Titre original :  Titre : John Hearn
Créateur : J.E. Livernois Photo. Québec
Date : [Vers 1890]
Fonds J. E. Livernois Ltée
Lieu de conservation : BAnQ Québec
Source: https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3115049

Provenance : Lien

HEARN, JOHN, homme d’affaires et homme politique, baptisé le 4 janvier 1827 dans l’église cathédrale de Waterford (république d’Irlande), fils de Thomas Hearn et de Catherine Power ; décédé le 17 mai 1894 à Québec.

Né dans une famille aisée d’Irlandais catholiques, John Hearn eut la chance d’étudier d’abord à la Meagher’s Academy en Irlande. Au début de son adolescence, il débarqua à Québec, où il poursuivit sa formation auprès d’un précepteur. Après avoir été commis chez Hugh Murray, fournisseur de navires et conseiller municipal à compter de 1849, il ouvrit, dans la basse ville, son propre commerce d’épicerie et de ravitaillement de navires. Le 20 novembre 1849, il épousa Mary Doran, fille de John Doran, citoyen notable et lui-même épicier ; le couple eut huit enfants, mais un seul d’entre eux, un garçon, vécut jusqu’à l’âge adulte. Au début des années 1860, un agent de la maison d’évaluation du crédit des sociétés, la R. G. Dun and Company, affirmait que les affaires de Hearn allaient assez bien ; dès la fin de la décennie, il faisait aussi de l’immobilier.

Hearn était déjà un peu connu dans la communauté irlandaise quand il accepta en 1848 la présidence de l’Emmet Rifle Club ; il avait alors 21 ans. Cette association fomentait une révolution contre les autorités britanniques, et Hearn fut lui-même arrêté pour avoir saboté de l’artillerie et transporté des armes. Éloquent et « débrouillard », toujours selon l’agent de la R. G. Dun and Company, il avait, dès les années 1860, la réputation d’être « un leader actif et apprécié ». Il accéda à la présidence de l’Institut catholique et littéraire de Saint-Patrice de Québec en 1870, puis à celle de la section québécoise de la Hibernian Benevolent Society of Canada [V. Michael Murphy*] quatre ans plus tard. En 1871, il manifesta publiquement son appui à l’Irish League, qui visait à promouvoir les intérêts des Irlandais dans la ville. Membre du conseil d’administration de l’Association de l’asile de Sainte-Brigitte de Québec, il faisait aussi partie de celui de la paroisse St Patrick.

En raison de sa popularité auprès de ses concitoyens irlandais, Hearn avait été élu en 1856 conseiller municipal du quartier Champlain où il avait son domicile et son commerce, et où les Irlandais étaient en majorité. Son beau-père avait occupé le même siège de 1844 à 1849. Hearn apporta son concours à bon nombre de comités du conseil municipal, mais surtout à celui du réseau de distribution d’eau, dont il fut président durant une dizaine d’années à compter de 1863. Sa participation à ce comité lui permit d’assurer à des centaines de ses compatriotes le travail dont ils avaient tant besoin en hiver. Tout au long des 38 années où il représenta le quartier Champlain à la municipalité, d’abord en qualité de conseiller puis d’échevin, il défendit les intérêts des Irlandais. Cependant, il ne fit pas que manifester sa fidélité à ses origines. Il devint étroitement associé à la municipalité elle-même, dont certains résidents contestaient l’administration financière et dont une association de citoyens, fondée en 1869, réclamait l’abolition.

Hearn misa sur l’immense popularité dont il jouissait dans le quartier Champlain pour briguer un siège à la première Assemblée de la province en 1867 : candidat conservateur, il fut élu sans opposition dans la circonscription de Québec-Ouest. Quatre ans plus tard, il renouvela son exploit. En 1875, il eut un adversaire qu’il considéra avec un « souverain mépris » : il ne se donna même pas la peine de faire campagne et récolta une majorité bien moins impressionnante que prévu. Vigoureux défenseur de l’administration municipale de Québec à l’Assemblée, il lui servit d’intermédiaire en présentant une série de petites réformes dont le but était d’affaiblir l’association de citoyens. Celles-ci, qui portaient principalement sur les sources de revenus de la municipalité, nécessitaient des modifications aux lois provinciales. Invariablement – du moins jusqu’à ce qu’en 1872 un député de Montréal, Luther Hamilton Holton*, proteste – il remporta un succès considérable en veillant à ce que l’on présente les projets de loi sur la municipalité à la toute fin de la session, soit au moment où il n’était plus guère possible de les examiner ou d’en discuter. C’était là une tactique à laquelle la municipalité de Montréal recourait elle aussi. Il défendait également les intérêts de la municipalité lorsque d’autres lois risquaient de leur porter atteinte, surtout si un projet de loi menaçait une partie de l’assiette d’imposition de la ville ou entraînait une augmentation de ses dépenses.

En chambre, Hearn ne veillait pas avec moins de conviction aux intérêts des Irlandais. Les lois qui visaient à encourager l’immigration irlandaise et à décourager l’émigration vers les États-Unis avaient son appui. Mais c’était surtout les Irlandais de Québec qu’il défendait. En 1870, il déclara bien haut que la composition du Conseil de l’instruction publique faisait injure aux 20 000 catholiques anglophones de la ville : deux Irlandais catholiques de Montréal faisaient partie de cet organisme, mais aucun de Québec. La même année, puis de nouveau en 1875, il s’opposa à l’adoption d’une loi qui aurait fixé un cens électoral en fonction du loyer. « Dans [ma] circonscription, pas un homme sur cent » n’aurait le droit de vote, clama-t-il en faisant valoir que sûrement le retrait du droit de suffrage allait « créer du mécontentement dans les classes inférieures ». En outre, il servait, en chambre, de porte-parole à des organisations irlandaises de Québec comme l’Association de l’asile de Sainte-Brigitte et l’Institut littéraire de Saint-Patrice. Il intervenait en particulier au nom des laïques irlando-catholiques. En 1875, il s’opposa à un projet de loi d’intérêt privé qui visait à retirer l’administration des affaires séculières de la paroisse St Patrick au conseil qui en avait la responsabilité pour la confier aux rédemptoristes qui assumaient la charge spirituelle de la paroisse. Cinq ans plus tôt, il s’était prononcé contre le projet du gouvernement d’augmenter de 60 % le prix des permis de vente d’alcool, en disant que les débits illégaux proliféreraient, et il avait proposé d’imposer les immeubles religieux pour compenser le manque à gagner de la municipalité.

Membre de l’aristocratie financière de Québec, Hearn ne négligeait pas les intérêts de sa propre classe, mais le plus souvent il les combinait astucieusement à ceux des ouvriers irlandais. Ainsi, toujours en alléguant que ces mesures profiteraient à la fois aux hommes d’affaires et aux ouvriers de Québec, il soutint la protection tarifaire de l’industrie, vota pour des subventions publiques aux chemins de fer (surtout celui de la rive nord et le chemin de fer de Montréal, Ottawa et Occidental, qui se rendrait directement dans l’Ouest du pays) et appuya une proposition qui visait à ouvrir à la navigation, pendant l’hiver, le Saint-Laurent de Québec aux Maritimes. De même, quand le gouvernement proposa, en 1875, d’affecter 100 000 $ à la construction d’édifices publics à Québec, il l’appuya à l’encontre de ceux qui auraient préféré que l’on construise ces immeubles à Montréal ou, pour des raisons d’économie, qu’ils soient d’un style « agréable mais simple ». Des « édifices attrayants et décoratifs, qui attireraient dans [la capitale provinciale] les amateurs d’art et d’architecture en visite en Amérique, voilà ce qu’il fa[llait] », affirmait-il. Plusieurs mois plus tard, au début de l’hiver de 1875, comme les travaux n’étaient pas encore commencés, Hearn explosa de colère contre le cabinet. « On a remis à plus tard presque tout ce qui pourrait s’avérer bénéfique pour Québec », cria-t-il ; le gouvernement ratait l’occasion de « soulager la misère qui exist[ait alors] parmi les classes ouvrières de cette ville ». Par la suite, il continua de harceler les ministres conservateurs sur cette question.

Bien qu’il ait été peu enclin à se prononcer sur des questions d’envergure provinciale, Hearn appartenait à la douzaine de députés conservateurs qui placèrent souvent le gouvernement de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau* dans une position précaire en s’opposant à sa politique économique. De plus, au moment du scandale des Tanneries [V. Louis Archambeault*], en 1875, il vota contre le gouvernement conservateur de Charles Boucher* de Boucherville. C’est peut-être pour se débarrasser de ce partisan plutôt instable que le gouvernement de Boucherville le nomma, en octobre 1877, représentant de la division de Stadacona au Conseil législatif, poste qu’occupait auparavant John Sharples*. Une fois au conseil, Hearn défendit les mêmes groupes qu’à l’Assemblée. Cependant, ses intérêts de classe l’emportèrent sur son allégeance à la communauté irlandaise lorsqu’en 1879 il prit connaissance d’un projet de loi qui visait à mettre à l’abri d’une saisie éventuelle la moitié du salaire des ouvriers : le projet, déclara-t-il, était « révolutionnaire », et il s’y opposa. Pas plus qu’auparavant, il ne suivait fidèlement la ligne de son parti ; en 1891, il se définit même comme un « libéral indépendant ».

Dans les années 1880 et 1890, Hearn diversifia ses intérêts et se tourna vers les chemins de fer. Promoteur de la Compagnie du chemin de fer du Saint-Laurent et de Témiscouata dès sa fondation, en 1883, il fit partie de son conseil d’administration à partir de 1884. Ce chemin de fer devait relier Fraserville (Rivière-du-Loup) à Sainte-Rose-du-Dégelis (Dégelis), mais les administrateurs ne purent obtenir de subvention gouvernementale, si bien que la compagnie disparut l’année suivante. En 1893, Hearn entra au conseil d’administration de la Compagnie du chemin le Grand Nord à la faveur d’une réorganisation pour faciliter la fusion de cette société avec plusieurs autres compagnies ferroviaires du Canada et avec la Northern Pacific Railroad des États-Unis. Le but ultime du projet était de créer un transcontinental qui ferait concurrence à la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, mais là encore ce fut l’échec.

Entre-temps, semble-t-il, Hearn s’était lassé du Conseil législatif. En 1891, il brigua le siège de Québec-Ouest à la chambre des Communes mais perdit par une cinquantaine de voix au profit du député sortant, le conservateur Thomas McGreevy. Candidat à l’élection partielle qui se tint en février 1892 par suite de l’expulsion de McGreevy des Communes, il remporta la victoire sur un adversaire d’origine irlandaise. Cependant, il contracta la tuberculose pendant la campagne et en mourut en mai 1894. Il avait abandonné le commerce depuis plusieurs années mais était considéré comme l’un des plus gros propriétaires fonciers de la ville. Sa fortune, constituée en bonne partie de biens-fonds, fut difficile à évaluer ; on avança plusieurs estimations : la plus faible était de 200 000 $ et la plus élevée dépassait les 300 000 $. Son fils, John Gabriel, suivit ses traces : il fut conseiller municipal (et président du comité des finances de 1896 à 1898) ainsi que député à l’Assemblée de 1900 à 1904, mais sous la bannière libérale.

Pour la municipalité de Québec, John Hearn fut, dans la seconde moitié du xixe siècle, le type de l’homme public compétent et économe. Échevin du quartier Champlain jusqu’à sa mort, il avait présidé le comité de la traverse pendant la plus grande partie des années 1880 et celui des finances au début des années 1890. En 1892, le Quebec Morning Chronicle le qualifia de « gardien des finances de la municipalité » et, deux ans plus tard, dans la notice nécrologique que lui consacra l’Événement, on affirmait : « il a été l’âme du Conseil de ville pendant de longues années, il y jouissait d’une incroyable influence ». Les catholiques irlandais de Québec le considéraient comme un des leurs. À leurs yeux, c’était un homme politique qui comprenait leurs besoins et leurs aspirations et qui, en ces années où les règles politiques de leur pays d’adoption étaient en train de se définir, se battait pour eux, au mépris des lignes de parti si nécessaire.

Robert J. Grace

AN, RG 31, C1, 1861, 1871, Québec.— ANQ-Q, CE1-1, 20 nov. 1849 ; CE1-98, 17 mai 1894.— AVQ, Aqueduc, comité de l’aqueduc, procès-verbaux ; Conseil, conseil de ville, procès-verbaux ; conseils et comités, conseillers ; échevins ; présidence, aqueduc.— Baker Library, R. G. Dun & Co. credit ledger, Canada, 8 : 161.— Débats de l’Assemblée législative (MHamelin), 1867–1877.— L’Événement, 17–18 mai 1894.— Québec Morning Chronicle, 7 déc. 1858, 26 août 1867, 16–17 mars 1869, 12 juin 1871, 8 juill. 1875, 5 nov. 1877, 22, 25 févr. 1892, 18 mai 1894.— CPC, 1869 ; 1871–1874 ; 1876–1879 ; 1885 ; 1887 ; 1891.— J. Desjardins, Guide parl.— RPQ.— Turcotte, le Conseil législatif.— M. Hamelin, Premières années du parlementarisme québécois.— « Les disparus », BRH, 40 (1934) : 48.

Bibliographie de la version modifiée :
D. A. Wilson, Canadian spy story : Irish revolutionaries and the secret police (Montréal et Kingston, Ontario, 2022).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Robert J. Grace, « HEARN, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hearn_john_12F.html.

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Auteur de l'article:    Robert J. Grace
Titre de l'article:    HEARN, JOHN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    2023
Date de consultation:    20 nov. 2024