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JURY, ALFRED FREDMAN, tailleur, dirigeant syndical et fonctionnaire, né le 31 janvier 1848 à Maidstone, Angleterre ; il épousa Emma Hart, et ils eurent six filles et quatre fils ; décédé le 28 septembre 1916 à Liverpool, Angleterre.
Alfred Fredman Jury apprit le métier de tailleur dans sa ville natale ; après avoir accédé au rang de compagnon en 1868, il s’inscrivit à l’Amalgamated Society of Tailors. En peu de temps, il devint président de la section locale de ce syndicat et délégué auprès du Maidstone Trades Council. Jury et sa femme immigrèrent au Canada en 1873. Après un séjour de quatre mois à Ottawa, ils s’installèrent à Toronto, où Jury ouvrit un atelier de confection et commença à se distinguer dans les cercles ouvriers. Il représenta d’abord le Tailors Operatives Union à la Toronto Trades Assembly en octobre 1873. Dès janvier 1874, il occupait à la fois le secrétariat aux finances de l’assemblée et la présidence du Tailors Operatives Union. Il appartint au conseil directeur de la Toronto Trades Assembly jusqu’à la disparition de cet organisme en 1878, notamment en tant que président pour un mandat en 1875. Délégué au deuxième congrès du Canadian Labor Union en 1874, il fut élu premier vice-président de ce syndicat en 1875, président en 1876 et trésorier en 1877.
Dans les années 1870, Jury fut à l’avant-plan des campagnes ouvrières pour des réformes législatives. Il s’opposait à ce qu’on fasse travailler les prisonniers et réclamait l’extension du droit de vote à tous les hommes. Il contribua fortement à la victoire des revendications en faveur de la modification du Master and Servant Act de l’Ontario (l’objectif était la décriminalisation des articles sur les ruptures de contrat) et d’une loi fédérale qui semblait limiter les actions syndicales en cas de grève, l’Acte pour amender la loi criminelle relative à la violence, aux menaces et à la molestation. L’appui qu’il reçut en ces matières de la part des gouvernements libéraux fédéral et provincial dut renforcer ses convictions libérales-ouvrières, qui lui venaient probablement de son expérience syndicale en Angleterre. Aux élections fédérales de 1878, Jury et d’autres travailleurs mirent sur pied la Workingman’s Reform Association afin de contrer la Workingmen’s Liberal Conservative Union, qui soutenait la Politique nationale. Les débats qui opposèrent Jury au journaliste Alexander Whyte Wright au cours de cette campagne préfiguraient les querelles syndicales de la décennie suivante.
Durant des années, Jury dirigea les forces de la coopération à Toronto. Dans une série de 14 articles sur les questions ouvrières parus dans le Globe en 1880–1881, il présenta les coopératives de consommation et de production comme « le seul remède aux grèves et aux bas salaires » et « l’ultime solution pacifique au problème ouvrier ». À compter de 1877, il fut président de la Toronto Co-operative Association Limited, qui exploitait un magasin ; la faillite de l’association, en 1888, mit un terme à sa présidence. En outre, il aida à organiser diverses coopératives de production, souvent la suite de grèves. On peut mentionner par exemple une fabrique de cigares en 1878 et la compagnie d’autobus qui défia la Toronto Street Railway Company en desservant la ville pendant la grève de mai et juin 1886 [V. sir Frank Smith*]. Cependant, Jury ne semble pas avoir pratiqué la coopération dans ses propres affaires. Vers 1882, il ouvrit rue Bay un magasin de confection avec George et James H. Ames, mais dès 1888, il était de nouveau seul.
En 1881, Jury et Daniel John O’Donoghue*, ex-député libéral-ouvrier à l’Assemblée législative de l’Ontario, avaient participé à la fondation d’une centrale syndicale qui remplacerait la défunte Toronto Trades Assembly. Coalition libérale-ouvrière, le Toronto Trades and Labor Council et son comité législatif, de concert avec les Chevaliers du travail, déterminaient les revendications du mouvement ouvrier en matière législative. En octobre 1882, Jury et O’Donoghue organisèrent l’assemblée locale Excelsior no 2305 des Chevaliers du travail, qui aida le Toronto Trades and Labor Council à fonder l’année suivante le Congrès des métiers et du travail du Canada [V. Charles March*]. L’assemblée locale Excelsior remporta de francs succès qui culminèrent en 1886 par la victoire des Chevaliers du travail dans des grèves importantes. L’élection du réformateur William Holmes Howland* à la mairie constitua un autre gain pour le mouvement ouvrier. Toutefois, le retour d’Europe d’Alexander Whyte Wright en 1886 annonçait une nouvelle lune de miel entre les travailleurs de Toronto et les conservateurs.
La sympathie des travailleurs envers le mouvement syndical se mit à faiblir, à mesure que s’étira la grève à la Toronto Street Railway Company déclenchée en mai 1886 ; cette grève se termina par une défaite en juin et engendra des récriminations contre Jury et O’Donoghue. En outre, l’enthousiasme suscité par les candidats ouvriers indépendants sur la scène politique faisait place à des accusations selon lesquelles ils étaient manipulés par les partis en place. Aux élections fédérales de janvier 1887, Jury se porta candidat sous la bannière ouvrière dans Toronto East. Les libéraux ne lui firent pas la lutte, mais les conservateurs présentèrent un candidat, John Small, qui l’emporta avec l’aide d’hommes politiques ouvriers tels Edward Frederick Clarke et Samuel R. Heakes. Bien qu’O’Donoghue ait blâmé les travailleurs protestants de ne pas avoir appuyé Jury parce qu’il était libre penseur, l’emprise des tories sur les ouvriers torontois contribua probablement davantage à sa défaite.
Malgré ce revers, Jury et O’Donoghue ne renoncèrent pas à doubler Wright. Le tailleur présida le comité législatif des Chevaliers du travail à Ottawa en 1888 et s’y montra un habile lobbyiste ; pourtant, il fut évincé l’année suivante par le candidat de Wright. En 1889, Jury et O’Donoghue accusèrent formellement Wright d’avoir mal utilisé la caisse des Chevaliers du travail affectée à la formation, mais en vain. Pareilles intrigues eurent surtout pour effet de ternir l’image des Chevaliers du travail auprès des ouvriers.
Comme bien des dirigeants ouvriers de l’époque, Jury croyait en l’existence de panacées pour changer la société. Ce puissant orateur populaire prônait les remèdes radicaux de Henry George, dont le libre-échange et l’impôt unique, et parlait fréquemment d’agnosticisme, doctrine qu’il avait adoptée à son arrivée à Toronto et que partageait sa famille de plus en plus nombreuse [V. William Allen Pringle*]. À mesure que s’intensifiaient les débats sur l’inadéquation des religions constituées, il y prenait une part de plus en plus active. En 1884, il exprima ses opinions au congrès de la Toronto Secular Society ; en 1886 et en 1894, on l’empêcha de prendre la parole devant des cercles politiques de la University of Toronto.
En 1890, le gouvernement libéral de l’Ontario nomma Jury à la commission royale d’enquête sur les prisons et maisons de correction [V. John Woodburn Langmuir]. Vu son intérêt de longue date pour le travail des prisonniers et sa réputation de lobbyiste, cette nomination allait de soi. Six ans plus tard, en réponse aux revendications ouvrières sur l’immigration des enfants [V. George Everitt Green*], les libéraux fédéraux l’affectèrent à Liverpool comme agent canadien de l’immigration. Dans le cadre de cette fonction, qu’il exercerait jusqu’à son décès en 1916, Jury donnerait des conférences et visiterait des foires agricoles dans tout le nord de l’Angleterre. Il mourut à Liverpool, y laissant dans le deuil sa femme et les deux enfants qui vivaient avec eux en Angleterre.
Au Canada, le fils aîné de Jury, Alfred Fredman, avait appris le métier de tailleur auprès de lui au début des années 1890 et avait repris la boutique après le départ de son père pour l’Angleterre. Deux des filles, Ada Harriet et Ellen Ann (Nellie), travaillèrent également pour leur père durant un temps. Nellie, ou Helen comme on l’appela par la suite, épousa le leader socialiste George Armstrong, de Winnipeg, et joua un rôle marquant dans l’organisation des ouvrières au cours de la grève générale survenue dans cette ville.
Alfred Fredman Jury, tout comme son plus proche collègue, Daniel John O’Donoghue, était un chef syndical pragmatique. En défendant la coopération, il en fit constamment valoir les avantages concrets. À titre de leader libéral-ouvrier, il incarne l’une des principales traditions idéologiques du mouvement syndical canadien.
La série d’articles d’Alfred F. Jury sur des questions touchant les classes et les ouvriers a paru dans le Globe entre le 18 sept. 1880 et le 11 janv. 1881.
AN, MG 26, A ; RG 31, C1, 1891, Toronto, St Patrick’s Ward, div. D : 62–63 (mfm aux AO).— AO, RG 80-2.— Catholic Univ. of America (Washington), Dept. of Arch. and
Gregory S. Kealey et Christina Burr, « JURY, ALFRED FREDMAN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jury_alfred_fredman_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/jury_alfred_fredman_14F.html |
Auteur de l'article: | Gregory S. Kealey et Christina Burr |
Titre de l'article: | JURY, ALFRED FREDMAN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |