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HEUSTIS (Huestis), DANIEL D., partisan patriote et auteur, né en 1806 à Coventry, Vermont, fils de Simon Heustis ; décédé après 1846.
Fils d’un fermier « de condition modeste », Daniel D. Heustis appartenait à une famille de dix enfants qui furent éduqués « aussi bien que leurs moyens limités le permettaient », comme il le rappela plus tard dans son autobiographie intitulée A narrative [...]. Les Heustis étaient des presbytériens et des républicains convaincus ; même si en 1838 Daniel allait déclarer à son procès n’avoir « aucune religion », il adopta les opinions politiques de son père dès sa jeunesse. « On m’a tôt appris, écrivait-il, à nourrir une vive gratitude pour les bienfaits de la liberté et du gouvernement républicain. Quant à la tyrannie et à l’oppression de toutes sortes, on m’a conduit à les abhorrer et à les détester. » À l’âge de dix ans, il s’installa avec sa famille à Westmoreland, dans le New Hampshire. Un fermier des environs de Roxbury (Boston) l’embaucha d’abord à l’aube de sa vie d’homme, puis un commerçant de cette ville. En 1834, il se fixa à Watertown, dans l’état de New York, où il travailla dans l’« entreprise de transport par eau » d’un de ses oncles ; en 1835, il entra dans une compagnie de maroquinerie à titre de préposé aux achats et aux ventes. Deux ans plus tard, il s’associa à un cousin pour se lancer dans la boucherie et le commerce d’épicerie et de marchandises antillaises. L’année suivante, à son procès, il s’identifia d’ailleurs comme boucher. Célibataire à l’époque, il semble qu’il ne se maria jamais.
Ce fut entre 1835 et 1837, à la faveur de ses voyages d’affaires, que Heustis prit connaissance du profond mécontentement qui animait nombre de Haut et de Bas-Canadiens. L’éclatement de la rébellion dans le Bas-Canada, en 1837 [V. Wolfred Nelson*], l’incita à « rallier ceux qui tentaient de libérer le peuple du Canada du joug de la tyrannie britannique ». Toutefois, ce ne fut que le 10 janvier 1838, à Watertown – donc après que William Lyon Mackenzie* eut connu la défaite au nord de Toronto et se fut enfui aux États-Unis –, que Heustis décida d’abandonner les affaires pour se consacrer tout entier à « la cause de la liberté canadienne ». Il se rendit à Rochester, où il rencontra des fugitifs du Haut-Canada, John Rolph*, Donald M’Leod* et Silas Fletcher, qui l’envoyèrent livrer trois canons à Buffalo, quartier général des patriotes [V. Thomas Jefferson Sutherland*]. Heustis y fit la connaissance de Mackenzie et reçut une commission de capitaine dans l’armée des patriotes. Après qu’il eut regagné Watertown avec Mackenzie, on l’arrêta pour violation des lois américaines de neutralité – élément de la réaction des autorités des États-Unis au raid que William Johnston* avait mené sans succès contre l’île Hickory – mais bientôt on le relâcha.
Au printemps, à Watertown, alors l’un des foyers de l’activité patriote, Heustis s’enrôla dans les frères-chasseurs, qui étaient au nombre de 1 900. Plusieurs semaines plus tard, il se trouva parmi les 50 hommes de Watertown qui rejoignirent une force plus importante à Youngstown, dans l’état de New York, dans le but de sauver les patriotes capturés après le raid de Short Hills, en juin, et incarcérés à Niagara (Niagara-on-the-Lake, Ontario). Mais comme on avait transféré les prisonniers, dont Jacob R. Beamer, Samuel Chandler* et Linus Wilson Miller*, au fort Henry, à Kingston, la troupe se dispersa. Heustis se joignit ensuite au groupe qui partit de Sackets Harbor le 11 novembre pour envahir le Haut-Canada. Deux jours plus tard, sous le commandement de Nils von Schoultz, il participa à la bataille de Windmill Point, près de Prescott, sur le Saint-Laurent. Des 186 hommes de la force d’invasion, 177 furent tués ou faits prisonniers [V. James Philips ; Plomer Young*].
Heustis, qui figurait au nombre des prisonniers, fut conduit au fort Henry pour être traduit devant un conseil de guerre en décembre 1838. Selon une dépêche qu’envoya à une date ultérieure le lieutenant-gouverneur sir George Arthur* à lord Normanby, du ministère des Colonies, des « personnes influentes » présentèrent une exception en faveur de Heustis en alléguant que sa « situation dans la société [semblait] assez supérieure à celle de l’ensemble des brigands ». Toutefois, on rejeta l’exception. Jugé coupable d’« invasion pirate », Heustis fut condamné à mort le 17 décembre. « Nous étions, rappellerait-il sur un ton dramatique, entre les mains des Robespierres du Canada, et la guillotine était prête à expédier ses victimes. » Le premier recours en grâce de Heustis à Arthur, rédigé dans sa cellule vers la fin du mois – et qui brille par son absence dans Narrative -, fut suivi de requêtes dans lesquelles des résidents et des personnages haut placés de la région de Watertown affirmèrent tous qu’on l’avait conduit trompeusement à participer aux actions des patriotes. En avril 1839 (on avait déjà pendu dix des patriotes qui avaient participé à la bataille de Windmill Point), Heustis déclara de manière convaincante qu’il avait été entraîné mensongèrement par « des malfaisants et des intrigants de son pays ainsi que des réfugiés et des rebelles de la province à prendre part à la récente et injustifiable attaque » lancée aux environs de Prescott. Par suite des pétitions déposées en sa faveur, le Conseil exécutif envisagea de le gracier, même si un fonctionnaire du gouvernement le tenait encore pour l’« un des brigands les plus actifs et les plus influents ». Finalement, 60 des condamnés, dont Heustis, virent leur sentence commuée en déportation à perpétuité dans la terre de Van Diemen (Tasmanie, Australie), colonie britannique.
Pendant leur incarcération au fort Henry, les prisonniers, presque tous américains, avaient reçu la visite d’Arthur, que Heustis décrivit par la suite comme un « homme trapu [...] à l’allure tyrannique ». Peu après, écrit-il, les Américains célébrèrent le « Quatre Juillet, jour à jamais glorieux, [...] aussi bien que le permettaient les circonstances ». Il ajoute : « À l’aide de plusieurs mouchoirs de poche, nous confectionnâmes un drapeau aussi semblable que possible à la bannière étoilée [...] Nous avions affronté l’ennemi, tels les héros de Bunker Hill, [...] et nous ne voyions aucune raison d’avoir honte de nous-mêmes. »
En septembre 1839, les prisonniers furent amenés à Québec, où les rejoignirent 18 patriotes capturés dans l’ouest du Haut-Canada (dont Elijah Crocker Woodman), 58 Bas-Canadiens et 5 autres criminels. On les embarqua tous à bord du transport Buffalo, qui embarqua les voiles le 27 septembre et atteignit Hobart Town (Hobart, Australie) le 12 février 1840. Après quelques jours au bassin, au cours desquels le lieutenant-gouverneur sir John Franklin vint s’adresser aux prisonniers, les Bas-Canadiens, demeurés à bord, furent transportés jusqu’à Sydney tandis qu’on emmena les Haut-Canadiens et les Américains à la station routière de la baie Sandy, sur la côte, à quelques milles de Hobart Town. On les embarqua au travail sur les routes. Selon Heustis, ni la composition ni la qualité de leur menu ne variait : « une livre et cinq onces de pain bis, [...] trois quarts de livre de viande fraîche, une demi-livre de pommes de terre et une demi-once de sel, à quoi s’ajoutaient deux onces de farine pour la bouillie du matin, et de même le soir. Telle était invariablement la ration quotidienne de chaque homme, d’un bout de l’année à l’autre. » Dans une demi-pinte du bouillon obtenu une fois la viande cuite, « il n’était souvent pas difficile de récolter une cuillerée d’asticots ».
Après quatre mois à la station routière de la baie Sandy, on divisa le contingent de prisonniers : on en envoya certains, dont Heustis, à la station de Lovely Banks, puis à celle de Green Ponds et, plus tard, à Bridgewater (à l’est de Hobart Town), où ils travaillèrent à une chaussée. De là, Heustis et d’autres prisonniers se rendirent à Jericho et à Jerusalem, dans les terres du centre-sud de l’île. « Pendant leur voyage ils traversèrent Jericho et franchirent le fleuve Jourdain », note-t-il amèrement, et à Jerusalem ils « tombèrent au milieu des voleurs. Il n’y avait aucun Samaritain dans la région. » L’étape suivante fut la station de Browns River, à proximité de la côte, où ils trouvèrent des « installations de flagellation [...] d’un haut degré de perfection », mais selon lui, pendant son séjour dans l’île, on ne fouetta aucun Américain.
Le 16 février 1842, au terme des deux années normales de probation, Heustis et ses compagnons reçurent des sauf-conduits qui les autorisaient à se déplacer librement à l’intérieur d’une zone désignée. On assigna Heustis à Campbell Town, au cœur de l’île, où il gagna de bons gages à faucher le blé. L’année suivante, il reçut la visite de son frère et fut recruté pour faire la chasse aux convicts fugitifs qui se réfugiaient dans la brousse, mais il n’obtint guère de succès. On le félicita néanmoins pour sa bonne « conduite » et, lorsque des prisonniers commencèrent à être graciés, en 1844, il fut, à Hobart Town, l’un des premiers à l’être. En janvier 1845, un baleinier qui se rendait en Nouvelle-Zélande et au nord-ouest de l’Amérique, le Steiglitz, embaucha Heustis avec 25 autres prisonniers pour remplacer son équipage médiocre. Le groupe quitta le navire et se dispersa à Honolulu, dans les îles Sandwich (Hawaï).
Finalement, le 25 juin 1846, après avoir connu diverses aventures et subi plusieurs retards en Californie et au Chili, Daniel D. Heustis arriva à Boston à bord de l’Edward Everett. À Watertown, sa famille et ses amis l’accueillirent bruyamment : ils « tirèrent du canon et firent venir une fanfare ». Peu après, il retourna voir le champ de bataille des environs de Prescott ; « je laisse au lecteur le soin d’imaginer les sentiments que j’éprouvai, écrit-il, lorsque je parcourus de nouveau ce lieu d’une lutte mortelle ». L’historien Edwin Clarence Guillet* décrit le récit de Heustis, paru à Boston en 1847, comme « le plus savant des récits de patriotes ». Il révèle à quel point les années de travaux forcés avaient aiguisé les ressentiments de l’auteur en tant que patriote. Celui-ci se réjouissait que le régime de sir George Arthur ait pris fin et, pour lui, The emigrant, que venait de publier le prédécesseur d’Arthur, sir Francis Bond Head*, n’était que « le gémissement d’un parasite de l’aristocratie qui s’[était] vu, avec ses amis les plus proches, chassé du pouvoir [...] par ceux-là mêmes dont il avait recherché l’appui en versant le sang des patriotes comme si c’eût été de l’eau et en condamnant un grand nombre d’Américains à l’horrible existence des bagnards ». Mais un fait surtout le rendait amer : « le peuple canadien, pour lequel nous avons combattu, écrit-il, a été moins fidèle à la cause de la liberté que nos ancêtres révolutionnaires ». Le récit de Heustis se termine là à l’année 1847 ; on ignore ce qu’il advint de lui par la suite.
L’autobiographie de Daniel D. Heustis, A narrative of the adventures and sufferings of Captain Daniel D. Heustis and his comparions, in Canada and Van Dieman’s Land, during a long captivity ; with travels in California, and voyages at sea, a été publiée à Boston en 1847.
APC, RG 5, A1 : 117005, 117011, 117049–117051, 120741–120755.— Arch. Office of Tasmania (Hobart, Australie), CON 31/22 ; CON 60/1.— Guillet, Lives and times of Patriots.— M. G. Milne, « North American political prisoners : the rebellions of 1837–8 in Upper and Lower Canada, and the transportation of American, French-Canadian and Anglo-Canadian prisoners to Van Diemen’s Land and New South Wales » (thèse de
George Rudé, « HEUSTIS (Huestis), DANIEL D. », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/heustis_daniel_d_7F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/heustis_daniel_d_7F.html |
Auteur de l'article: | George Rudé |
Titre de l'article: | HEUSTIS (Huestis), DANIEL D. |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |