JONES, SOLOMON, médecin, fonctionnaire, homme politique, juge de paix, juge et officier de milice, né vers 1756 dans le New Jersey, fils cadet d’un dénommé Jones et de Sarah Dunham ; il épousa Mary Tunnicliffe, fille d’un important propriétaire foncier de New York, et ils eurent trois filles et quatre fils ; décédé le 21 septembre 1822 dans une localité qui porte aujourd’hui le nom de Maitland (Ontario).

Solomon Jones était encore enfant lorsque sa famille quitta le New Jersey à la fin de la guerre de Sept Ans pour aller s’installer près du fort Edward (Fort Edward, New York), sur les bords de l’Hudson. Pendant que ses frères mettaient en valeur leurs fermes prospères, Solomon étudiait la médecine à Albany. Les Jones étaient de fervents tories et, peu après le début de la Révolution américaine, ils se joignirent à d’autres loyalistes pour offrir leurs services à Guy Carleton*, commandant des forces britanniques à Crown Point. Solomon devint aide-chirurgien dans une compagnie des King’s Loyal Americans commandée par son frère Jonathan. Les King’s Loyal Americans allaient porter plus tard le nom de Jessup’s Rangers. La famille Jones participa activement à la campagne de Saratoga, sous les ordres de John Burgoyne*, et elle dut fuir vers le nord jusqu’à la frontière britannique après la défaite de 1777. Durant le reste de la guerre, Solomon put accroître sa compétence professionnelle en soignant les loyalistes dans les divers camps de réfugiés et en secourant les blessés sur les champs de bataille. Il put aussi parfaire ses connaissances médicales à Montréal. À la fin du conflit, les troupes loyalistes furent licenciées et les militaires se virent octroyer des concessions de terre. Jones obtint 1 000 acres dans le canton no 7 (canton d’Augusta, Ontario), situé à cette époque dans la partie ouest du Québec.

Les perspectives immédiates n’étaient guère reluisantes pour Jones. En 1783, peu avant de s’installer sur sa terre, il avait tenté sans succès d’exploiter une entreprise commerciale avec son frère Daniel. En 1784, il adressa une pétition au gouverneur Frederick Haldimand*, dans laquelle il disait que la province était « envahie par des gentlemen exerçant la même profession que [lui ...], et la modeste solde [qu’on lui avait] versée pendant les sept années passées au service de Sa Majesté ne lui a[vait] pas permis de mettre de l’argent de côté ». Il demandait que le gouverneur « lui indique un moyen quelconque de subsistance ». En attendant une réponse, il dut supporter les privations qu’avaient à endurer les loyalistes au cours de ces premières années de colonisation. Toutefois, sa compétence médicale, sa grande générosité envers les démunis et sa loyauté à la couronne eurent tôt fait d’être reconnues. En 1788, il fut nommé médecin de la milice locale et, dès 1794, il devint greffier du conseil des terres du district d’Eastern. Nommé juge de paix en 1796, il fut élu la même année député de la circonscription de Leeds and Frontenac à la chambre d’Assemblée du Haut-Canada. Sans être une figure politique en vue, Solomon se montra consciencieux dans son travail et s’occupa avec patience des pétitions et des réclamations de ses commettants. Au terme de son mandat, il se trouva à un tournant de sa carrière. En 1799, il posa vainement sa candidature au poste d’auxiliaire médical de l’hôpital de Kingston. Cependant, plus tard au cours de la même année, il fut nommé juge de paix du district de Johnstown, qui venait d’être créé, et, en 1800, il reçut une commission de juge de la Cour de district. Par la suite, il consacra tous ses talents et toute son énergie à pourvoir aux besoins de la région.

En tant que fonctionnaire local, Jones prit une part active au développement de la communauté. À partir de 1807, il fut commissaire de la grammar school du district. Ses propres fils fréquentèrent l’école de John Strachan* à Cornwall, ce qui amena Jones à entretenir des relations étroites et durables avec le futur évêque. Les deux hommes jouèrent un rôle important dans l’obtention d’une cure permanente pour la région et dans la nomination, en 1814, du ministre anglican John Béthune* comme pasteur. Tous deux croyaient que l’Église d’Angleterre, en tant qu’Église établie, aidait à maintenir l’ordre et un bon gouvernement, puisqu’elle encourageait les bonnes mœurs et le respect de l’autorité dûment constituée. Jones reconnaissait pleinement les obligations sociales inhérentes à sa situation et déclara s’être fixé comme « objectif particulier de donner un bon exemple de loyauté, de zèle et de persévérance à tous ceux qu’il pouvait influencer dans la province ». Il ajoutait même que, « dans sa vie professionnelle, il s’était sacrifié au service des colons pauvres et nécessiteux ».

La brève carrière politique de Jones l’avait mis en contact étroit avec l’élite dirigeante d’ York (Toronto). S’assurant le concours d’amis influents, tels Richard Cartwright*, de Kingston, et William Dummer Powell, il obtint la révocation du greffier de la Cour de district, Charles Jones*, qu’il fit remplacer par son fils Jonathan vers la fin de 1808 ou au début de 1809. Strachan l’appuya aussi dans cette démarche, bien que dans une lettre personnelle il lui ait laissé entendre avec délicatesse qu’il pouvait y avoir quelque chose « d’inhabituel » à voir le poste de greffier de la cour occupé par le fils du juge. Cette petite manifestation de népotisme témoigne de la montée de Jones au sein de l’oligarchie locale.

On pouvait aussi juger de la condition sociale de Jones par sa belle résidence, Homewood, qui avait été construite en 1800 par un maître maçon de Montréal, Louis Brière (Brilliere). En plus de subvenir aux besoins de sa propre famille, qui augmentait sans cesse, Jones prenait soin de sa mère, d’une esclave noire qu’il avait achetée de son frère Daniel, et d’un neveu rebelle qui avait des problèmes familiaux. Ferme mais compréhensif, Jones s’avéra un bon guide pour le jeune homme. En outre, il entretenait des relations suivies avec les membres de sa famille ; il leur écrivait régulièrement, les mettait au courant des nouvelles et pourvoyait à leurs besoins financiers. Une de ses sœurs, qui avait épousé un officier britannique et qui vivait en Angleterre, était particulièrement redevable à Jones pour l’argent qu’il lui envoyait. Obligé d’assurer le soutien d’une si nombreuse famille, Jones se trouva aux prises avec des difficultés financières et fut harcelé par ses créanciers de Montréal qui exigeaient le paiement des comptes en souffrance. Malgré tout, il fit son possible pour fournir aux siens les commodités de la vie. Ses comptes personnels montrent qu’il achetait souvent du tabac, du vin, des spiritueux et, à l’occasion, des soieries et des dentelles. Jones était aussi un excellent violoneux et jouait divers réels et gigues qui constituaient, pour une bonne part, les divertissements des loyalistes.

La déclaration de la guerre par les États-Unis en 1812 vint menacer sérieusement tout ce pour quoi Jones s’était dévoué. Au début de juillet, dans ce qui fut probablement le premier engagement de la guerre, un détachement de la milice de Grenville, dont faisait partie un des fils de Jones, Dunham, mena une attaque surprise contre une flottille américaine se rendant d’Ogdensburg, dans l’état de New York, à Sackets Harbor. Ce raid ne fut guère prisé par les officiers supérieurs de la milice qui considéraient que la saisie de la propriété privée ne devait pas être encouragée. Ils envoyèrent Jones rencontrer le commandant américain à Ogdensburg. À la suite de cette rencontre, les officiers de la milice se mirent d’accord pour rendre les prises et pour reconnaître que « toute propriété privée devait être respectée ». Cependant, Jones voulait prendre part à la guerre d’une façon plus active. Il avait été capitaine dans la milice, mais il avait dû renoncer à son grade, probablement en 1808, à cause des exigences de sa profession. En mars 1813, il fut affecté comme médecin à la garnison de Prescott ; il continua toutefois à s’acquitter de ses fonctions dans le civil. En 1814, il fut nommé commissaire chargé d’emprisonner les personnes soupçonnées de trahison. En sa qualité de représentant de district de la Loyal and Patriotic Society of Upper Canada, Jones fut en mesure d’aider ceux que la guerre avait laissés dans le dénuement.

Une fois la paix rétablie, Jones continua à se rendre utile dans le district de Johnstown, malgré son âge avancé. En 1819, il fut nommé membre du conseil des terres et, à ce titre, il eut à répondre aux demandes des résidents du district. Lui-même obtint de la couronne d’importantes concessions foncières, lesquelles lui revenaient de droit ; cependant, il n’eut guère la chance de mettre ces terres en valeur. En 1822, comme sa santé se détériorait, il fit un voyage aux eaux de Saratoga Springs, près de l’endroit où il avait vécu dans son enfance. Cette cure n’eut toutefois pas les résultats escomptés. Il revint à Homewood où il mourut le 21 septembre.

Le profond attachement de Solomon Jones à l’Église d’Angleterre, à l’élite dirigeante et à la Grande-Bretagne atteste éloquemment de sa mentalité tory. Sa vie fut marquée par la bienveillance qu’il témoigna à chacun, et toutes les classes de la société le tinrent en haute estime. Une notice nécrologique publiée dans le Kingston Chronicle le décrit avec justesse en disant qu’il a été « longtemps un médecin infatigable et un membre très précieux de la communauté ». Jones repose au cimetière de l’église Blue, à Maitland, et le lieu de sa sépulture est indiqué par une simple pierre.

Dennis Carter-Edwards

ANQ-M, CN1-16, 6 mars 1800.— AO, Map coll., C-5, Augusta Township, 1785–1787 ; MS 520, notice of appointment to militia, 14 juin 1788 ; Powell à Jones, 25 oct. 1808 ; Jones à Powell, 25 oct. 1808 ; Strachan à Jones, 19 nov. 1808, 16 mars 1812 ; officers of the Grenville militia, signed statement, 7 juill. 1812 ; G. O. Stuart à Jones, 8 mars 1814 ; MS 816.— APC, RG 1, L3, 254 : I-J3/33 ; RG 8, I (C sér.), 287 : 65–66 ; RG 9, I, B1, 1, Peter Drummond au Lt.-Col. Shaw, 17 mai 1808 ; RG 68, General index, 1651–1841.— BL, Add. mss 21826 ; 21827 : 298 ; 21875 : 193 (transcriptions aux APC).— EEC, Diocese of Ont. Arch. (Kingston), St John’s Church (Prescott, Ontario), reg. of burials, 13 août 1821–6 oct. 1890.— Grenville Land Registry Office (Prescott), Augusta Township, concession 1, lots 22–37, testament de Solomon Jones, 1822.— Ont. Heritage Foundation (Toronto), Heritage Trust Branch, E. M. Richards [McGaughey], « A report for the Heritage Trust : Homewood and the Jones family » (Toronto, 1977).— QUA, Jones family papers, particulièrement box 1, folder 11, corr. à Solomon Jones de : William Jarvis, 18 févr. 1800 ; John Jones, 12 juill. 1803 ; John Strachan, 10 oct. 1806 ; W. Halton, 13 mars 1807 ; James Laing, 2 mai 1808 ; folder 12, corr. à Jones de : E. Macdonell, 20 mars 1813 ; John Bethune, 12 juin 1814 ; circulaire, 24 mars 1814 ; folder 13, Solomon Jones à son fils, 23 juill. 1822 ; box 4, folder 35 ; dissolution d’association, 30 août 1788 ; folder 36, testament de Solomon Jones, 20 janv. 1800 ; box 15, Solomon Jones account-books.— Loyal and Patriotic Soc. of U.C., Report, with an appendix, and a list of subscribers and benefactors (Montréal, 1817).— Kingston Chronicle, 11 oct. 1822.— Dennis Carter-Edwards, « Solomon Jones : United Empire Loyalist » (copie dactylographiée, s.l.n.d. ; copie à la Grenville County Hist. Soc., Prescott).— Andrew Jones, « Reminiscences, or a biography of the Jones family » (copie dactylographiée, 1904 ; copie aux QUA, Jones family papers, box 1, folder 7).— E. R. Stuart, « Jessup’s Rangers as a factor in loyalist settlement », Three hist. theses.— C. C. James, « The second legislature of Upper Canada – 17961800 », SRC Mémoires, 2e sér., 9 (1903), sect. ii : 167–168.— E. M. Richards [McGaughey], « The Joneses of Brockville and the family compact », OH, 60 (1968) :169–184.

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Dennis Carter-Edwards, « JONES, SOLOMON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jones_solomon_6F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
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