LA ROCHE DE MESGOUEZ, TROILUS DE, marquis de La Roche-Mesgouez, en Bretagne, vice-roi de la Nouvelle-France, fondateur de l’établissement de l’île de Sable en 1598, baptisé le 30 juin 1536 à Landerneau, France, fils de Guillaume de Mesgouez et de Françoise Lampyer ; décédé en France en 1606.

À 13 ans, Troilus est page à la cour de Henri II. Dans la suite, s’étant attiré la faveur de Catherine de Médicis, il est successivement promu chevalier, capitaine et conseiller d’État. En 1565, il devient gouverneur de Morlaix (Bretagne). Cette fonction l’amène à connaître les profits que rapportent à Saint-Malo les pêcheries et la traite des fourrures sur les côtes d’Amérique. L’idée lui vient alors d’entreprendre le « traficq » des « Terres-Neuves ». De Henri III, il obtient, en mars 1577, une commission lui permettant de s’approprier les territoires « dont il se pourra rendre maître ». Le 3 janvier suivant, une seconde commission lui confère le premier titre de vice-roi en Nouvelle-France et le droit de gouverner le pays. Avec le concours du vice-amiral de Bretagne, Honorat de Bueil, et la coopération de quelques armateurs, il équipe pour son entreprise un navire et une pinasse. Mais, se rappelant ses relations, dès 1575, avec James Fitzgerald, rebelle irlandais qui, selon certains auteurs, prétendait au trône d’Irlande, l’Angleterre le soupçonne de vouloir assister les insurgés irlandais. Probablement en juin (1578), quatre bâtiments britanniques capturent son navire, pendant que s’échappe la pinasse.

Stimulé par le succès financier d’un voyage de traite, en 1583, sous Étienne Bellenger aux frais du cardinal Charles de Bourbon et de l’amiral de France, Anne de Joyeuse, La Roche organise avec leur appui une deuxième expédition en société avec des armateurs de Saint-Malo et de Saint-Jean-de-Luz. De ce dernier fort il prend la mer, au début de 1584, avec une flottille portant 300 hommes, mais son principal navire sombre sur les côtes de la Saintonge, ce qui met fin à l’expédition.

Au cours de la guerre civile entre catholiques et huguenots, qui suspend toute reprise de ses projets, La Roche se range du côté de Henri III et de Henri IV contre la Ligue. En 1589, il échange son poste de Morlaix contre celui de Fougères, au nord de Rennes. En route pour défendre la place, il tombe à Sablé aux mains des ligueurs, dont le chef, le duc de Mercœur, le retient prisonnier durant sept ans dans le château de Nantes. Enfin libéré contre rançon, en 1596, et « se voyant sans commandement », il revient à son projet d’une exploitation commerciale outre-Atlantique. Le 16 février 1597, Henri IV lui accorde « pouvoir » d’entreprendre une nouvelle expédition. Le 4 mars, La Roche signe un accord avec Thomas Chefdostel, capitaine du navire Catherine, en vertu duquel celui-ci conduit en Amérique une mission d’exploration sous les ordres du capitaine Kerdement. Satisfait des renseignements ainsi obtenus, le marquis reçoit du roi de nouvelles lettres patentes, en date du 12 janvier 1598, le nommant lieutenant général des pays de Canada, Terre-Neuve, Labrador et Norembègue. Elles lui confèrent la propriété du pays et le monopole de la traite des fourrures avec interdiction à tous autres d’y trafiquer sans son consentement sous peine « de perdition de tous leurs vaisseaux et marchandises ». Elles l’autorisent encore à lever des repris de justice pour les fins de son entreprise.

La Roche se fait livrer des détenus, qu’il choisit parmi ceux qui ont de « grands moyens » et leur propose de racheter leur liberté pour la forte somme qu’il fixe parfois à 500 écus. Mis au courant de cette fraude de la justice, les cours refusent toute nouvelle demande de prisonniers. La Roche s’assure alors la remise par le parlement de Rouen, le 16 mars 1598, de 250 « gueux et mendiants ». Parmi ceux qui acceptent de faire le voyage, il en choisit une quarantaine des plus vigoureux, qu’il fait accompagner d’une dizaine de soldats. Il les embarque sur deux navires, la Catherine de Chefdostel et la Françoise du capitaine Jehan Girot, qui les conduisent à l’île de Sable, que La Roche rebaptise île de Bourbon en l’honneur de François de Bourbon, duc de Montpensier, gouverneur de la Normandie. Le vice-roi établit son monde sur la côte nord, sur un petit cours d’eau formant goulet qu’il nomme rivière Boncœur. Il y construit des habitations et un magasin, où sont déposés vivres, vêtements, outils, armes et meubles. Laissant le poste sous les ordres du commandant Querbonyer, La Roche accompagne les navires aux pêcheries de Terre-Neuve. Selon l’entente intervenue, les bénéfices de la pêche doivent appartenir aux capitaines des navires, tandis que les fourrures troquées sur place doivent être divisées, les deux tiers revenant aux capitaines et le reste au vice-roi. Au début de septembre, sur le chemin du retour, une violente tempête empêche les navires de faire escale au poste de l’île et les drosse droit aux côtes de France.

Sur le rapport qu’il lui fait de son voyage, Henri IV promet au marquis, en guise de subvention, de lui « continuer un escu par tonneau de marchandises venant et chargeant aux ports de Normandie ». Grâce à cette subvention qui lui rapportera, au cours des années, 12 000 écus, La Roche maintient son établissement. Chaque printemps, il le fait ravitailler par Chefdostel « en vins, habits et hardes », les déportés tirant leurs vivres du poisson et du gibier qu’ils trouvaient sur les lieux, ainsi que du bétail débarqué dans l’île tout probablement par le Portugais Fagundes vers 1520. En même temps, ils cultivent « des jardins français » qui leur fournissent des légumes.

Sur ces entrefaites, l’armateur huguenot Pierre de Chauvin de Tonnetuit, de Honfleur, finit par obtenir, le 22 novembre 1599, une commission semblable à celle de La Roche. Devant les protestations de ce dernier, Henri IV émet de nouvelles lettres patentes, le 15 janvier 1600, qui n’accordent à Chauvin que « d’estre l’un des lieutenants » du vice-roi, avec un droit de pêche, du golfe Saint-Laurent à Tadoussac, où il établit bientôt un poste avec François Gravé Du Pont.

En 1602, pour un motif inconnu, La Roche n’expédie pas l’approvisionnement annuel de vins et de vêtements. Il semble bien que des plaintes en parviennent à l’automne jusqu’à la cour, ainsi que de l’administration du commandant Querbonyer et du capitaine garde-magasin Coussez. Pour y parer, le vice-roi charge Chefdostel, le 21 février 1603, d’aller ravitailler le poste et d’en ramener Querbonyer, Coussez et trois autres personnes. De plus, il doit y conduire un commissaire, qui aura mission de s’enquérir des ressources de l’île afin d’informer le roi sur le projet d’y former une colonie sûre et commode.

Or, dans l’île, au cours de l’hiver (1602–1603), à la suite probablement de la privation du ravitaillement, les déportés, exaspérés de leur longue détention dans une île sauvage, se révoltent et massacrent les deux chefs, Querbonyer et Coussez, sédition que suivent bientôt d’autres meurtres parmi les déportés. Après un séjour dans l’île dont on ne sait rien, Chefdostel prend à son bord les 11 principaux révoltés, ainsi que le stock de fourrures sur place. En France, ces déportés, exhibant des peaux de bêtes, sont présentés à Henri IV, qui leur fait remettre à chacun la valeur de 50 écus. Ce traitement suffoque La Roche qui s’indigne de ce qu’« au lieu de les faire pendre pour leurs malfaits, on leur à donné argent, combien que d’eux-mêmes, ils ayent advoué les meurtres ».

Dans les années qui suivent, le vice-roi paraît avoir conservé et utilisé son poste d’Amérique, car à la suite de la fondation de Port-Royal, il écrit, en 1604, que Dugua de Monts n’est pas « à la veue d’un chascun comme je suis à l’Isle de Bourbon ». Cette même année, dans un mémoire au roi, il réclame le paiement des allocations et des droits qui lui reviennent, et offre, en même temps, de fortifier tous les havres depuis le Labrador jusqu’à Port-Royal. Henri IV reste sourd à cet appel. Sans avoir obtenu apparemment aucune satisfaction, La Roche meurt au cours de 1606.

Gustave Lanctot

ASM, B (Parlement de Normandie), archives secrètes.— Bibliothèque de l’Institut de France, Coll. Godefroy, 291, Escrit envoyé par le marquis Troille de Mesgouez de La Roche (1604).— Bréard, Documents relatifs à la marine normande.— Cartier, Voyage de 1534.— Champlain, Œuvres (Laverdière).— Édits ord., III.— Hakluyt, Discourse on western planting, II.— Lescarbot, Histoire (Tross).— Biggar, Early trading companies.— N.-E. Dionne, La Nouvelle-France de Cartier à Champlain, 1540–1603 (Québec, 1891).— É.-H. Gosselin, Nouvelles Glanes historiques normandes.— Gustave Lanctot, L’Établissement du marquis de La Roche à l’île de Sable, CHA Report, 1933 : 33–42.— La Roncière, Histoire de la marine française, IV.— Joseph Le Ber, Un Document inédit sur l’île de Sable et le marquis de la Roche, RHAF, II (1948–49) : 199–213.— D. B. Quinn, The voyage of Étienne Bellenger to the Maritimes in 1583 : a new document, CHR, XLIII (1962) : 328–343.

Bibliographie de la version révisée :
Arch. départementales, Finistère (Quimper, France), « État civil et généalogie », Landerneau, Saint-Thomas, 30 juin 1536 : www.archives-finistere.fr (consulté le 15 nov. 2018).

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Gustave Lanctot, « LA ROCHE DE MESGOUEZ, TROILUS DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/la_roche_de_mesgouez_troilus_de_1F.html.

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Auteur de l'article:    Gustave Lanctot
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    2019
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