpents en 1770. Cette année-là, il acquiert aussi un terrain sur la côte Saint-Jean, près de Québec.
En 1774, les coreligionnaires de Le Comte Dupré reconnaissent son rang social en le nommant premier marguillier de la paroisse Notre-Dame de Québec. Ce poste le met en position, durant l’hiver, de réconcilier l’évêque de Québec, Mgr Briand*, et les marguilliers de la paroisse. Ces derniers s’opposaient, depuis 1764, à ce que leur église paroissiale fût en même temps cathédrale.
Pendant l’invasion américaine de 1775–1776 [V. Benedict Arnold ; Richard Montgomery*], Le Comte Dupré, à l’instar de son frère Georges-Hippolyte*, affiche son loyalisme et son dévouement à la couronne britannique. En septembre 1775, il devient major de la milice de la ville et banlieue de Québec. En novembre, au moment où l’armée d’Arnold était campée aux portes de la ville, Le Comte Dupré aurait découvert, lors d’une ronde routinière, un complot fomenté par trois sergents de milice. Il en aurait averti aussitôt le lieutenant-gouverneur Hector Theophilus Cramahé*, qui fait emprisonner les traîtres. Cette action expliquerait les représailles des rebelles qui saccagent les terres de Le Comte Dupré et s’emparent du blé, de la farine et de divers effets dans l’arrière-fief d’Argentenay, lequel était situé dans l’île d’Orléans et appartenait à sa femme. Toutefois, en reconnaissance de ses services, le gouverneur sir Guy Carleton le nomme colonel de la milice de la ville et du district de Québec le 4 mars 1778.
En octobre de cette année-là, Le Comte Dupré, en compagnie de son jeune fils de 17 ans, Jean-Baptiste, s’embarque pour l’Angleterre. Il s’y entretient avec lord George Germain, secrétaire d’État aux Colonies américaines, lui faisant part des pertes qu’il a subies pendant l’invasion américaine. Il revient à Québec en juillet 1779. Il a sans doute fait bonne impression, puisque Germain suggère au gouverneur Haldimand de lui donner un siège au Conseil législatif et de le dédommager des pertes subies lors du saccage de ses propriétés.
En juillet 1783, Le Comte Dupré acquiert la part de son beau-frère, William Johnstone, dans l’arrière-fief d’Argentenay en retour d’une somme de £500 payée comptant. Deux ans plus tard, il devient juge de paix, et sa commission est renouvelée en 1786. Cette année-là, il est nommé conseiller législatif, poste qu’il occupera jusqu’en 1792. Il apparaît comme un homme plutôt conservateur. En 1788, par exemple, il s’oppose à la mise sur pied d’une chambre d’assemblée. Il signe les nombreuses adresses de bienvenue ou de départ aux administrateurs coloniaux. En 1794, il adhère à l’Association, fondée pour appuyer le gouvernement, et signe la déclaration de loyauté à la couronne britannique.
Durant les années 1790, Le Comte Dupré réoriente sa carrière d’homme d’affaires. Il paraît délaisser le commerce pour devenir prêteur. Entre 1790 et 1799, il prête au delà de 57 320# à des habitants de la région de Québec. Les débiteurs, pour la plupart des ruraux, lui empruntent, soit individuellement, soit par groupe de deux ou trois, des sommes allant de 204# à 3 000#, qui serviront à consolider une dette, à acheter une terre ou à acquérir des droits successoraux. Le Comte Dupré consent ces prêts pour une période de trois à cinq ans au taux d’intérêt légal de 6 p. cent.
En 1797, Le Comte Dupré est nommé inspecteur de police à Montréal, en remplacement de son frère Georges-Hippolyte décédé cette année-là. Cette fonction apparaît plutôt comme une sinécure, puisqu’il reste à Québec où il continue de mener ses affaires. Le 12 décembre 1801, sa femme, que l’on disait « douée de toutes les vertus sociales, et de cette égalité d’âme qui caractérisent un cœur bienfaisant et libéral », meurt. Cinq des dix enfants que le couple avait eus étaient morts en bas âge. Leur fille Catherine avait épousé le seigneur de Beauport, Antoine Juchereau Duchesnay ; Françoise s’était mariée à John Francis Le Moine, officier dans l’armée britannique, et Marie-Angélique, avec l’avocat Jacques-François Cugnet ; Jean-Baptiste, tout comme sa sœur Louise-Charlotte, resta célibataire.
En 1806, Le Comte Dupré loue sa maison de la rue du Sault-au-Matelot à François Boucher, capitaine du port de Québec, moyennant un loyer annuel de £90, et s’installe dans la haute ville, rue Saint-Louis. Malgré ses 75 ans, il continue de gérer ses affaires. En 1816–1817, il prête £1 190 à des habitants de la région. Il s’occupe aussi de percevoir les arrérages de cens et rentes de ses censitaires de l’île d’Orléans et de veiller à la location du moulin seigneurial.
Jean-Baptiste Le Comte Dupré meurt à Québec le 5 mai 1820. Son service funèbre est chanté dans la chapelle du séminaire de Québec, puis son corps est transporté à Saint-François, dans l’île d’Orléans, où il est inhumé, le 9 mai, sous le banc seigneurial suivant les intentions de la famille. Dès l’année suivante, ses biens mobiliers et immobiliers sont mis en vente par ses filles héritières ; son fils unique était décédé en 1817.
ANQ-M, CE1-51, 25 févr. 1731, 1er août 1759, 7 août 1761, 5 déc. 1762, 19 mars 1764.— ANQ-Q, CE1-1, 13 juill. 1758 ; CN1-25, 13 oct. 1777, 28 déc. 1780, 5 avril 1781, 10 janv., 19 oct. 1782, 9 juill., 21 août 1783 ; CN1-79, 8 juill. 1758 ; CN1-83, 15, 16, 22–24 juin, 2, 3, 5, 6, 9, 10, 14, 17, 19, 21, 22 juill., 7, 14, 31 août, 10 sept. 1790, 31 janv. 1793, 1er, 8 Juill. 1794 ; CN1-178, 23, 24, 27 juin, 11 juill. 1796, 29 janv. 1806, 23 déc. 1809 ; CN1-205, 10 oct. 1782 ; CN1-207, 8 janv., 1er mai 1770, 4 oct., 13 nov. 1773 ; CN1-212, 11, 12 nov. 1817, 10, 23 juin 1818 ; CN1-230, 5 déc. 1794, 31 mars, 8 avril, 8, 15, 23, 30 juin, 12 août, 5, 14, 23 sept. 1795, 23–25, 29 févr., 1er, 9 mars, 6, 8, 12, 13, 23 avril, 24 mai, 13, 14 juin 1796, 22 juin, 17 août, 11 oct. 1797, 11, 23 janv., 22 mai, 21, 22 juin, 11, 24 juill., 27 août, 4 oct. 1798, 18 févr. 1799, 16, 17, 25 sept. 1806, 9, 13, 15–19, 22, 29 avril, 7 mai 1816 ; CN1-248, 23 août, 1er sept. 1769.— AUM, P 58, U, Le Comte Dupré à Baby, 7 avril 1766, 14 mai, 10 sept. 1767, 16 avril 1768, 12, 19 avril, 3 mai 1770, 10 févr. 1774, 26 oct. 1775, 4 mai 1800 ; Le Comte Dupré à Perrault l’aîné, 24 mai, 15 oct. 1764.— « État général des billets d’ordonnances » (Panet), ANQ Rapport, 1924–1925 : 337.— La Gazette de Québec, 29 sept. 1766, 7 sept. 1775, 12 déc. 1776, 10 juill. 1777, 29 oct. 1778, 12 mai, 24 nov. 1785, 29 juin 1786, 13 nov. 1788, 15 janv. 1789, 3 juill. 1794, 21 déc. 1797, 17 déc. 1801, 1er mars 1821.— Almanach de Québec. 1788–1820.— Claude de Bonnault, « Le Canada militaire : état provisoire des officiers de milice de 1641 à 1760 », ANQ Rapport, 1949–1951 : 447.— « Papiers d’État », APC Rapport, 1890 : 116, 118, 230.— P.-G. Roy, La famille Le Compte Dupré (Lévis, Québec, 1941).— « Le Compte Dupré », BRH, 6 (1900) : 249s.— P.-G. Roy, « La famille Martel de Brouage », BRH, 40 (1934) : 513–549 ; « Jean-Baptiste Le Compte Dupré, seigneur d’Argentenay », BRH, 33 (1927) : 705–707.— Henri Têtu, « Le chapitre de la cathédrale de Québec [...] », BRH, 16 (1910) : 65–75.
Céline Cyr, « LE COMTE DUPRÉ, JEAN-BAPTISTE (1731-1820) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/le_comte_dupre_jean_baptiste_1731_1820_5F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/le_comte_dupre_jean_baptiste_1731_1820_5F.html |
Auteur de l'article: | Céline Cyr |
Titre de l'article: | LE COMTE DUPRÉ, JEAN-BAPTISTE (1731-1820) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |